ANKER Daniel, Samuel

Par Jacques Girault

Né le 27 octobre 1902 à Zakliczyn (Pologne) ; ouvrier de l’Habillement ; militant syndicaliste et communiste.

Anker appartenait à une famille juive de sept enfants dont deux s’établirent en Amérique en 1914. Son père, petit propriétaire, cultivait du blé et des pommes de terre pour les besoins de la famille. Illettré à la différence de sa mère qui savait lire, il faisait, pendant l’hiver, de petits travaux de ravaudage.

La Galicie, alors sous domination autrichienne, connaissait un régime libéral à la différence des autres régions polonaises sous domination prussienne et russe. La langue polonaise y était respectée ; les Juifs, nombreux (10 % de la population environ) y étaient mieux traités ; ils pouvaient notamment être propriétaires et ne subissaient pas de pogroms. Aussi, de nombreux Juifs, expulsés de Russie, s’y réfugiaient-ils.

Anker fut élevé dans le strict respect des rites israélites. Ses parents, « fanatiquement religieux », parlaient la langue yiddish. Il fréquentait l’école hébraïque payante l’après-midi et, le matin, se rendait à l’école polonaise où il apprit l’allemand à raison de quelques heures d’enseignement hebdomadaires.

Les Juifs galiciens se sentaient solidaires des autres Juifs polonais persécutés. Toutes les populations de nationalité polonaise entretenaient l’espoir de recouvrer la pleine nationalité polonaise. Des fêtes contribuaient à fixer cette identité.

Son père avait cinquante et un ans au début des hostilités et ne fut pas mobilisé. La Galicie fut un des champs de bataille de l’Est européen. Dans le village, des prisonniers russes travaillaient chez les paysans. L’un d’entre eux, un Juif, informait ses coreligionnaires du mouvement révolutionnaire. De sa bouche, le jeune Anker apprit ainsi qui était Lénine. Il se souvient notamment du départ du prisonnier qui regagnait son pays ; embrassades et chants révolutionnaires marquaient la sympathie des villageois pour le nouveau régime.

Anker avait quitté l’école pour travailler la terre tout en apprenant, avec son père, les rudiments du métier de tailleur. En fait, il pensait à quitter le pays où la misère régnait. Il voulait aller gagner de l’argent à l’étranger pour aider sa famille.

L’indépendance polonaise, à la fin de l’année 1918, amena pour les Juifs de Galicie, une détérioration de leurs conditions. Certains courants socialistes, composés de Juifs, se tournaient vers le régime socialiste. Un antisémitisme violent, à base nationaliste, s’en suivit. En Galicie, les pogroms firent leur apparition.

D’autre part, pour constituer une armée polonaise, la conscription fut établie. Pour les Juifs de Galicie, se posa une question : allaient-ils défendre la Pologne qui commençait à les maltraiter contre la Russie révolutionnaire vers laquelle beaucoup regardaient ?
Avec un de ses amis gagné à la révolution, Anker choisit la fuite en juin 1919.

Après de multiples difficultés (dévalisé par un garde-frontière, arrestation, séjour à l’hôpital), Anker parvint à rejoindre son oncle, épicier, en Slovaquie. Il ne trouva pas d’emploi. Il ne put se fixer à Budapest où la République des Conseils venait d’être écrasée et il ne put rester à Prague en raison de l’absence d’embauche. Il se rendit alors à Berlin où il avait des amis.

Illégal, Anker passa la frontière à Karlobad (Karlovy-Vary) avec des ouvriers frontaliers. Sans bagage, portant tous ses vêtements sur lui, il se débarrassa de la boîte contenant le livre et les lacets nécessaires à la pratique cultuelle. Symboliquement, il se détachait de façon définitive de toute croyance religieuse.

