CABANES François, Bonaventure, Étienne

Par André Balent

Né et mort à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) ; 20 juin 1875-3 août 1948 ; fils de Bonaventure Cabanes, cultivateur à Rivesaltes et d’Anne Vignals. Ouvrier agricole à Rivesaltes ; militant socialiste puis communiste ; militant coopérateur et syndicaliste ; maire de Rivesaltes (1919-1924).

François Cabanes milita au groupe socialiste de Rivesaltes (POF, puis PS de F.) dès sa fondation en 1897. Ouvrier agricole, il participa au début du siècle à la fondation du syndicat des travailleurs de la terre de Rivesaltes dont il devint le président. Il fut aussi un des fondateurs de la coopérative rivesaltaise : « L’Émancipatrice ». En 1909 il fut élu à la commission administrative fédérale par le congrès extraordinaire de Rivesaltes, convoqué par Lucien Deslinières pour évincer Jean Manalt et l’aile gauche de la Fédération (sur cet épisode Voir Manalt Jean*. Ce même congrès le nomma au poste de trésorier fédéral. Le congrès d’Espira-de-l’Agly (1909) l’avait élu délégué suppléant de la Fédération socialiste des Pyrénées-Orientales au conseil national. Le congrès extraordinaire de Rivesaltes confirma son mandat de délégué suppléant au CN. Il fut réélu délégué suppléant par le congrès fédéral de Pia (1910). En 1908 il avait été élu conseiller municipal de Rivesaltes sur la liste socialiste unifiée. En 1912, il fut élu adjoint au maire de Rivesaltes (Voir Salvet Ambroise*).

Nous ignorons les positions qu’il prit pendant la Première Guerre mondiale.

Sans doute à partir de 1916-1917 adopta-t-il la même attitude que celle de la grande majorité de ses camarades rivesaltais qui, reprochant à Lucien Deslinières et à François Jisqué, les deux chefs de file du guesdisme catalan, leur adhésion à l’Union sacrée, vinrent renforcer les rangs des pacifistes du département groupés autour de l’hebdomadaire du socialiste perpignanais Jean Payra (un vieil adversaire des guesdistes), Le Cri Catalan.

Aux élections municipales de novembre 1919, François Cabanes conduisait la liste socialiste à Rivesaltes ; celle-ci l’emporta : François Cabanes, élu maire de la ville à l’issue de ce scrutin, succéda à Ambroise Salvet.

L’élection de la liste socialiste conduite par François Cabanes fut mal accueillie par les services du cabinet du préfet qui voyait d’un très mauvais oeil les progrès du socialisme dans la forteresse guesdiste qu’était déjà Rivesaltes avant 1914. Dans un rapport de synthèse sur les élections municipales à Rivesaltes, le cabinet du préfet notait avec amertume que « la grande majorité de la population de Rivesaltes est socialiste », qu’il était « à prévoir que cette opinion gagnera du terrain et ne fera que croître dans l’avenir » et que « si de nouvelles élections devaient avoir lieu, la majorité serait bien plus considérable qu’aux dernières ». Le jugement émis sur François Cabanes était on ne peut plus défavorable : « M. Cabanes ne possède aucune aptitude administrative ». En ce qui concernait ses rapports avec les dirigeants perpignanais du Parti socialiste (notamment Jean Payra) les services du cabinet du préfet ne s’embarrassaient guère de nuances. Ils affirmaient que : « au point de vue politique il [François Cabanes] est aux ordres du secrétaire de la fédération socialiste des Pyrénées-Orientales [Jean Payra] ainsi que de ses adjoints ». S’il est vrai, en effet que les socialistes rivesaltais, et parmi eux François Cabanes, s’étaient, à la fin de la guerre, rapprochés de Jean Payra dans sa lutte contre les tenants de « l’Union sacrée », il n’en demeure pas moins que les conflits politiques qui les avaient séparés peu de temps avant la Première Guerre mondiale avaient laissé des traces. Réunis par les circonstances, Jean Payra et les socialistes rivesaltais n’étaient pas pour autant devenus des alliés inconditionnels. D’ailleurs le vieux clivage politique qui séparait la grande majorité des guesdistes rivesaltais de Jean Payra et de ses amis perpignanais allait de nouveau resurgir à propos du problème de l’adhésion à l’Internationale communiste.

Il présida le congrès de la Fédération socialiste des Pyrénées-Orientales réuni le 4 janvier 1920. Nous ignorons quand il devint favorable à l’adhésion du Parti socialiste à l’Internationale communiste. En tout cas lors de la préparation du congrès national de Tours il était, parmi les socialistes catalans, un des plus fervents partisans de l’adhésion.

De 1921 à 1924, François Cabanes joua un rôle de première importance, au plan départemental, au sein du Parti communiste : ses fonctions de maire de Rivesaltes, un des principaux bastions du nouveau parti en pays catalan, contribuèrent grandement à lui donner une stature de leader départemental.

