Par Justinien Raymond
Maitron patrimonial (2006-2024)
Né le 15 mars 1893 à Paris (XVIe arr.), mort le 31 juillet 1985 à Cabris (Alpes-Maritimes) ; ingénieur ; militant et technicien socialiste ; député de la Drôme puis de l’Hérault (1928-1936, 1937-1940, 1945-1967) ; ministre (1945-1951).
Jules Moch, frère de François Moch*, est le fils de Gaston Moch (1859-1935), polytechnicien (1878), officier d’artillerie, capitaine démissionnaire en 1894 (avant que n’éclate l’affaire Dreyfus) pour se consacrer à la lutte pacifiste, et qui reprit du service de 1914 à 1918 comme chef d’escadron. Jules Moch épousa Germaine Picard, connue comme militante socialiste sous le nom de Germaine Picard-Moch*.
Après ses études secondaires, Jules Moch entra en 1912 à l’École polytechnique. En 1914, il fut mobilisé et fit la guerre comme officier du génie. Blessé à plusieurs reprises, il fut cité quatre fois et décoré de la Légion d’honneur. Démobilisé, il devint en 1918 ingénieur de la Marine. Un an plus tard, il était affecté au Service de la restitution industrielle et agricole en Allemagne et dans les pays ex-ennemis, service que, six mois plus tard, il dirigea. En 1920, il démissionna pour entrer dans l’industrie privée. Ingénieur dans une société d’équipement ferroviaire, il séjourna de 1922 à 1924 dans les États baltes et fit un voyage en URSS A son retour en France, en 1924, il adhéra au Parti socialiste SFIO et aussitôt s’y imposa dans les organismes d’études économiques et financières, tout en continuant, jusqu’en 1928 à exercer sa profession d’ingénieur. Jules Moch était le plus notable des membres du Centre polytechnicien d’études collectivistes, sorti en 1931 du groupe « X-Crise ».
Léon Blum dont il était proche, pensa que le parti pourrait tirer avantage de ses compétences techniques et de son esprit mathématique, organisé et organisateur, et le poussa dans l’arène électorale. Technicien, il était en dehors des conflits de tendances qui agitaient le Parti socialiste SFIO et, dès ce moment, il contestait le bien-fondé de certaines analyses marxistes. Pour lui, dans le capitalisme de son temps, « il ne saurait plus être question… ni d’appauvrissement continuel des masses (les statistiques le prouvent), ni d’antagonisme croissant des masses (les faits le montrent), ni de crises individuelles dues à la sous-consommation (l’expérience le confirme) ». La grande crise mondiale allait contredire ces affirmations. Mais Jules Moch était un ferme partisan de l’économie dirigée et des nationalisations. Homme d’étude, il n’eut guère de contacts avec les travailleurs si ce n’est au cours des combats électoraux.
Aux élections législatives de 1928, la Fédération socialiste SFIO de la Drôme posa la candidature de Jules Moch dans la première circonscription de Valence. Dans ce fief radical, aucune personnalité du Parti radical-socialiste ne semblait s’imposer pour succéder à Henri Perdrix, élu sénateur. Dans le Parti socialiste, aucun militant local ne pouvait sembler prendre ombrage d’un candidat venu du dehors. Dans un grand rassemblement à Valence, le 10 mars 1928, Léon Blum avait apporté son appui au candidat socialiste. La personnalité de Jules Moch, sa combativité firent le reste. En une campagne de plus de 250 réunions publiques, il popularisa un programme aux contours clairs, dénonça le Bloc national à l’œuvre de 1919 à 1924 : « Il a gouverné, dit-il, pour les profiteurs de guerre, les mercantis, les rois de l’industrie et de la banque. Par sa folle politique des emprunts accumulés et du « Boche paiera », il a fait passer la dette publique de 171 milliards (fin 1919) à plus de 325 milliards en 1924… Il a, enfin, par sa politique extérieure, donné à la France, aux yeux du monde, une figure d’impérialisme qui a retardé et compromis l’établissement de la paix. ». Il dénonça la faiblesse du gouvernement Herriot devant les problèmes financiers, faiblesse à la faveur de laquelle « les organisateurs de la panique ont librement perpétré leur mauvais coup ». Il stigmatisa l’Union des intérêts économiques de M. Billiet, bailleur de fonds des candidats de droite. Puis il exposa un programme méticuleux pour une politique favorable aux travailleurs.
