AUGAY Jeanne [née PERRAS Jeanne]

Par Maurice Moissonnier

Née le 18 mai 1896 au Perréon (Rhône), morte le 17 janvier 1981 à Limas (Rhône) ; confectionneuse jusqu’en 1950 ; militante syndicale du textile qui a marqué de sa personnalité la vie sociale de Villefranche-sur-Saône (Rhône) entre 1917 et 1950.

Les origines sociales et l’enfance difficile de Jeanne Augay ont contribué sans aucun doute à son orientation politique et sociale. Sa grand-mère était la fille d’un marchand de charbons de Lyon qui se retira au Perréon et mit la mère de Jeanne à l’Assistance publique. Placée dès l’âge de quatorze ans, la jeune fille se maria avec un journalier et elle avait vingt-quatre ans lorsque naquit Jeanne Augay. Six ans plus tard — sans pour autant divorcer car les formalités étaient coûteuses — elle se sépara de son mari qui abusait de l’alcool. À cette époque la famille s’était installée à Villefranche-sur-Saône. La mère, qui prit sa fille en charge, s’installa alors dans un grenier aménagé rue d’Alger et entra à la maison de confection Déchavanne et Damiron où, pour trente sous par jour, elle posait des boutons et faisait des arrêts à la main. Pour gagner dix sous supplémentaires, elle travaillait également à domicile. Elle faisait face avec un courage peu commun aux difficultés de l’existence, déjouant les ruses de son ivrogne de mari qui avait cherché à vendre les biens du ménage et, au moment où sa fille était atteinte de la fièvre typhoïde, participant à la grève générale de 1905 qui marqua l’histoire locale et eut un retentissement national tel que la revue de Lagardelle Le Mouvement socialiste y consacra une étude.
Jeanne Augay fut donc très profondément marquée par la force de caractère de sa mère qui ne s’en laissait pas conter par ses employeurs et était animée d’un généreux esprit de révolte. Elle suivit les cours de l’école primaire de la place Claude Bernard à Villefranche mais, malgré ses bons résultats, elle ne put entrer dans la classe du Certificat d’étude car sa mère était à bout de ressources et elle la plaça à Arnas dès l’âge de onze ans, chez des paysans, pour un salaire de trente francs par mois. Quatre ans plus tard, elle entra à la maison de confection Large et Baligand et y resta jusqu’à la déclaration de guerre qui provoqua une fermeture temporaire de cette entreprise. Jusqu’en novembre elle s’employa aux vendanges et à d’autres travaux agricoles avant de retrouver un emploi dans une maison de confection. Elle était alors mariée (depuis le 24 février 1912) et son mari était mobilisé. En janvier 1916, après une permission de son mari, elle se trouva enceinte et cacha son état pour pouvoir être embauchée à l’usine de matériel agricole Vermorel qui avait été reconvertie en fabrique d’obus. Elle travailla au tour jusqu’à son accouchement et, dix-huit jours après, reprit son travail doublant même ses journées, les semaines où l’horaire lui permettait d’aller travailler dans une maison de confection. Ce fut chez Vermorel qu’elle participa à sa première grève : un conflit de huit jours en 1916, dont l’objet était l’alignement des salaires de Villefranche sur ceux de Lyon. C’est alors qu’un syndiqué des Métaux lui conseilla d’aller prendre contact avec l’UD du Rhône. Après avoir fait une collecte pour payer le déplacement, elle rencontra H. Becirard* et Jeanne Chevenard* — voir ces noms. La grève remporta plein succès, le salaire journalier fut doublé et la création de délégués d’ateliers admise. Mais en 1917, faute de matières premières, l’usine Vermorel licencia. Frappé par cette mesure, Jeanne Augay s’embaucha dans la confection et fit des ménages. Lorsque, six mois plus tard, Vermorel redemanda du personnel, elle ne fut pas acceptée : la direction du personnel l’avait notée « à l’encre rouge »... Le 14 avril 1918, elle parvint à constituer le syndicat de la confection de Villefranche-sur-Saône et, presque aussitôt, prit l’initiative d’entreprendre