CARETTE-BOUVET

Par G. Oved

Né vers 1867 ; mort le 3 mai 1933. Journaliste socialiste à Casablanca : la plus importante figure de la gauche française au Maroc entre 1920 et 1930.

On n’a pas de renseignements sur les débuts de Carette-Bouvet ; on ignore, en particulier, quels ont été ses premiers engagements politiques. On sait seulement que né en 1866 ou 1867, il arriva au Maroc avant 1914 ; il était employé à la régie des Tabacs et collabora, à titre bénévole, aux Annales marocaines, hebdomadaire non conformiste, créé à Tanger par Christian Houel et transféré à Casablanca à la fin de 1913. En 1921, Carette-Bouvet fonda à Casablanca un hebdomadaire de langue arabe, Akhbar Maghribia (les Nouvelles marocaines) avec la collaboration d’un jeune fassi, Bedreddine ben Fatmi ben Driss el Bedraoui, Ce journal vantait les succès des Kemalistes, préconisait certaines réformes dans le Protectorat, notamment en matière d’enseignement indigène et entamait une polémique avec l’organe de la Résidence générale, Es Sâada. Il disparut au bout de quelques mois.

En 1923, Carette-Bouvet lança le Cri Marocain qui allait devenir le grand hebdomadaire de la gauche française au Maroc. Publié sous la mention « républicain indépendant, organe du commerce, de l’agriculture et de l’industrie », il devint en 1926 le « journal officiel SFIO » et, plus simplement, en 1928, le « journal socialiste à Casablanca ». Bi-hebdomadaire de quatre pages à partir de 1926, son tirage aurait été de 6 000 exemplaires en 1926 et de 7 000 en 1928.

Membre de la section socialiste de Casablanca, Carette-Bouvet ne se posait pas en révolutionnaire. Il considérait le Protectorat comme un fait accompli qu’il n’est pas question de remettre en cause, mais il reprochait à la Résidence d’avoir une politique anti-sociale et insuffisamment soucieuse des intérêts des masses marocaines. Par-dessus tout, il détestait l’administration militaire. Il se réjouit du remplacement de Lyautey par Steeg, mais il s’inquiéta du maintien en fonctions de certains officiers généraux dont il dénonçait les imprudences et l’arbitraire. En particulier, au début de 1926, il lança une violente campagne contre le général de Freydenberg, commandant la région de Meknès, qu’il accusait de laisser dépouiller les Marocains de leurs terres, au profit de certains affairistes. Le 26 avril, en pleine guerre du Rif, il fut arrêté sous l’inculpation d’avoir aidé des déserteurs. Avec lui étaient inculpés six de ses amis, socialistes et syndicalistes, parmi lesquels Arrighi et Champion* , tous deux cheminots. Écroué, Carette-Bouvet fut libéré le 12 mai, mais dut attendre le 17 juillet pour qu’une ordonnance de non-lieu soit rendue en sa faveur. L’affaire fit grand bruit ; en France, elle donna lieu à une interpellation à la Chambre, le 11 juin 1926, du député socialiste Henry Fontanier ; la Ligue des droits de l’Homme, la Grande Loge de France, le Syndicat des journalistes demandèrent que toute la lumière soit faite sur une opération qui apparaissait progressivement sous son véritable jour : une provocation militaire et policière destinée à établir l’existence d’une « agence de désertion » et d’une contrebande d’armes organisée par des militants de gauche au profit d’Abd et Krim et à compromettre, en particulier, Carette-Bouvet. L’auteur principal de la machination était le général Freydenberg, celui-là même que le Cri marocain avait accusé de favoriser la spéculation foncière dans la région de Meknès au détriment des paysans marocains. Painlevé refusa cependant de prendre des sanctions contre Freydenberg, et Steeg chercha à dégager sa responsabilité devant la Ligue des droits de l’Homme : il était absent du Maroc au moment des arrestations et il promit de veiller à ce que de tels « incidents » ne se reproduisent plus.

Les attaques dont Carette-Bouvet était l’objet ne cessèrent pas et même devinrent de plus en plus violentes. Dans une société coloniale où même les éléments français réputés de gauche vivaient à l’écart des Marocains, le journaliste établit avec un grand nombre d’entre eux des relations amicales et confiantes, les incitant à dénoncer les abus de l’administration. Le Cri marocain était lu régulièrement par une jeunesse qui dans ces années 1926-1930 s’organisait sur la base d’associations d’anciens élèves des Collèges musulmans et des écoles de notables, foyers du mouvement nationaliste. Certains d’entre eux écrivaient dans le journal. Aux yeux de la police et des services spéciaux, Carette-Bouvet était considéré peu à peu comme un communiste et un communiste dangereux et le Cri marocain était dénoncé comme « l’organe principal de la propagande bolcheviste dans le monde musulman » (rapport du chef de la Sûreté régionale de Fès, 29 juillet 1927). Carette-Bouvet se moquait de la phobie anticommuniste des policiers, stigmatisait les procédés utilisés par les militaires pour la « pacification » du Maroc, dénonçait sans relâche l’affairisme. Bien qu’il fût toujours membre du Parti socialiste, il affirmait de plus en plus son indépendance au sein d’une Fédération à laquelle il reprochait de rester étrangère aux problèmes de la population marocaine. Il se méfiait de Le Nabec* , dont il dira dans une lettre qu’il était « l’homme de paille d’Épinat » (Banque de Paris et des Pays-Bas). Ses amis véritables étaient Antonelli* et Yves Farge* et il correspondait en France avec Jean Longuet*. À l’opposé des socialistes du Protectorat, il accueillit avec une grande sympathie Maghreb, la revue lancée à Paris en 1932, par Robert-Jean Longuet*, avec la collaboration des Jeunes Marocains, pour faire connaître le mouvement nationaliste. Il mourut à 66 ans, le 3 mai 1933. Le Cri marocain allait modifier profondément son orientation et tomber progressivement sous l’influence des services de la Résidence.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article103782, notice CARETTE-BOUVET par G. Oved, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 4 mai 2021.

Par G. Oved

SOURCES : Arch. Nat. (Fonds Painlevé). — Service historique de l’Armée (dossiers du cabinet militaire du Résident général de France à Rabat). — Entretiens avec Robert-Jean Longuet*. — « La Gauche française et le nationalisme marocain — 1905-1955 », thèse d’État en préparation, de Georges Oved, qui consacre une assez grande place à Carette-Bouvet.

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