CHAUVET Joseph

Par Gérard Leidet

Né le 21 juillet 1879 à Rocles (Lozère), mort le 22 janvier 1961 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; instituteur dans les Bouches-du-Rhône ; militant syndicaliste de la FNSI, puis à partir de 1919 de la Fédération des syndicats membres de l’enseignement laïque (affiliée à la CGTU en 1922) ; conseiller départemental de l’enseignement primaire.

Joseph Chauvet naquit à Rocles, une commune rurale, située dans le nord-est du département de la Lozère qui comptait alors près de 700 habitants. Son père, Auguste Chauvet, y était instituteur public, et sa mère, Joséphine Escurier, ménagère. Il devint élève-maître à l’École normale d’instituteurs de Mende, puis rejoignit le département des Bouches-du Rhône où il milita aussitôt comme syndicaliste dans les organisations (interdites) qui structuraient la vie corporative des instituteurs de la période. Il ne semble pas qu’il ait été membre de l’Amicale ("Union des institutrices et instituteurs publics des Bouches-du-Rhône", présidée par Victor Ferrier), mais Joseph Chauvet était présent dès 1903-1904 dans les rangs de l’ Émancipation de l’instituteur. En 1906, il participa à la fondation du syndicat des instituteurs, adhérent de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI). Il fut nommé dans le même temps instituteur-adjoint à Marseille, à l’école de la rue d’Hozier (2ème arrondissement) ; il y restera jusqu’à sa retraite, au milieu des années 1930.

Joseph Chauvet, fut élu pour la première fois membre du conseil syndical le 10 novembre 1907. Le 14 novembre il devint membre du bureau du syndicat des institutrices et instituteurs publics des Bouches-du-Rhône. Au sein de ce bureau composé de Emmanuelli (secrétaire général), Le Bras (vice-secrétaire), Buffe (vice-trésorier), Astruc (archiviste), et Minjaud (secrétaire de la rédaction du bulletin), il occupait la fonction de trésorier.

En octobre 1910, il faisait partie de l’équipe d’instituteurs syndicalistes marseillais qui fondèrent L’École émancipée - revue bimestrielle syndicale et pédagogique de la FNSI – en compagnie d’Ismaël Audoye, Adolphe Bezot, Victor Gourdon, Louis Lafosse, et Emmanuel Triaire.

Candidat du département, Joseph Chauvet fut élu avec Antoine Ripert, pour la première fois, au conseil départemental de l’Enseignement primaire (CD) le 26 janvier 1911 ; les autres candidates du syndicat étaient Élise Albert (Mme Gouin), et Félicité Gilly pour les institutrices. Par rapport aux amicales que la Fédération affrontait sur ce terrain avec son propre programme, ces élections furent un véritable succès pour les idées syndicalistes, non pour le nombre de syndiqués élus, mais pour celui des voix que réunirent les candidats de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI). Pour les dirigeants, une "véritable victoire syndicaliste" se dessinait avec ces résultats, positifs dans l’ensemble, pour les candidats de la FNSI aux élections des conseillers départementaux.

Pendant tout son parcours militant, Joseph Chauvet lutta au sein de l’organisation syndicale et à la Bourse du Travail en faveur des libertés ouvrières ; dans la corporation, il s’opposa constamment à l’autoritarisme de la direction de l’administration. Ainsi, en janvier 1913, il fut démissionnaire avec Adolphe Bezot du conseil départemental de l’Enseignement primaire pour protester contre le déplacement administratif du couple Vielmas*, instituteur et institutrice à Marseille, et militants de la Fédération. Réélu en mars, il démissionna à nouveau, peu de temps après, pour protester cette fois-ci contre l’application de la peine de la censure infligée à Louis Lafosse et Emmanuel Triaire (malgré l’avis contraire du CD). Il fut cependant réélu en décembre de la même année contre les candidats de l’ « Union des institutrices et instituteurs publics des Bouches-du-Rhône », cette amicale n’ayant pas souhaité se solidariser avec les élus du conseil départemental.

Les militants enseignants de la période étaient souvent victimes de mises à pied, déplacements d’office, absence de promotions, etc. Joseph Chauvet n’y échappa pas. En 1912, il fut blâmé par l’inspecteur d’académie pour avoir donné son adhésion au « Manifeste des instituteurs syndicalistes » paru le 16 septembre de la même année dans La Bataille syndicaliste. Il fut ensuite poursuivi en 1913, avec une dizaine de camarades du conseil syndical des Bouches-du-Rhône, pour n’avoir pas obtempéré à la mise en demeure du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts de dissoudre le syndicat.

