BOUSCARRUT Marguerite [BOUSCARRUT Françoise, Marguerite]

Par Josette Ueberschlag

Née le 20 juillet 1897 au lieu-dit de Saint-Bris, commune de Villenave-d’Ornon (Gironde), morte le 2 janvier 1971 à Caudrot (Gironde) ; institutrice ; militante syndicaliste de la FUE-CGTU, puis du SNI à partir de 1935 ; féministe communiste ; co-fondatrice de la Cinémathèque coopérative de l’enseignement laïc en 1927, puis secrétaire de la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL) de 1928 à 1935.

Groupe des Imprimeurs au congrès de la FUE à Tours en 1927
Groupe des Imprimeurs au congrès de la FUE à Tours en 1927
Assis de gauche à droite, René Daniel, Élise Freinet, Marguerite Bouscarrut, Manuel Cluet de Madrid, Gabrielle Bouët ; debout au 2e rang, Célestin Freinet entre Marguerite Bouscarrut et Manuel Cluet.

Marguerite Bouscarrut naquit à Villenave d’Ornon, commune de la banlieue sud de Bordeaux, où ses parents, Firmin Bouscarrut et Jeanne Faugère, étaient agriculteurs, mais indiqués sans profession sur son acte de naissance. Benjamine d’une fratrie de trois enfants, elle avait deux frères, Jean, André, et Antoine, Georges, nés à Blanquefort (Gironde), le 18 novembre 1890 et le 18 janvier 1892. Ces derniers furent tous deux mobilisés pendant la Première Guerre mondiale et firent une carrière dans les PTT. Georges, employé des Postes à Tozeur en Tunisie, parti aux Armées le 2 août 1914, fut fait prisonnier le 22 août suivant ; interné à Iéna, il s’évada et ne rentra en France que le 10 août 1918. Quant à l’aîné, André, engagé volontaire en 1911 à son retour de Tunisie, il se retrouva dans l’armée active durant la guerre, affecté à la télégraphie militaire. Il est permis de conjecturer que la famille était partie en Tunisie vers 1900 (elle n’était plus recensée en 1901 à Villenave), ce qui expliquerait le peu d’informations dont nous disposons sur l’enfance de Marguerite Bouscarrut (existe-t-il une parenté avec une autre institutrice militante syndicaliste communiste, née en Tunisie en 1920, Colette Rabaud, née Bouscarrut ?)

D’après son dossier de retraite (seule pièce retrouvée aux archives départementales de Gironde), Marguerite Bouscarrut débuta dans l’enseignement en 1916 comme intérimaire en Gironde, puis elle bénéficia, à la rentrée 1920, d’un stage de formation professionnelle à l’École normale de Caudéran (Gironde) de cinq mois, ce qui facilita sa titularisation en 1922. Elle fut alors affectée à l’école publique Grand-Poujeaux à Moulis-en-Médoc. Nommée ensuite à Saint-Aubin-de-Médoc, elle occupa ce poste durant quatre ans, avant d’être déplacée à Pessac-Toctoucau à la rentrée 1929. Là, elle enseigna dans une classe unique durant près de dix ans, jusqu’en 1938.

À Pessac, le 19 mai 1938, elle épousa Jean, René Léoutre (1890-1954), instituteur à Cognac (Charente), professeur de collège plus tard, dont elle divorça en 1940. Durant son passage en Charente, elle enseigna à Mesnac (au nord de Cognac) de 1938 à 1941, puis à Montboyer (dans le sud du département) de 1941 à 1946. Elle réintégra la Gironde le 16 janvier 1946. En fin de carrière, elle fut nommée directrice d’école à Le Taillan-Médoc, poste dans lequel elle fit valoir ses droits à la retraite en septembre 1952.

Marguerite Bouscarrut, adepte des techniques Freinet, pratiquait textes libres, journaux scolaires imprimés, correspondance et échanges entre élèves, ce qui donna lieu à un récit collectif interclasses Gris, Grignon, Grinette publié en album en 1934 par les éditions de l’Imprimerie à l’école.