À Berlin, la situation sociale et politique était fiévreuse (écrasement du mouvement spartakiste et ses conséquences). Anker trouva un emploi peu spécialisé dans le travail de tailleur et obtint, après une démarche de son employeur, une carte d’identité temporaire de travailleur étranger. Plus tard, il devait écrire : « J’ai vécu pendant trois ans les événements politiques (de) l’Allemagne (...) je suis devenu communiste ». Syndiqué, lecteur de la presse communiste, Anker s’adonna aussi à ses activités favorites : promenades, théâtre, musique.

La situation économique s’était dégradée, la crise s’approfondissait et Anker chercha à quitter le pays. Il obtint un faux passeport polonais pour émigrer au Portugal, le 23 octobre 1923. Transitant par la France, lié avec des amis hongrois, il préféra rester à Paris.

Après avoir obtenu une fausse carte de travail, Anker entra à l’usine de la Société parisienne de confection à la fin du mois d’octobre. À la différence de la plupart des autres Juifs de la capitale, il travaillait en usine.

Anker connut ainsi la vie des travailleurs immigrés : il logeait à l’hôtel (XVIIIe, XIXe et XXe arr.), fréquentait des Hongrois essentiellement et apprenait aussi le français. Plus tard, il écrira à propos de cet apprentissage : « Tous les soirs, je travaillais ferme dans mon dictionnaire (...) Je prenais des cours dans une école rue Le Pelletier. Je l’ai vite abandonnée, trouvant que ça n’allait pas assez vite. Au bout de quelques mois, je savais lire mon journal. Je commençais à lire des livres (avec l’aide d’un dictionnaire bien entendu). Je commençais à comprendre la France. Jean Christophe, de Romain Rolland fut un des premiers livres que j’ai lus. »

Anker se syndiqua au début de 1924 à la CGTU qui n’était pas organisée dans son entreprise et il fréquentait l’organisation parisienne. Les syndicats de l’habillement comprenaient une majorité de travailleurs immigrés, essentiellement des Juifs. Des « sections techniques » d’autre part, par nationalité, fonctionnaient et un comité intersyndical juif existait dans la capitale. Anker représenta les jeunes syndiqués de l’habillement au congrès national de la CGTU à Bordeaux en 1927. Mais surtout, les activités sportives l’attiraient. Avec le club sportif de l’habillement ou le club sportif du XIXe arr., « L’Avant Garde », il pratiquait la natation, le polo-vélo ou participait à des sorties pédestres. D’autre part, il faisait partie d’une chorale ouvrière et fréquentait assidûment théâtres et salles de concert.

Professionnellement, Anker réussissait bien dans le travail parcellisé qui se généralisait, conséquence de la rationalisation. Il devint repasseur sur machine.

Politiquement, Anker avait adhéré aux Jeunesses communistes (Quatrième Entente) en 1924. Il devait adhérer au Parti communiste en janvier 1927 et fréquenter assidûment le siège local, rue Compans. Militant sous le nom de Daniel Dunois, il devint en 1928 secrétaire du sous-rayon du XIXe arr. qui faisait partie du premier rayon de la région parisienne. Dans cet arrondissement, les communistes étaient bien implantés (de nombreux dirigeants y demeuraient, un député, Beaugrand, avait été élu en 1928). Anker fut de ceux qui critiquèrent les « courants opportunistes de droite » selon la terminologie d’alors. Sensibilisé par ses amis hongrois à la situation de leur pays sous régime d’Horthy, il désapprouva tout particulièrement, en novembre 1929, les trois conseillers municipaux communistes de Paris qui avaient accepté de participer à une délégation d’élus parisiens à Budapest.
La main d’oeuvre de la SPC, société créée par les Galeries Lafayette, était essentiellement féminine. La rationalisation était introduite sous des formes variées. Dans l’usine du XIXe arr. où Anker travaillait au début de 1930, le mécontentement était grand. Travailleurs et travailleuses élaborèrent un cahier de revendications et désignèrent Anker comme délégué. Il s’agissait avant tout d’obtenir une augmentation des salaires de 10 à 15 % et la suppression des mouchards. Le 15 janvier, la direction reçut une délégation conduite par le nouvel élu mais elle refusa les revendications. Aussitôt la grève éclata. Elle dura une quinzaine de jours ; finalement, les Galeries, qui craignaient l’extension à la région parisienne de ce mouvement pendant l’exposition de blanc, accordèrent quelques satisfactions (3 à 4 % d’augmentation, remplacement du système des mouchards, etc...). Mais dès le début de l’action, devant la menace de répression et l’arrestation de militants, Anker s’effaça et changea d’état civil. Il devenait Philippe Augustin, avait de faux papiers mais un véritable livret militaire ayant appartenu au frère d’un de ses camarades. Quelques jours plus tard, un arrêté d’expulsion était pris contre lui (le 18 janvier).

