Maitron patrimonial (2006-2024)
Militant démocrate-socialiste de Rouen sous la Seconde République. Président du club du passage Nitrière en 1848-1849. Rédacteur en 1849-1850 de L’Émancipation normande, journal paraissant tous les mois, rédigé par des ouvriers.
La profession de Letellier n’étant nulle part indiquée, on admettra qu’il était ouvrier, sans plus.
Un document policier de premier ordre permet de voir la vie intérieure du club du passage Nitrière, entre le 5 octobre 1848 et le 12 mai 1849, comme il n’est possible de voir la vie intérieure d’aucun autre club de la Seconde République, provincial ou parisien.
Letellier ouvrait les séances une ou plusieurs fois par semaine jusqu’en janvier 1849, à intervalles plus grands et irréguliers ensuite, à huit heures du soir, « au nom de la République démocratique et sociale ». L’auditoire, formé essentiellement par des ouvriers, était considérable : 660 personnes, le 26 octobre 1848 ; 500, le 30 ; 700 le 6 novembre ; 1 000 le 13 ; 1 000-1 200 le 16 ; 1 000 le 25 ; 1 000 le 27 ; 800 le 2 décembre ; 1 000 à 1 100 le 7 ; 1 000 le 9 ; 300 le 18 ; 300 le 26 ; 250 le 28 ; 250 le 4 janvier 1849 ; 250 le 8 ; 400 le 22 ; 400 le 29 ; 600 le 15 février ; 600 le 5 mars ; 800 le 26 ; 700 le 21 avril ; 600 le 12 mai.
L’interprétation de la courbe que l’on pourrait tracer n’offre aucune difficulté : après l’inflation de la période électorale présidentielle, et le fléchissement ultérieur dû autant à la déception qu’à la fatigue des militants, le club du passage Nitrière (ou club Nitrière), le seul, semble-t-il, qui survécût des nombreux clubs démocratiques et socialistes rouennais de 1848, retrouvait, à la veille des élections à l’Assemblée législative du 13 mai 1849, des effectifs comparables aux effectifs de temps calme du mois d’octobre 1848. La mort du club Nitrière paraît d’ailleurs résulter non de la répression, mais de ses dissentiments internes qui occupent exclusivement la séance du 12 mai : Duboc, Letellier et Salva y furent attaqués sans ménagement, parce qu’ils figuraient à la fois sur la liste démocrate-socialiste et sur la liste républicaine formaliste de Senard.
La lecture des procès-verbaux de police permet de voir avec quelle habileté, pendant plus de six mois, Letellier avait su maintenir une espèce d’équilibre entre les diverses tendances représentées au club. La majorité étant sûrement rolliniste, il y avait aussi des admirateurs de Louis Blanc*, des disciples de Étienne Cabet*, des jacobins socialisants, des proudhoniens, des réformistes sans doctrine, et sans doute des auditeurs passifs subissant en sens contraire les talents oratoires de l’un et de l’autre.
Letellier lisait impartialement les articles des journaux de Paris qui avaient une réputation : ainsi, le 30 octobre, un portrait de Thiers, dans Démocratie pacifique, bien qu’il fût peu enclin au fouriérisme, encore qu’il y eût quelques fouriéristes à Rouen, sinon au club Nitrière ; ainsi encore, bien qu’il fût personnellement rolliniste, laissa-t-il se décanter une majorité rolliniste au club Nitrière, avant de se prononcer (le 16 novembre 1848) pour la candidature de Ledru-Rollin à la présidence de la République ; ainsi refusait-il de trancher, comme l’auraient voulu Charles Furet* et Henry Meslay*, entre les tenants de systèmes coopératifs différents ; ainsi, le 12 mai, laissait-il Duboc* répondre aux attaques qui le concernaient.
De L’Émancipation normande, Letellier fit paraître au moins sept numéros mensuels, de novembre 1849 à mai 1850. Il tira à 1 500 le premier numéro, le second et le troisième ; le quatrième à 1 700, ainsi que le cinquième, et sans doute le sixième. Alors que les six premiers numéros étaient d’un format in-4° et se présentaient comme des fascicules de revue sous couverture jaune, le numéro 7 était un journal petit in-folio de quatre pages et l’annonce d’une parution hebdomadaire — vain projet — y était faite.
Comme le club Nitrière, L’Émancipation normande accueillit diverses tendances (voir Noiret Charles*), mais dans l’ensemble, son socialisme était, comme celui du club Nitrière finissant, bâti sur les associations ouvrières partielles. C’est ainsi qu’on y trouve, en dehors des articles prêchant l’association, des renseignements pratiques sur les associations existant à Rouen : Association fraternelle des Tailleurs, 63, rue Bouvreuil, ou 63, rue de la Renelle, fondée à l’automne 1849 ; Association fraternelle des Ouvriers Cordonniers, 108, rue Malpalu, vendant 20 % au-dessous du cours ; Association fraternelle de Consommation, 108, rue Malpalu — avec deux succursales, rue d’Elbeuf, à Saint-Sever, et à Déville ; Association phalanstérienne, 128, rue Saint-Vivien puis, 24, rue Porte-aux-Rats — avec deux succursales, rue Écuyère et rue Saint-Hilaire ; Association mutuelle pour la fondation d’une Association-Restaurant à Rouen (voir Émile Aubry*). On peut aussi y lire la très précieuse liste complète des Associations ouvrières de Paris, avec leurs succursales (entre autres pp. 3 et 4 de la couverture du n° 1).
Au cours de ces deux activités successives, Letellier entra en relations avec les personnages suivants auxquels on se reportera : Anciaux*, Andrieux, Aubry Émile*, Avisse*, Belpaume*, Blériot Louis, Stanislas*, Boismard fils*, Boucquetot*, Capron Sénateur*, Cardou*, Caron*, Cognard*, Cormeret Hippolyte*, Cousin, Creton Étienne*, Dasseville*, Delamare Dr*, Devaux*, Digard*, Duboc, Dupuis*, Duval Antonius*, Duval Vincent*, Floquet Jean*, Furet Charles*, Gontier*, Grabowski*, Hauchecorne*, Huard*, Inennin Émile*, Jamelin*, Jamot*, Juénin*, Labie Charles*, Lambert*, Lambert Charles*, Lamy*, Lallior Contant*, Leballeur-Villiers fils, Leclaire*, Lemaître Charles*, Lemoine*, Levêque*, Levié*, Lhonorey*, Masse Dr*, Meslay Henri*, Morainville*, Noiret Charles*, Olivier*, Parant*, Paumelle*, Perrin*, Piraube*, Potelette Évariste*, Rémond*, Richard Louis*, Salva*, Serres Louis*, Varin*, Vié aîné*, Wingertner*.
Maitron patrimonial (2006-2024)
SOURCES : Arch. Mun. Rouen, Registre des procès-verbaux de police judiciaire concernant le club Nitrière. (Le commissaire de police, Léon Bertran, est généralement présent en personne.) — L’Émancipation normande, exemplaire de la collection André Dubuc, aimablement communiqué, le plus complet connu. (La collection ne se trouve pas dans les bibliothèques publiques.)