RIVIÈRE Jacques, Étienne, Joseph, dit RIVIÈRE cadet

Par Notice revue et complétée par Thomas Bouchet

Maitron patrimonial (2006-2024)

Né le 20 février 1805 à Lons-le-Saunier (Jura) ; imprimeur sur étoffes à Lyon (Rhône) ; journaliste et propagandiste fouriériste, lié aux républicains lyonnais, au début de la monarchie de Juillet.

Second fils de Charles Rivière, teinturier, et de Pierrette Perraud, propriétaire, Rivière cadet quitta jeune Lons-le-Saunier pour Lyon, où il exerça le métier d’imprimeur sur étoffes.

Il se prit d’enthousiasme à l’annonce des Trois Glorieuses ; il adhéra peu après à la loge maçonnique du Parfait Silence, qu’il quitta à la fin de 1831 pour rejoindre les rangs des républicains lyonnais. Ses préférences se portèrent sur les « jacobins » de La Glaneuse, plutôt que sur les « girondins » du Précurseur. Il participa à de nombreuses souscriptions (pour La Tribune, le journal d’Armand Marrast*, en avril 1832 ; pour Eugène Jeanne* et les condamnés de juin 1832 en décembre de la même année, etc.), et à des banquets patriotiques où il se faisait remarquer par la virulence de ses propos (17 février 1833, en l’honneur d’Adolphe Granier*, le gérant de La Glaneuse). En 1833, il compta aussi parmi les initiateurs d’une entreprise de reconstitution de la Charbonnerie, puis il fut membre de la commission exécutive de l’Association pour la liberté de la presse. Il fréquentait alors les chefs républicains, tels Eugène Baune* ou Antide Martin*.

C’est de cette époque que semble dater son adhésion au fouriérisme : le 7 avril 1833 parut dans L’Écho de la fabrique un texte signé « R. cadet » et intitulé « Un disciple de Charles Fourrier [sic] à ses concitoyens ». En propagandiste consciencieux du fouriérisme, il s’engagea dans un travail d’explication auprès des lecteurs de L’Écho de la fabrique, rédigeant une série d’articles sur « les droits du riche, du travailleur, et des vices de notre organisation sociale » (21 avril), sur l’expérience de Condé-sur-Vesgre (Seine-et-Oise) (5 mai), sur la nature des passions, qu’il passa en revue (19 mai, 23 juin, 30 juin, 25 août), sur « la situation de l’industrie lyonnaise » (4 août).

Il semblait ainsi rompre brutalement avec le parti républicain et avec ses idéaux de jeunesse (« les grandes déclamations sur la liberté, la fraternité, l’égalité, l’idéologie des droits de l’Homme […] ne déterminent que de funestes orgasmes », affirmera-t-il plus tard dans son Mémoire justificatif). Mais le but qu’à ses yeux les républicains poursuivaient — « le gouvernement du pays par le pays » et « l’amélioration du sort de l’humanité » — n’en gardèrent pas moins pour lui un côté séduisant.

Il multiplia les mises au point dans les colonnes de L’Écho de la fabrique, pour réfuter les attaques et pour dénoncer les impostures dirigées contre le fouriérisme. C’est ainsi qu’en janvier et février 1834, il engagea une controverse avec Ravet sur certains points des idées de Fourier dont l’un et l’autre se réclamaient ; il se chargea également d’annoncer la parution des Archives des sciences morales et politiques. Au mois de janvier 1834 il se décrivait comme un véritable chef de file, « disciple de Fourier, au nom des fouriéristes lyonnais ». Son activité ne se bornait d’ailleurs pas à la ville de Lyon et aux chefs d’atelier lecteurs de L’Écho de la fabrique. Il était correspondant du Phalanstère, et il se lia au fil des mois à des fouriéristes reconnus, tels Adrien Berbrugger* (dont il organisa la série de conférences lyonnaises à la fin de l’année 1833, au palais Saint-Pierre) ou encore Abel Transon*.