Anker changea de spécialité ; de la confection pour hommes, il passa à la confection pour femmes. Il habita quelque temps chez son « frère », en face des Buttes-Chaumont, puis, vers 1934, logea avec sa future épouse, dans un petit appartement dans le XXe arr.

Pour apprendre son nouveau métier, Anker reçut l’aide de ses amis Juifs. Il travailla chez plusieurs artisans, rue Réaumur, rue Palestro, rue de Montorgueil.

Anker était le secrétaire du syndicat CGTU de la confection féminine ; mais son nom n’apparut jamais dans les déclarations officielles à la préfecture. Il n’y avait pas de syndicat CGT dans cette branche d’activité. Regroupant peu de syndiqués, la vie syndicale de la CGTU passait par l’intermédiaire des sections techniques de nationalité. L’activité du secrétaire était surtout d’assurer la liaison entre les différents membres de l’organisation répartis dans les petits ateliers. Anker était aussi membre du bureau de la Fédération CGTU de l’habillement et du textile et membre de la commission exécutive de l’Union des syndicats CGTU de la région parisienne.

Vers 1931-1932, Anker, sous le nom de Daniel Dunois cette fois, occupa la responsabilité de secrétaire du sous-rayon communiste des Ier et IIe arr. Avec la nouvelle orientation du Parti, il participa à de nombreuses conférences éducatives en direction des employés de banque et de l’imprimerie de ces quartiers.

Naturellement, son activité décupla en 1933-1934. Les milieux juifs étaient particulièrement sensibilisés à la menace fasciste. Les bons et précoces rapports avec les socialistes SFIO permettaient des ouvertures possibles. L’organisation de la riposte après le 6 février 1934 eut des résultats et dans la main d’oeuvre juive de la confection, évoluée politiquement, la grève du 12 février fut un succès. Enfin, signe intéressant, au début de 1935, un syndicat CGT s’était créé dans la confection. Anker, responsable de la CGTU, fut au cœur du processus de réunification syndicale. Il participa au congrès national de Toulouse, le 6 mars 1936, où naissait la CGT réunifiée.

Plusieurs raisons expliquent un ralentissement de son activité militante jusqu’à la guerre. Son mariage, son fils le rendaient moins disponible. Dans la nouvelle CGT, les étrangers n’occupaient, en général, pas de postes de responsabilité. À la suite de la réunification, les anciens de la CGTU se trouvaient en minorité dans la nouvelle Fédération de l’habillement et Anker demeura simplement membre du bureau de son syndicat.

Jusqu’en 1935, Anker avait vécu clandestinement. Il voulut se marier avec la mère de son garçon qui travaillait dans la couture elle aussi. Il lui fallut, avec l’aide syndicale et notamment les interventions personnelles d’Eugène Hénaff, régulariser sa situation. Il obtint un permis provisoire de séjour, renouvelable tous les mois. Il se maria en avril 1935 à Bagnolet sous le nom de Daniel Anker.

Dans le courant de l’année, Anker entra chez un artisan de la rue Poissonnière et devait y rester jusqu’à la guerre. En face, se trouvait une entreprise de confection Boussac qui fabriquait des blouses et des tabliers pour « La Toile d’avion ». Anker très tôt entretint de très bonnes relations avec les ouvrières qui n’étaient pas organisées.

