Par Claude Geslin
Maitron patrimonial (2006-2024)
Né et mort à Louvigné-du-Désert (Ille-et-Vilaine) : 9 mars 1893-5 décembre 1971 ; directeur d’une carrière coopérative de granit ; militant socialiste et syndicaliste.
Fils d’un aide forgeron aux carrières de granit (salaire de 2 f 40 par journée de douze heures en 1912), Jean Patin commença en février 1905 son apprentissage d’ouvrier granitier tout en continuant à s’instruire lui-même. En 1911, âgé de dix-huit ans, il participa à la création du syndicat des granitiers de Louvigné-du-Désert, le premier de la région, et en fut nommé secrétaire adjoint. En 1912, il constituait le syndicat des granitiers de Mellé, commune limitrophe de Louvigné.
Ainsi commença la carrière de Jean Patin qui fut grand animateur du mouvement syndical dans les carrières de granit non seulement de la région de Fougères, mais aussi de la région de Vire et de Mortain dans la Manche. Les granitiers (ou tailleurs de pierre comme on dit dans le pays) formaient le seul élément prolétarien dans ces régions rurales de petites exploitations agricoles où la population était particulièrement réfractaire aux idées socialistes et peu sympathique aux revendications ouvrières ; ils avaient affaire à un patronat âpre au gain, aux idées étroites et accoutumé à un système de bas salaires.
Dès 1913, ce patronat tenta de briser l’organisation ouvrière naissante par un lock-out général à Louvigné et à Mellé. Jean Patin alla alors travailler dans le bassin de Vire où il participa à la propagande syndicale qu’y poursuivait Jean Batas, de Saint-Malo (voir Batas).
Le lock-out aboutit à un succès syndical, les patrons devant consentir à une convention qui comportait la reconnaissance des syndicats et une tarification des salaires, système qui a toujours été maintenu depuis.
De retour à Louvigné, Jean Patin reprit son activité syndicale avec son frère Victor, son aîné de six ans, alors secrétaire du syndicat. Il provoqua la constitution du syndicat de Saint-Marc-le-Blanc et s’occupa de la mise en chantier de la Maison du Peuple de Louvigné qui fut construite par les syndiqués eux-mêmes. En 1913, Jean Patin partit pour le service militaire ; il fit toute la guerre et ne fut démobilisé qu’en septembre 1919.
Patin créa alors un organisme intersyndical, le « Cartel de la pierre de Bretagne et de Normandie », groupant les syndicats de la région de Fougères et ceux de la région de Vire (Calvados), Gathemo (Manche) et Saint-Michel-de-Montjoie, cartel dont il assura le secrétariat pendant quelques années. A cette initiative syndicale, le patronat répondit en mai 1921 par une réduction générale des salaires de 20 %. Malgré la grève qui suivit (1er juin-15 août 1921), les syndicats durent accepter un compromis (baisse de 10 %), mais dès le 1er juin 1922, ils réussirent à imposer, sans grève, une hausse de 14 %.
Au cours de ce conflit, Jean Patin et son frère Victor décidèrent un groupe de militants, parmi les meilleurs ouvriers, à assurer leur indépendance par la création d’une coopérative ouvrière de production. Ce fut « l’Avenir », créée le 21 août 1921, et dont la direction fut confiée à Jean Patin. Comptant au départ quinze sociétaires, avec un capital initial de 8 100 F, « L’Avenir » groupait dès 1923 cinquante ouvriers ; en 1939, ce nombre atteignait cent quinze. Après la Libération, elle reprit ses activités et en 1954 elle comptait deux cent quinze ouvriers dont près de la moitié comme sociétaires. La coopérative devint vite et resta une des grandes entreprises françaises de la profession et son autorité ne fut plus discutée dans le milieu patronal.
Jean Patin provoqua en outre la formation de plusieurs autres coopératives de granitiers : « l’Essor » de Saint-Germain-en-Coglès (qui fusionna avec « l’Avenir » en 1948), « les Granitiers réunis » de Saint-Marc-le-Blanc et dans les Côtes-du-Nord, « le Granit Rose » de Ploumanach. Ces sociétés se groupèrent, avec celles de Normandie, dans une Union des coopératives granitières de Bretagne et de Normandie dont le siège fut fixé à Louvigné-du-Désert. Jean Patin présida l’Union européenne du granit.
Patin fut appelé à la présidence de l’Union régionale des coopératives de l’Ouest (quinze départements) en 1944 après l’arrestation et la déportation d’Honoré Commeurec, de Rennes. Il resta président jusqu’en 1960, puis président d’honneur de 1960 à sa mort. Il avait été membre, puis vice-président du conseil national des coopératives de production de France.
Ayant adhéré au Parti socialiste après la Première Guerre mondiale, il fut candidat aux élections municipales à Louvigné en 1929 et 1931, au conseil d’arrondissement en 1931, au conseil général en 1934, aux élections cantonales fin 1945, toujours dans le canton de Louvigné. Devenu conseiller municipal à la Libération, il fut toujours réélu ensuite, malgré une majorité de droite, grâce à l’autorité que son action lui avait acquise dans la commune. Il adhéra un temps au PSU.
Il avait fondé en 1930 l’Union sportive ouvrière louvignéenne qu’il présida longtemps et fut également président fondateur de l’Amicale laïque de la commune. Il était délégué cantonal.
Maitron patrimonial (2006-2024)
Par Claude Geslin
SOURCES : L’Aurore d’Ille-et-Vilaine, 1929-1939. — L’Aurore socialiste, 1945. — La Coopération de production, octobre 1968. — Rens. de M. Rébillon.