L’Écho de la fabrique lui fournissait un cadre idéal pour participer au grand débat ouvert sur le thème de la réforme sociale. Mais lorsque le rédacteur en chef Marius Chastaing* quitta le journal, refusant le rapprochement avec le mutuellisme (été 1833), Rivière cadet ne le suivit pas, bien au contraire. On relève à la lecture de ses articles d’août 1833 l’expression de prises de position de nature politique. Le 4, il soutint Le Précurseur et son dirigeant Anselme Petétin* contre Le Journal du commerce, dans une polémique sur l’organisation du travail. Même s’il précisa à cette occasion qu’il ne parlait pour aucune « fraction de la société, soit monarchique soit républicaine », il trahissait là des liens qui n’étaient pas sans importance. Quelques jours plus tard d’ailleurs, il prit à nouveau position, cette fois contre un Courrier de Lyon jugé par trop favorable au gouvernement.

Les activités de Rivière cadet en dehors de L’Écho de la fabrique indiquent ses fidélités envers les républicains. Son nom figura aux côtés de ceux d’Eugène Baune, de Jules Favre, d’Antide Martin ou de Jules Seguin dans le « comité invisible » chargé de centraliser la propagande politique lyonnaise, à l’été 1833. Ce comité naquit en juillet aux bureaux du Précurseur, sous l’impulsion de Godefroy Cavaignac*. Rivière cadet gardait une totale liberté de mouvement, et il ne franchit pas l’étape suivante, restant en dehors du Comité exécutif provisoire qui se constitua peu après en vue de se substituer à un « comité invisible » jugé trop attentiste. Il accepta en revanche de figurer, pour le compte de Granier alors en prison, parmi les gérants de La Glaneuse à partir du 10 août 1833.

En 1834, son nom apparut moins souvent dans L’Écho de la fabrique. Pourtant, il y joua un rôle croissant : actionnaire, mais aussi responsable de la composition des numéros et habilité à contrôler les articles. En un sens, Rivière cadet pourrait presque être considéré au début de l’année 1834 comme un invisible « rédacteur en chef « . Ce fut lui, très probablement, qui se chargea de brûler le registre des procès verbaux du comité de surveillance du journal peu après les événements d’avril. Ces activités de Rivière cadet n’étaient toujours pas dissociées d’une propagande suivie aux côtés des républicains. En février 1834, il s’associa à une initiative du Précurseur, appelant au calme les mutuellistes lyonnais alors qu’une nouvelle baisse des tarifs faisait craindre une réaction violente des chefs d’atelier ; et il voyait souvent Anselme Petétin.

Un violent article contre Charles Dupin, dans L’Écho de la fabrique du 9 mars 1834 (« À M. Charles Dupin, député, professeur des ouvriers et membre de l’Académie des Sciences, les mutuellistes lyonnais »), et dont il était selon toutes les apparences l’auteur — il en fit lui-même la lecture lors d’une séance à la commission de surveillance du journal avant parution —, le situa très exactement à la convergence du républicanisme et du fouriérisme. Les vertus de l’alliance entre « travail, capital et talent » y étaient affirmées avec force, tandis qu’un hommage appuyé était rendu au « parti républicain, si riche de cœurs et de talents ». L’appel tout politique à la résistance contre le régime y était à peine voilé : « Pour nous, lorsque nous verrons ABATTRE [sic] les derniers lambeaux d’un ordre déjà presque éteint, nous applaudirons. » Et le soutien apporté à l’interdit général des métiers prôné par les mutuellistes acheva de dessiner les contours d’une union sacrée des oppositions lyonnaises.

L’article lui valut des poursuites après l’échec de l’insurrection d’avril. Il fut accusé d’avoir comploté contre la sûreté de l’État et d’avoir commis des provocations directes à la révolte par voie de presse. Il prit la fuite. S’il refusa de comparaître aux côtés des républicains parce qu’ils n’étaient plus « apôtres d’une même croyance », il leur rendit un vibrant hommage. Charles Lagrange*, Antide Martin, Édouard Albert*, Eugène Baune avaient toujours su faire preuve, selon lui, de « nobles qualités » et de « bons désirs ». C’étaient de « nobles cœurs dévoués, poursuivait-il, qui croyaient se consacrer corps et âme au service de l’humanité » alors qu’ils étaient les jouets du parti républicain. Il importe de faire ici la part de la solidarité exprimée par un accusé à l’égard de ses compagnons d’infortune, mais il n’empêche que ce désir de leur venir en aide s’ancrait sur une sympathie toujours ardente.