Malgré la campagne de la droite contre le candidat « parachuté », Jules Moch, avec 7 250 voix, devança tous les candidats. Le radical-socialiste Bochirol se désista pour lui et ses voix semblent s’être partagées entre les deux principaux concurrents. Au second tour, Jules Moch battit François Reynaud (URD) par 10 799 voix contre 9 079. Le nouvel élu siégea aux commissions des travaux publics et de l’aéronautique dont il fut vice-président et à la commission de la marine militaire. En 1932, Jules Moch fut brillamment réélu au premier tour de scrutin par 11 166 voix sur 20 496 suffrages exprimés, contre André Thiers, radical-socialiste (7 911). C’est que, sous son impulsion, la Fédération socialiste SFIO de la Drôme, bien encadrée par des militants en majorité fonctionnaires, et surtout instituteurs, avait le vent en poupe et son organe, la Volonté socialiste pouvait chanter victoire le 21 mai 1932 sous le titre : « La Drôme est le troisième département rouge de France. » Pourtant Jules Moch, lui-même élu le 5 mai 1929 au premier tour conseiller municipal de Valence, n’avait réussi qu’à entraîner le succès de six autres socialistes. Mais en 1932, il était auréolé du rôle de premier plan qu’il avait joué au Parlement dans les grands débats nationaux. Il le rappela dans sa profession de foi de 1932 : « J’ai mené, durant quatre années, écrivit-il, une lutte constante contre les grandes compagnies de finance et d’industrie, qui, sous couleur d’assurer des services publics (chemins de fer, navigation aérienne ou maritime, électricité, banques, assurances) exploitent en réalité la collectivité au profit d’intérêts privés. J’ai obtenu des résultats : c’est grâce à mon action que les tarifs de transports n’ont pas été augmentés ; c’est mon effort qui a empêché de dilapider un milliard de plus au détriment du Trésor public, en faveur du groupe financier de l’Aéropostale ; c’est mon intervention qui a contribué à rendre moins néfaste pour les finances françaises, le renflouement de la Transatlantique et à faire ouvrir des informations judiciaires contre des financiers puissants mais malhonnêtes. Il est donc naturel que les grandes puissances de finance et d’industrie que j’ai si durement attaquées mènent l’assaut contre moi. » « Avec vous je les vaincrai » ajoutait-il, confiant dans l’issue du scrutin. En 1934, il consolida son implantation politique par son élection au conseil général de la Drôme, dès le premier tour de scrutin le 7 octobre, dans le canton de Valence où les radicaux ne lui avaient pas opposé de concurrent. Il appartiendra à l’assemblée départementale jusqu’en 1945.