Le premier congrès de la Fédération communiste des Pyrénées-Orientales se réunit à Rivesaltes le 8 mai 1921 ; environ 130 personnes y participaient ; François Cabanes présida, avec Marcel Cachin, la réunion publique qui suivit le congrès.

François Cabanes participa activement à la campagne pour la libération d’André Marty et des autres mutins de la Mer Noire ; cette campagne eut en Roussillon, d’où était originaire André Marty, une ampleur considérable et François Cabanes participa à de nombreuses réunions publiques et manifestations.

Candidat du Parti communiste lors de l’élection au conseil d’arrondissement de Perpignan (scrutin du 14 mai 1922), François Cabanes fut élu au second tour, en ayant bénéficié du désistement du candidat du Parti socialiste SFIO, Maurice Saint-Martin*.

Jusqu’en 1928, le Parti communiste fut le premier parti de Rivesaltes. Dès le mois de juin 1921, la section de Rivesaltes avait placé 62 cartes sur 612 pour l’ensemble de la Fédération communiste des Pyrénées-Orientales.

Dans un rapport au préfet, daté du 4 janvier 1923, le commissaire spécial de Perpignan, faisant un bilan des activités du Parti communiste dans les Pyrénées-Orientales pendant l’année 1922 écrivait : « le mouvement communiste s’est accentué depuis l’élection au conseil d’arrondissement de M. Cabanes, communiste, maire appointé de Rivesaltes. M. Cabanes est un ouvrier agricole sans moyens personnels qui a pu profiter de circonstances favorables pour se faire élire conseiller d’arrondissement et, depuis cette élection, les travailleurs agricoles de plusieurs communes du canton [de Rivesaltes] ont adhéré au Parti communiste ; c’est le seul canton du département où le communisme soit réellement en progrès ».

François Cabanes participa à la campagne contre l’occupation de la Ruhr par les forces armées françaises. Il anima plusieurs réunions, notamment à Estagel (25 janvier 1923) et à Rivesaltes (26 janvier 1923) : à Estagel il fit appel à la solidarité des communistes de la commune pour défendre les droits du prolétariat et lutter contre les menées des Camelots du Roi. En mai 1923, il fut délégué de la Fédération au conseil national du Parti qui devait siéger à Paris.

François Cabanes participa au congrès de la Fédération communiste des Pyrénées-Orientales (Saint-Estève, 13 janvier 1924) : il y représenta, avec deux de ses camarades, la section de Rivesaltes.

Il fut candidat du Parti communiste aux élections législatives du 14 mai 1924 dans le département des Pyrénées-Orientales (liste de « Bloc ouvrier et paysan » avec Joseph Cassuly* et Anselme Rosarde*) : avec 3 240 voix (sur 61 099 inscrits et 48 484 votants) il arriva en tête des candidats de sa liste (Cassuly : 2 923 ; Rosarde : 2 926) ; les candidats du « Cartel des gauches », les radicaux Victor Dalbiez et Pierre Rameil ainsi que le socialiste SFIO Jean Payra furent élus. Les trois candidats du Parti communiste, épaulés par des militants locaux comme André Gendre* de Millas firent une ardente campagne ; mais ils n’obtinrent un nombre conséquent de suffrages que dans les localités où le Parti communiste, implanté depuis sa fondation, avait pris le relais des guesdistes du Parti socialiste unifié.

Alors que la campagne pour les élections législatives battait son plein, éclata ce que l’on appela « l’affaire Cabanes ». Le 1er Mai 1924 l’influent quotidien perpignanais, l’Indépendant des Pyrénées-Orientales annonçait qu’on aurait remis à François Cabanes un chèque de 5 000 francs. Par la suite l’organe officieux de la SFIO locale, Le Cri Catalan, accusa Cabanes d’avoir encaissé ledit chèque le 24 mai 1924. Pendant quelques mois « l’affaire » en resta au même point. Le 12 septembre 1924, François Cabanes présidait encore, à la salle des conférences de la mairie de Rivesaltes, une réunion de la Jeunesse communiste devant un auditoire d’environ 500 personnes.

Le 11 octobre 1924 Le Cri Catalan affirmait que le chèque de 5 000 francs avait été remis à François Cabanes par Emmanuel Brousse, vieux leader départemental du Parti républicain progressiste et député des Pyrénées-Orientales de 1906 à 1924. La logique de Jean Payra, leader de la SFIO catalane, candidat du Cartel des gauches et propriétaire du Cri Catalan était simple : la candidature de Cabanes et de deux autres militants communistes faisait le jeu de la droite ; il était donc normal que se produisît une collusion entre celle-ci et le Parti communiste. L’Indépendant des Pyrénées-Orientales, principal organe de la droite républicaine du département prétendit, au contraire, que c’était le radical-socialiste Jules Pams (candidat malheureux à la présidence de la République en 1913) qui avait fait remettre le chèque en question à François Cabanes. Celui-ci aurait été encaissé à la Banque nationale de crédit. Convoqué devant les instances fédérales du Parti communiste, le 11 octobre 1924, François Cabanes fit une autocritique écrite à propos du chèque qu’on lui avait remis et donna celui-ci au bureau fédéral. On lui demanda également de remettre les délégations qu’il tenait du Parti au conseil d’arrondissement de Perpignan et au conseil municipal de Rivesaltes ; il était en outre exclu du Parti communiste (provisoirement, semble-t-il).

