BOUVERI Jean [BOUVERI Louis, Jean]

Par Madeleine Rébérioux et J. Raymond (avant 1920), P. Goujon

Né à Charolles (Saône-et-Loire) le 10 juillet 1865 ; mort à Montceau-les-Mines le 3 juillet 1927 ; ouvrier mineur ; militant syndicaliste et socialiste ; député de Saône-et-Loire de 1901 à 1919 et de 1924 à 1927.

Jean Bouveri appartenait à une famille d’ouvriers mineurs. Il a raconté, dans le Socialiste de Saône-et-Loire du 22 juin 1913, la répression qui s’abattit sur les siens comme sur tant d’autres victimes du tout-puissant Léonce Chagot, gérant de la société des Mines de Blanzy, mort en 1893, et de ses successeurs : deux de ses oncles, socialistes, furent chassés de leur travail ; on menaça du même sort leur beau-frère, s’il les recevait chez lui, dans la maison de la compagnie où il logeait, 22, rue Saint-Joseph. Lui-même perdit son logement pour avoir en 1898 voté au premier tour pour Claude Forest, candidat socialiste aux fonctions de délégué-mineur. C’est que le département de Saône-et-Loire connaissait depuis l’Empire un grand essor industriel et que contre des patrons qui représentaient « la quintessence de la réaction et du cléricalisme » (Arch. Dép. Saône-et-Loire, 41 M 6, rapport n° 2 567 du commissaire spécial de Chalon qui contient en particulier une brève rétrospective historique sur Montceau) la classe ouvrière manifestait une combativité vive quoique longtemps épisodique : pour la seule région de Montceau, grève de 1878, incidents liés à la « Bande Noire » entre 1882 et 1884, propagande anarchiste, puis allemaniste, constitution de groupements ouvriers professionnels et politiques, élection de conseillers municipaux socialistes dès 1888.

Jean Bouveri quitta l’école communale à l’âge de douze ans pour devenir ouvrier mineur à la compagnie de Blanzy. Mêlé aux luttes ouvrières dès son adolescence, il participa à la constitution de Chambres syndicales des mineurs dès avant le vote de la loi de 1884. Marié le 30 novembre 1889, il eut plusieurs fils dont il fit des ouvriers qualifiés.

Ses responsabilités syndicales, son activité dans la grève victorieuse de juin 1899 à Montceau au cours de laquelle le « syndicat des mineurs et similaires » mena campagne pour « la reconnaissance du syndicat, la liberté de conscience, le renvoi des ouvriers faisant partie de la police occulte, l’augmentation des salaires, l’absence de sanctions pour faits de grève », les liens étroits qu’il noua au lendemain de la grève avec Jaurès, Chauvière et Vaillant, tout cela le mit en vue. En septembre 1899, il fut délégué à Denain au congrès national des mineurs de France. « Not’Jean », « le Vercingétorix bourguignon », conduisit à une victoire totale aux élections de mai 1900 la liste des vingt-sept candidats socialistes à Montceau. Élu maire le 20 mai, il le resta jusqu’à sa mort. Dès septembre 1900, il recevait dans la mairie de Montceau le congrès national des mineurs de France. Quelques mois plus tard, le 19 janvier 1901, commençait la grande grève qui dura jusqu’au 6 mai : 106 jours. Le syndicat s’y dressa contre le nouveau directeur de la mine, l’inflexible Coste, technocrate compétent, inspecteur du corps des Mines en congé, nommé à ce poste le 8 octobre 1900. Malgré le soutien de la municipalité socialiste, les mineurs furent vaincus : ils avaient eu affaire à une véritable occupation militaire ; dès le 21 janvier, 3 000 soldats et 700 gendarmes occupaient le bassin sous les ordres du général de la Pommeraye. Les mineurs de Montceau eurent l’impression d’avoir été peu soutenus dans leur lutte par l’ensemble de la classe ouvrière, mais le syndicat en tant que tel sortit de la grève renforcé et devint le plus puissant du département.