La radicalisation des luttes politiques avec la crise, avec l’agitation antidémocratique et antiparlementaire des Ligues et la montée des périls extérieurs conduisirent Jules Moch qui n’avait cependant nulle tendresse pour le Parti communiste à présider le 22 septembre 1933 le meeting unitaire de Valence contre le procès de Leipzig et à prendre, derrière les drapeaux rouges, la tête de la grande démonstration antifasciste du 12 février 1934. Or, Valence et sa région n’étaient pas une circonscription de grande densité ouvrière, le poids de la paysannerie y était lourd et, parmi les radicaux qui avaient longtemps dominé la politique locale, beaucoup allaient vers un conservatisme qui les dressait contre le Front populaire. Malgré les succès de Jules Moch, depuis 1919 la région évoluait lentement vers la droite. Bien que théoricien et même doctrinaire, le député de Valence fut assez opportuniste dans la pratique pour proposer une liste commune pour les élections municipales de 1935 à la majorité du conseil municipal de Valence regroupée autour de son nouveau maire, le radical modéré Pécherot. Il essuya un refus et la liste socialiste qu’il conduisit fut battue : la fraction socialiste était éliminée de l’hôtel de ville de Valence. Au lendemain de cet échec, l’organe réactionnaire, le Messager de Valence, exultait en des termes qui donnent une idée du ton de la campagne contre le député socialiste : « Jeanne d’Arc a vaincu Sabaoth… Le judéo-marxisme a été frappé à la tête. » Les élections législatives de 1936 furent fatales à Jules Moch qui perdit son siège dès le premier tour. Le combat s’était engagé pour lui dans de mauvaises conditions. Il avait, comme toujours, un adversaire communiste qui rassembla 1 000 voix, quelque 300 de plus qu’en 1932. Il pouvait compter sur ce millier de voix disciplinées au second tour. Mais il n’y eut pas de second tour. Sur sa droite, Jules Moch n’avait qu’un seul adversaire : un homme du pays, — Jules Moch y résidait peu et n’était pas du cru — un radical hostile au Front populaire et qui l’avait dit bien haut, dénonçant le « mutisme du programme [du Front populaire] sur les questions de défense nationale, son insuffisance sur les questions financières, la formation d’un parti socialo-communiste d’unité prolétarienne avec dans son programme la lutte de classe, la dictature du prolétariat et la révolution sociale ». Ce radical pouvait donc bénéficier de son étiquette auprès de l’électorat de gauche, et obtenir grâce à ses prises de position les voix d’une droite qui ne lui avait pas opposé de concurrent. Enfin, cet adversaire, Pécherot, était maire de Valence depuis son succès sur Jules Moch en février 1934. Il était aussi docteur vétérinaire et bien connu dans les milieux paysans de la circonscription. Malgré l’appui que vint lui apporter Marius Moutet, député socialiste sortant de la 2e circonscription de Valence, Jules Moch fut battu avec 9 625 voix (21 487 suffrages exprimés) par le docteur Pécherot qui en obtint 10 783.
L’échec électoral de Jules Moch explique qu’il ne figure pas dans le premier gouvernement de Front populaire de Léon Blum. Celui-ci lui confia la charge nouvelle de secrétaire général du gouvernement et un an après sa défaite à Valence, Jules Moch retrouvait un siège de député, celui de la 3e circonscription de Montpellier (Hérault) libre à la suite du décès du député socialiste, Lucien Salette. La direction du Parti socialiste souhaita cette candidature et la Fédération de l’Hérault l’accepta. Moch n’était pas tout à fait inconnu dans le département. On avait lu parfois, dans les années trente, sa signature dans le Languedoc socialiste et, depuis 1933, il collaborait régulièrement au quotidien radicalisant de Montpellier, le Petit Méridional. Au premier tour de scrutin, Jules Moch ne distançait que de 134 voix le candidat de l’Union socialiste et républicaine, G. Escarguel, 5 240 suffrages contre 5 094. Mais le candidat communiste, A. Gros, en ayant obtenu 2 992, se désista pour Jules Moch et lui assura une victoire facile le 2 mai 1937 avec 8 554 voix contre 2 312 à son adversaire. Le 26 mai 1937, Jules Moch fut nommé sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil dans le gouvernement Blum, moins d’un mois avant la démission de ce dernier, le 22 juin. Le 13 mars 1938, il participait au second cabinet Blum comme ministre des Travaux publics, pour une nouvelle période brève, jusqu’à la démission du gouvernement, le 8 avril 1938.
