ARNAULT Jacques, Albert, Joseph

Par Frédérique Matonti

Né le 10 juillet 1918 à Saint-Pierre-les-Églises, commune rattachée à Chauvigny (Vienne), mort le 24 avril 2008 à Baudreville (Eure-et-Loir) ; instituteur ; résistant ; dirigeant communiste ; secrétaire de Maurice Kriegel-Valrimont* ; membre de l’Assemblée de l’Union française (1947-1952) ; rédacteur-en-chef de La Nouvelle Critique (1958-1966) ; journaliste à l’Humanité.

Son grand-père était un petit cultivateur, son père facteur rural et sa mère, femme au foyer. Dans cette famille républicaine, les deux aînés, son frère Jean et sa sœur Jeanne, devinrent instituteurs. Lui-même, bon élève, remarqué par son instituteur communiste, passa le concours des bourses d’études de l’enseignement secondaire et devint interne dès 1929 au lycée de Poitiers. Bachelier (option mathématiques élémentaires et philosophie), il entra en faculté et la quitta au bout d’un an pour, selon lui, gagner sa vie. Il devint à son tour instituteur et épousa, en septembre 1938, une institutrice communiste, Yvonne Goffier, dont la mère était elle-même institutrice et communiste, et le père, mécanicien.
En 1934, il adhéra à la Jeunesse communiste (JC). Le conseil de discipline de son lycée, dont il était le secrétaire de cellule, le condamna à trois mois de privation de sortie pour « propagande politique ». En 1938, il entra au Parti communiste et au Syndicat national des instituteurs, donc à la CGT. Mobilisé en septembre 1939, alors qu’il était sursitaire, il fit l’école d’artillerie de Poitiers et fut démobilisé, le 1er janvier 1941. Redevenu instituteur dans la Vienne, à Chauvigny, il fut déplacé pour attitude antivichyssoise en octobre, puis son logement fut perquisitionné en novembre. Par l’intermédiaire du syndicat enseignant clandestin, puis par le mouvement Libération Nord, il entra en contact avec les communistes clandestins en compagnie de son frère, qui, arrêté en 1943, fut déporté et mourut à Mauthausen. Il reprit le contact avec la direction des JC, fin 1942. En novembre 1943, sans contact avec le Parti communiste, il rejoignit les écoles des cadres des Auberges de Jeunesse dans la Drôme pour succéder à Guy de Boysson. Il participa à la fondation des Jeunesses laïques combattantes (JLC) adhérentes du Forces unies de la jeunesse patriotique. Il retrouva le contact avec le Parti à Lyon en mai 1944. Il fut le responsable des JLC à Clermont-Ferrand en juin-juillet 1944, avant que la direction du mouvement ne soit démantelée.
À la Libération, Jacques Arnault fut le secrétaire de Pierre Villon, au secrétariat de la commission militaire du Conseil national de la Résistance. Maurice Kriegel-Valrimont, qu’il avait croisé pendant la guerre et qui s’apprêtait à être candidat à la députation en Meurthe-et-Moselle, lui demanda de devenir son secrétaire. Permanent du Parti, il fut, à partir de 1946, membre du secrétariat de la fédération communiste de Meurthe-et-Moselle et au début des années 1950 le deuxième secrétaire fédéral, responsable de l’organisation, responsabilité qu’il conserva jusqu’à la fin de 1954. Il accomplit, ce qu’il appelait, reprenant nommément Gorki, ses « universités ». Le département était alors très industrialisé, abritait environ 40 000 métallurgistes, 12 000 mineurs de fer, des immigrations successives, et pas loin, selon ses souvenirs, de 5 000 membres du PCF. Il était aussi le secrétaire départemental du Mouvement de la Paix. Selon Michel Apel-Muller qu’il accueillit dans les rangs du PCF en novembre 1951, il organisait à Nancy des conférences de La Nouvelle Critique avec Jean Kanapa, Victor Leduc, Jean-Toussaint Desanti avec l’aide de Michel Simon.
En 1947, Jacques Arnault fut désigné par le PCF comme membre de l’Assemblée de l’Union française, où il siégea jusqu’en 1952. La presse communiste relata sa grève de la faim menée lors des événements de Madagascar. Cette expérience, où il fut appelé à côtoyer des ressortissants des colonies et des territoires d’outre-mer, fut centrale dans sa formation puisqu’elle fut à la base de son premier livre, Procès du colonialisme en 1958 qui marqua la production éditoriale du PCF dans le domaine de sa politique vis-à-vis du colonialisme.