une grève qui dura du 13 juin au 6 juillet 1918 à laquelle participèrent cinq cents travailleuses de la confection sur sept cent et qui aboutit à de substantielles augmentations de salaires (30 à 45 % en moyenne). Cette action eut en outre deux conséquences : elle provoqua la dissolution du syndicat patronal créé en 1917, dont les membres étaient en désaccord sur la conduite à suivre face aux grévistes, elle mit en vedette Jeanne Augay d’autant qu’un mouvement de grève générale lancé le 23 mai 1917 par l’UD du Rhône avait partiellement échoué à Villefranche. À cette époque, Jeanne Augay suivait l’orientation d’Henri Bécirard* comme le prouve une lettre en date du 14 mai 1918 à propos du congrès de Saint-Étienne des comités de défense syndicaliste. Elle était ralliée aux thèses de la minorité mais elle devait — disait-elle — adopter en public une attitude discrète, compte tenu de l’état de conscience qui prévalait dans son syndicat. Une autre grève du 28 juillet au 8 août 1919 qui devait aboutir à l’augmentation de 95 % de la prime de vie chère et à son incorporation au salaire de base, vint encore renforcer le prestige de Jeanne Augay. À cette époque, elle monta « l’Essai », coopérative ouvrière mais l’expérience échoua en 1921. Commença alors pour elle une période difficile. Elle ne trouvait des emplois que pour un salaire ridicule, le patronat organisé l’ayant mise à l’index. D’autre part, son mari ne comprenait pas son besoin de lutter et lui créait maintes difficultés. Elle faisait des ménages pour arrondir son maigre salaire mais elle avait conservé la direction de son syndicat de la confection. Lors de la scission, elle resta à la CGT confédérée et, en 1923-1924, elle appartint à la commission de chômage. Tombée malade, elle travailla en 1930 à la caisse mutualiste « Le Travail » mais le maire socialiste de Villefranche, Chouffet* en accord avec le secrétaire de l’UD du Rhône Vivier-Merle* l’écartèrent de la direction et de la gestion de cet organisme. Au début des années 1930, elle fut remplacée à la tête du syndicat de la confection, mais en 1936 elle reprit son poste et c’est elle qui, avec Alexandre Richetta*, signa les conventions collectives du textile en juillet et résista à la remise en cause des acquis par le patronat au début de 1937. Malgré ses efforts la grève du 30 novembre 1938 fut peu suivie à Villefranche-sur-Saône. En 1939, favorable aux thèses communistes, elle refusa malgré la vive pression du secrétaire de l’UL Ballandras* et du secrétaire de l’UD Vivier-Merle, de dénoncer le Pacte germano-soviétique. Elle dut se démettre de ses fonctions le 19 octobre et elle tenta alors de créer une association de défense des travailleuses mais lorsqu’elle fit une demande de local au maire Chouffet, celui-ci refusa. Pendant la Résistance, en 1943, elle fut à l’origine d’une manifestation de plusieurs milliers de femmes devant la sous-préfecture pour obtenir du pain. À la Libération, en 1944, elle reconstitua le syndicat de la confection et adhéra au Parti communiste. Entre 1945 et 1947, elle fut élue conseillère municipale sur la liste conduite par Alexandre Richetta. Elle resta à la tête du syndicat jusqu’en 1950 et garda jusqu’en 1975 les fonctions de conseillère prud’homme qu’elle détenait depuis 1936 (avec pour seule interruption la suspension qui la frappa entre le 22 février 1940 et la Libération). Elle était en outre responsable à l’Union des Vieux de France qu’elle avait contribué à relancer entre 1968 et 1970 à Villefranche-sur-Saône.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10449, notice AUGAY Jeanne [née PERRAS Jeanne] par Maurice Moissonnier, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 7 février 2013.

Par Maurice Moissonnier

SOURCES : Arch. UL-CGT de Villefranche-sur-Saône. — Arch. UD-CGT du Rhône. — Interview de l’intéressée. — Recherches de Bernard Regaudiat.

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