BINET François, Joseph

Par Jean Lorcin, Gérard Raffaëlli et Jean-Michel Steiner

Né le 16 décembre 1892 à Montchanin-les-Mines (Saône-et-Loire), mort le 17 novembre 1974 à Saint-Étienne (Loire) ; mineur, ancien combattant, blessé de guerre, militant syndicaliste unitaire ; secrétaire du syndicat des mineurs de Villars (Loire) ; membre du bureau de la commission exécutive du syndicat unitaire des mineurs de la Loire ; militant communiste, secrétaire départemental (1929) du Secours rouge international dans la Loire ; membre des Amis de l’Union soviétique ; secrétaire de la cellule de Villars et conseiller municipal ; président d’honneur de l’Amicale laïque du Bois Monzil, commune de Villars, maire de Villars à la Libération

François Binet en 1927
François Binet en 1927

Son père, Benoît, âgé de 41 ans à sa naissance, était manœuvre ; sa mère, Marguerite Lavente, âgée de 38 ans était domestique. François Binet suivit l’école primaire jusqu’à 13 ans. Il fut ensuite employé dans différentes fermes jusqu’à 16 ans. À 17 ans, il fut embauché aux Mines de Montchanin. Ayant migré vers la région stéphanoise, il se fit embaucher aux Houillère de Saint-Étienne. Le 22 mars 1911, il épousa à Saint-Étienne Annette Jacquet, née le 5 février 1890, fille d’un mineur du Quartier Gaillard, sœur d’un ajusteur et d’une tisseuse. Le couple a eu 3 enfants.

Incorporé au 38è Régiment d’infanterie de Saint-Étienne le 1er octobre 1913, sous les drapeaux au moment de la mobilisation générale, il fut envoyé en première ligne dès le 2 août 1914. Blessé à la tête le 13 novembre 1914, il fut renvoyé en première ligne en novembre 1915 avant d’être affecté spécial aux Mines de la Loire le 27 juillet 1917.

En janvier 1923, Binet fut délégué à Paris avec Sybille (Employés de commerce), par la Fédération départementale unitaire pour se concerter avec les responsables de la CGTU sur les mesures à prendre face à l’occupation de la Ruhr. Tandis que Barthe (Bâtiment, Paris) et Hubert (Terrassiers) leur affirmaient que, « tout en étant adversaires de tendance, ils marcheraient la main dans la main pour tout mouvement contre la guerre », Marie Guillot, qui les reçut à la CGTU, les invita « à ne rien faire dans leur département (grève ou révolte), tant que la CGTU n’aura pas donné d’ordres qui seront transmis par estafettes dans tous les départements ». En attendant, elle les engageait à mener « une campagne d’agitation, par meetings, pour préparer la masse « au grand soir qui doit se lever demain »... « et à se tenir en contact permanent avec les Comités d’action et les divers groupements communistes, barbussistes et anarchistes de la région » (Arch. Dép. Loire, M 540, pièces 181-186, rapport du commissaire spécial, Saint-Étienne, 15 janvier 1923).

Binet, délégué mineur suppléant au puits Villebœuf, à Saint-Étienne, adhéra vraisemblablement au Parti communiste en 1926 ou peu avant. Il devint secrétaire de la cellule du puits Villebœuf en octobre 1927, fit un voyage en URSS cette même année dont il rendit compte dans Le Cri du Peuple les 4 et 17 décembre 1927 et le 21 janvier 1928. Il devint un des plus solides appuis du Parti communiste chez les mineurs. Il participa au congrès de Bordeaux de la CGTU en octobre 1927. Secrétaire départemental du Secours rouge, membre du comité de rayon de Saint-Étienne dès 1928, il fut délégué au congrès de Saint-Denis du PC en mars-avril 1929, où il prit la parole le 6 avril (l’Humanité, 7 avril 1929).