De son élection du 2 mai 1937 à la guerre, Jules Moch occupa une place marginale dans la Fédération socialiste de l’Hérault. Non seulement il y était un nouveau venu mais la Fédération était animée par un homme du cru, député lui aussi, Fernand Roucayrol* et, sur le grand dilemme que la situation internationale posait au Parti socialiste, l’attitude à tenir face aux menées hitlériennes, les deux hommes représentaient les deux courants fortement antagonistes du parti et que symbolisaient les deux leaders dont l’accord réel ou factice avait jusqu’ici assuré l’unité de la SFIO. Au congrès extraordinaire que tint sur ce problème crucial le Parti socialiste, à Montrouge (décembre 1938), Fernand Roucayrol présenta la motion Paul Faure, celle de la conciliation à tout prix, de la non-résistance. Jules Moch rapporta la motion Blum, celle de la résistance à l’agression.
En tous points, devant l’ennemi comme devant ses complices au dedans, Jules Moch conforma son attitude aux positions qu’il avait défendues. Il s’engagea dans la Marine dès le déclenchement de la guerre, devint capitaine de vaisseau et fit la campagne de Norvège. Le 10 juillet 1940, devant l’Assemblée nationale de Vichy, il fut au nombre de quatre-vingts parlementaires qui refusèrent les pleins pouvoirs constituants au maréchal Pétain.
Ainsi, de 1928 à 1940, Jules Moch occupa une place singulière dans le Parti socialiste SFIO. Il ne passait pas inaperçu dans ses congrès qu’il fréquentait régulièrement, avec sa haute silhouette un peu voûtée, sa voix métallique, son éloquence assurée. Ses connaissances techniques lui assuraient un réel prestige et le mettaient un peu en marge des tendances traditionnelles. Il appartint de façon continue à la Commission administrative permanente du parti : le congrès de la salle Huyghens à Paris au lendemain de la victoire électorale de 1936, stupéfait de sa non réélection comme de celles d’André Blumel et Georges Monnet*, décida de réparer ce qui semblait une anomalie ; chaque tendance céda une place : Jules Moch siégea au lieu et place de Périgaud, de la tendance Gauche révolutionnaire.
Son rôle fut grand au Parlement et le Parti socialiste, dans sa propagande, utilisa régulièrement ses interventions comme son interpellation du 19 janvier 1934 à propos de la catastrophe ferroviaire de Lagny, réquisitoire vibrant et documenté contre la Compagnie de l’Est en cause et contre tous les réseaux. Malgré sa défaite électorale à Valence en 1936, Jules Moch joua un rôle, dès l’origine, dans l’expérience du Front populaire. Le 7 juin 1936, il participa, aux côtés de Léon Blum, Salengro, Dormoy et Lebas, aux négociations entre les organisations ouvrières et patronales d’où sortirent les accords Matignon. Devant la violation patente par les États autoritaires de la politique de non-intervention en Espagne, Jules Moch fut de ceux qui travaillèrent efficacement à la rendre moins cruelle pour les combattants républicains de la péninsule. C’est son autorité, en grande partie, qui permit une pratique active et efficace de la « non-intervention relâchée » dont la cheville ouvrière fut Gaston Cusin*.
Sur cette expérience du Front populaire qu’il a vécue, Jules Moch a porté un jugement au congrès national de la SFIO de juin 1938, à Royan. De ce qu’il considérait comme « une grande occasion perdue », il concluait à la difficulté et même à l’impossibilité de faire coexister une politique sociale hardie et une politique financière classique, à la difficulté et même à l’impossibilité de mener de front un programme social hardi et un programme économique classique. On ne pouvait tenir les promesses du Rassemblement populaire que par des réformes de structure indispensables : pour gagner du temps, en attendant que ces réformes portent leurs fruits, on aurait dû avoir recours à de grands travaux et ceux du Front populaire furent insuffisants. Il regrettait les « exigences maladroites des syndicats », notamment « la semaine française du vendredi soir au lundi matin » : la loi de 40 heures ainsi comprise, sans travail par équipes, devait aboutir à une réduction de la production, donc à une augmentation du prix de revient, sans embauche de personnel nouveau, ce qui laissait le chômage sans solution. Il jugeait insuffisante « la rénovation du haut personnel de l’État ». Le « souffle républicain » n’a peut-être pas été aussi vigoureux qu’il aurait été nécessaire, mais, ajoutait le technicien Jules Moch, les plus dangereux n’ont pas toujours été ceux que l’on cataloguait comme « fascistes ». Ce sont plutôt ceux qu’on estimait loyaux, mais qui, formés aux vieilles méthodes, sont les mauvais serviteurs d’un gouvernement novateur. Soulignant l’insuffisance des études préparatoires, Jules Moch estimait que les socialistes auraient été plus forts si, au préalable, ils avaient pensé tous les problèmes à affronter.