C’est alors qu’il rédigea à l’attention des pairs son Mémoire justificatif. Il tentait d’établir son innocence auprès de ses juges, profitant de l’occasion pour présenter un exposé du système sociétaire et pour raconter l’histoire circonstanciée de son adhésion au fouriérisme. Victor Considerant* participa peut-être à la rédaction du livre, mais dans des conditions qui restent obscures (dans une lettre du 16 août 1836, Rivière cadet le remercia de l’avoir « tiré des mains de la Haute-Cour », mais il est difficile de savoir si Considerant était intervenu dans la rédaction du Mémoire justificatif ou s’il avait soutenu les arguments de Rivière cadet directement auprès des juges).

Son comportement supposé à la veille des événements d’avril, ainsi que la nature des accusations qui pesaient sur lui, conduisirent les fouriéristes à s’interroger sur l’attitude à tenir à son égard. Fouriériste authentique et injustement soupçonné ? C’est ce que semblait penser Charles Pellarin* en mai 1835, si l’on en croit du moins la teneur d’une lettre qu’il adressa à Clarisse Vigoureux* : « Ce n’a pas été non plus une des moins vives satisfactions de mon voyage [à Lyon] que de voir notre ami Rivière et de trouver en lui un homme d’une haute intelligence, et malgré les persécutions dont il a été l’objet, jugeant avec impartialité et uniquement du point de vue social les hommes et les choses. » Just Muiron*, lui, était beaucoup plus circonspect. Sans retirer sa confiance à l’homme — « du moment où il est entré dans nos rangs, nous ne l’avons point cru, nous ne le croyons point républicain » —, il interpréta sévèrement ses relations avec L’Écho de la fabrique, en quelques mots adressés à Clarisse Vigoureux, discutables mais fort éclairants : « L’Écho de la fabrique déploie un étendard sur le coin duquel il est écrit Fourier, et qui ne revêt pas moins les insignes de la république ; la république figure comme le principal et le phalanstère comme l’accessoire. »

Si le personnage était l’objet de controverses, son ouvrage fit l’unanimité parmi les fouriéristes. Chacun salua le Mémoire justificatif, dont le succès nécessita une deuxième édition. À Besançon, L’Impartial n’attendit même pas le résultat du procès pour annoncer la parution dans les termes les plus louangeurs, et pour en livrer le contenu « aux réflexions d’une jeunesse que fascine et égare le fallacieux prestige des idées révolutionnaires. » Quelques mois plus tard, Considerant lui-même le remit à l’honneur. Dans un ouvrage où il traitait justement « de la question politique et en particulier des abus de la politique actuelle », il reproduisit in extenso le texte de Rivière cadet. En guise d’introduction, il notait que l’ouvrage était « jusqu’ici la seule publication de cette École [l’École sociétaire] faite dans une circonstance politique « . En n’accordant à la politique qu’un rôle purement circonstanciel, Considerant plaçait le Mémoire justificatif dans l’orthodoxie fouriériste. Et pourtant, Rivière cadet continuait à intégrer dans sa défense de 1835 une remise en cause directe des orientations gouvernementales du moment. À plusieurs reprises, il fustigeait la politique de résistance, appliquée par « des esprits sans portée », néfaste à la concorde et à la paix ; nouvelle preuve de sa sensibilité constante à l’actualité politique, nouvelle illustration aussi de ses relations de bon voisinage avec les républicains.

