BOUSQUET Alfred, Henri

Par Gérard Leidet

Né le 29 mars 1883 à Decazeville (Aveyron), mort le 15 décembre 1935 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; mineur dans le bassin de Decazeville puis de Gardanne-Fuveau (Bouches-du-Rhône), militant syndicaliste (CGT puis CGTU), socialiste puis communiste (1923-1935).

Alfred Bousquet
Alfred Bousquet

Alfred Bousquet naquit dans une famille d’ouvriers mineurs des Houillères et Fonderies de l’Aveyron qui allaient faire de ce village-rue de (Decazeville) un grand centre sidérurgique. Il y connut dès l’enfance la pauvreté si ce n’est la misère. Placé dans une institution religieuse avec deux de ses frères, il décida, encore adolescent et déjà converti aux idées révolutionnaires, de gagner sa vie au cœur de ce bassin minier qui connaissait, en ce début de XXe siècle, son apogée avec une population active de 9 000 travailleurs. Travaillant alors à la mine, il avait participé à un meeting auquel participait Jean Jaurès et il évoquait souvent, avec émotion, ce jour singulier pour le jeune ouvrier qu’il était puis l’effet que le discours du grand tribun socialiste allait jouer sur son évolution militante.

Mobilisé durant la Grande guerre après avoir travaillé en qualité de mineur dans les bassins du Nord-Pas-de-Calais, du Luxembourg mais aussi dans les mines de fer de Lorraine, Alfred Bousquet fut affecté au régiment du 7e Génie. Gazé pendant les combats qui suivirent, il perdit ensuite son frère qui vivait avec lui, et connut à nouveau la misère avec son épouse et ses quatre enfants. Démobilisé en 1918, il suivit dans le bassin minier des Bouches-du-Rhône un camarade de régiment originaire de Gardanne. Dès lors sa vie allait s’identifiait à celle des mineurs provençaux.

Au début de l’année 1920, Alfred Bousquet, dirigeait la section SFIO de Gardanne. Dans le contexte de grèves dans les chemins de fer et les mines de février-mars 1920 en France, il fit adopter par la section socialiste de Gardanne, réunie le 29 février à son siège, une motion qui « protest[ait] de la façon la plus énergique contre l’acte des dirigeants capitalistes de la Compagnie du PLM portant atteinte aux libertés syndicales. Elle se solidaris[ait] de la façon la plus catégorique avec [les] camarades cheminots dans la défense de leurs intérêts professionnels ». Au mois de mars, il publia dans La République Aixoise (6 mars 1920) un communiqué favorable à la IIIe Internationale : « La section socialiste de Gardanne, fidèle à son passé révolutionnaire qui anime l’esprit de tous ses membres, confirme de nouveau les votes émis précédemment en faveur de la 3e Internationale. Elle se félicite des succès des armées bolchevistes qui ont mis en pleine déroute les troupes mercenaires des aventuriers à la solde des gouvernements capitalistes de l’Entente… ».

En janvier 1923 Alfred Bousquet adhéra au Parti communiste dont il allait être l’animateur à Gardanne pendant une douzaine d’années années. C’est lui qui dans cette période hébergea dans sa maison les dirigeants communistes Marcel Cachin, Paul Vaillant Couturier, Jean Cristofol lorsque ceux-ci se déplaçaient dans le bassin minier de Provence.

Mais à Gardanne comme ailleurs, la SFIO put très vite reconquérir ses positions sans trop avoir à craindre la concurrence des communistes qui ici « n’étaient qu’une poignée » autour d’Alfred Bousquet, de la famille Caula* (voir Marius Caula), de Marius Bourrely, Coulomb, Charles Bosc… Ainsi, lors des élections municipales de 1925 à Gardanne, la liste du bloc des Gauches du maire sortant Robert Deleuil, qui comprenait de nombreux socialistes, fut réélue.
Cependant la liste (incomplète) du « Bloc Ouvrier et Paysan » présentée par le Parti communiste et dont faisait partie Bousquet (renvoyé de la mine, il exerçait le métier de puisatier) et ses 12 autres candidats (Auguste Debazach, retraité du PLM ; Prosper Amphoux, Maurice Astier et Louis Roche, cultivateurs ; Fernand Liency, Marius Coulomb, Jules Caula, Emilius Barthélémy, mineurs ; Gabriel Defude, brigadier-poseur au PLM. ; Eugène Randi, limonadier ; Jean Baptiste Chaychard, forgeron et Marius Bourelly, maçon) obtint de 136 à 214 voix soit entre 18 et 29 % (moyenne) des suffrages.

