AUBERT Édouard

Par Maurice Moissonnier

Né le 23 octobre 1908 à Lyon (VIe arr., Rhône), mort le 6 novembre 1971 à Fleury-Mérogis (Essonne) ; militant communiste ; militant syndical, secrétaire général du syndicat CGT du Textile de Lyon puis secrétaire fédéral du Textile ; résistant ; déporté ; membre du comité central du Parti communiste ; membre du conseil général de la Fédération syndicale mondiale.

Édouard Aubert fut, dans sa famille un tard venu. Au foyer des Aubert, rue de la Viabert il naquit alors que son père était âgé de quarante-huit ans et sa mère de quarante-deux ans. Son frère, François, avait dix-neuf ans et sa sœur, Élise, vingt-deux ans. Le père du jeune Édouard était un ouvrier hautement qualifié, chef teinturier chez Gillet, issu d’une famille de moyenne bourgeoisie. Édouard Aubert écrivit vers 1937 : « Mon père, mort en 1928, avait des opinions très inconstantes. D’un naturel bon, sensible, les occupations successives de contremaître et de directeur, le grisèrent un peu en apportant une large aisance à la maison. Il aimait les honneurs, les titres et s’efforçait à fréquenter les gens plus aisés que lui. » (questionnaire autobiographique, RGASPI, Moscou, 495 270 254). Sa mère était originaire d’une famille de mineurs de Bessèges, aînée de onze enfants. Le foyer connaissait une relative aisance lorsqu’éclata la guerre de 1914. François fut mobilisé et fait prisonnier tandis que le mari d’Élise fut tué au front. À son retour de captivité, François accepta de la direction du trust Gillet un poste de confiance dans une filiale installée près de New York. Brillant élève, formé aux disciplines sportives par le second mari d’Élise - un ancien champion cycliste -, amateur de musique et de spectacle, Édouard Aubert était un adolescent au caractère entier et à la répartie vive. Un incident mit fin à ses études et il entra en apprentissage pour devenir, comme son père, teinturier.

Son éducation terminée, il décida d’aller aux États-Unis retrouver son frère et, en mai 1926, à dix-sept ans, il s’embarqua pour le Nouveau monde. C’est là que l’attendait la première épreuve qui contribua à orienter sa vie militante. Frère du directeur, confortablement installé, il devint chef d’équipe et dirigeait des ouvriers noirs avec lesquels il sympathisait. Au cours de l’année 1927, à l’occasion d’une grève, il se solidarisa avec les travailleurs et son attitude entraîna la rupture totale avec son frère. Au printemps 1927, il s’installa à New York à la recherche d’un emploi, dans une ville brillante où fleurissait le gangstérisme et où il devait partager sa chambre avec un émigré polonais. Pendant deux ans, en tant que danseur mondain, trompettiste ou joueur de banjo, il travailla dans de nombreux cabarets. Il rencontra des anarchistes, s’intéressa à leurs idées, participa aux manifestations pour Sacco et Vanzetti.

En mars 1929, cependant, pour éviter d’être porté déserteur, il rentra en France afin d’accomplir son service militaire, nanti d’une expérience originale et capable de parler couramment l’anglais. Il fut incorporé au 506e RCC à Pontarlier et, dès sa libération, s’employa à retrouver rapidement un emploi dans son ancien métier : son père, malade et aveugle, était mort avant son retour, en janvier 1929, et il fallait subvenir aux besoins de sa mère car les économies du vieux ménage avaient fondu. Il semble avoir été employé dans plusieurs entreprises et avoir été renvoyé plusieurs fois pour avoir fait grève le 1er Mai. Il passa dans plusieurs usines, Gillet à Vaise, puis à Villeurbanne rue Flachet. C’est en 1933 qu’il donna son adhésion à la CGTU, en dépit des préventions anarchisantes qu’il nourrissait à l’endroit des appareils syndicaux. Au début de son action militante, il fut en butte à de nombreuses pressions du directeur général du trust qui, en raison de ses origines familiales, lui offrit, en échange de la cessation de ses activités, un poste responsable dans une nouvelle usine en construction à Buenos-Aires. En 1934, à la suite d’une grève conduite avec son ami Jean Gacon, il fut une nouvelle fois licencié. Son activité syndicale se développa à partir de cette période et, parallèlement, son activité politique car il avait donné son adhésion au Parti communiste et était devenu secrétaire du syndicat CGTU du textile. En 1935, avec Émile Cochard il conduisit avec succès une grève de quarante-cinq jours à la TASE de Vaulx-en-Velin, puis fut élu secrétaire général du syndicat CGT textile de Lyon et banlieue après la réunification en même temps que délégué titulaire du conseil national de la Fédération du textile pour la 9e région fédérale.

C’est à ce titre qu’il dirigea, avec une autorité et une intelligence qui frappa tous les témoins, en juin 1936, les discussions paritaires sur les salaires dans les teintures et apprêts, la bonneterie, les blanchisseries les textiles artificiels et les moulinages. Il se dépensait sans compter, avec un dynamisme étonnant, présent dans les usines occupées, multipliant les meetings, dormant très peu. Il faisait preuve d’une imagination débordante et se lançait dans des innovations qui contribuaient à consolider l’organisation syndicale : « enterrement » des 48 heures au cours d’une grande manifestation au centre de Lyon, prise en compte des problèmes techniques et résolution de ceux-ci lorsque se déroule, après les grands mouvements de juin, une nouvelle grève à la Rhodiacéta de Lyon-Vaise, grand bal du textile, pour la première fois au Palais d’Hiver, cossu dancing à la mode, ordinairement réservé aux manifestations mondaines, création sous l’égide du syndicat, d’une section « Textile-Sport » à la FSGT. Il consacra une partie de son temps à l’organisation de la solidarité aux républicains espagnols, confiant les problèmes pratiques à son lieutenant et ami Pierre Lachaize. Délégué au congrès confédéral de Nantes en 1938, il soutint l’idée d’une politique de fermeté à l’égard des entreprises hitlériennes et combattit à Lyon l’action du professeur Émery qui, à l’intérieur de la CGT développait toute une argumentation favorable à l’apaisement. Dans le même ordre d’idées, au congrès fédéral du textile de Paris, en 1939, il s’opposa avec vigueur aux thèses pro-munichoises des amis de Vandeputte tout en s’efforçant de combattre les tendances à la scission qui apparaissaient alors. À l’issue de ce congrès, il fut élu secrétaire fédéral.