En 1955, comme tous les enseignants, il fut appelé à revenir à son métier et, muté en région parisienne, devint donc un militant du SNI et de la FEN. Il avait la confiance du PCF et déjà en mai 1952 avait participé à la commission nationale des Jeunes du SNI. Lors du congrès national du SNI le 21 mai 1955, délégué de la section départementale il intervint, dans la discussion du rapport moral. Favorable à l’enseignement de l’Allemand en Alsace-Lorraine, contre l’avis de la direction du syndicat, il reprenait les analyses du PCF favorables à cet enseignement. Deux jours plus tard, lors de la séance consacrée à l’Union française, il estima que les motions présentées par la majorité étaient insuffisantes. En 1958, au congrès du SNI, le 20 juillet, il se montra favorable à la négociation en Algérie.
A partir de 1955, Jacques Arnault milita en Seine-et-Oise où il habitait. Ses expériences dans la presse et dans l’édition du Parti (il exerça des responsabilités dans la presse clandestine des JLC, anima Terre Lorraine, le journal de la commission paysanne, écrivit dans L’École et la Nation et publication de son premier livre) lui valurent, au-delà de ses responsabilités politiques en Meurthe-et-Moselle, d’être appelé par Laurent Casanova pour prendre la rédaction en chef de La Nouvelle Critique que Jean Kanapa souhaitait quitter. Il fut d’abord rédacteur en chef adjoint à partir du numéro 91 (décembre 1957) et, l’année suivante, occupa pleinement ce poste. La revue était alors fortement touchée par la crise que traversaient les milieux intellectuels communistes depuis 1956. Elle l’était d’autant plus que, créée en 1948, elle avait eu explicitement pour fonction de concurrencer Les Temps modernes, mais aussi d’un certain point de vue, une revue comme La Pensée, plus âgée et plus républicaine. Aussi avait-elle eu pour tâche de populariser les théories alors les plus en pointe dans le mouvement communiste international… soit, à l’époque, le jdanovisme et le lyssenkisme. Au comité de rédaction, dépeuplé par les exclusions ou les départs de nombre de ses membres à commencer par Annie Besse (Annie Kriegel), Henri Lefebvre, Jean-Toussaint Desanti, Victor Leduc, Émile Bottigelli, etc…, furent alors recrutés — et en partie par Jacques Arnault — de jeunes étudiants ou de jeunes enseignants comme François Hincker, Michel Verret, Lucien Sève, Pierre Juquin ou Michel Simon.
La fonction de tête chercheuse toujours assignée à la revue, d’une part, l’entrée dans l’aggiornamento du PCF, d’autre part, c’est-à-dire la rénovation des thèses politiques, la nouvelle perspective d’une unité à gauche et la stratégie d’accession électorale au pouvoir expliquaient que ce soit sans doute la période où cette revue a pu être la plus libre, voire anticiper dans les marges permises, sur la ligne officielle du PCF. Cette autonomie très relative tint aussi à ce qu’Arnault était un thorézien et que la revue fut l’un des canaux du secrétaire général du PCF. Ainsi à l’époque où Jacques Arnault était son rédacteur-en-chef La Nouvelle critique par l’intermédiaire de Michel Simon entreprit à partir de 1961 un dialogue avec les socialistes représentés par Roger Quilliot. Plus encore, la revue anticipa sur deux questions théoriques : les « réflexions sur le culte de la personnalité », titre du numéro de décembre 1963, première contribution non explicitement autorisée consacrée à cette question au sein du PCF et menée par le philosophe Michel Verret, puis le débat sur l’humanisme en 1965-1966. Celui-ci commença par la publication de deux textes, l’un de Louis Althusser et s’acheva au comité central d’Argenteuil en mars 1966 où, à la fois contre les thèses althussériennes et garaudystes, le nouveau secrétaire général, Waldeck Rochet, trancha : il y avait un humaniste marxiste. L’anticipation sur la ligne officielle et le soutien à Althusser, que constituait la publication de ce débat, précipitèrent sans doute le lancement de la nouvelle formule de la revue, désormais — et en accord avec la stratégie de conquête de l’ensemble des professions intellectuelles — plus centrée sur la culture que sur la stricte production théorique.