Après la guerre, la FNSI, désormais ouverte à tous les degrés de l’enseignement, se transforma en Fédération des syndicats des membres de l’enseignement laïque (FSMEL) lors du congrès fédéral de Tours tenu en août 1919. Demeurant à Marseille, Joseph Chauvet était responsable en 1919-1920 de la rédaction de L’Émancipation, bulletin mensuel du syndicat des membres de l’Enseignement des Bouches-du-Rhône et de la région du Sud-Est. Entre 1920 et 1926, il partageait la gérance et la responsabilité du bulletin d’abord avec Ismaël Audoye, puis avec Jules Aubert.

Lors des élections au Conseil départemental de 1922, Joseph Chauvet, "anti-fusionniste" et non candidat, fut élu par 252 voix contre 242 au candidat du "syndicat général de l’enseignement " (SGE). En fait, la fusion entre amicales et syndicats d’instituteurs n’était pas effective dans les Bouches-du-Rhône. Ismaël Audoye et ses camarades de la FNSI réussirent à convaincre les dirigeants de la section du Syndicat national (SN) de constituer avec eux un "syndicat général" unique et autonome qui vit le jour en juin 1922. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une fusion : les deux organisations constitutives de ce nouveau "groupement" continuaient d’exister en tant que telles et restaient affiliées à leur organisme central en attendant la fusion des deux Fédérations nationales. Or, Joseph Chauvet continuait à s’opposer à ces initiatives et cette élection, si elle fut considérée par certains comme une manifestation contre la fusion, ne fut pour d’autres qu’une "manifestation de sympathie personnelle" envers le militant. Pour faire preuve de clarté, Chauvet démissionna, et son camarade Laplace, présenté par le " Comité d’action et de défense syndicale", qui avait pour mission de faire revivre le « syndicat de l’enseignement fédéré » (la Fédération des syndicats de l’enseignement laïque décida d’adhérer à la CGTU en avril 1922) obtint alors 180 voix, tandis que le "fusionniste" Arnaud était élu par 237 voix sur 440 votants (110 voix à Marseille alors que Laplace le devançait avec 139 suffrages). Ces résultats obtenus, malgré l’influence toujours importante à Marseille d’Ismaël Audoye, furent considérés comme "encourageants" par le bureau de la FSMEL.

Dans le numéro de L’Émancipation de juin 1922, il annonçait qu’il refusait la « mention honorable » que proposait de lui attribuer l’administration. Il entendait ainsi protester contre les sanctions prises contre les instituteurs chômeurs, le 1er Mai 1920 dont il était, et fut blâmé à nouveau pour cette raison.

Le 28 juin 1922, à la suite de plusieurs refus du bureau de réunir les adhérents de "l’ancien syndicat", Joseph Chauvet, Laplace et leurs amis anti-fusionnistes convoquèrent à Marseille une réunion à laquelle assistèrent Joseph Baldacci, instituteur-syndicaliste de la Loire et Léon Soulinhac, instituteur, militant alors à Lyon. Malgré les protestations d’Audoye qui invitait les syndiqués à ne pas se rendre à cette assemblée, dénonçant les procédés du Bureau fédéral "inspirées de pratiques politiciennes", malgré les oppositions analogues de l’Union locale d’Unité, du cartel des services publics et même de l’Union départementale unitaire, cette réunion, présidée par Joseph Chauvet se tint quand même devant un public assez nombreux. Selon ce dernier, elle apportait la démonstration qu’il s’agissait bien d’une fusion opérée au détriment de l’ancien syndicat et du syndicalisme lui-même puisqu’elle avait eu "pour effet une scission chez nous en provoquant le départ de camarades qui [voulaient] faire partie de notre fédération (la FSMEL) sans être obligés d’adhérer au syndicat général". "Cette situation ne peut se prolonger, écrivirent Joseph Baldacci et Léon Soulinhac en conclusion de leur rapport ; le congrès de Brest devra y mettre fin. Le bureau fédéral demandera au congrès de se prononcer contre la fusion, l’expérience des Bouches-du-Rhône ne pouvant qu’apporter des arguments de fait aux arguments théoriques déjà donnés…".

Réélu ensuite, en 1923 au conseil départemental sans avoir fait acte de candidature, Joseph Chauvet ne crut pas devoir accepter ce mandat. N’ayant été élu majoritairement que par les instituteurs de Marseille, et sans avoir présenté de programme, il ne se pensait pas « suffisamment qualifié ». Il établit cependant, la même année, un rapport destiné à s’opposer à une proposition de la municipalité. Celle-ci souhaitait créer un service de surveillance dans les écoles publiques de la ville de Marseille, avant l’entrée classe, de 7 H 00 à 8 H 00, et de 13 H 00 à 13 H 30. Son rapport, fort documenté, fut utilisé pendant bien des années par les militants des deux organisations syndicales d’instituteurs : syndicat unitaire de l’enseignement (CGTU) et syndicat national (SN-CGT).