Le mouvement socialiste avait doublé de telle façon à Montceau le mouvement syndical que les querelles de tendance y furent alors sans prise : le groupe de Montceau animé par Bouveri reçut le 20 janvier 1900 les délégués de quinze autres organisations et la Fédération socialiste de Saône-et-Loire constituée ce jour-là décida de conserver son autonomie. Elle n’adhéra au Parti socialiste de France qu’en mars 1904 au moment de l’unité : Bouveri, sans jamais avoir joué dans la Fédération un rôle officiellement dirigeant, avait pris position pour l’adhésion. Délégué au congrès d’unité du Globe (23-25 avril 1905), il revendiqua pour la Saône-et-Loire l’honneur d’accueillir le premier congrès de la SFIO qui se tint à Chalon-sur-Saône du 29 octobre au 1er novembre 1905.

Il était pour sa part de plus en plus pris par son activité municipale et bientôt législative. En tant que maire, il s’attacha aux œuvres d’assistance et aux réalisations scolaires et postscolaires, assurant constructions, fournitures gratuites, cantines. En 1909, il inaugura à Montceau la Maison du syndicat des mineurs. Quant au Parlement, il y était entré le 18 août 1901 à la faveur d’une élection partielle dans la première circonscription de Chalon-sur-Saône : il fut élu au second tour par 11 818 voix sur 21 063 suffrages exprimés, grâce au désistement du radical. De 1902 à 1914, il sera constamment réélu au premier tour. À la Chambre, il siégea sans interruption à la commission des Mines dont il devint vice-président après les élections d’avril 1914, en même temps qu’il entrait à la commission des Comptes définitifs et des Économies. Il participa en séance plénière à de très nombreux débats ; s’il mena une action particulièrement vive en faveur de la journée de 8 heures pour les mineurs (29 janvier, 5 février 1902 ; 27 juin 1905), s’il prit part à de nombreuses discussions à l’occasion des grèves, notamment au moment de la catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais), il ne se limita pas à sa spécialité première. On l’entendit à propos du mouillage des vins, en 1907, lors de la discussion du budget de l’agriculture, à propos du recrutement de l’armée en 1904, de la séparation de l’Église et de l’État (1905-1906) et, le 19 janvier 1910, il défendit passionnément l’école laïque qui « m’a donné, dit-il, le peu de connaissances que j’ai ».

Il ne fut certes pas de ceux qui profitèrent outre mesure de leur indemnité parlementaire : il s’était engagé en 1902 à verser 150 F par mois pour la propagande à la caisse fédérale ; il obtint à partir de 1904 de ne plus verser que 100 F, mais il lui fallu argumenter longuement devant le comité fédéral et indiquer notamment que, répondant toujours à tous ses électeurs, il dépensait 100 F par mois pour sa correspondance (Arch. Nat. F7/12499). Sa Fédération ne relâcha pas son contrôle après la réalisation de l’unité. Elle lui faisait pourtant pleine confiance comme le montre le fait qu’il fut délégué à tous les congrès nationaux de la SFIO sauf Nîmes (1910) et Brest (1913) ; il fit aussi partie de la délégation française au congrès de l’Internationale à Stuttgart en 1907.

Ses professions de foi sont brèves et directes, sans prétention doctrinale. « Cinquante ans de République ! Qu’y avez-vous gagné ? » interrogeait-il en 1902 (et ce n’était certes pas par indifférence pour la République). Il reprit mot pour mot en 1910 la même question impliquant la même réponse négative et il appela de nouveau à la lutte pour la « République des travailleurs ». Mais cela ne l’empêchait pas d’évoluer vers des positions de plus en plus modérées. Le commissaire spécial de Chalon louait d’ailleurs sa bonhomie et sa simplicité, son habileté à s’absenter quand il fallait prendre des risques qu’il jugeait peu utiles. Seul le préfet, qui savait pourtant les critiques portées contre lui par « les exaltés », le jugeait « plus dangereux encore qu’Hervé, car moins cynique et patriote par intermittence ». (Arch. Dép. Saône-et-Loire, 1 M 5).

