Par Nicole Racine
Né et mort à Paris : 22 mai 1884-21 août 1927. Marié à Charlotte Clarisse Lorrieu. Poète, critique ; rédacteur à l’Humanité de juillet 1919 à la fin 1923. Père du poète André Chennevière.
G. Chennevière perdit son père qui était employé au Mont-de-Piété en 1899 ; sa mère dirigea un temps un atelier de couture. Il fit ses études au lycée Condorcet où il rencontra Jules Romains qui deviendra son ami. Après son baccalauréat (1902), il prépara le concours d’entrée à l’École normale supérieure en même temps que Jules Romains mais il échoua au concours d’entrée en 1904. Il s’intéressait de plus en plus à l’art, à la poésie. En 1904-1905, Jules Romains et Georges Chennevière (qui avait pris comme pseudonyme le nom du plateau de Chennevières qui domine la vallée de la Marne), réunis par une même vision poétique, définissaient une conception nouvelle de la poésie, l’« unanimisme » (le mot fut employé pour la première fois par Jules Romains dans Le Penseur d’avril 1905, par Georges Chennevière dans Vox de juillet). G. Chennevière entra par la suite en rapport, par l’intermédiaire de Jules Romains, avec René Arcos, Georges Duhamel, Charles Vildrac qui venaient de vivre l’aventure de l’Abbaye de Créteil.
Le premier grand poème de G. Chennevière, Le Printemps, écrit de 1906 à 1909, publié en 1911 chez Figuière, était l’expression de cette vision du monde. Pour assurer son existence matérielle, celle de sa femme Charlotte et de son fils André, né en 1908, G. Chennevière donnait des leçons de français, latin, grec. Il collaborait à L’Effort libre et son nom figura dans l’Anthologie de l’Effort libre. Les poèmes qu’il composa de 1911 à 1918 furent édités en 1920 par Adrienne Monnier.
Il fut mobilisé à la déclaration de guerre ; on retrouve les sentiments qui furent les siens alors (confiance dans l’issue de la guerre, désir de fraternité) dans une page, « Lundi 3 août 1914 » (parue après sa mort dans Europe le 15 novembre 1927, et reprise dans le Tour de France, 1929). Chennevière fut blessé à Charleroi en août 1914. Il guérit bientôt « du mysticisme patriotique » (A. Cuisenier et R. Maublanc). Simple soldat pendant toute la guerre, il resta deux ans au front dans l’infanterie, puis passa infirmier. Les œuvres qu’il écrivit durant cette période exprimaient la haine de la guerre et l’espoir d’un monde nouveau. L’inspiration pacifiste et révolutionnaire se traduisait avec force dans les poèmes de L’Appel au Monde (écrit en 1916-1917 et publié en 1919 aux Éditions des Fêtes du Peuple) ainsi que dans la nouvelle commencée en 1918, Le Tour de France. Citons de L’Appel au Monde le poème de révolte intitulé « De Profundis » où Chennevière proclamait avec force son horreur de la guerre.
G. Chennevière donna aux Hommes du Jour (en date de septembre 1915) son témoignage en faveur de Romain Rolland. Le 14 juin 1919, il rendit visite avec Albert Doyen à Romain Rolland en Suisse ; celui-ci nota dans son Journal de guerre l’impression que lui fit « De Profundis ». Lors du débat sur la violence entre R. Rolland et H. Barbusse, G. Chennevière, dans un article paru dans L’Art libre de Bruxelles en mars 1922, donna son adhésion sans réserve à la cause de l’indépendance de l’esprit.
Pendant la guerre, G. Chennevière qui s’était lié avec le compositeur Albert Doyen, ami des écrivains de l’Abbaye, forma avec lui le projet de grandes fêtes populaires, animées par la poésie et la musique. À l’une de ses permissions, en juillet 1916, G. Chennevière avait assisté avec Albert Doyen, qui devait y jouer de l’orgue, à la première cérémonie commémorative en l’honneur de Jean Jaurès au Trocadéro. Dès son retour au front en août 1916, G. Chennevière commença à écrire Le Chant de Midi (dédié à Romain Rolland) sur le thème de la commémoration des morts, avec chœurs. Albert Doyen en composa la musique. Le poème, achevé en janvier 1917, parut au Mercure de France, le 1er mars 1918. G. Chennevière qui voulait recréer l’union du peuple et de l’art, prévoyait alors de composer un vaste cycle des Fêtes (douze chants) se déroulant sur douze mois de l’année. Le Cycle des Fêtes resta inachevé, mais G. Chennevière s’intéressa jusqu’à sa mort aux Fêtes du Peuple. Fondées en décembre 1918 avec Albert Doyen, les Fêtes du Peuple avaient l’ambition d’initier une chorale et des auditoires populaires aux grandes œuvres de l’art. Plusieurs des poèmes de Chennevière, destinés aux Fêtes du Peuple, parurent en plaquettes par leurs soins, notamment L’Appel au Monde (1919), La Réponse à Whitman (1919), La Prière pour un enfant russe (1919), L’Ode à Jaurès (1920). Le 12 mai 1923, Le Chant de Midi fut donné au Trocadéro par les Fêtes du Peuple.