Lors des élections municipales de mai 1929, le score réalisé par les communistes gardannais fut nettement meilleur et certains observateurs évoquèrent alors une « poussée communiste » (Gérard Pio). Animée par Alfred Bousquet, la liste du « Bloc ouvrier et paysan » recueillit en effet 141 voix et 21,4 % au premier tour. Le 19 mai, lors du second tour rendu nécessaire afin de pourvoir un siège en ballottage, Alfred Bousquet réunit 211 suffrages et 33 % des voix.

En mai-juin 1931 Bousquet fut le candidat du Parti communiste, lors d’une élection pour le conseil général dans le canton de Gardanne ; il obtint 194 voix au premier tour et 118 au second sur 3 678 inscrits. Il se présenta de nouveau en octobre mais ne rassembla que 96 voix.

Par ailleurs, l’autre versant de l’engagement d’Alfred Bousquet se situait sur le plan social et le militantisme syndical sembla prendre l’ascendant sur le militantisme politique. La scission syndicale chez les mineurs de Provence ne s’effectua pas seulement à partir du choix des travailleurs eux-mêmes (bien qu’elle ait eu aussi cette origine). Le rôle des individualités, des dirigeants et l’influence qu’ils pouvaient avoir sur les ouvriers qui leur faisaient confiance jouèrent très certainement. À Gardanne, Gréasque, et Trets les mineurs demeurèrent à la CGT (avec Victor Savine, Victorien Bossy, Marius Joly, Louis Armand) ; dans le Bas-Canton, à Valdonne, ils se dirigèrent au contraire vers la CGT-Unitaire (CGTU) créée en 1922 (autour de Louis Julien*de Peypin et d’Alfred Bousquet). Cette scission prit donc une « allure géographique » et il n’y eut donc pas constitution de syndicats concurrents sur une même exploitation. À ce titre, Alfred Bousquet, militant désormais à la CGTU, refusa d’être candidat à Biver contre le délégué mineur sortant Victorien Bossy (CGT) ce qui lui vaudra d’être sanctionné par le Parti communiste. Il devint très vite l’un des chefs de file de la CGTU dans le bassin minier. Son éducation, sa conscience professionnelle et son engagement politique lui permirent d’être rapidement élu délégué du personnel à la sécurité par les mineurs de Meyreuil et de conserver cette fonction jusqu’à sa mort.

Les débuts furent difficiles pour le « jeune syndicat » (CGTU) ainsi dénommé par les militants mineurs qui reprenaient ici la vieille opposition ayant cours dans l’ancienne Fédération départementale des mineurs des Bouches-du-Rhône fondée à Gardanne en 1903. Cette dernière s’était en effet affiliée à la tendance Basly-le « vieux syndicat » réformiste-par opposition au « jeune syndicat » révolutionnaire de Benoit Broutchoux proche alors de la CGT (voir Louis Julien).

Le 1er mai 1923, si 400 mineurs se réunirent à l’appel de la CGT, la CGTU de son côté ne put rassembler qu’une vingtaine de travailleurs autour du militant aixois, Allard*.