Candidat au CD au nom du syndicat des membres de l’Enseignement laïque (SMEL-CGTU), Joseph Chauvet fut élu le 23 mars 1926 avec 382 voix, en compagnie de Laplace (330 voix). La devise d’Antoine Ripert, « La justice pour tous, de faveurs pour personne » avait guidé la campagne des deux candidats unitaires. Les deux autres conseillers départementaux, issus du syndicat national (SN-CGT) étaient deux militantes, Mme Leschi (651 voix), institutrice à Cassis, et Marthe Rigaud (640 voix). Selon Pascal Léna qui l’avait bien connu lorsque lui-même entamait son parcours militant, « sa bonté, sa courtoisie, sa gentillesse, l’avaient fait ami de tout le monde, y compris de ses adversaires ou de ses concurrents ». Ainsi, Armand Bernard, secrétaire adjoint du SN des Bouches-du-Rhône, expliquait le relatif succès (deux élus sur quatre) du syndicat de l’enseignement laïque par le fait que cette organisation avait choisi comme candidats, deux vieux militants connus de tous et jouissant de beaucoup de sympathie après d’un grand nombre de camarades, ajoutant cependant : "Chauvet et Laplace nous ont affirmé qu’ils seraient les élus de tous sans distinction de tendances. Nous leur faisons confiance ; leur sincérité ne fait aucun doute. Qu’ils comptent sur nous, comme nous comptons sur eux, pour faire triompher nos revendications.".

Tous deux ne se représentèrent pas aux élections au CD du 23 avril 1929. Pour le SMEL, il n’y eut qu’un seul candidat, Edouard Labeille (300 voix sur 727 inscrits et 633 votants), qui fut élu chez les instituteurs, en compagnie de Jules Gautier (302 voix), l’ancien secrétaire général de la section départementale du SN en 1927-1928 (César Durand, alors secrétaire général du SN. avec 283 voix était battu !). Chez les institutrices, Jeanne Féraud (797 voix sur 1380 inscrites et 1086 votants) et Mme Nevière (691 voix) du SN furent élues devançant largement Mmes Olivier (300 voix) et Pontaud (226 voix) du SMEL.

Par ailleurs, et tout au long de son parcours syndical, Joseph Chauvet fut fortement pénétré de la haute valeur de l’instruction et de l’éducation. Il exprima ses idées dans de nombreux articles de pédagogie publiés dans les bulletins syndicaux - notamment le « Bulletin de l’Émancipation (Syndicat des institutrices et des instituteurs publics des Bouches-du-Rhône) » qui prit entre 1906 et 1935 des titres différents, et qui portait en couverture une devise qu’il citait souvent : « Sois un homme puisque tu dois faire des hommes ».

En 1935-1936, Joseph Chauvet ne put assister à l’unification du Syndicat national des instituteurs (SNI) consécutive à la fusion des deux syndicats unitaire et confédéré. On ne trouve pas sa trace, en effet, parmi les « ex-unitaires » qui rejoignirent alors le bureau du SNI - tels Jean Salducci, Pascal Léna, Albert Faraud ou Édouard Labeille. Militant sincère, fidèle à ses convictions - notamment le « refus de parvenir » cher aux syndicalistes révolutionnaires – il avait pris sa retraite en qualité d’instituteur adjoint, après avoir lutté contre les promotions au choix et distinctions honorifiques qu’il avait (payant d’exemple) toujours refusées à titre personnel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article105362, notice CHAUVET Joseph par Gérard Leidet, version mise en ligne le 1er septembre 2022, dernière modification le 1er septembre 2022.

Par Gérard Leidet

SOURCES : Presse syndicale. — Bulletin bimestriel de l’Emancipation (novembre 1907). — F . Bernard, L. Bouet, M. Dommanget, G. Serret, Le Syndicalisme dans l’enseignement t. 1, et t.2, coll. "Documents" de l’IEP de Grenoble. — Bulletin fédéral de la FSMEL, n°189 du 5 juillet 1923. — Loïc Le Bars, La Fédération unitaire de l’enseignement (1919-1935), aux origines du syndicalisme enseignant, Syllepse, 2005. — Statuts du syndicat général des Bouches-du-Rhône, L’Emancipation, organe du syndicat unitaire, n°109, juin-juillet 1922 ; cité par Loïc Le Bars op. cit.. — Bulletin mensuel de la section des Bouches-du-Rhône de mars-avril 1926 (Syndicat national des institutrices et et instituteurs publics de France et des colonies. — Notes de Jacques Girault et d’Alain Dalançon — Notes de Pascal Léna (Nécrologie) dans le Bulletin du syndicat unique des institutrices et instituteurs des Bouches-du-Rhône , n° 156, mars-avril 1961 — Karnaouch Denise, La Presse corporative et syndicale des enseignants. Répertoire. 1881-1940, L’Harmattan, 2004. —

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