AUDIN Maurice

Par René Gallissot

Né le 14 févier 1932 à Béja (Tunisie), mort à une date inconnue suite à son arrestation le 11 juin 1957 ; arrivé en famille à Alger en 1940, étudiant communiste de la Faculté d’Alger, études de mathématiques ; adhésion au PCA en 1951 ; depuis 1953, assistant à la Faculté des sciences en préparant une thèse de doctorat soutenue in absentia par suite de sa disparition. Ce fut l’« Affaire Audin ». Le procès et la reconnaissance de la vérité restent sans aboutissement en raison de l’amnistie des crimes « liés aux événements d’Algérie ».

Maurice et Josette Audin

La famille suivit les déplacements du père gendarme en service dans le Protectorat de Tunisie où Maurice Audin naquit, puis passa par Bayonne avant l’installation à Alger en 1940, le père étant démobilisé. Né à Lyon en 1900, son père avait fait divers petits métiers à Lyon et à Paris, avant de s’engager dans l’armée le jour de ses dix-huit ans Il fut envoyé au Maroc pendant la guerre du Rif avant d’être affecté en Algérie. C’est lors de ce casernement dans l’Algérois, qu’il rencontra et épousa Alphonsine Fort, née près de Koléa au bord de la Mitidja dans une famille à la vie difficile de très petits colons, proche de celle des ouvriers agricoles. Veuve, la mère éleva plusieurs enfants ; très jeune, Alphonsine avait été placée comme fille de service dans des familles de colons. Après leur mariage, le père officia comme garde forestier en Kabylie. Il tenta un retour à Lyon en devenant ouvrier avant d’être réduit au chômage dans la crise de 1929-1930. Il se réengagea alors dans la gendarmerie et fut envoyé en Tunisie. C’est donc après quinze ans d’armée, qu’il revint avec sa famille en 1940 à Alger. Il présenta le concours des Postes et resta postier à Alger jusqu’à sa retraite en 1962.

Après être passé par plusieurs écoles primaires, Maurice Audin entra au lycée Gauthier d’Alger à la rentrée d’octobre 1942. Le débarquement allié du 8 novembre 1942 perturba un temps la scolarisation en faisant servir le lycée à l’hébergement de troupes. En tant que fils de gendarme, Maurice Audin entra à l’école des enfants de troupes qui se trouvait alors à Hammam Righa dans le haut Chélif, et où on était interne sous uniforme et règlement militaire ; il y suivit la scolarité jusqu’au brevet à la fin de la 3e et passa ensuite à l’École militaire qui faisait fonction de lycée à Autun. Après son succès à la première partie du baccalauréat, Maurice Audin obtint de ses parents le rachat du prix de ses études auprès de l’armée pour retrouver Alger et le lycée Gauthier en classe de Math-élém. ; il réussit la seconde partie du baccalauréat.

En 1949, il entra à la Faculté des sciences d’Alger pour suivre des études de mathématiques : licence, diplôme d’études supérieures. Il se distingua et fut ainsi appelé à partir du 1er février 1953 comme assistant à la Faculté par le professeur René de Possel qui le prit en thèse sous sa direction et le mit en contact avec son patron de Paris, le grand mathématicien Laurent Schwartz*. Maurice Audin venait de se marier avec Josette Sempé le 24 janvier 1953 ; ils eurent bientôt trois enfants : Michèle née le 3 janvier 1954, et pendant la guerre d’Algérie, Louis né le 18 octobre 1955, et en pleine montée de la Bataille d’Alger, Pierre né le 28 avril 1957. Josette Audin avait pris un poste d’adjointe d’enseignement.

Les jeunes gens se rencontrèrent tant sur les bancs de la Faculté des sciences qu’aux réunions de la cellule des étudiants communistes de l’Université. Josette Sempé était née dans une famille de petits fonctionnaires installée en Algérie depuis trois générations ; elle était membre du PCA depuis 1950 et Maurice Audin y adhéra en 1951. Dans ces années de guerre froide, ils participèrent en commun à la campagne communiste contre l’intervention américaine en Corée conduite par le Mouvement de la paix et à celle contre la guerre coloniale française d’Indochine. Par anticolonialisme et par adhésion à l’indépendance d’une Algérie algérienne, ils se trouvaient entraînés avec la part active du PCA dans le soutien du mouvement de libération, quelles que soient les réserves vis-à-vis du FLN qui tenaient les communistes en marge. Depuis septembre 1955, le PCA était interdit et les communistes les plus notoires ou repérés, voués à la clandestinité.