On ne doit pas s’étonner dans ces conditions qu’il ait pendant la guerre rallié la majorité du Parti favorable à l’Union sacrée. Dès le 6 octobre 1907, à son retour du congrès de Stuttgart, il avait écrit qu’il était favorable à l’action de Jaurès, mais que « la défense nationale devait être assurée si la patrie était attaquée par le Tsar ou par le Kayser » (Le Socialiste de Saône-et-Loire). Il vota pour l’entrée d’Albert Thomas au sous-secrétariat d’État à l’armement (19 mai 1915), pour sa participation en qualité de ministre et de membre du cabinet de guerre au deuxième ministère Briand (11 décembre 1915). Il donna son adhésion à la déclaration des quarante élus réservés à l’égard de la conférence socialiste internationale de Stockholm (28 mai 1917).

Aux élections du 16 novembre 1919, il fut battu par une coalition des modérés et des radicaux qui enleva les neuf sièges du département. Il obtint 38 307 suffrages en tête d’une liste socialiste dont la moyenne s’élevait à 35 473. Moins de deux mois plus tard, le 11 janvier 1920, il était élu sénateur de Saône-et-Loire sur une liste de coalition de gauche. Il n’assista pas au congrès de Tours (fin décembre 1920). Sa Fédération y apporta cinquante-cinq mandats à la thèse de l’adhésion à la IIIe Internationale, quinze à la motion de la reconstruction, sept abstentions. Ces sept mandats qui s’étaient portés sur la motion Blum-Paoli dite de Résistance socialiste, retirée par les auteurs au congrès, provenaient tous du vote de la section de Montceau-les-Mines, choix évidemment dû à l’influence de Bouveri.

Bouveri joua à nouveau un rôle de premier plan au moment des élections de 1924 dans les discussions avec les radicaux dont ses positions étaient proches. Si bien que le congrès fédéral refusa de retenir sa candidature qui aurait « frayé le chemin aux candidats radicaux ». L’échec du Cartel des Gauches dans le département à la suite du refus des élus radicaux de soutenir la propagande du Cartel et de ne pas lui opposer une liste radicale dissidente lui permit de se retrouver en tête de la liste SFIO et d’être élu avec quatre de ses colistiers.

Le 2 décembre, il fut nommé au comité consultatif des Mines et mourut peu avant la fin de la législature.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article102038, notice BOUVERI Jean [BOUVERI Louis, Jean] par Madeleine Rébérioux et J. Raymond (avant 1920), P. Goujon, version mise en ligne le 3 novembre 2010, dernière modification le 3 novembre 2010.

Par Madeleine Rébérioux et J. Raymond (avant 1920), P. Goujon

ŒUVRE : Bouveri a collaboré souvent à l’hebdomadaire fédéral Le Socialiste de Saône-et-Loire qui parut de 1905 au début de la guerre de 1914. — Le Travailleur de Saône-et-Loire, 9 novembre 1919-20 juin 1920.

SOURCES : Arch. Nat. F7/12499, département de Saône-et-Loire. — Arch. Ass. Nat. dossier biographique. — Arch. Dép. Saône-et-Loire, 1 M 5, 41 M 6. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit. (pp. 340-341), Les Fédérations socialistes II, op. cit. (pp. 511 à 534, passim), Les Fédérations socialistes III, op. cit. (pp. 459, 464, 591). — Le Socialiste, 3 avril 1904. — Statistique des élections au Sénat de 1876 à 1937, p. 57. — Compte rendu IVe congrès national de la SFIO tenu à Nancy les 11, 12, 13 et 14 août 1907 et Compte rendu sténographique du XVIIIe congrès national tenu à Tours (25-30 décembre 1920). — Jean Verlhac, La Formation de l’Unité socialiste, 1898-1905, DES Paris, p. 165. — La Dépêche socialiste. — L’Union républicaine. — Dictionnaire des parlementaires français, sous la direction de Jean Jolly, t. 2 1962.

ICONOGRAPHIE : La France socialiste, op. cit., p. 341.

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