En juin 1936, la plupart des entreprises parisiennes de la confection féminine étaient en grève. Anker suivit tout particulièrement les grévistes de la maison Boussac. Parallèlement, comme membre du bureau du syndicat de la confection féminine, il négocia et signa (sous le nom de Daniel Dunois), le 22 juin, la première convention collective de la profession. Boussac ayant refusé de l’appliquer, la grève se poursuivit et un très grand mouvement de solidarité s’organisa. Quelques jours après, le patron acceptait de négocier. Aux côtés des dirigeants du syndicat qu’il avait contribué à créer, Anker participa à la discussion au siège du Comptoir de l’industrie cotonnière.

Anker vivait très à l’aise, comme tous les tailleurs payés aux pièces. Régulièrement, il envoyait de l’argent à ses parents et avait pu partir en vacances dès 1935 (camping en Auvergne avec sa famille).

Par la suite, Anker limita son activité militante notamment parce que son état de santé s’était détérioré à la fin de l’été de 1936. Militant syndical, il anima toutefois dans sa corporation la solidarité avec les Républicains espagnols (fabrique de vêtements) et fut gréviste le 30 novembre 1938.

La tension internationale était au centre de ses préoccupations. Très critique à l’égard de l’attitude du gouvernement français, il ne fut pas surpris par la signature du pacte germano-soviétique. Mais selon son expression, comme la plupart de ses amis communistes étrangers, il eut « le cœur gros ». Hostile depuis longtemps aux gouvernements polonais, il accueillit avec satisfaction l’occupation par la Russie soviétique d’une partie du territoire de son pays natal.

À la déclaration de guerre, Anker, qui n’avait pas réussi à obtenir l’annulation de l’arrêté d’expulsion pris contre lui en 1930, malgré deux interventions au plus haut niveau, s’engagea comme volontaire, pour la durée de la guerre, mouvement commun à de nombreux Juifs. Le 24 janvier 1940, il rejoignait le dépôt du Régiment de marche des Volontaires étrangers au Barcarès (Pyrénées-Orientales). Versé le 16 mars 1940, dans la treizième compagnie de Pionniers, il combattit sur le front d’Alsace et surtout dans les Ardennes puis fut démobilisé, le 6 septembre 1940 et annonça qu’il se retirait à Caninade par Cazals (Tarn-et-Garonne). Pendant son séjour à l’armée, il n’avait eu aucun contact avec des communistes.

Rentré à Paris, Anker ne trouva pas de travail. Les syndicats CGT avaient été dissous. Des dirigeants de la Fédération de l’Habillement comme Georgette Bodineau, Fernand Bellugue* agissaient maintenant dans l’illégalité, alors que son secrétaire général Marcel Bonnet* avait suivi Belin. Un syndicat clandestin, regroupant des communistes et des sympathisants, s’était constitué. Sa femme travaillait maintenant dans une usine métallurgique. Les camarades d’Anker lui demandèrent de militer pour le syndicat clandestin. Tout en continuant à aller régulièrement à la préfecture faire renouveler son autorisation de séjour, Anker fut au cœur de la création des « comités populaires » au début de 1941. Les autorités allemandes ayant besoin de vêtements pour les troupes, il s’agissait de pratiquer le sabotage des livraisons.

Anker, dès sa reprise de contact avec les communistes, se posait des questions sur la justesse de la ligne de certains militants. Il désapprouvait notamment leur optimisme. Dans les milieux étrangers de la confection, la plus grande confusion régnait entre organisation syndicale illégale et communistes clandestins. Un point commun toutefois les rassemblait : mettre des entraves à la domination allemande.

Quand la menace sur les Juifs se précisa au printemps de 1941, Anker cessa d’aller pointer régulièrement à la préfecture. Il devint tout à fait clandestin sous le nom de Jean Breton. Par la suite, il changea de domicile avec sa famille, et, vers la fin de 1941, alla habiter une « planque », 30, rue des Vertugadins à Meudon.