Démobilisé en 1941, Jules Moch participa à la création de mouvements de Résistance. D’origine juive, socialiste et résistant, il était particulièrement exposé à la répression de l’occupant et de la police de Vichy. En 1943, il traversa clandestinement l’Espagne et gagna Londres où il prit place dans les Forces navales françaises libres et participa en 1944 aux combats en Méditerranée, aux opérations de débarquement en Italie et sur les côtes de Provence en août. Mais tout en assumant ce rôle militaire, il siégea à l’Assemblée consultative d’Alger et fut envoyé en mission au Levant, de décembre 1943 à janvier 1944.
Le rôle qu’il joua avant la guerre, son passé de combattant et de résistant sous l’Occupation devaient lui assurer une place de choix dans le Parti socialiste. Son rôle à l’échelle nationale sera désormais plus politique que technique. En 1945, 1946, 1951 et 1956, il fut élu député de l’Hérault aux deux Assemblées constituantes, puis à l’Assemblée nationale sous la IVe République : Roucayrol ayant été exclu du Parti socialiste pour son vote de Vichy, Jules Moch prit la tête des listes de la SFIO aux différentes élections.
Ministre des Travaux publics et des Transports de janvier 1946 à octobre 1947 dans les gouvernements Gouin, Bidault, Blum et Ramadier, il prit le portefeuille de l’Intérieur dans le cabinet Schuman en novembre 1947. C’est à ce poste qu’il dut faire face à une grave crise sociale marquée par les grèves de novembre 1947 et par la grève des mineurs d’octobre 1948. Sous sa responsabilité, les Compagnies républicaines de sécurité, créées par un de ses prédécesseurs Adrien Texier, intervinrent sans ménagement et il y eut mort d’hommes à Valence (4 décembre 1947) et à Alès (26 octobre 1948). Pour les uns, il reste celui dont l’énergie brisa les tentatives communistes de renverser le gouvernement et de détourner le cours de la politique française, tandis que d’autres restent indignés au souvenir des méthodes violentes qui furent employées. Dans Une si longue vie, Jules Moch maintient, trente ans après ces événements, que l’objectif du Parti communiste était la prise du pouvoir par la force. Cette attitude lui valut la vive hostilité de la CGT et du PC. On le lui montrait par le tumulte dans les réunions politiques qu’il tenait dans l’Hérault. Mais pour s’être fait le défenseur de « l’ordre », Jules Moch demeura ministre de l’Intérieur dans les quatre ministères suivants, jusqu’en octobre 1949. C’était l’époque où la politique française prétendait s’appuyer sur une « troisième force » et Jules Moch en défendit à plusieurs reprises l’objectif, « gagner seule la bataille contre le communisme et le gaullisme ».
Président du Conseil, investi à une seule voix de plus que la majorité requise, le 13 octobre 1949, après la chute du ministère Queuille, Jules Moch renonça, quatre jours plus tard, à former le gouvernement. Après un bref retour à l’Intérieur, il devint ministre de la Défense nationale de juillet 1950 à juillet 1951, au moment de la guerre de Corée et de la mise en œuvre du Pacte atlantique dont il était partisan.
