Par Michel Launay
Née le 29 août 1881 à Uchizy (Saône-et-Loire) ; morte le 21 juillet 1955. Militante du syndicalisme chrétien ; fondatrice, en 1911, de l’École normale sociale et, en mars 1925, de l’Union féminine civique et sociale.
Andrée Butillard naquit dans une famille profondément chrétienne de neuf enfants ; son père exploitait une entreprise agricole dont la laiterie modèle était célèbre dans toute la région de Tournus. Elle fut élevée sur le domaine familial dont elle conserva jusque très tard le souvenir ardent. Elle aima constamment la nature, refusa toujours de faire des conférences en salle et considéra la vie aux champs comme un élément nécessaire pour l’équilibre psychique des travailleurs. Pensionnaire à l’âge de douze ans chez les dominicaines de Châlon-sur-Saône, elle supporta difficilement les rigueurs et les contraintes de l’internat. Ayant perdu son père, puis sa mère, morte d’une épidémie de fièvre typhoïde en 1893 (et dont Andrée faillit périr à son tour), la petite Bourguignonne devint orpheline. Prise en charge par sa sœur, elle acheva ses études chez les religieuses de Nazareth à Lyon. Elle y subit l’influence du père Eymieu aumônier de l’établissement. La spiritualité et l’action sociale d’A. Butillard en furent certainement marquées.
En 1901, à l’âge de vingt ans, elle s’inscrivit aux cours féminins que venaient d’ouvrir les Facultés catholiques de Lyon. Elle y fit la connaissance de Marie-Louise Rochebillard dont les cours sociaux ressemblaient à une longue litanie des scandales de la vie des travailleurs : taudis, salaires, maladies, vieillesse, insuffisance sur tous les plans. Et Marie-Louise Rochebillard s’empourprait, s’emportant devant un parterre de jeunes filles de la bonne bourgeoisie lyonnaise. D’une famille de la petite bourgeoisie ruinée, Marie-Louise Rochebillard avait dû travailler dès l’âge de seize ans. Profondément marquée par la lecture de l’Encyclique Rerum Novarum, elle avait décidé de consacrer sa vie à la fondation de syndicats d’ouvriers. Dès 1899, elle avait créé à Lyon un syndicat des employés de commerce et le syndicat des ouvriers de l’aiguille. Elle en était au début de son action sociale lorsqu’elle rencontra Andrée Butillard.
Dès lors se met en place le schéma dont seront tributaires presque tous les syndicats chrétiens féminins ou masculins par la suite, c’est-à-dire des années 1900 à 1936 environ : l’essentiel n’était pas, aux yeux de Marie-Louise Rochebillard et d’Andrée Butillard, de former un syndicat de masse. L’auraient-elles pu au demeurant ? On peut en douter. Ce que, selon elles, il convenait de créer en revanche, c’était un groupement exclusivement composé de travailleurs ou de travailleuses en nombre réduit, mais d’une grande compétence dans leur profession. C’est là toute une théorie du syndicalisme que ne cessera de développer la CFTC tout au moins pendant une partie de son existence. Il est intéressant de voir d’où vient ce schéma.
Ne s’entendant guère avec Marie-Louise Rochebillard, Andrée Butillard partit pour un centre social qui venait d’être fondé à Marseille. Triste expérience !
L’affaire, mal engagée, eut peine à survivre et Andrée Butillard y épuisa ses forces. Atteinte de tuberculose, elle parvint à guérir. Pas question de revenir auprès de M.-L. Rochebillard. Où achever son expérience sociale ? C’est alors qu’associée à une de ses amies, Mlle Novo, elle rejoignit à Voiron (Isère) Mlles Poncet et Merceron-Vicat qui venaient en juin 1906 de fonder le syndicat des ouvrières du tissage, puis en août celui de l’aiguille, enfin en décembre celui de la ganterie à Grenoble, cette fois. Andrée Butillard y demeura d’octobre 1907 à mars 1908.
Au printemps 1908, Andrée Butillard gagna Paris. Mise en contact avec les catholiques sociaux qu’animaient Henri Lorin et les syndicalistes chrétiens, tel Zirnheld, Andrée Butillard, avec l’appui de l’abbé Soulange Bodin, curé de ND du Travail de Plaisance dans le XIVe arr., forma le premier syndicat des travailleuses les plus délaissées peut-être à l’époque, les ouvrières à domicile. Ce fut l’origine des syndicats de la rue Vercingétorix à Paris. Les premières syndiquées se retrouvèrent pendant l’été 1913 à Uchizy, la propriété familiale des Butillard, pour des séances de formation. Ce fut la première Semaine syndicale. La seconde eut lieu en 1915 et, par la suite, chaque année. Cette activité s’inscrit dans le cadre d’une entreprise de perfectionnement théorique des militants qui a nom l’École normale sociale (fondée en 1911 par A. Butillard). Tout ce que le catholicisme social compte de conférenciers sociaux se succédèrent dans cet établissement. Il devint, à partir de 1919, l’un des centres majeurs de formation des militantes de la toute jeune CFTC. Promotrices et propagandistes en sortirent mieux aptes à la diffusion des idées catholiques sociales et syndicalistes.
En mars 1925, Andrée Butillard fonda l’Union féminine civique et sociale UFCS qu’elle dirigea pendant trente ans. Marguerite Martin assistante sociale la rejoignit en 1930 et devint en 1938 membre du Bureau national de direction. Cette œuvre ne peut être considérée comme une entreprise syndicale, mais, tout comme l’École normale sociale, elle contribua à enrichir l’environnement du syndicalisme chrétien en France. Ce n’est pas son moindre mérite. Dès lors, A. Butillard apparaît comme l’une des animatrices d’un courant de pensée et d’action qu’on a pu appeler le « féminisme chrétien » (Henri Rollet). Elle succomba à une crise cardiaque le 21 juillet 1955.
Mince, alerte jusqu’à la fin de sa vie, les lèvres fines, le regard bon, franc, mais vibrant d’une volonté déterminée d’agir, les cheveux noués en chignon vers l’arrière de la tête, tout chez Andrée Butillard faisait songer à une institutrice entièrement tournée vers le désir de servir, vers une vie d’abnégation, de don de soi à une cause. Ce qui a frappé ceux ou celles qui l’ont approchée ou connue intimement (notamment les futures dirigeantes des syndicats féminins chrétiens formés par ses soins), c’est la faculté remarquable qu’elle avait de rendre simple les textes les plus contournés de la prose pontificale, de rendre vivants hic et nunc les enseignements du magistère les plus abstraits, en bref de se mettre au niveau de son auditoire sans hauteur ni affectation, sans peine ni paternalisme, mais avec une simplicité et une flamme qui captaient l’attention des auditrices les plus rétives et charmaient et exaltaient, grâce à d’inoubliables disgressions constamment ancrées dans la dure réalité du quotidien de la vie ouvrière.
Par Michel Launay
SOURCES : Renseignements communiqués par des amies de Mlle Butillard. — H. Rollet, Andrée Butillard et le féminisme chrétien, Spes, 1960. — Evelyne Diebolt, Dictionnaire biographique. Militer au XXe siècle. Femmes, féminisme, Églises et société, Paris, Michel Houdiard, 2009 : notice par Joceline Chabot et Évelyne Diebolt.