Par Françoise Blum et Martin Mourre
Maitron patrimonial (2006-2024)
Né le 10 janvier 1945 à Bignona (Casamance, Sénégal), Statisticien, Président de l’Association des étudiants sénégalais en France (section de la FEANF), fondateur des Groupe-marxistes-léninistes du Sénégal, fondateur d’And-Jëffe, fondateur de Reenu Reev mi.
Landing Savané est né le 10 janvier 1945 à Bignona (Sénégal-Casamance). Sa mère, catholique, est originaire de Diourou en Basse-Casamance et son père de Bamba Dio dans le Pakao, également en Casamance. Le village en question est réputé comme celui où ne peut aller l’administration coloniale, ni plus tard celle du Sénégal indépendant du fait, dit-on, d’un sort jeté par un marabout. Son père est garde-cercle dans l’administration coloniale. Il est très attaché aux études pour ses enfants (Landing a deux frères et une sœur de même mère). À la maison, on parle diola et mandingue. Au gré de la carrière de son père , la famille résidera à Bignona, à Bakel, à Thiès et à Dakar. Landing fait l’école primaire à Bakel. Il est inscrit dès 5 ans alors que l’âge légal est de 7 ans. Il va ensuite à l’école urbaine de Thiès et enfin il se retrouve à Dakar où il est obligé d’attendre un an avant d’entrer en 6e du fait de son jeune âge. Il réussit en 1956 le concours d’entrée en 6eme et va ainsi faire toute sa scolarité au lycée Van Vollenhoven (aujourd’hui Lamine Gueye) qui est, après Faidherbe le deuxième lycée d’AOF à proposer une scolarité complète jusqu’au baccalauréat. À partir de la 5eme il a une bourse d’internat ce qui lui permet de faire une excellente scolarité (il obtient tous les ans le prix d’excellence). Il réussit son baccalauréat en 1963. Il n’est alors ni rebelle ni militant mais est néanmoins, comme bien d’autres, un admirateur de l’homme du Non au referendum de 1958 et Président de la Guinée, Sékou Touré dont il écoute les discours à la Voix de la révolution. La carrière de son père a évolué avec les évènements. Les garde-cercles de la colonie sont devenus après l’indépendance gardes territoriaux puis gardes républicains avant d’être fondus dans la police sous la dénomination de gardiens de la paix. Après son baccalauréat Landing Savané obtient une bourse pour la France. Il y est affecté en classes préparatoires scientifiques au lycée Dumont d’Urville de Toulon. Il garde un excellent souvenir de ce séjour toulonnais (1963-1966). C’est à Toulon qu’il commence à lire assidument les journaux et découvre aussi la Chine et les écrits de Mao-Tse-Toung. Une Chine dont la révolution paysanne parle à un jeune homme lui-même originaire d’un milieu paysan. C’est donc là qu’il entame ce qui sera une longue carrière de maoïste. Au bout de 3 ans (1 année de math-sup, 2 années de math-spe) il réussit le concours d’entrée à deux grandes écoles : l’ENSI (Ecole nationale supérieure d’ingénieurs) et l’INSEE qui a alors une filière financée par la CEE, le CESD (Centre européen de formation des statisticiens économistes des pays en voie de développement). Il loge alors à la Maison de la France d’Outre-mer de la Cité universitaire Internationale qui devient en 1968 et suite à la mobilisation de ses locataires Maison de l’Afrique avant de prendre quelques années plus tard le nom de l’ancien recteur de l’université de Dakar, Lucien Paye. Durant ces années parisiennes, Landing Savané fréquente les amitiés franco-chinoises et tout au moins en un premier temps les réunions de l’UJCML (Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes). Mais après quelques mois, et dans la mesure où sa perspective est la lutte armée au Sénégal, il quitte l’UJCML pour fonder un groupe maoïste sénégalais : Le Groupe Marxiste-léniniste (GML). Il est aussi parallèlement militant à l’AESF (Association des étudiants sénégalais en France), branche sénégalaise de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) dont il devient en 1967 secrétaire général puis en 1968-69 président. C’est lui qui organise fin mai 1968 l’occupation de l’Ambassade du Sénégal en France pour soutenir les étudiants sénégalais en lutte. C’est aussi par l’AESF qu’il rencontre sa future femme, Marie-Angélique Sagna qui deviendra une militante féministe connue et reconnue au Sénégal. Il avait voulu faire venir quelques étudiantes à une AESF très masculine et c’est en fonction de cela qu’il avait pris contact avec Marie-Angélique. Il l’épouse à son retour au Sénégal, ce qui n’est pas sans poser problème à la famille, chrétienne, de Marie-Angélique.