Le 26 octobre 1929, après l’échec de la grève des mineurs unitaires, Binet dénonça dans Le Cri du Peuple la « manœuvre de grande envergure » des « magnats du charbon » qui, avec la complicité des « chefs confédérés » et des « démocrates » comme Durafour et Vernay, élus radicaux de la Loire, avaient fait courir le bruit de la fermeture des puits de la Société anonyme des Houillères de la Loire, qui aurait entraîné le licenciement de 4 000 ouvriers, pour « briser » une grève « qui aurait pu être victorieuse », à en croire Binet. Ce dernier voyait dans les « cris d’alarme » poussés par les élus radicaux qui, en faisant semblant « de s’apitoyer sur le tort des 4 000 familles qui allaient être obligées de quitter la région », avaient contribué à accréditer ce faux bruit, la preuve de leur collusion avec les dirigeants des houillères. Cette manœuvre, selon Binet, préludait en fait à une formidable, mais classique opération de concentration capitaliste, le passage de la SA des Houillères de Saint-Étienne sous le contrôle de la Compagnie des Mines de la Loire : à cet effet, les administrateurs avaient brossé un tableau « aussi noir que possible » de la situation de la première de ces sociétés pour mieux convaincre les actionnaires de la nécessité d’une opération consistant à ramener le capital social de 24 000 000 F à 2 600 000 F, puis à le remonter à 26 600 000 F par l’émission de 240 000 nouvelles actions de 100 F réservées aux Mines de la Loire. Cette concentration, estimait Binet, ne pouvait qu’aggraver les conditions de travail des mineurs : en effet, la rationalisation de la production était beaucoup plus poussée aux Mines de la Loire. En outre, le mineur « victime de la répression patronale » dans une compagnie où le « mouchardage » était développé, serait désormais obligé de « quitter la ville car tous les puits appartenant à la même compagnie [allaient] lui [être] fermés ». Binet voyait dans cette « concentration des forces patronales » la vérification des thèses de la CGTU sur l’accentuation de la concentration capitaliste et les dangers de guerre impérialiste jugée « imminente », qui en résultaient (Le Cri du Peuple).

Progressivement, F. Binet devait prendre ses distances vis-à-vis d’Arnaud, dont la personnalité et l’indépendance d’esprit lui déplaisaient. Après la rupture d’Arnaud et des « syndicalistes révolutionnaires » avec la CGTU, les échanges de propos entre Arnaud qui conservait une influence prépondérante et Binet qui, aux côtés de Jean Doron, s’était opposé à Arnaud au sein de l’UD et tentait de mettre sur pied une organisation contrôlée par le PC, furent souvent très vifs. Binet, accusé par Arnaud d’être un « policier », fut lavé de cette accusation par une commission d’enquête de l’Union locale unitaire (février 1930) ; il fonda un journal, Le Mineur unitaire, et regroupa les mineurs favorables au PC.

Candidat communiste aux élections municipales anticipées de Saint-Étienne en juillet 1930, il obtint au premier tour 2 773 voix sur 28 794 votants. Sa liste se maintint au second tour.

Binet qui était délégué mineur à Villars, fut délégué par le rayon de Saint-Étienne au comité régional de Lyon en 1931. Il était délégué à la propagande syndicale au comité de rayon communiste de Saint-Étienne en 1932.

Il fut sans interruption candidat du Parti communiste aux élections du canton de Saint-Héand (arrondissement de Saint-Étienne) pour le renouvellement du conseil général en 1928, 1931 et 1934, et du conseil d’arrondissement en octobre 1937. En 1928, il n’obtint que 191 voix sur 4 493 inscrits et 3 389 suffrages exprimés, 1 663 allant au radical-socialiste Thiollier et 1 536 au principal adversaire de ce dernier, Berger. « Conformément à la tactique “classe contre classe”, Binet ne s’en maintint pas moins au second tour, où il n’obtenait plus que 120 voix sur 3 444 suffrages exprimés, contre 1 541 à Berger et 1 783 à Thiollier. » En 1931, Binet n’obtenait plus que 154 voix sur 4 369 inscrits et 3 260 suffrages exprimés, contre 1 075 au radical-socialiste Béal, et 1 901 au républicain URD Neyret, élu dès le premier tour, malgré l’existence de candidats dissidents de l’URD, Soulier, et du Parti radical-socialiste, Guinand : le premier n’avait obtenu que 73 suffrages, et le second 56.
En 1934, Binet, en léger progrès, recueillit 296 voix, contre 718 au socialiste SFIO Bérille, et 2 249 à l’URD Neyret, de nouveau élu dès le premier tour. En 1937, il recueillit 371 voix sur 3 444 votants, contre 436 au candidat SFIO Meunier, 499 au candidat républicain-socialiste, Per, et 2 101 au candidat URD Soulier, qui fut élu au premier tour de scrutin.

Élu conseiller municipal de Villars en 1935, Binet prit l’initiative de la construction de la Maison du Peuple de Villars et fut le promoteur du groupement pour l’envoi des enfants à la mer ou à la montagne en 1937.

En 1935, face au « plan de misère » des Compagnies dont les efforts de « nationalisation » rationalisation aggravaient les conditions de travail, multipliaient les accidents, Binet au nom de la CE du syndicat unitaire des mineurs, appelait « tous les gens de cœur » à adhérer au « Front populaire des mineurs » pour « faire bloc contre les affameurs du peuple » (Le Cri du Peuple, 20 juillet 1935).

Le 29 août 1938, face à la vie chère et à l’intransigeance des compagnies, le syndicat de Villars se groupait pour la grève générale des mineurs (Le Cri du Peuple, 1er septembre 1938).