En effet, Louis Althusser, accusé d’être pro-chinois et connaissant alors une parodie de procès à [La Pensée, avait été accueilli à La Nouvelle critique où il publia notamment en 1964, « Freud et Lacan », premier article qui traitait de la psychanalyse au sein du PCF, après la condamnation de celle-ci comme « science bourgeoise » en 1949. Plus largement, La Nouvelle critique donna, en effet, la parole à quelques-uns de ses élèves de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et abrita quelques-uns de ses proches, à commencer par Michel Verret. Certains y virent le rôle central de Jacques Arnault, d’autant que celui-ci avait épousé en secondes noces, à Nancy, en avril 1950, avec Françoise Calvia dite Francette,
une sévrienne, agrégée de philosophie (1949) qui termina sa carrière comme professeur de classes préparatoires au lycée Lakanal de Sceaux dans les années 1980. Pour beaucoup, il aurait été fasciné par la rigueur théorique d’Althusser et de ses élèves et, pour quelques-uns, attaché à combattre l’influence de Roger Garaudy, et ce conformément à certaines luttes complexes d’appareil qui se déroulaient alors, en lien avec ce que l’on appelle couramment la crise de l’Union des étudiants communistes. Jacques Arnault, plus modestement, ne se revendiqua pas comme « althussérien » mais expliqua qu’il « défendai [t] le droit d’Althusser à l’existence, c’est-à-dire à la publication ». Quelle que soit l’explication dernière, le changement de formule et l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante qui remplaça une bonne partie des cadres thoréziens conduisirent Jacques Arnault à quitter (ou à devoir quitter) la rédaction en chef de [La Nouvelle critique en 1966.
Déjà auteur de nombreux reportages à l’étranger (Amérique latine, Vietnam, Etats-Unis, pays scandinaves), en 1968, Arnault devint le premier correspondant permanent de l’Humanité à Cuba, pendant deux années. A partir de 1970, il eut la charge d’une page « Idées » du quotidien. Parution hebdomadaire qu’il dirigea, là aussi pendant huit années avec, semble-t-il, le même souci, de l’autonomie relative de ses auteurs, dont de nombreux intellectuels communistes. La page fut d’ailleurs supprimée, étant jugée trop difficile pour le lecteur, si l’on en croit un autre de ses animateurs, le germaniste André Gisselbrecht. Arnault poursuivit son activité de grand reporter à l’étranger et en tira plusieurs ouvrages.
Par la suite, Arnault approuva à diverses reprises les critiques de la ligne du PCF. Dans la discussion pour le congrès national de 1982, sa contribution dans [l’Humanité du 5 janvier 1982, après avoir noté des raisons du recul de l’influence du PCF était aussi la conséquence de la manière dont sa direction avait conduit sa politique. Il fallait donc, selon lui, ne pas réélire le secrétaire général.
Retraité, Jacques Arnault continua ses voyages dans le monde. Le 28 avril 2008, l’Humanité, annonçant son décès, salua « la mémoire de notre confrère, grande plume au service d’un journalisme militant de l’émancipation des peuples ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10253, notice ARNAULT Jacques, Albert, Joseph par Frédérique Matonti, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 12 août 2022.

Par Frédérique Matonti

ŒUVRE : Procès du colonialisme, Éditions sociales, 1958. — Les Ouvriers américains, Éditions sociales, 1972. — La démocratie à Sacramento, Éditions Sociales, 1976. — La démocratie à Washington, Éditions sociales, 1980 ; — Finlande, finlandisation, Union soviétique, L’Harmattan 1986. — Le modèle suédois revisité, L’Harmattan, 1991.

SOURCES : Arch. comité national PCF. — « Écrit de mémoire », février 1994, témoignage écrit adressé à l’auteur. — Frédérique Matonti, Intellectuels communistes, une sociologie de l’obéissance politique, La Découverte, 2004. — Entretien avec l’auteur, le 23 février 1989. — Article de M. Appel-Muller, « En mémoire de Jacques Arnault », l’Humanité, 22 mai 2008. — État civil. — Le Monde, 2mai 2008.— Notes de Jacques Girault.

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