Par Justinien Raymond
Né le 19 novembre 1882 à Meyssac (Corrèze), mort le 21 février 1946 à Roquefort-les-Pins (Alpes-Maritimes) ; commis des postes ; maire de La Tour-du-Pin, conseiller général et député de l’Isère ; socialiste, puis conservateur.
Jean-Louis Chastanet, c’est ainsi qu’il se fit appeler, était le fils d’un petit propriétaire exploitant. Après des études primaires et primaires supérieures, il devint commis des PTT et exerça plusieurs années à Paris où, le 3 septembre 1907, à la mairie du XVIIIe arr., il épousa Marie-Louise Roche, fille d’un cordonnier de Saint-Yrieix (Haute-Vienne).
La modestie de ses origines confirmée par celle de son alliance, sa position de salarié le conduisirent au mouvement socialiste, qu’il rejoignit en 1900, et à l’action syndicale. C’est à cette dernière, alors périlleuse pour un fonctionnaire, qu’il donna d’abord l’essentiel de son activité avec toute la fougue de son tempérament. Il assista aux congrès de l’Association générale des agents des PTT à partir de 1903. Avec quelques camarades, il fut révoqué au début de mai 1909, à la suite de la grève des postiers. Il s’orienta résolument vers l’action politique avec l’auréole du martyr et y prit des positions extrêmes. Délégué de la fédération de la Seine au congrès de Saint-Étienne (avril 1909), déjà sous la menace de la sanction qui va le frapper, il préconisa une tactique électorale intransigeante, « le maintien des candidats au deuxième tour » (C. rendu p. 489). Au congrès de Nîmes (février 1910), il refusa le désistement pour tous les complices de Clemenceau et se prononça contre les retraites ouvrières. Quelques mois plus tard, la fédération socialiste SFIO de la Seine posa sa candidature dans la 2e circonscription du XVIIe arr. de Paris où il recueillit 1 103 voix sur 11 913 votants.
Au lendemain de ces élections, la fédération socialiste de l’Isère lui confia Le Droit du Peuple, son journal quotidien, dont il devint la cheville ouvrière à la place de Mistral élu député. Tout en assurant le secrétariat de rédaction de l’organe fédéral, J.-L. Chastanet assura une très active propagande dans le département de l’Isère, créant à Grenoble une École socialiste suivie. Pendant la guerre de 1914 à 1918, il se rangea aux côtés de Mistral, dans la minorité pacifiste. En 1919, il figura au deuxième rang de la liste des candidats socialistes SFIO menée par Buisset et composée selon l’ordre alphabétique. Alors que la moyenne des voix socialistes était de 29 594, Chastanet avec 29 520 ne fut pas élu. Il était alors membre de la commission exécutive de la fédération socialiste et, en décembre 1919, il fut au nombre des vingt-quatre élus socialistes au conseil municipal de Grenoble et choisi comme premier adjoint au maire P. Mistral. En 1920, tout en proclamant « la faillite de la IIe Internationale » (Le Droit du Peuple, 16 février 1920), il suggéra une conférence des partis socialistes occidentaux avant toute décision quant à l’affiliation internationale. En avril, au Gymnase de Grenoble, il donna sur « la Révolution qui vient » une conférence qui fit quelque bruit. Le ton modéré qu’il employa n’empêcha pas la presse adverse de relever sa tenue « sans faux-col, un chandail verdâtre usé sur le torse, les cheveux en broussaille et la barbe en bataille » (Le Petit Démocrate des Alpes, avril 1920, cité par P. Barral). Pendant l’été il pencha vers l’adhésion à la IIIe Internationale (Le Droit du Peuple, 15 août 1920), puis se reprit, suivit le « Centre » aux approches du congrès de Tours et, au lendemain de la scission, demeura avec la minorité dans la SFIO.
Aux côtés de Paul Mistral, il fut un des reconstructeurs de la fédération de l’Isère. Il cueillit les fruits de cet effort en 1924 par son élection à la députation sur une liste du Cartel des gauches. Au scrutin uninominal, il fut réélu en 1928 dans la 1re circonscription de La Tour-du-Pin, au premier tour de scrutin, par 7 966 voix contre 3 545 au candidat radical et 2 709 à un candidat modéré. Ce succès fut précédé et s’explique par une solide implantation à La Tour-du-Pin ; bien qu’étranger à cette ville, Chastanet en avait conquis la mairie en 1925 et le siège de conseiller général, succédant à Antonin Dubost qui, parlementaire, ministre, président du Sénat, en avait été le maire pendant quarante ans. Chastanet avait été au cours de son premier mandat un parlementaire actif, intervenant en faveur des victimes du chômage, des calamités publiques, en faveur des mutuelles de crédit agricole, des bouilleurs de cru, des petits rentiers et retraités. Le 8 avril 1927, il avait interpellé Poincaré « sur les agissements des banquiers véreux » et, par la suite, déposa une proposition de loi sur la réglementation et le contrôle des banques. Il était devenu le président de la Société d’agriculture de l’Isère et il avait fondé l’Association des maires du département.