Anker y fut arrêté le 27 avril 1942 par la brigade spéciale des Renseignements généraux de la Préfecture de police « pour activité communiste clandestine ». Il retrouva à la préfecture une cinquantaine de militants syndicalistes et communistes, dont Havez, Pasquier, Bontemps (des PTT), Blois (des Transports), Celton, Lenoir (du Bâtiment), Kuntz, Laprades, etc... Après huit jours d’interrogatoire dans les locaux de la préfecture, il fut mis à la disposition du Parquet et placé préventivement à la prison de la Santé où il devait séjourner un an. Mêlé aux prisonniers de droit commun, il parvint à écrire, pendant quelques jours, dans l’été de 1924, quelques notes personnelles qu’il a conservées. Ses compagnons de cellule étaient sans cesse renouvelés (un Algérien arrêté pour vol pendant l’exode, un imprimeur trafiquant de cartes de pain, un « titi » parisien arrêté pour vol de tissus, mais qui chanteur, rappelait à Anker une de ses activités favorites). Outre des jeux de dames ou d’échecs, quelques lectures (il lut notamment Illusions perdues de Balzac), l’apprentissage de la langue anglaise, la grande attente était la courte promenade pendant laquelle il parvenait à parler à d’autres « politiques ». Ils composèrent notamment un journal manuscrit. Leur vie était rythmée par les rares nouvelles qui leur parvenaient de l’extérieur : l’avancée allemande sur le front russe et surtout les exécutions des otages. Il écrivit le 12 août :
« Une journée de mauvaises nouvelles. Je viens d’apprendre l’exécution de 93 otages (...) Malgré mon bon moral, je suis envahi par la tristesse. Combien parmi ces 93, ont été mes copains à la Santé ou au dépôt. Je pense au vide que ce massacre a laissé dans les foyers (...) Combien j’envie le sort de ce combattant qui meurt le fusil à la main, qui peut se défendre (...) Ma confiance en l’avenir est inébranlable (...) Malgré tout, ils seront battus. »

Le 18 septembre, il inscrivait : « Je pense aux 116 camarades qui viennent d’être fusillés. »

Un des moments forts de la détention fut le 14 juillet 1942. Les détenus célébrèrent à leur manière la fête nationale. Anker écrivit alors :
« Le soir, l’atmosphère de la Santé a changé. Nous sommes nombreux dans cette Bastille à ne pas avoir oublié la signification du 14 juillet. Le cœur lourd, nous ne pouvions pas laisser passer cette journée sans crier notre haine. Non, la Bastille de 1789 n’est rien à côté de celle de 1942. C’est nous les ennemis de l’Europe nouvelle. Vers onze heures du soir, le chant de la Marseillaise, l’Internationale, la Jeune Garde a grondé dans les murs de la Santé. Aussi puissant que le tonnerre. On se serait cru de la Nation à la Bastille. Les mots d’ordre qui feraient frémir les bourreaux ont retenti et il y avait des répondants. Je suis certain que les habitants des alentours de la Santé ont dû croire à une manifestation de rue. »

Anker apprit que sa femme, agent de livraison d’un réseau de Résistance avait été arrêtée et que son fils était recueilli par des employés de l’hôpital psychiatrique de Neuilly-sur-Marne. Hanté par la perspective d’une mort probable, Anker voulut laisser pour son fils le récit de sa vie. Ses écrits alors ne laissèrent plus apparaître de notations quotidiennes.

Le procès des cinquante-six accusés commença devant la Cour spéciale, le 26 avril 1943. Tous furent condamnés à des peines de travaux forcés, dont trois ans pour Anker qui avait été défendu par un avocat commis d’office.

Anker fut alors transféré à la maison centrale de Clairvaux (Aube). Les internés politiques refusèrent de travailler (on leur proposa de fabriquer des filets destinés aux Allemands). Regroupés, ils mirent sur pied une activité de formation et d’éducation collective dont ils confièrent la responsabilité à Pierre Daix. Anker donna notamment des cours d’allemand.