Pendant leur « Bataille d’Alger », les parachutistes du général Massu qui avait reçu les pleins pouvoirs de police, étaient à la recherche des responsables communistes Paul Caballero et André Moine*. Après l’arrestation de Georges Hadjadj, médecin communiste, qui avait soigné Paul Caballero accueilli un temps au domicile de la jeune famille Audin, le 11 juin 1957 à onze heures du soir, des parachutistes arrêtèrent Maurice Audin ou plutôt l’enlevèrent, et le conduisirent aussitôt dans cet immeuble d’El Biar qui servait aux interrogatoires sous tortures. Le lendemain, 12 juin, ils arrêtèrent Henri Alleg* qui arrivait à l’appartement. Il fut emmené également à ce centre de tri d’El Biar. Dans son témoignage La Question, publié en février 1958, Henri Alleg dit avoir été mis en face de Maurice Audin ; « c’est dur, Henri » sont ses derniers mots connus. Impossible de savoir ce qui est advenu de Maurice Audin jusqu’au 1er juillet 1957. Le colonel Trinquier annonça alors à Josette Audin qu’il s’était évadé, ce qui signifiait sa disparition du fait de l’armée française, ou plus exactement sa mort après torture.

Une plainte contre X pour homicide volontaire fut déposée à Alger ; sans résultats. Mieux même, le 31 janvier 1959, une ordonnance de mise en jugement pour « reconstitution de ligue dissoute et atteinte à la sûreté de l’État » fut prononcée contre un certain nombre de communistes dont Henri Alleg, condamné à dix ans de prison, et Maurice Audin. Allait-on juger un mort ? À Paris, L’Express publia une caricature du dessinateur Tim : « Accusé Audin, levez-vous ». Le cas Audin fut disjoint.

Dès juillet 1957, Josette Audin multiplia les appels. Le Monde publia une de ses lettres le 13 août 1957. Une pétition universitaire fut lancée par les jeunes assistants de la Sorbonne, Michel Crouzet et Luc Montagnier, membres de la cellule communiste de la Sorbonne. La campagne contre la torture s’éleva en France en prenant pour exemple l’Affaire Audin. Laurent Schwartz organisa sa soutenance de thèse à la Sorbonne le 2 décembre 1957 (mention très honorable). À la mort du doyen honoraire de la Faculté des sciences Albert Chatelet*, il lui succéda à la présidence du Comité Audin ; il créa en 1959 un prix Maurice Audin de recherche en mathématiques. Les professeurs Jean Dresch* et Henri-Irénée Marrou* furent les vice-présidents du Comité dont les animateurs étaient Michel Crouzet, secrétaire général, Luc Montagnier, trésorier, et le jeune historien Pierre Vidal-Naquet* qui réunit les informations et témoignages, reconstitua les faits autant que faire se peut, et dénonça le travestissement de l’assassinat en évasion. Il publia en 1958 aux éditions de Minuit L’Affaire Audin. Bien que les instructions du PCF étaient de placer la campagne sous l’égide du Mouvement de la paix — et sur commande hiérarchique, Michel Crouzet fut exclu de la cellule Sorbonne-Lettres à la fin de 1958 pour ses critiques de la direction du PCF —, le Comité Maurice Audin amplifia la campagne de dénonciation des crimes et mensonges d’État en Algérie. Il soutint un long procès en diffamation contre le journal La Voix du Nord qui mettait en cause l’honnêteté de ses investigations. Il contribua à la publication des cahiers Témoignages et documents à partir de 1959 et de l’hebdomadaire Vérité et Liberté à partir de mai 1960.
Saisie par Edmond Michelet, Garde des sceaux du gouvernement du général de Gaulle, la Chambre criminelle de la Cour de cassation décida le 11 avril 1959, le transfert de l’instruction au tribunal de Rennes ; ironie, c’est au tribunal militaire de Rennes qu’en 1899, justice n’avait pas été rendue au capitaine Dreyfus. L’instruction fut lente car les militaires se défilaient ou venaient à reculons. La vérité était autant — dire presque totalement — connue après les auditions de Paul Teitgen, au moment des faits secrétaire général de la police à Alger, et de Jean Builles, le Commissaire central de la ville d’Alger qui rapporta les informations des officiers de police. « L’évasion d’Audin n’avait été qu’un simulacre..., il était mort le 21 juin (1957) au cours d’un nouvel interrogatoire et inhumé dans la citadelle de Fort-L’empereur ». « Dans un accès de colère motivé par ses réticences », il avait été étranglé par le lieutenant qui conduisait les séances de tortures. Au nom du Comité Audin, Pierre Vidal-Naquet rendit publique la vérité dans un article : « La mort de Maurice Audin » (Libération, 3 décembre 1959).