Si l’on néglige son retour au ministère de l’Intérieur dans l’éphémère cabinet Pflimlin, du 13 au 28 mai 1958, sa carrière ministérielle était close. A deux reprises, en 1951 et en 1952, il fut délégué à l’ONU et, en 1953, il représenta la France à la sous-commission des Nations unies pour le désarmement, idée dont il fut un ardent défenseur. Bien qu’il eût contribué aux premières ébauches d’une armée européenne, il fut un adversaire résolu de la Communauté européenne de défense. A la commission des Affaires étrangères et devant l’Assemblée, il rapporta le projet hostile à sa ratification et, bien entendu, vota contre. Cette attitude lui valut une exclusion momentanée de la SFIO. Il se rapprocha des « minoritaires » du parti, et il signa la protestation adressée au Comité directeur de la SFIO, en mars 1958, contre l’interdiction de leur organe, la Tribune du socialisme. Peu avant, en octobre 1957, il s’était prononcé, dans une suite d’articles du Midi libre de Montpellier, pour un mouvement de gauche et du centre, « appuyé le cas échéant par les communistes ou assuré de leur abstention », ou encore pour un gouvernement minoritaire de centre gauche soutenu par des « majorités alternées ». Cependant, au matin du 28 mai 1958, ministre de l’Intérieur du dernier gouvernement de la IIIe République, Jules Moch, dans une lettre au président Coty, avait envisagé la procédure qui allait permettre le retour du général de Gaulle au pouvoir, et il poursuivit un temps sa carrière parlementaire sous la Ve République.
Lors des premières élections législatives du nouveau régime en novembre 1958, marquées par le retour au scrutin uninominal d’arrondissement, Jules Moch choisit la circonscription de Sète-Pézenas. Au premier tour de scrutin, il obtint 12 286 voix sur 42 726 votants, devançant le député sortant communiste Raoul Calas de 41 suffrages (12 245). En l’absence d’accord, tant départemental que national, du PC et du PS, les deux partis maintinrent leurs candidats et Jules Moch fut battu au second tour par le candidat gaulliste de l’Union pour la nouvelle république avec 15 244 voix contre 16 905, le candidat communiste en recueillant 13 696. Jules Moch revint momentanément à l’industrie et se présenta à nouveau, dans la même circonscription aux élections législatives de novembre 1962. Il ne vint qu’en troisième position avec 11 313 voix, le candidat communiste Raoul Calas en obtenant 13 581 et le candidat de l’UNR, 12 042. Mais, afin de favoriser l’entente entre les partis de gauche sur le plan national, le PC décida de retirer, ça et là, ses candidats pour des socialistes moins favorisés, tactique dont bénéficia Jules Moch. La Fédération communiste de l’Hérault retira son candidat et appela à voter pour lui : aussi fut-il aisément élu par 24 281 voix contre 16 836 au député de l’UNR sortant et 1 216 voix à un candidat d’extrême droite. Il siégea encore plus de quatre ans au Palais-Bourbon. En 1967, il ne se représenta pas, soit qu’il ne put compter sur un désistement privilégié comme en 1962, soit en raison de son âge, soit encore pour se consacrer à un travail d’écrivain. Peut-être toutes ces raisons jouèrent.
Jules Moch continua à collaborer au Midi libre. A la fin de 1974, il écrivit, à propos de la grande grève des postiers, une série d’articles hostiles, non seulement à cette grève particulière mais aussi au droit de grève des salariés des services publics. Ces écrits provoquèrent une forte émotion dans l’Hérault et dans les rangs du nouveau Parti socialiste auquel il appartenait. Peu après, Jules Moch annonçait qu’à compter du 1er janvier 1975, il n’adhérait plus au Parti socialiste, en déclarant son hostilité à l’alliance entre socialistes et communistes sur le programme commun de gouvernement.