Dès son entrée en fonction, elle milita dans le syndicat girondin affilié à la Fédération unitaire de l’enseignement (FUE). Elle était aussi engagée dans le Groupe féministe de l’enseignement laïc, dont elle était la responsable, déléguée pour son département, et adhérente du groupe des Jeunes. Dès 1926, elle apparaissait comme l’une des trois institutrices de premier plan de ce syndicat en Gironde ; élue au conseil syndical en 1927-1928, elle en fut membre jusqu’en 1930-1931, elle assurait alors la rédaction du bulletin.

En syndicaliste de la FUE-CGTU, militante à la MOR (Minorité oppositionnelle révolutionnaire), Marguerite Bouscarrut créa, avec trois autres collègues syndicalistes girondins de la MOR, Odette Boyau, Rémy Boyau et Jean Gorce, la Cinémathèque coopérative de l’enseignement laïc, dont les statuts furent déposés à Bordeaux le 27 octobre 1927 au registre du commerce, sous le numéro 4430-B. L’année précédente, en 1926, au congrès de la FUE, Rémy Boyau qui faisait déjà circuler des films Pathé-Baby en prêt dans la Gironde, avait proposé à la Fédération d’étendre ce service à l’ensemble du territoire, sans que l’idée en fût retenue. La genèse de cette création fut relatée par Marguerite Bouscarrut, quarante ans plus tard, en 1967, à l’occasion du décès de Rémy Boyau, dans une lettre adressée à une collègue, Charlotte Audureau : « Je me souviens que [finalement], il avait été décidé au congrès de Tours en août 1927, que cette cinémathèque nationale prendrait vie dès la rentrée d’octobre, notamment après l’appel de Célestin Freinet dans la revue L’École Émancipée (n°17, 16 janvier 1927) », article que celui-ci signa comme responsable de la sous-commission de la FUE, « cinéma et enseignement vivant ». Or, les choses prirent vite de l’extension sous la houlette de l’instituteur de Bar-sur-Loup. L’année suivante, en août 1928, au congrès de la FUE à la Bellevilloise à Paris, la cinémathèque absorba la coopérative d’entraide pédagogique « l’Imprimerie à l’école », et devint la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL). Depuis le milieu des années 1920, le mouvement pédagogique initié par Freinet cherchait à s’arrimer à la FUE. Élise Freinet assura plus tard que son mari avait « fait son possible pour l’intégrer au syndicalisme », ajoutant qu’il aurait voulu ainsi engager « ses camarades à mener la lutte au sein du syndicat pour que toujours, les revendications de l’école du peuple soient posées en même temps que les revendications de l’instituteur du peuple ».
Mais Rémy Boyau d’abord, puis Freinet, essuyèrent un refus de la part de Louis Bouët à leur demande d’insérer dans L’École Émancipée leurs actions militantes pour une révolution de l’école, en vue de faire servir leur travail à l’émancipation du prolétariat. La crise éclata véritablement quand Freinet, après avoir regroupé en 1928 les deux coopératives en une seule, voulut faire de la revue L’Imprimerie à l’école, la composante pédagogique de L’École Émancipée. Il déclara dans L’École Émancipée (n°40, 6 juillet 1930) : « Après plusieurs attaques injustifiées [des Bouët] contre mon activité, j’ai ouvert la discussion sur les éditions fédérales… ». Révélant plus avant son projet, il écrivait : « Il y a exactement deux ans […], j’adressai une lettre circulaire aux responsables de la Fédération, j’offrais [alors] de faire de notre modeste bulletin de 8 pages L’Imprimerie à l’école, un organe officiel d’études de la commission pédagogique fédérale sous le seul contrôle effectif de la Fédération. On me rétorqua avec véhémence qu’il n’y avait qu’une œuvre à développer, [la revue] L’École Émancipée. » Marguerite Bouscarrut secrétaire de la CEL rédigeait les comptes-rendus des assemblées statutaires tenues lors des congrès de la FUE. Par exemple à Bordeaux, en août 1932, elle souligna le différend École émancipée-Freinet : « Après avoir entendu les explications de Freinet et en regrettant le refus du Bureau fédéral et de l’École émancipée, les membres de l’assemblée générale déplorent vivement qu’une collaboration étroite qui serait profitable aux deux groupements n’ait pu exister jusqu’ici ».
Ainsi, Marguerite Bouscarrut, par son militantisme à la MOR « stalinienne », pour laquelle Freinet avait pris parti, fut le témoin principal, à partir de 1928, des tensions et des luttes entre Freinet et le couple Louis et Gabrielle Bouët, membres de la « Majorité fédérale » anti-stalinienne.