Lorsque survint la guerre, Aubert fut mobilisé dans un régiment de chars d’assaut à Valence ; auparavant, il participa à une dernière commission exécutive du syndicat du textile de Lyon et banlieue destinée à réorganiser la direction syndicale. Il parvint à maintenir le contact avec les militants demeurés à Lyon et, par ce moyen, s’opposa aux efforts de Vivier-Merle, secrétaire de l’UD qui s’efforçait de faire avaliser par les syndicats locaux la condamnation du pacte germano-soviétique et de l’intervention en Pologne émise par la majorité confédérale. Fait prisonnier en 1940, lors de l’offensive allemande, il parvint, après plusieurs tentatives d’évasion, à se « glisser » dans un convoi sanitaire et revint à Lyon en novembre 1941. Caché à Vernaison (Rhône), il s’efforça immédiatement d’organiser la résistance à l’occupant. Il profita du décès d’un nommé Marius Laurenson, pauvre hère mort de congestion un soir de beuverie, pour récupérer des papiers irréprochables et, sous ce nom, exercer les fonctions de directeur commercial de la FIOMA (fabrique de courroies et agrafes de courroies). Ces fonctions lui permirent de couvrir une activité clandestine importante : impression de journaux et de tracts, constitution avec Émile Cochard, André Morcel et Pierre Ringioni (voir ces noms) d’un groupe armé qui devint la 1ere compagnie des Francs-tireurs et Partisans de Lyon et commença à saboter les pylônes et les transformateurs et à couvrir les actions de résistance dans les usines de l’agglomération lyonnaise.

Le 15 septembre 1943, il fut arrêté par la police de Vichy ; évadé du commissariat de police où il était détenu, il se fit reprendre quelques jours après. Un tribunal d’exception le condamna aux travaux forcés. Il passa successivement à la prison Saint-Paul de Lyon puis à la Centrale d’Eysses à Villeneuve-sur-Lot. Dans ces deux prisons il donna l’exemple de l’optimisme et de la combativité comme le 8 décembre 1943 lorsqu’il prit la tête d’une manifestation destinée à empêcher le départ en Allemagne de détenus, ou comme le 19 février 1944 lors du soulèvement des détenus d’Eysses. Compris dans le contingent de vingt otages choisis pour subir les représailles après l’échec du mouvement, il fut transféré à Blois entre le 18 mai et le 17 juin 1944 et, avec ses camarades, il parvint à sortir un journal clandestin intitulé Vengeance. Conduit ensuite à Compiègne, il fit partie du tragique convoi de la mort qui, au début de juillet 1944 amena en trois jours et deux nuits les prisonniers à Dachau.

Survivant du terrible commando d’Hersbrück, Aubert fut rapatrié en 1945 et reprit sa place au secrétariat général de la Fédération CGT du textile. De 1947 à 1951, Édouard Aubert fut membre du Conseil économique. Il se maria en 1947 avec Denise Séguy, la sœur de Georges Séguy ; il se séparèrent à la fin des années cinquante. Le couple eut deux enfants : Jacques et Gérald.

En juin 1947, il fut élu membre suppléant du comité central du PC lors du congrès de Strasbourg mais perdit cette fonction au congrès de Gennevilliers (avril 1950). Deux ans plus tard, en 1949, il participa à la fondation de l’Union internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et des cuirs et peaux dont il devint le vice-président en même temps que membre du conseil général de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM).

Sa connaissance de l’anglais lui permit de jouer sur le plan international un rôle efficace et il avait déjà participé, en avril 1937 à la conférence tripartite textile qui se tint à Washington. Il visita la Chine et séjourna en 1955 en URSS

Il militait à la cellule Lucien Sampaix de la section de Maisons-Alfort (Seine, Val-de-Marne) où militait son épouse Denise Séguy (la sœur de Georges Séguy. Ils s’étaient mariés en 1947 et séparés à la fin des années 1950. Ils eurent deux fils, Jacques et Gérald. Il vécut alors avec Simone Mourot (1933-2002).

Après le congrès fédéral du textile de Gérardmer, en mai 1971, Édouard Aubert dut subir des interventions chirurgicales. Il fut atteint d’un cancer et mourut le 6 novembre 1971 alors qu’il était hospitalisé à la clinique des déportés de Fleury-Mérogis.

Édouard Aubert était titulaire de la Croix de guerre et de la médaille de Chevalier de l’Ordre républicain du mérite civil et militaire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10350, notice AUBERT Édouard par Maurice Moissonnier, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 21 janvier 2022.

Par Maurice Moissonnier

SOURCES : Arch. UD-CGT du Rhône. — RGASPI, Moscou, 495 270 254. — Interviews de MM. Cochard, Perrin, Lachaize. — Édouard Aubert, Jusqu’au bout, édité par la Fédération CGT du Textile, 1973. — Le Monde, 11 novembre 1971. — Le Réveil du Val-de-Marne, n° 239, 11 novembre 1971.

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