Ce n’est qu’après son acquittement par les pairs (28 août 1835) que Rivière cadet sembla s’orienter vers un fouriérisme plus conforme à l’image qu’en donnait Considerant. Une période nouvelle commença pour lui. En 1837, il participa un temps comme propagandiste à l’expérience du Commerce véridique et social, aux côtés de Michel Derrion*, avant de s’en éloigner pour des raisons doctrinales, et de se retirer à Neuville-sur-Saône. En 1840, il devint directeur-gérant d’une petite revue mensuelle, La Démocratie lyonnaise, à laquelle collaborèrent de nombreux fouriéristes : André Favier*, Auguste Morion, Joseph Reynier*, etc. Le premier septembre 1848, un Rivière, dont on ne peut dire avec certitude qu’il s’agit de Rivière cadet, figurait parmi les membres de la commission exécutive de l’Association fraternelle de l’Industrie française. (Voir Jean Charavay*). Dans ce cas, il aurait été le seul fouriériste authentique d’une équipe comprenant presque exclusivement des communistes. Ce qui est certain, c’est que Rivière cadet, au club des Petits Pères, fit vivement campagne contre la candidature de Louis-Napoléon à la présidence.

L’engagement de Rivière cadet, au long de ces années, illustre bien la vitalité et l’inventivité du mouvement politique et social à Lyon, notamment dans les années 1830. Il donne aussi une idée des multiples combinaisons possibles entre des familles de pensée a priori distinctes : l’importance des fidélités personnelles, la continuité dans les pratiques alors que le cadre théorique semble avoir radicalement changé, l’appartenance conjointe à deux univers d’orientation différente, conduisent à insister autant sur les continuités que sur les ruptures dans la surprenante trajectoire de Rivière cadet.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/riviere-jacques-etienne-joseph-dit-riviere-cadet/, notice RIVIÈRE Jacques, Étienne, Joseph, dit RIVIÈRE cadet par Notice revue et complétée par Thomas Bouchet , version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 20 février 2009.

Maitron patrimonial (2006-2024)

Par Notice revue et complétée par Thomas Bouchet

ŒUVRE : Mémoire justificatif présenté à la cour par l’accusé Rivière cadet, de Lons-le-Saunier, imprimeur sur étoffes, Paris, imprimerie de Bourgogne et Martinet, 1835, 40 p.

SOURCES : Arch. Nat., CC/558, dossiers des acquittés, série des mutuellistes et de L’Écho de la fabrique, liasse Rivière cadet. — Ville de Lons-le-Saunier, État-civil, registre des actes de naissance. — Bibliothèque municipale de Besançon, fonds Considerant, acq. 115. — La Glaneuse (1832-1833). — L’Écho de la fabrique (1833-1834). — L’Impartial de Besançon et de la Franche-Comté (1835) — Victor Considerant, Nécessité d’une dernière débâcle politique en France, Paris, 1836, pp. 113-152, reproduit avec quelques explications le Mémoire justificatif de Rivière. — Hubert Bourgin, Fourier, contribution à l’étude du socialisme français, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1905. — Maximilien Buffenoir, « Le fouriérisme à Lyon (1832-1848) », Revue d’histoire de Lyon, 1911 — Jean Alazard, « Le mouvement politique et social à Lyon entre les deux insurrections de novembre 1831 et d’avril 1834 », Revue d’histoire moderne, 1911, XVI, p. 27-49 et 273-299. — Jean Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, t. I. — Jean Gaumont, Le Commerce véridique et social (1835-1838) et son fondateur Michel Derrion (1803-1850), Amiens, Imprimerie nouvelle, 1935. — Fernand Rude, « Lyon en 1830-1834. Aux origines du syndicalisme et du socialisme », Romantisme, 28-29, 1980. — Thomas Bouchet, « Fouriérisme et républicanisme au début de la monarchie de Juillet. La semi-conversion de Rivière cadet », Cahiers Charles Fourier, 6, 1995. — Thomas Bouchet, Les 5 et 6 juin 1832. Expressions, usages, traces de l’événement, Thèse d’histoire, sous la direction de Serge Wolikow, Université de Bourgogne, Dijon, 1997.