Chastanet conserva assez longtemps une audience personnelle après avoir rompu avec le Parti socialiste SFIO et sa solide fédération de l’Isère. Impulsif, individualiste, sans solide formation doctrinale, après avoir longtemps fait figure d’extrémiste révolutionnaire, il fit cavalier seul et « païen mystique » comme il se définissait lui-même, brava la ferme tradition laïque de sa fédération en prenant ouvertement position pour le retour des Chartreux dans leur monastère dauphinois. Il se fit aussi le défenseur de la politique de Pierre Laval et, le recevant solennellement à La Tour-du-Pin le 7 septembre 1930, lui déclara : « Nous avons sucé le même lait doctrinal [...] ; nous sommes donc frères » (Le Petit Dauphinois, 8 septembre 1930). En 1931, il fut exclu du Parti socialiste SFIO. L’année suivante, il affronta le verdict de ses électeurs sous l’étiquette de « républicain-socialiste », « en citoyen indépendant, sans l’estampille d’aucun parti politique. « Est-ce à dire que j’ai changé d’opinion ? interrogeait-il, dans sa profession de foi. Non pas. Je reste profondément républicain et socialiste, profondément laïque. Je reste aussi, comme je le proclamais dans ma profession de foi de 1928, respectueux de la liberté politique et religieuse. N’est-ce pas d’ailleurs pour avoir tenu parole, pour avoir osé à la face de tous crier cette vérité, que j’ai encouru l’anathème des sectaires de ce département ?... » (Arch. Ass. Nat.).
L’occasion était trop belle pour la droite cléricale depuis longtemps minoritaire dans le département : elle mobilisa assez d’hommes pour assurer le succès de Chastanet par 7 347 voix sur 17 159 inscrits contre 7 095 à Ginet, radical-socialiste, candidat unique des gauches au second tour de scrutin. Au premier tour, Chastanet réunissait déjà 7 101 voix contre 4 004 à Cuchet, radical-socialiste, 2 601 à Arnol, socialiste SFIO et 414 à Frézet, communiste. En 1934, dans des conditions analogues, il fut réélu conseiller général. Au Parlement, il changea de camp, soutint le ministère Doumergue. Au conseil général de l’Isère, il combattit la majorité radicale et socialiste et son président, le sénateur Léon Perrier. Il apporta sa collaboration au quotidien réactionnaire et clérical de Grenoble, La République du Sud-Est, où il avait affirmé le 17 mars 1936 que « le régime parlementaire, s’il n’est pas réformé, ne peut tarder à sombrer ». Aussi, il ne put pas très longtemps nier sa volte-face aux yeux de l’opinion. En 1935, il perdit la mairie de La Tour-du-Pin. Aux élections législatives de 1936, il prit la précaution de changer de circonscription et choisit celle de la Chartreuse, la 2e de Grenoble. Il y fit figure de porte-drapeau de la droite cléricale et conservatrice, comme candidat indépendant, contre les trois représentants des partis du Front populaire. Il recueillit 9 428 voix contre 10 761 au Dr Martin, socialiste, 2 585 à Campiglia, communiste, 1 453 à Bouvreuil radical-socialiste. Il fut battu au ballottage avec 10 865 suffrages sur 31 092 inscrits contre 14 247 au Dr Martin, élu.
Non soumis au renouvellement, Chastanet conserva son siège de conseiller général. Il continua à combattre le Front populaire jusqu’aux approches de la guerre. En novembre 1938 et en mai 1939, au conseil général, il déclara souhaiter une trève intérieure. Avec la guerre, sa carrière politique, déjà fort compromise, s’acheva. Peu après la fin du conflit, il succomba à une grave opération.
Par Justinien Raymond
ŒUVRE : Journaux auxquels collabora Chastanet : Le Droit du Peuple, Le Petit Dauphinois, La République du Sud-Est.
Écrits divers : Fonctionnariat et syndicalisme, brochure, 1909. — La République des banquiers, Paris, 1925, 256 p. — La Dictature de l’argent, Paris, 1926, 245 p. — L’Oncle Shylock ou l’impérialisme américain à la conquête du monde, Paris, 1927, 176 p. — La Confession d’un homme libre, Paris, 1935. — Le Montagnard aveugle, Paris, 1936, 224 p. Ce roman, conforme à la nouvelle orientation de Chastanet, exalte le retour à la terre. — La République des Crabes, Paris, 1936, 142 p.
SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Comptes rendus sténographiques des congrès du Parti socialiste SFIO — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes II, op. cit., pp. 253, 259-260. — Pierre Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe République, Thèse, passim. — Bulletin de l’Association générale des agents des PTT, 1903-1909.