Marguerite Bouscarrut, secrétaire zélée de la CEL dès 1928, après avoir été administratrice de la cinémathèque durant l’année scolaire 1927-1928, fut remplacée dans sa fonction de secrétaire par André Maysonnave, en octobre 1935, et demeura membre du conseil d’administration jusqu’en juillet 1954. Après la fusion de la FUE avec le Syndicat national, en 1935, les congrès syndicaux et ceux de la CEL qui, jusqu’alors étaient jumelés, n’eurent plus lieu aux mêmes dates ; les congrès de la CEL, à partir de 1936, puis ceux de l’École moderne après-guerre, se déroulèrent tous dorénavant durant les vacances de Pâques, ce qui n’empêcha pas Marguerite Bouscarrut d’être assidue aussi bien à ces derniers qu’aux congrès syndicaux.

Pratiquer l’imprimerie à l’école et la correspondance de classe à classe lui valut plusieurs rappels à l’ordre de ses inspecteurs. Durant l’année scolaire 1928-1929, ses élèves de Saint-Aubin-du-Médoc dessinaient et écrivaient librement des textes qu’ils imprimaient et échangeaient avec ceux des élèves de Marie Burle, institutrice à Allemagne-en-Provence, village des Basses-Alpes. Or un sous-officier d’active qui avait eu entre les mains un numéro du journal scolaire « Le Petit Médocain » envoyé à leurs correspondants d’Allemagne, avait découvert dans l’un d’eux un plan de la commune de Saint-Aubin-de-Médoc. Il dénonça Marguerite Bouscarrut aux autorités pour avoir transmis des renseignements topographiques à l’ennemi allemand ! Une enquête administrative fut ordonnée. « L’inspecteur primaire [convoqua] Mlle Bouscarrut, l’interrogea longuement, éplucha toutes ses publications, [puis transmit un dossier détaillé au ministère pour répondre à la demande d’informations de ce dernier] » (L’Imprimerie à l’école n°24, juillet 1929). À la suite de quoi, Marguerite Bouscarrut fut mutée d’office à Pessac-Toctoucau, ce qui ne modifia en rien sa méthode d’enseignement. Un journal scolaire titré « Le babillard » continua d’être imprimé, ses élèves l’échangeaient et correspondaient en 1934-1935 avec les élèves de Jeanne Pradal à Saint-Montan-les-Barraques en Ardèche, puis en 1935-1936 avec ceux du Pioulier à Vence, école de Célestin Freinet. Cette école venait d’ouvrir ses portes et accueillait « des enfants attardés dans des comportements infantiles [auxquels nous avions voulu], précisa Élise Freinet, faire franchir le pas vers une vie relationnelle et affective ».
Mais les démêlés de Marguerite Bouscarrut avec l’administration ne cessèrent pas. En 1934, un inspecteur, après une visite inopinée dénonça dans son rapport, que ses grands élèves ne maitrisaient pas la lecture courante ; il avait imposé aux élèves de lire à haute voix Cinq semaines en ballon que ceux-ci découvraient. « Avec lui, tout le monde lisait mal, dit après coup un élève, sauf ceux qui faisaient du 100 à l’heure ». Marguerite Bouscarrut trouva alors un moyen peu ordinaire pour diffuser auprès de ses collègues le compte-rendu de cette inspection ; elle publia dans L’Éducateur Prolétarien (n°6, décembre 1934), « Une inspection vue par les enfants à Toctoucau » où ceux-ci exprimaient les exigences contre-nature de l’inspecteur.