Jules Moch qui avait perdu un jeune fils de seize ans tué comme lieutenant des FFI dans l’Isère et qui était devenu veuf a poursuivi son œuvre d’écrivain qui est, dans l’ensemble, le témoignage de l’homme d’action qu’il fut.
Maitron patrimonial (2006-2024)
Par Justinien Raymond
ŒUVRE : Restitutions et réparations, l’Information sociale, 1921. — La Russie des Soviets, L’Ile-de-France, 1925. — Socialisme et rationalisation, Bruxelles, l’Églantine, 1927. — Jean Jaurès et les problèmes du temps présent, Bruxelles, l’Églantine, 1927. — Le Parti socialiste et la politique financière, Librairie populaire, 1928. — Le rail et la Nation, Valois, 1931. — Capitalisme et transport, Valois, 1932. — Socialisme, crises, nationalisations, Librairie populaire, 1932. — L’Espagne républicaine (en coll. avec G. Picard-Moch), Rieder, 1933. — Déchéance des réseaux et coordination des transports, Librairie populaire, 1934. — Pour marcher au pouvoir, Nouveau Prométhée, 1935. — Arguments et documents contre le capitalisme, crise, déflation, Librairie populaire, 1936. — L’œuvre du gouvernement de Léon Blum, Librairie populaire, 1937. — Le Parti socialiste au Peuple de France, Librairie populaire, 1944. — La République du travail. Ordre, justice et liberté, Éditions de la Liberté, 1944. — Guerre aux trusts, Solutions socialistes, Librairie populaire, 1945. — Le communisme et la France. Discours prononcé à l’Assemblée nationale, le 16 novembre 1948, 1948. — Guerre aux trusts Éd. de la Liberté, 1945. — Confrontations, doctrines, déviations, expériences, espérances, Gallimard, 1952. — Yougoslavie, terre d’expérience, Monaco, Éd. du Rocher, [1953]. — Alerte ! le problème crucial de la Communauté européenne de défense, Laffont, [1954]. — La Folie des hommes, 1954. — URSS, les yeux ouverts, Laffont, 1956. — Washington D. Smith, banquier de Wall Street, Laffont, 1957. — En retard d’une paix…, Laffont, 1958. — Socialisme vivant (dix lettres à un jeune), Laffont, 1960. — En 1961, paix en Algérie ! Laffont, 1961. — Le Pont sur la Manche, Laffont, 1962. — Non à la force de frappe, Laffont, 1963. — Histoire du réarmement allemand depuis 1950, Laffont, 1965. — Naissance et croissance du Front populaire, Parti socialiste SFIO, 1966. — Rencontres avec Darlan. Eisenhower, Plon, 1968. — Destin de la Paix, Mercure de France, 1969. — Rencontres avec Léon Blum, Plon, 1970. — Rencontre avec de Gaulle, Plon, 1971. — Le Front populaire, grande espérance, Librairie académique Perrin, 1971. — Socialisme de l’ère atomique, Plon, 1974. — Une si longue vie, R. Laffont, 1977. — Le communisme ? jamais ! Plon, 1977.
SOURCES : Arch. Dép. Drôme, M 88-89-90 ; 3 M ; 13 M 341. — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, t. VII. — Raymond Abellio, Les militants, op. cit., passim. — Renseignements fournis sur J. Moch dans la Drôme par R. Pierre. — Georges Lefranc, Histoire du Front populaire, op. cit., passim. — Ibid., Le Mouvement socialiste sous la IIIe République, op. cit., passim. — G. Lachapelle, Les élections législatives de 1928, 1932 et 1936. — Le Monde, 18-19 mai 1958, 21 décembre 1974, 3 août 1985. — M. Sadoun, Les socialistes sous l’Occupation, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1982. — J.-C. Maitrot, « Jules Moch (1893-1985) », Encyclopedia Universalis, 1986. — Eric Mechoulan, Jules Moch, un socialiste dérangeant, LGDJ Bruylant, Bruxelles, 1999, 585 p.