Le 17 septembre 1943, la plupart des détenus étaient transférés à Blois. Dans cette prison neuve, un régime libéral régnait ; les cellules restaient ouvertes. Les discussions étaient aussi renforcées par l’expérience politique de certains nouveaux détenus, tels Marcel Paul ou Maurice Lampe. Le contact avec les communistes de l’extérieur était établi. Un plan d’évasion fut préparé.

À la fin de 1943, Anker fut transféré au fort de Romainville, le « camp des otages »), et remis aux autorités allemandes. Il lia alors connaissance avec des détenus non communistes, dont Julien Cain ou Michelin. Il sentit des différences appréciables dans les conditions de détention qu’il avait connues et put, ainsi, mieux s’alimenter.

Transféré, le 17 janvier 1944, au camp de Royallieu près de Compiègne, Anker partait trois jours plus tard avec le transport Meershaum vers l’Allemagne. Le 24 janvier, il arrivait au camp de Buchenwald où il reçut alors le matricule 43364.

Anker ignorait tout de l’organisation du camp et notamment du rôle joué par les communistes dans l’administration. Très vite, il entra en contact avec un triangle communiste et plus spécialement avec Lucien Lagarde. Quelques jours après, doyen du camp, un communiste allemand, lui expliqua la situation et Anker fut appelé à jouer un rôle important en raison de ses connaissances linguistiques. Il devint responsable français de l’Arbeitsstatistik. Cet organisme avait un rôle déterminant ; il organisait l’affectation des détenus et notamment était chargé de procurer la main d’oeuvre nécessaire. Un violent conflit entre nationalités et familles politiques s’y déroulait, chacun voulant protéger au maximum des détenus jugés politiquement indispensables. P. Durand note dans son ouvrage :

« Daniel Anker et ses camarades de l’Arbeitsstatistik (des Allemands, des Tchèques, des Polonais, un Belge pendant un temps, et l’Espagnol Semprun), sous la direction du communiste allemand Willy Seifert, l’un des plus jeunes détenus de sa nationalité (il avait été arrêté à dix-huit ans en 1933) et de son adjoint, Herbert Weidlich, ont accompli ainsi des tours de force » (p. 89).

À son retour, Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque Nationale, confia à L’Humanité — 21 avril 1945 :
« À Compiègne, les communistes faisaient mon admiration pour leur moral magnifique, leur union, leur fraternité pour tous. À Buchenwald, Marcel Paul fut secrétaire général du groupement français clandestin du camp ; sous la menace de la corde, avec Daniel Anker, il évita à des milliers de déportés les affreux commandos de terrassements, ceux d’où l’on ne revenait jamais. »
Le camp se libéra lui-même le 11 avril 1945 par l’action des brigades de combat.

Anker tarda à regagner la France. Il devait régler sur place des questions administratives. Toutefois, il fut parmi les premiers à arriver à Paris, le 28 avril 1945. En effet, le ministre de l’Air français avait envoyé un avion pour ramener les détenus de son ministère ; aucun d’eux ne fut retrouvé ; Anker et d’autres prisonniers en bénéficièrent donc.

Après être allé se reposer une quinzaine de jours à Lamballe, Anker retrouva son fils et sa femme qui revenait de Mauthausen. Ils devaient se séparer aussitôt et il conserva la garde de son fils.

En mai 1945, Anker devint membre du secrétariat de l’Union syndicale CGT de l’habillement qui regroupait toutes les branches de cette activité dans la région parisienne. Il était aussi membre de la commission exécutive de l’Union des syndicats CGT de la Seine. Parallèlement, il faisait partie de la commission administrative provisoire de la Fédération CGT de l’industrie des travailleurs de l’habillement. Il fut maintenu à cette responsabilité lors du premier congrès fédéral (29 au 29 mars 1946).

