BONNARDEL Ernest

Par Justinien Raymond

Né et mort à Romans (Drôme) 10 mars 1877-2 août 1947, exerça plusieurs métiers salariés avant d’exercer une profession libérale ; militant socialiste ; maire de Romans.

E. Bonnardel naquit dans une famille ouvrière romanaise. Il perdit, tout jeune, sa mère, Noémie Chardon. Son père Émile, François, ouvrier à la fabrique de chaussures Juven, militant syndicaliste, participa à la grève menée du 28 novembre au 4 décembre 1896 à la suite de laquelle les travailleurs de la maison Juven furent les premiers dans la cité à obtenir la journée de dix heures.

Une enfance passée dans des conditions modestes aggravées par l’absence précoce de la mère au foyer, l’exemple paternel d’un ouvrier combatif ne furent sans doute pas étrangers à l’orientation d’une vie tout entière vouée à la défense des travailleurs. À douze ans, il quitta l’école primaire, muni du Certificat d’études, fut pendant quelques mois « saute-ruisseau » chez Me Clément, puis prit à son tour le chemin de l’usine, comme ouvrier en chaussures jusqu’à l’âge de vingt et un ans. Après son service militaire accompli au 75e régiment d’infanterie, du 14 novembre 1898 au 20 septembre 1899, il fut vendeur dans une maison de confection, puis placier en machines à coudre Singer, pour se fixer définitivement comme comptable ambulant au service des petits commerçants. Combien de militants ont ainsi cherché leur liberté d’action dans l’exercice d’un métier à l’abri de la répression patronale !...

Militant, il l’était depuis l’âge de dix-huit ans par son adhésion au POF en 1895. Dans son ardeur de néophyte, en 1897, il refusa de se présenter au conseil de révision. Il restera, d’ailleurs, toute sa vie, un pacifiste. En 1900, il fut délégué ouvrier à l’Exposition universelle de Paris. En 1901, il quitta le POF pour constituer avec Jules Nadi la Fédération socialiste autonome de la Drôme, au reste d’esprit très unitaire ; le 21 avril, il en fut nommé secrétaire adjoint ; il l’était encore en 1905 et le demeura dans la Fédération unifiée. Il paraissait à tous les congrès fédéraux et il fut délégué aux congrès nationaux de Saint-Étienne (1909) et de Lyon (1912). Parallèlement, il milita, tant qu’il fut salarié, dans les syndicats de ses professions successives et dans les coopératives. En 1905, il fut de ceux qui tentèrent la fondation d’une boulangerie coopérative et, en 1908, il participa à la création de « La Prolétarienne », coopérative ouvrière, à la fois épicerie et café, qui s’installa cours Bonnevaux et rue Palestro. C’est là désormais que pendant des années il retrouvera ses amis. Bientôt, la coopérative s’étendit au commerce des tissus et du charbon. Mais l’activité de Bonnardel demeura avant tout politique.

Il fut un des premiers élus socialistes de la Drôme. Le 8 mai 1904, il entra au conseil municipal de Romans sur une liste de coalition groupant des radicaux, quatre candidats du Parti socialiste de France et trois du Parti socialiste français. Il s’attacha à la création d’une caisse de chômage, au soutien financier de la Bourse du Travail, et, éventuellement, des grévistes.

Mais, hors de la ville de Romans où il était solidement implanté, Bonnardel échoua toujours. Le 6 mai 1906, aux élections législatives dans son arr., il n’obtint que 1 624 voix sur 18 373 suffrages exprimés et se retira en faveur du candidat radical. En 1907, il fut battu au conseil général dans le canton de Romans avec 664 voix, et éliminé du conseil municipal où il ne revint qu’en 1912. Toujours dans son canton, il échoua au conseil général, le 6 août 1913, avec 847 suffrages sur 4 035, et, le 26 avril 1914, candidat de la SFIO aux élections législatives, dans la circonscription de Valence contre le transfuge Roux-Costadau, député sortant, il ne recueillit que 1 191 voix sur 28 308 votants et se retira au second tour.

Aux approches de la Grande Guerre, il prit, en juillet 1914, des positions pacifistes, mais, le 1er août, il rejoignit le 75e RI. Il se dégagea vite des positions patriotiques de la SFIO et, en juillet 1915, se sépara du parti. Il fit néanmoins la guerre avec discipline comme soldat télégraphiste, fut cité en 1917 et reçut la croix de guerre.