Trop gênant pour la Direction, Alfred Bousquet fut révoqué pour son activité syndicale par les compagnies minières. La concurrence voire l’hostilité toujours vive entre les deux syndicats fut avait été instrumentalisée par la direction des Charbonnages. En témoigne « l’affaire » du 7 novembre 1925 consécutive au renvoi de quatre ouvriers qui auraient été découverts endormis dans leur chantier du Puits Biver…Les Syndicats semblèrent d’abord décidés à lancer un mot d’ordre de grève pour les faire réintégrer. Le 12 novembre des pourparlers entre les délégués ouvriers et la direction des Charbonnages s’engagèrent. Le Sous-préfet d’Aix apporta les précisions suivantes : « la direction des charbonnages paraît disposée à reprendre l’un des ouvriers syndiqué à la CGT mais non les trois autres appartenant au Syndicat unitaire. Il est donc probable que les ouvriers appartenant à la CGT, et qui sont de beaucoup les plus nombreux, ne feront pas grève et que la grève si elle éclate n’intéressera que les ouvriers du syndicat unitaire. Elle serait par conséquent de peu d’importance ». (cité par Gérard Pio). Le lendemain, une seule réintégration, celle de l’ouvrier précité, fut confirmée. La CGT majoritaire décidant de ne pas aller à la grève et la CGTU ne regroupant alors que 250 ouvriers dont une quarantaine de français, les trois ouvriers unitaires furent ainsi « sacrifiés ». Les Patrons des charbonnages des Bouches-du-Rhône avaient atteint leur objectif : se débarrasser des militants les plus combatifs en jouant visiblement sur la division syndicale. Parmi les trois ouvriers congédiés figuraient les deux frères Jules Caula et Marius Caula*, militants les plus actifs du jeune Parti communiste avec leur père Maximilien Caula, et… Alfred Bousquet chassé lui aussi du puits Biver.

Cependant les progrès des « unitaires » se manifestèrent avec vigueur au nouveau puits de Meyreuil, le puits Boyer, où l’extraction commença en 1928. Ici, Alfred Bousquet parvint rapidement à rallier autour de lui et de la CGTU une majorité d’ouvriers et plus particulièrement les étrangers qui représentaient alors 60 % de l’effectif du carreau de Meyreuil. Sous son impulsion et celle d’Hector Theyras son suppléant, les militants « unitaires » s’imposèrent dès l’ouverture de l’exploitation à Meyreuil. La popularité des deux militants n’allait cesser cessa de croître comme le montrent les résultats des élections de janvier 1935. Bousquet et Theyras furent en effet réélus aux postes de délégués titulaires et suppléants avec 49 voix (73 % des exprimés) contre 18 voix aux candidats de la CGT Marcel Bossyet Marcel Abrachy ; trois ans plus tôt, en 1932, ils avaient réuni 17 voix(65,4%) face à leurs concurrents de la CGT représentés alors par Léon Cavalier et Alfred Raffanelli.

Au début des années 1930, le chômage fit son apparition et sévit durant quelques mois. Le 28 décembre 1930, une réunion fut organisée en mairie de Gardanne. Elle rassemblait les responsables de tous les syndicats, délégués venus de Cadolive, Trets, Fuveau, Meyreuil, La Madrague (Marseille) et Gardanne. Pour la première fois depuis la scission de 1921-1922, les militants « confédérés » et « unitaires » se rencontraient. Alfred Bousquet (Meyreuil), Louis Julien* (Valdonne), Marius Joly * (Trets) et Victor Savine* (Gardanne) évoquèrent la situation et envisagèrent une démarche commune résumée par Savine dans son compte rendu : « Dans cette réunion, la discussion s’est toujours déroulée fraternellement. Réconfortante d’un bout à l’autre, elle sera profitable à la corporation ». Manifestant une certaine satisfaction, ce dernier ajouta : « Depuis neuf ans, c’est la première fois que les représentants de toutes les organisations des Bouches-du-Rhône se réunissent sans aucune distinction, tous, sur le même niveau et que, sur une question donnée et essentielle, le chômage, tous, sans exception, ont eu le même point de vue et pour ainsi dire les mêmes souhaits à proposer ». L’unité d’action, voire la réunification syndicale, ne figuraient pas à l’ordre du jour ; cependant une voie en ce sens était ouverte…

En 1934, Alfred Bousquet était secrétaire général du syndicat CGTU des mineurs de Gardanne. Selon le témoignage de Pierre Emmanuelli*, il était un militant de grande valeur qui participa aux grands meetings unitaires en 1934 et 1935 à Marseille et dans sa région.