Au début de 1946, Anker devait participer aux côtés d’Eugène Hénaff et de Roger Linné, à une délégation de la CGT invitée par les syndicats américains. Il avait alors demandé et obtenu son premier passeport officiel polonais. Mais, le gouvernement américain refusa la venue de la délégation.

Pour mettre fin à cette situation instable, Anker avait demandé à ce que soit rapporté l’arrêté d’expulsion pris contre lui en 1930. Il obtint satisfaction, le 5 mai 1946, et demanda alors sa naturalisation française.

Anker reçut un ordre de mission du ministère de la Justice pour assister comme observateur en avril 1947 au procès des SS de Buchenwald qui se déroulait à Dachau. Cette mission officielle accéléra sa naturalisation. Le décret fut pris le 12 février 1947 et publié en deux temps au Journal officiel, le 13 avril, jour de son départ pour l’Allemagne. Il assista à huit séances d’un procès qui dura plusieurs semaines.

Au congrès fédéral de juillet 1948, Anker devenait secrétaire de la Fédération CGT de l’industrie des travailleurs de l’habillement. Il militait au Parti communiste dans une cellule du XXe arr. où il habitait. Ses responsabilités syndicales l’amenèrent à collaborer épisodiquement avec le comité fédéral de la Seine du Parti communiste.

En 1948, Anker vint s’installer à Châtenay-Malabry (Seine, Hauts-de-Seine), dans le quartier populaire de la Butte rouge, avec une veuve de déporté, mère d’un garçon. Il devait se remarier en 1955.
Dans le même temps, Anker siégeait au bureau national de l’Association française Buchenwald-Dora et commandos, dont l’objectif était la fidélité au « serment » fait le jour de la libération du camp contre la renaissance du fascisme.

Son activité syndicale était intense. La scission avait peu touché la corporation ; la Fédération publiait un journal mensuel L’Habillement. Anker participait aussi aux conférences internationales des organismes professionnels de la Fédération syndicale mondiale en Roumanie et en Pologne. Un voyage en 1951 lui permit de revoir son pays qu’il avait quitté plus de trente ans auparavant. Il apprit, lors de la visite de son village natal, que toute sa famille (treize proches parents) avait été enfermée dans le ghetto local et avait été fusillée par les troupes allemandes.

En 1952, Anker demanda à être déchargé de ses fonctions syndicales qui lui occasionnaient de la fatigue et étaient de moins en moins compatibles avec les besoins de sa famille. Il resta membre du bureau de la Fédération jusqu’à sa retraite. Il reprit son travail chez des artisans de la rue de Paradis, puis de la rue Quincampoix. Il allait travailler de son domicile banlieusard à Paris à vélomoteur, moyen de locomotion qui est resté ancré dans la mémoire de ses amis.

Membre du comité de la section communiste de Châtenay-Malabry de 1949 à 1973, Anker fut candidat aux élections municipales en 1969 et en 1971.

Anker devint secrétaire général de l’Association Buchenwald-Dora en 1972 au congrès de Clermont-Ferrand. Il devait être le porte-parole des déportés lors de l’inauguration, après une démarche de sa part, du Chemin des Martyrs de la Résistance à Châtenay-Malabry en mai 1977.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10128, notice ANKER Daniel, Samuel par Jacques Girault, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 15 avril 2022.

Par Jacques Girault

SOURCES : Archives et renseignements communiqués par l’intéressé. — Presse nationale et corporative. — Le Serment Buchenwald-Dora. — Renseignements fournis par Mesdames Agnès Denis et Céline Gervais. — P. Daix, J’ai cru au matin, Paris, Éditions R. Laffont, 1975. — P. Durand, Les armes de l’espoir. Les Français Buchenwald et Dora, Paris, Éditions sociales, 1977. — Jacques Girault, Militants de Châtenay-Malabry entre les deux guerres, CNRS/GRECO 55 « Travail et travailleurs aux XIXe et XXe siècles », 1987.

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