Il rentre au Sénégal en 1969. Il aurait souhaité, suivant une veine bien maoïste « s’établir » dans les chemins de fer mais on le suspecte et il ne pourra pas y entrer. Il sera donc ainsi que ses études l’y prédisposent cadre supérieur de la Direction de la Statistique du Sénégal, chef de la division de la démographie et des enquêtes jusqu’en 1974, puis de 1982 à 1990 conseiller du Directeur de la statistique (il est de 1977 à 1982 détaché de la fonction publique), avant de quitter volontairement la fonction publique. Son poste (il y a remplacé, dans le cadre de l’africanisation, un Français) lui permet de faire tournées au Sénégal et voyages internationaux. Mais il poursuit aussi sa carrière militante. Lui et ses amis créent des cellules du GML à travers le pays et en 1974, ils fondent un journal , Xare Bi (la lutte). Le journal est d’abord en français puis en français et wolof. Côté organisation, c’est la création d’And-Jëffe (Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle), en 1974 destinée à être « l’organisation de masse » alors que Reenu Reev mi (Les racines du pays) , créée au même moment, est selon la théorie maoïste, la face clandestine. 1974 c’est aussi l’année de l’amnistie des prisonniers politiques et celle de l’avènement d’un multi-partisme (néanmoins limité à 4 courants) qui ne bénéficie pas encore à And-Jëffe, qui refuse d’ailleurs cette reconnaissance limitée des partis. And-Jëffe sera reconnu en 1981 quand le président Abdou Diouf instaure le multipartisme intégral. Toujours est-il que la répression n’épargne pas les militants ni Landing Savane lui-même qui fait plusieurs courts séjours (le plus long dure un an en 1975-1976) en prison. Il est jugé pour atteinte à la sûreté de l’état par un tribunal spécial. Mais il ne garde pas un trop mauvais souvenir de la prison où il est bien traité, peut-être d’autant mieux que son père a été gardien chef de la prison civile puis régisseur du camp pénal, deux institutions pénitentiaires où il a passé alternativement sa vie de prisonnier. Il y écrit notamment des poèmes.
Outre And-Jëffe, Landing Savane s’investit dans le Front culturel qui a mis sur pied une diversité de petites troupe de théâtre qui jouent à travers tout le Sénégal. Il s’agit, à travers le théâtre, d’exhumer des héros et de critiquer le colonialisme : un théâtre donc très populaire et militant. Le Front culturel a également créé un alphabet wolof.
Après la reconnaissance d’And-Jëffe, Landing Savane va mener une carrière politique plus classique que celle , clandestine , qu’il avait eu jusqu’alors. Il siège à l’assemblée nationale de 1993 à 2000 et en est même vice-président de 1998 à 2000, en même temps que député au parlement de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest). En 2000 il soutient contre Abdou Diouf Abdoulaye Wade car, dit-il, soucieux d’alternance. Cela lui vaut un poste de Ministre des Mines, de l’artisanat et de l’industrie puis en 2004-2007 et 2008-2009, celui de Ministre d’Etat auprès du Président de la République. Il sera lui-même candidat en 2012, élections qui voient la victoire de Macky Sall, qui avait été, très brièvement à And-Jëffe.
De 2009 à 2012, il exerce des activités de consultant, ce qui n’est pas nouveau pour lui car il avait déjà joué ce rôle auprès de maints organismes internationaux (BIT, Nations unies, UNESCO etc).
Landing Savané est un témoin précieux d’une génération très politisée dans sa jeunesse, que la Chine séduisit, d’une génération où certain.e.s pouvaient réaliser une spectaculaire ascension, d’une famille paysanne aux sommets du pouvoir, du village de Bignona à l’Assemblée nationale. Il est aussi le témoin de l’évolution de la vie politique sénégalaise, du parti unique au multi-partisme en passant par les 4 courants, de la fronde clandestine à l’intégration.
Maitron patrimonial (2006-2024)
Par Françoise Blum et Martin Mourre
Sources : Entretien avec Landing Savané, Dakar, mai 2019