Marguerite Bouscarrut fut une ardente propagandiste des techniques Freinet, davantage par ses paroles auprès de ses collègues que par des écrits peu nombreux, notamment lors des moments de partage avec les congressistes de l’École moderne. Jusqu’au jour où, atteinte par la maladie, elle dut renoncer à être présente au congrès de l’École moderne de 1964 à Annecy. Freinet surpris, inquiet et visiblement affecté (« Seules des circonstances impérieuses ont dû empêcher [Marguerite Bouscarrut] d’être des nôtres »), regretta de ne pas pouvoir lui parler et la saluer comme à l’accoutumée depuis une quarantaine d’années. La maladie devait l’emporter en 1971.

Les principales féministes dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?mot192

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article101924, notice BOUSCARRUT Marguerite [BOUSCARRUT Françoise, Marguerite] par Josette Ueberschlag, version mise en ligne le 21 novembre 2022, dernière modification le 23 novembre 2022.

Par Josette Ueberschlag

Groupe des Imprimeurs au congrès de la FUE à Tours en 1927
Groupe des Imprimeurs au congrès de la FUE à Tours en 1927
Assis de gauche à droite, René Daniel, Élise Freinet, Marguerite Bouscarrut, Manuel Cluet de Madrid, Gabrielle Bouët ; debout au 2e rang, Célestin Freinet entre Marguerite Bouscarrut et Manuel Cluet.
Marguerite Bouscarrut assise au centre, Elise Freinet à gauche et Freinet debout derrière

ŒUVRE : Articles in L’imprimerie à l’école n°21, mars-avril 1929 : « La technique d’illustration, des clichés sur carton » ; n°47, décembre 1931 : « Cas difficiles ». — L’Éducateur Prolétarien n°1 octobre 1932 : Assemblée Générale à l’Athénée de Bordeaux ; n°3, novembre 1934 : Congrès de Montpellier (CR de l’AG de la CEL, séance du 3 août). — L’Éducateur n°3, 1945, « Nos techniques d’illustration ». — Co-autrice de Brochure d’Éducation Nouvelle Populaire, n°45, 1949 : « Techniques d’illustration ».

SOURCES : Arch. Dép, Gironde : dossier de retraite. — Les revues, L’École émancipée ; L’Imprimerie à l’école, L’Éducateur Prolétarien (n°1, octobre 1932 ; n°3, 1934, p. 59 ; n°1, 1935) ; L’Éducateur n°15, avril 1964, p. 19 ; Bulletin des Amis de Freinet n°5-6, mai 1971. — Lettre d’André Bouscarrut, frère de Marguerite, à Mlle Anne-Marie Sohn, 5 août 1972. — Loïc Le Bars, La Fédération unitaire de l’enseignement. Aux origines du syndicalisme enseignant (1919-1935), Syllepse, 2005, p. 232. — Luc Bruliard et Gérald Schlemminger, Le Mouvement Freinet : des origines aux années quatre-vingt, L’Harmattan, 1996, p. 79. — Élise Freinet, Naissance d’une pédagogie populaire (méthodes Freinet), François Maspero, 1974, p. 66. — Élise Freinet, L’école Freinet réserve d’enfants, François Maspero, 1974, p. 118. — Anne-Marie Sohn, Féminisme et syndicalisme : les institutrices de la Fédération unitaire de l’enseignement de 1919 à 1935, thèse, 1973, édition A.U.D.I.R 1975. — État-civil. — Ancienne courte notice, non signée.

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