Dans ce contexte de crise économique et sociale, les mineurs du Bassin de Valdonne, majoritairement favorables à la CGTU, décidèrent de l’organisation d’une « marche Aubagne -Marseille ». Le samedi 23 mars 1935, près d’un millier de mineurs, dont de nombreux syndiqués à la CGT séduits par ce type d’initiative, étaient présents. Le cortège s’organisa –les organisations locales unitaires et le cercle de l’Harmonie avaient préparé le casse-croûte - puis se rendit en train à Aubagne. Alfred Bousquet accompagné des délégués mineurs unitaires Emmanuelli*, Poucel*, et Julien* reçut le renfort des représentants de l’Union régionale unitaire Charles Nédelec*, Genovesi, Guilleminot, Enjalbert, Fanucchi et Lucien Molino*. Les élus Léon David*, conseiller d’arrondissement communiste de Roquevaire et Yves Moustier*, docteur à Gréasque et récent candidat communiste au conseil d’arrondissement puis au conseil général dans le canton de Gardanne le 7 octobre 1934 complétaient la tête du cortège. À Saint-Marcel, à mi-chemin, le député socialiste Raymond Vidal* et le conseiller général Lassalarié*, membre de la SFIO également, rejoignirent le cortège. Alfred Bousquet fit partie de la délégation composée de Léon David, Charles Nédelec, Raymond Vidal et des maires du bassin minier reçue par le préfet. Il participa ensuite au meeting organisé à la Bourse du travail de Marseille auquel participèrent 3 000 travailleurs. Un concert du théâtre ouvrier de Marseille ouvrit la réunion de la salle Ferrer à l’issue de laquelle un ordre du jour en cinq points résumant les revendications des mineurs fut adopté.

Chef de file des « unitaires », Alfred Bousquet ne put participer aux dernières assemblées générales de fusion qui réunissaient militants de la CGT et la CGTU. Frappé par la maladie, il fut hospitalisé à Marseille où il décéda prématurément (il avait 52 ans) le 15 décembre 1935. Il avait représenté durant plusieurs décennies en tant que délégué-mineur la corporation et sa notoriété avait atteint les autres bassins miniers. Ainsi à sa mort, près de 3 000 mineurs venus de toute la France lui rendirent hommage devant le monument qu’ils avaient édifié pour lui (second cimetière, emblème des mineurs). Avec Alfred Bousquet disparaissait une « véritable figure de proue du mouvement ouvrier, un militant désintéressé, unanimement respecté par ses adversaires. » (Gérard Pio). Sur son lit d’hôpital il eut le temps cependant d’être tenu informé et apprit que la réunification pour laquelle il avait tant œuvré était effective dans les différents puits du bassin minier des Bouches-du-Rhône : Gardanne-Biver (27 octobre 1935), Meyreuil (3 et 10 novembre), Fuveau-Gréasque (1er décembre). Mais son absence fut unanimement ressentie lors du congrès départemental de fusion qui eut lieu les 4 et 5 janvier 1936, une « formalité » pour certains observateurs mais aussi et surtout comme un avant-goût du Front populaire…

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article101938, notice BOUSQUET Alfred, Henri par Gérard Leidet , version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 19 février 2019.

Par Gérard Leidet

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SOURCES : Arch. Nat. F7/1391. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, III M/56 ; VI M/17 ; M 6/11 379 ; XIV M 24/62. — Le Petit Provençal, 19 octobre 1931. — Rouge-Midi, 19 mai 1934, 30 mars 1935, 21 décembre 1935 (nécrologie et photo). — Philippe Guibert, La Vie politique à Gardanne de 1918 à 1978, Mémoire de Maîtrise, Aix, 1979. — Témoignage de Pierre Emmanuelli. — Gérard Pio, Mines et mineurs de Provence, Éd Clair-Obscur, Aix en Provence, 1984. — Archives municipales de Gardanne et de Meyreuil. — Le blog de Michel Deleuil gardanne-michel-d...r-blog.com. — Antoine Olivesi, notice DBMOF.

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