Au début de juin 1961, les avocats de Josette Audin requérirent de nouvelles mesures d’instruction ; en vain car le juge fit tout pour gagner du temps. Une ordonnance de non-lieu fut prononcée le 20 avril 1962 au titre du décret d’amnistie du 22 mars 1962, préconisée par les Accords d’Évian, pour les faits concernant « les opérations de maintien de l’ordre en Algérie ». L’appel fut rejeté ; la loi d’amnistie du 18 juin 1966 stipule une application qui touchait directement l’Affaire Audin, en incluant spécifiquement les infractions « commises dans le cadre d’opérations de police administrative ou judiciaire » dirigées contre l’insurrection algérienne. C’est après l’indépendance de l’Algérie, le 1er juin 1963, que le tribunal de grande instance d’Alger établit l’acte de décès de Maurice Audin.

En France, si plusieurs cellules communistes prirent le nom de cellule Maurice Audin, les autorités publiques veillèrent à proscrire sa mémoire. Le préfet de l’Isère, s’opposa, dès 1962, à ce que la municipalité d’Échirolles donne à une rue de la ville aux portes de Grenoble, le nom de Maurice Audin. La même interdiction tomba quinze jours plus tard sur la municipalité de Romilly-sur-Seine (Aube), ville historique du mouvement ouvrier. En mars 1968, un triple recours de Josette Audin fut rejeté, car les délais étaient dépassés, Maurice Audin étant déclaré légalement mort depuis le 1er juin 1963. Au contentieux, le 11 janvier 1978, le Conseil d’État lève la prescription, mais déclara l’incompétence du tribunal.
En Algérie, le 4 juillet 1963, au lendemain de l’anniversaire de l’indépendance, Josette Audin reçut la citoyenneté algérienne. Le nom de Maurice Audin fut donné à une place du centre actif d’Alger, point crucial de circulation et de lignes d’autobus et de taxis (en attendant le métro), aussi ce nom d’Audin est-il resté très courant. Josette Audin et ses enfants quittèrent l’Algérie en juin 1966 pour s’installer dans la région parisienne ; c’était un an après le coup d’état militaire. Après « les émeutes d’octobre 1988 », le ministère algérien des anciens moudjahidines informait Josette Audin que la Commission nationale de contrôle avait reconnu Maurice Audin comme membre, pendant la guerre, de l’Organisation civile du Front de libération nationale. Maurice Audin est un chahid (martyr) mort pour l’Algérie.

Sous la présidence de François Mitterrand*, la loi du 3 décembre 1982 élargit l’amnistie aux actions de l’OAS et rétablit les anciens insurgés dans leurs droits. À l’initiative de Robert Badinter, devenu Garde des sceaux, en novembre 1983, Josette Audin et ses trois enfants recevront une indemnité ; Josette Audin avait été faite chevalier de la Légion d’honneur en juillet 1983. En 2 000, dans le retour d’attention à l’exercice de la torture en Algérie, une nouvelle plainte fut déposée pour séquestration et crime contre l’humanité, sans plus de résultat.
Le 26 mai 2004 le maire de Paris, Bertrand Delanoé, inaugura une place Maurice Audin dans le Ve arrondissement.

Josette Audin est décédée samedi 2 février 2019 au matin, à l’âge de 87 ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10420, notice AUDIN Maurice par René Gallissot, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 21 juin 2020.

Par René Gallissot

Maurice et Josette Audin

SOURCES : H. Alleg, La question, Éditions de minuit, 1958. — H. Alleg (ed.), La guerre d’Algérie, Temps actuels, 3 vol., 1982. — P. Vidal-Naquet, L’Affaire Audin, Éditions de minuit, 1958, réédition 1989, et La Raison d’État, Éditions de minuit, 1962, La torture dans la République, Éditions de minuit, 1972, Les crimes de l’armée française, Maspero, 1975, Face à la raison d’État, La Découverte, 1989. — S. Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001. — Correspondance de Josette Audin à R. Gallissot, octobre 2003. — Film sur Maurice Audin, la disparition http://www.editionsmontparnasse.fr/p1468/Maurice-Audin-la-disparition-DVD

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