Par Jacques Droz
Maitron patrimonial (2006-2024)
Né le 20 mars 1815 à Dülken, mort le 19 août 1899 à Godesberg ; industriel et homme d’État de la Rhénanie prussienne, proche dans sa jeunesse des idées socialistes.
Né dans une petite ville de la région de Krefeld où son père, un self-made-man, tenait une fabrique et un commerce de fil de lin, Gustav Mevissen éprouva de bonne heure un vif ressentiment à l’égard de la classe sociale à laquelle il se trouvait intégré. Au cours d’un voyage qu’il fit à l’âge de vingt-trois ans en Angleterre, il fut frappé surtout par la misère du prolétariat et l’anarchie dans laquelle s’était faite l’industrialisation du pays. Porté à l’étude solitaire, il devait l’essentiel de sa formation à la lecture de Saint-Simon, dont il retenait à la fois l’éloge de l’industrie et la condamnation de l’égoïsme patronal, ainsi que les vertus de l’association, et à celle de Hegel, qui lui apprit que le rôle de l’État était de résoudre le problème social dans le sens du droit et de combattre l’égoïsme privé. Sans adopter les conclusions de Proudhon et de Louis Blanc, il admettait que le jeu des forces économiques devait être contrôlé par l’État qui devait faire converger toutes les activités vers l’intérêt général.
Établi à Cologne depuis 1841, lié avec les milieux intellectuels, en majorité protestants ou israélites, qui fréquentaient le salon de Georg Jung, il fut immédiatement intéressé par la création de la Rheinische Zeitung dont les fondateurs envisageaient à la fois de faire un organisme des intérêts économiques et politiques d’une bourgeoisie rhénane désireuse de collaborer avec le gouvernement prussien et de faire connaître les idées réformatrices qui circulaient dans les milieux néo-hégéliens. C’est ce double caractère du journal — esprit spéculatif de l’hégélianisme de gauche et esprit pratique de la bourgeoisie rhénane — qui séduisait Mevissen. Cependant, au bout de quelques mois, il jugeait que le ton du journal placé sous la direction du Docteur Rutenberg laissait une trop grande place à l’enseignement philosophique des frères Bauer, qui mettait en cause l’existence même de la société. C’est alors qu’il se rapprocha de Karl Marx qui estimait, comme lui, que cette orientation conduisait le journal à sa perte ; et il contribua, en octobre 1842, à lui en confier la direction. Mais il était trop tard : les démarches actionnaires ne purent empêcher le gouvernement d’interdire le journal en mars 1843.
L’idée que l’intervention de l’État pouvait à elle seule résoudre le problème social devait trouver son application quand, en 1844, à la suite des troubles de Silésie, il fut question, sur l’intervention de quelques hauts fonctionnaires, de constituer une Association pour le bien des classes laborieuses (Verein zum Wohl der arbeiten den Klassen). En accord avec le groupe issu de la rédaction de la Rheinische Zeitung qui se réunissait au Laacher Hof, Mevissen voyait dans cette proposition le moyen d’éduquer et d’organiser la classe ouvrière, mais l’on préféra le terme de Société pour l’aide et l’instruction mutuelle (Hilfs- und Bildungsverein). Les statuts, à la rédaction desquels participa Mevissen, reconnaissaient que « seule l’association des travailleurs était susceptible de permettre aux prolétaires d’engager le combat contre la puissance despotique du capital ». Il n’était pas dans l’intention de Mevissen et de ses amis de susciter la lutte des classes. Mais ils reconnaissaient que la classe ouvrière ne pourrait assurer ses droits et son existence matérielle que si elle était unie, indépendante — par ses caisses de crédit et de secours — vis-à-vis du capital et instruite de son rôle social. A deux reprises, les statuts de la société furent repoussés par les fonctionnaires prussiens.
A partir de 1844, date à laquelle il entra à la Chambre de commerce de Cologne, son intérêt se porta surtout sur les affaires économiques, sur la construction des voies ferrées, sur la banque et les compagnies d’assurance, sur la création de sociétés par actions, dont il voulait faire admettre le principe à une bureaucratie récalcitrante. Mais surtout, il devint l’un des coryphées du libéralisme rhénan, qu’il représenta comme député de Dülken au Landtag uni de Berlin en 1847. Mais il n’oublia pas les intérêts de la classe ouvrière, soit que, intervenant dans le débat « protectionnisme et libre-échange » (1845), il vit dans les tarifs douaniers « éducateurs » le moyen pour l’État de faire respecter le développement organique des diverses formes de l’économie nationale, soit qu’il insista sur la décentralisation nécessaire de l’industrie, qui éviterait une exploitation du prolétariat dans des usines surpeuplées. Mevissen s’éleva constamment contre un « philantropisme douillet » par lequel certains voulaient résoudre le problème du paupérisme, qui exigeait une politique de réformes des conditions de travail étendue au droit international.
L’échec du Parlement de Francfort, où il siégea sur les bancs du centre droit, le convainquit que c’était sur le plan des intérêts matériels que pouvait se développer pour l’Allemagne un avenir meilleur. Président de la Chambre de commerce de Cologne, plus tard député de cette ville à la Chambre haute de Prusse, ses dernières années n’intéressent plus l’histoire du mouvement ouvrier.
Maitron patrimonial (2006-2024)
Par Jacques Droz
SOURCES : J. Hansen, Gustav von Mevissen. Ein rheinisches Lebensbild 1815-1899, 2 vol., 1906. — J. Droz, Le libéralisme rhénan 1815-1848. Contribution à l’histoire du libéralisme allemand, Thèse, Paris, 1940. — D.I. Gaines, Young Gustav Mevissen and his times ; a study in the Rheinish Social Ethics of the 1840’s, Diss. Université de Columbia, 1953. — K. Obermann, « Gustav Mevissen », in Männer der Revolution von 1848, II, Berlin-Est, 1987.