G. Chennevière adhéra au mouvement « Clarté » au moment de sa fondation, mais il partageait les « sentiments » de R. Rolland sur le mouvement et il entra en désaccord avec Henri Barbusse sur le choix de certains hommes de lettres qui devaient figurer dans le comité directeur de « Clarté ». Le 18 juin 1919, Chennevière donna sa démission de secrétaire du groupe, avec Charles Vildrac. Il avait rendu visite à R. Rolland en Suisse avec son ami Doyen, le 14 juin 1919.
Après sa démobilisation le 20 mars 1919, G. Chennevière entrait à l’Humanité (où son ami Jules Romains tenait une chronique de poésie) comme rédacteur. Il travailla avec Marcel Martinet qui fut directeur littéraire de l’Humanité jusqu’à la fin de 1923. Il y fut critique littéraire et musical ; il signa également des chroniques de vulgarisation scientifique. Proche d’hommes comme Jacques Mesnil, Maurice Parijanine, Chennevière ne voulut jamais adhérer à un parti, mais il se reconnaissait dans le communisme issu de la guerre et de la Révolution russe. Il dut quitter l’Humanité à la fin de 1923 lorsque de violentes luttes de tendances divisèrent le Parti communiste.
Jacques Copeau prit alors G. Chennevière, qui s’était toujours intéressé au théâtre, comme secrétaire au théâtre du Vieux-Colombier. Chennevière y fit des travaux pratiques de versification et des cours de civilisation (de 1921 à 1923 il avait donné avec Jules Romains un cours de technique poétique qui fut publié en 1923 sous leur double signature et le titre de Petit traité de la Versification). Chennevière fit jouer au Vieux-Colombier le Chant du Jeudi. Il accueillit avec enthousiasme l’idée de Jacques Copeau d’abandonner Paris et le suivit en Côte-d’Or à l’automne 1924 à Château-Morteuil ; il y vécut six mois. À la fin de l’expérience, en février 1925, il rejoignit Paris. Après avoir hésité à retourner à l’Humanité, il accepta pour vivre une place de rédacteur « très neutre » au Quotidien.
Le grand poème Pamir (NRF, 1926), dédié à son fils André, fut son testament poétique et social. G. Chennevière y évoquait le destin de l’Europe et appelait de ses vœux la révolution libératrice.
Sur mandat du Secours rouge international, il fit, avec G. Duhamel un voyage en Pologne. Il relata cette mission sur la situation des prisonniers politiques dans la Pologne de Pilsudski dans la revue Europe en juin, juillet, août 1927.
Il mourut rue Lamarck, le 21 août 1927, pauvre comme il avait vécu.
Par Nicole Racine
œUVRE CHOISIE : Poèmes. 1911-1918, Paris, La Maison des Amis des livres, 1920, 141 p. — Poème pour un enfant russe, Paris, Édition « Les Fêtes du Peuple », 1919, 5 p. — Ode à Jaurès, Paris, Édition « Les Fêtes du Peuple », 1920, 8 p. — Le Chant de Midi, fête pour la commémoration des morts, Éd. « Les Fêtes du Peuple », 1920, 38 p. — Le Tour de France. Préface de Georges Duhamel, Paris, Gallimard, 1929, 253 p. — œuvres poétiques. Préface de Jules Romains. Introduction par André Cuisenier et René Maublanc, Paris, Gallimard, 1929, 231 p. — Le Cycle des fêtes (Présenté par André Cuisenier et René Maublanc. Lettre de Jules Romains), Paris, Éditions du Sablier, 1940, 221 p.
SOURCES : « Le souvenir de Georges Chennevière », Europe, n° 177, 15 septembre 1937. — André Cuisenier, Georges Chennevière. Préface de Jules Romains, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1969, 192 p. — Introduction de René Maublanc et André Cuisenier aux œuvres poétiques de Chennevière, Gallimard, 1929, 231 p. — G. Duhamel, Les espoirs et les épreuves 1919-1928, Mercure de France, 1953, 285 p. — Ben Stoltzfus, Georges Chennevière et l’Unanimisme. Étude et présentation des inédits. 1884-1927, Paris, Minard, « La Revue des lettres modernes », 111-113, 1965, 104 p. — Nancy Sloan Goldberg, En l’honneur de la juste parole. La poésie française contre la Grande Guerre, préface de Scott Bates, New York, Peter Lang, 1993.