Démobilisé en juillet 1919, il épousa, le 20 avril suivant, une piqueuse en chaussures, militante syndicaliste. Esther Bournas, dont la famille était de tradition anarchiste. Une telle union ne risquait pas de l’enfermer dans son foyer et de le soustraire à la vie publique. Après le congrès de scission de Tours (décembre 1920), il adhéra au Parti communiste. Il n’y demeura que quelque mois. Malgré ses débuts guesdistes, Bonnardel ne se rattachait pas vraiment au courant marxiste du socialisme français. Il avait le culte de l’unité et il ne prit jamais vraiment son parti de la scission de 1920. Il rejoindra dès sa naissance le Parti socialiste-communiste qui deviendra plus tard le Parti d’Unité prolétarienne (PUP), dans lequel il regroupa une quarantaine de militants de Romans. Il demeura à l’Association Républicaine des Anciens Combattants, proche du PC.

En 1920, il constitua, pour les élections municipales, une liste de coalition avec Jules Nadi dont il devint l’adjoint à la mairie de Romans, mais il ne voulut pas se représenter en 1925. La mort de J. Nadi, le 7 novembre 1928, fit de Bonnardel le porte-parole incontesté de la classe ouvrière de Romans. Sur une liste de coalition entre SFIO et PUP, il recueillit personnellement 1 736 voix sur 3 314 suffrages exprimés et entra à l’Hôtel de Ville. La Fédération socialiste lui fit en vain des avances pour briguer en son nom le siège de député qu’occupait Nadi dans la deuxième circonscription de Valence. Il resta fidèle au PUP, posa sa candidature et recueillit 3 352 voix contre 451 au candidat communiste, 5 960 au candidat socialiste Marius Moutet, et 6 765 au candidat de droite Pouzin. Alors que Moutet, plus connu dans le nord du département, y prenait une nette avance, Bonnardel ne l’emportait sur lui que dans le canton de Romans. Il se désista en sa faveur, assurant ainsi l’échec de Pouzin.

Le 20 octobre 1931, il se retira de la mairie après l’échec de son candidat Moulin, au conseil général, dans le canton de Romans. Les conseillers municipaux du PUP le suivirent puis, à regret, les socialistes en firent autant. Le 22 novembre, Bonnardel fut battu avec toute sa liste, par 982 voix sur 3 278 suffrages exprimés, et, à nouveau, le 27 décembre par 903 sur 2 836, après le retrait des socialistes minoritaires du conseil municipal. Il a donc été le dernier maire de tendance socialiste de la ville ouvrière de Romans, administrée depuis par des modérés. En 1935, l’union de Bonnardel et de Moutet ne renversa pas le courant, leur liste commune ne recueillant que 1 409 voix sur 3 765 suffrages exprimés. Quelque peu désabusé, il renonça à toute candidature, mais resta fidèle à l’unité ouvrière. En 1936, toujours membre du PUP, il présida les réunions socialistes et communistes. Peu après, il rejoignit la SFIO, sans reprendre la vie militante si ce n’est quelques démonstrations pacifistes en 1939. Il ne survécut pas longtemps à la Seconde Guerre mondiale ; atteint d’un cancer, il succomba à une opération.

Bornée à la ville de Romans et à ses alentours, son influence fut profonde pendant de longues années. Il ne la dut pas à un talent oratoire qui lui fit défaut, mais à des qualités personnelles qui le servaient là où il était connu seulement. Sa carrure athlétique lui donnait une grande prestance physique. Mais il gagna sa popularité par son abord ouvert, sa conversation persuasive, par la modestie constante de sa vie, menée longtemps dans le quartier de la gare, au 27 de la rue Turpin qui porte aujourd’hui son nom. Il la gagna aussi par son dévouement, reconnu par ses adversaires, unanimes à louer son désintéressement, sa droiture et son absence de sectarisme. Athée, Bonnardel n’entra jamais ni à la Libre Pensée ni à la Loge maçonnique où firent carrière les socialistes de la Drôme comme Valette et Nadi. Il rejetait toute manœuvre politique, mais il ne semble pas avoir eu toujours une sûre intuition de la situation politique et là est une des raisons des limites de son audience.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article100949, notice BONNARDEL Ernest par Justinien Raymond, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 9 septembre 2022.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Bonnardel a collaboré au Prolétaire, organe mensuel de la Fédération de la Drôme lancé en juillet 1904, paru jusqu’en 1912, et à la Drôme socialiste.

SOURCES : Arch. Dép. Drôme, 9 M et 11 M. — Registre des délibérations du conseil municipal de Romans. — Collection du Prolétaire et de la Drôme socialiste — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes I, pp. 246 à 265, passim.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, op. cit., p. 253.

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