François Binet fut déchu, en tant que communiste, de son mandat de conseiller municipal de Villars en application de la loi du 20 janvier 1940. Le 23 mars 1940, le préfet ayant été informé qu’il avait été embauché par la Manufacture d’armes de Saint-Étienne, demanda son licenciement lequel fut effectif le 26 mars à 11h30. Après enquête du commissaire central de Saint-Étienne qui le qualifia « de communiste agissant, préférant l’action aux discours, qu’il fallait considérer comme dangereux », François Binet fut arrêté le 9 mai 1940 et assigné à résidence, en vert d’un arrêté préfectoral du 30 avril 1940, dans le Centre de Séjour Surveillé de Saint-Angeau, près Riom-ès-Montagne (Cantal). Il fut interné ensuite, en juin, via Carpiagne (Marseille, Bouches-du-Rhône), au camp de Chibron, commune de Signes (Var), où il était soupçonné de faire parti du clan de communistes irréductibles « qui influençaient dans un but de résistance les quelques internés revenus à de meilleurs sentiments » (Arch. Dép. Loire, 85 M 97. Commissaire spécial, Saint-Étienne, 3 décembre 1940). À la dissolution de Chibron, le 15 février 1941, il fut transféré au camp de Fort Barraux (Isère). En réponse à une demande de libération, le 8 avril 1941 une enquête policière estima qu’il était un « élément dangereux pour la sécurité nationale dont l’activité ne manquerait pas de se produire au grand jour à la faveur de troubles sociaux ». Il obtint néanmoins gain de cause le 23 avril 1942. Libéré, il fut astreint à résider à Retournac (Haute-Loire) le préfet de la Loire affirmant qu’en cas de retour à Villars « il ne manquerait pas, en bon perturbateur qu’il est d’exploiter le mécontentement de la classe ouvrière causé par les restrictions et, tout en restant dans l’ombre, de créer de l’agitation » (30 juillet 1942). Son obligation de résidence à Retournac fut finalement levée le 22 juillet 1944. Il participa à la Résistance.

À la Libération, François Binet recouvrit son siège de conseiller municipal et fut nommé 1er adjoint du maire de Villars, Henri Faure. Le 13 mai 1945, avec François Pic comme 1er adjoint, il fut élu maire d’une commune encore choquée par la catastrophe survenue le 21 janvier 1942 au puits de la Chana. Répondant au questionnaire envoyé par les deux députés communistes de la Loire – Marius Patinaud et Denise Bastide - lors d’une réunion extraordinaire du Conseil municipal le 26 mars 1946, Binet brossa un tableau impressionnant de la misère qui touchait la population, insistant sur la faiblesse du ravitaillement, les logements surpeuplés, les classes délabrées, l’absence d’électrification des hameaux. En octobre 1947, François Binet ne fut pas réélu.

En tant que délégué mineur, il participa activement à la grève de 1948, ce qui lui valut ultérieurement d’être en butte aux attaques de la Fédération des Mineurs FO de la Loire qui l’accusait de sabotage.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article100184, notice BINET François, Joseph par Jean Lorcin, Gérard Raffaëlli et Jean-Michel Steiner, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 9 septembre 2021.

Par Jean Lorcin, Gérard Raffaëlli et Jean-Michel Steiner

François Binet en 1927
François Binet en 1927

SOURCES : Arch. Nat. F7/13090, 13110, 13113, 13116, 13121, 13129. Arch. Dép. Saône-&-Loire : 5 E 310/9, Montchanin-les-Mines, naissances, 1892- Arch. Dép. Loire, 3 M 70, 4 M 123, 4 M 125, 4 M 127, 4 M 129, 4 M 588, M 540 (dossiers politiques 1920-1925), 2 W 18, 2 W 124, 85 W 94-95, 85 W 97, 85 W 103, 85 W 154, 85 W 204, 199 VT 46. - Arch. Dép. Var, 4 M 291 (fourni par Jacques Girault). - site Mémoire des hommes SHD, Vincennes GR 16 P 60781 (nc). - La Tribune républicaine, 22 et 28 juillet 1930, 10 octobre 1937. - Le Peuple de la Loire, octobre 1924, janvier 1925. — Le Cri du Peuple, 1er octobre, 4 décembre, 17 décembre 1927, 21 janvier, 19 mai 1928, 26 octobre, 28 décembre 1929, 8 février, 15 février, 30 mai 1930, 20 juillet 1935, 1er septembre 1938. 1 R 1643 : classe 1912, circ. Saint-Étienne, matricule n°1169 – Arch. Mun Saint-Étienne : 3 E 133, mariages 1911 ; 4 M 589, radiations de l’affectation spéciale (1939-1940).
BIBLIOGRAPHIE : Bedoin Maurice, 1948. La grève des mineurs du bassin stéphanois. L’histoire en partage, 2017, Actes graphiques, “Histoire du monde ouvrier stéphanois”, St Barthélémy Lestra, 297 p. - Luirard Monique, La Région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), Saint-Étienne, PUSE - CIER/SR, 1980.

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