Le chèque aurait été remis à François Cabanes par un certain Continsouza qui dirigeait une entreprise de mécanique de précision. Continsouza semble bien avoir été en définitive un intermédiaire entre Jean Payra et François Cabanes. Le leader de la SFIO aurait en effet imaginé cette provocation afin d’affaiblir le Parti communiste ; en accusant, dans Le Cri Catalan, Emmanuel Brousse et ses amis d’avoir en quelque sorte financé la campagne du Parti communiste, il faisait d’une pierre deux coups : député fraîchement élu, il fit d’ailleurs une intervention à la Chambre où, évoquant « l’affaire Cabanes », il lia le cas de Continsouza à celui d’Emmanuel Brousse, qu’il accusa d’avoir été le « liquidateur des stocks américains » lorsqu’il était sous-secrétaire d’État aux finances dans le cabinet Millerand. Pour des militants comme Émile Dardenne*, André Gendre*, Joseph Guisset* il ne fait aucun doute que ce fut Jean Payra qui fit donner le chèque de 5 000 francs à François Cabanes. Pour le rivesaltais Émile Dardenne, celui-ci était de bonne foi et n’a pas agi en fonction de ses intérêts personnels. En effet, François Cabanes a bien accepté le chèque mais il n’a pas accepté les autres propositions de Jean Payra de le faire embaucher comme régisseur d’un mas aux appointements de 5 000 francs annuels plus un pourcentage sur la récolte, car la contre partie était qu’il abandonnât sa candidature (témoignage de M. André Gendre et intervention de Joseph Cassuly lors d’une réunion publique à Rivesaltes, le 15 novembre 1924) ; d’ailleurs François Cabanes n’avait-il pas remis le chèque à son parti ?

Lors de la réunion publique du 15 novembre 1924, François Cabanes prit la parole et affirma que « le jour n’est pas loin où il reprendra la tête du Parti communiste et plus révolutionnaire qu’auparavant ». Pourtant le Bureau politique décida le 1er décembre 1924 de l’exclure. Cette sanction ne semble pas avoir été appliquée.

D’après M. Émile Dardenne qui dirigea pendant de très nombreuses années le Parti communiste à Rivesaltes, François Cabanes demeura militant de son parti auquel il resta fidèle jusqu’à sa mort. Mais il ne devait plus jouer aucun rôle en son sein.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article103180, notice CABANES François, Bonaventure, Étienne par André Balent, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 11 septembre 2022.

Par André Balent

SOURCES : Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 2 M 5 247 ; versement du cabinet du préfet (16 septembre 1959), liasse 111 (Parti communiste et CGTU, 1921-1924), rapport du commissaire de police de Rivesaltes au préfet des Pyrénées-Orientales (9 mai 1921), rapport du commissaire spécial de Perpignan au préfet des Pyrénées-Orientales (4 janvier 1923), rapport du commissaire spécial de Perpignan au préfet (27 janvier 1923), concernant une réunion à Rivesaltes, rapport du commissaire spécial de Perpignan (27 janvier 1923) concernant une réunion à Estagel, rapport du commissaire central de Perpignan au préfet (12 novembre 1922), rapport du commissaire spécial de Perpignan au préfet des Pyrénées-Orientales (14 janvier 1924), rapport du gendarme Escande, commandant la brigade de Rivesaltes (13 septembre 1924), rapport du commissaire de police de Rivesaltes au préfet des Pyrénées-Orientales (16 novembre 1924). — I.M.Th., bobine 64. — Le Socialiste des Pyrénées-Orientales, organe hebdomadaire de la Fédération socialiste des Pyrénées-Orientales (1902-1914). — Le Cri Catalan, hebdomadaire (officieux) de la Fédération socialiste des Pyrénées-Orientales, 10 janvier 1920, 5 mai 1923, 17 mai 1924, 11 octobre 1924, 18 octobre 1924. — l’Ordre nouveau (Toulouse), 25 mai 1923. — Horace Chauvet, La Politique roussillonnaise (de 1870 à nos jours), Perpignan. 1934. — Interview de M. Émile Dardenne, militant du PCF à Rivesaltes. — Interview de M. André Gendre, militant du PCF à Millas. — A. Balent et M. Cadé, Histoire du Parti socialiste dans les Pyrénées-Orientales de sa fondation (1895) au congrès de Tours (1920), numéro hors-série de Conflent, Prades, 1982. — A. Balent, Historia de les organitzacions obreres a Catalunya-Nord (1851-1914), rédigé en catalan « Centre pluridisciplinari d’Estudis catalans » de l’Université de Perpignan, 1977. — Renseignements fournis par M. le secrétaire de mairie de Rivesaltes (lettre du 10 juin 1982).

ICONOGRAPHIE : A. Balent et M. Cadé, op. cit.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable