AXELOS Kostas [ou de LEYDE Jean]

Par Laurent Jeanpierre

Né le 26 juin 1924 à Athènes (Grèce), mort le 4 février 2010 à Paris ; philosophe, éditeur, organisateur, journaliste et théoricien communiste pendant la guerre civile en Grèce (1941-1945), puis exclu du Parti communiste et exilé en France ; rédacteur en chef de la revue Arguments (1956-1962) ; fondateur et directeur depuis 1960 de la collection « Arguments » aux Éditions de Minuit.

Jeune partisan communiste grec, réfugié politique en France, intellectuel influent dans le marxisme occidental et hétérodoxe en France, Kostas Axelos a développé une pensée paradoxale, en phase avec une partie de l’esprit de Mai 1968 en même temps qu’elle invitait à un abandon de toute critique du capitalisme, à un retrait dans une philosophie poétique, refuge contre la civilisation technique.
Kostas Axelos naquit dans une famille bourgeoise aisée (père : Miltiade Axelos, médecin) progressiste et de religion orthodoxe. Politisée - le grand-père de Kostas Axelos avait été préfet en Crète - elle soutenait le parti du modernisateur de l’État grec, Venizelou. Kostas Axelos suivit des études cosmopolites à Athènes, au lycée d’État ainsi qu’à l’Institut français et à l’École allemande. Fin 1941, après la capitulation de la Grèce en avril face à l’Allemagne et le début de l’Occupation allemande, italienne et bulgare, il entra aux Jeunesses Communistes grecques (EPON) dont il devient responsable à l’Université d’Athènes, tout en participant régulièrement au journal des étudiants clandestins, La Flamme. À partir de 1944, Kostas Axelos devint membre du Parti Communiste grec et écrivit des articles dans son journal quotidien. Il organisa des séminaires de militants autour de la pensée de Karl Marx ou des problèmes de la jeunesse et, après la retraite allemande d’octobre, il prit la direction du journal étudiant communiste Voix étudiante. Le déclenchement de la guerre civile, deux mois plus tard, le conduisit à entrer dans les troupes de choc du Parti Communiste. Il fut arrêté et emprisonné par les miliciens mais parvint à s’évader à la nage avec une quarantaine de ses camarades. En décembre 1945, Kostas Axelos quitta la Grèce en tant que boursier du gouvernement français. Il faisait partie d’un ensemble d’anciens jeunes intellectuels militants qui fuient la guerre civile, comme Cornélius Castoriadis, Kostas Papaïoannou ou encore Ado Kyrou, qui se rapprochera ensuite du surréalisme. À son départ, Axelos fut exclu du Parti Communiste grec.
Arrivé en France, il refusa aussi bien de prendre des contacts avec le PCF, qu’il jugea réformiste, qu’avec les représentants de la IVe Internationale comme Michel Raptis*, alias Pablo, qui le contacta. Critique du léninisme des organisations communistes, il décida de se détourner quasi-définitivement de l’action militante. L’engagement de Kostas Axelos se situa désormais du côté de la pensée, de la pensée en tant qu’elle pourrait réformer l’action et ses coordonnées préétablies. Lecteur de la modernité philosophique depuis son adolescence, Axelos poursuivit d’abord des études de philosophie à la Sorbonne où il obtint sa licence, non sans ennui, en 1947. Les deux années suivantes il suivit à Bâle le séminaire de Karl Jaspers et il étudia les pré-socratiques avec von der Mühll. S’il fréquenta à l’occasion André Breton et Pablo Picasso* pendant cette période, la rencontre qui marqua le plus son existence fut celle d’Heidegger qu’il lut à partir de 1950 et dont il suivit quelques cours ainsi que ceux d’Eugen Fink, son élève. Il publia en France dans les années 1950 deux articles d’analyse marxiste de la situation politique en Grèce. Mais en convertissant une révolte politique en projet philosophique, Kostas Axelos développait un rapport très différent à l’histoire, de laquelle il voulut voir se détacher progressivement l’activité de la pensée en quête de vérité. D’autre part, de la vision progressiste qu’impliquait le marxisme de son époque, il passa peu à peu à une lecture plus désenchantée, voire pessimiste, de la modernité.
Un élément décisif dans ce lent renversement de position intervint pendant l’été 1955, lorsqu’à la demande de Jean Beaufret - un des représentants d’Heidegger en France, allié de ce dernier dans sa polémique avec Jean-Paul Sartre* - Kostas Axelos traduisit la conférence « Qu’est-ce que la philosophie ? » au colloque de Cerisy consacré au philosophe allemand qui trouvait là l’occasion de son premier voyage en France. Axelos fit aussi office d’intermédiaire dans les rencontres d’Heidegger avec le poète résistant René Char ou avec Jacques Lacan. Il tient ainsi un rôle de premier plan dans la légitimation de la pensée de Heidegger en France après la Seconde guerre mondiale. C’est aussi par son influence, autant sans doute que par celle de Sartre, que l’on peut saisir l’intérêt paradoxal de la « gauche » philosophique et politique française pour Heidegger en ces années et ce, malgré la participation du philosophe allemand au régime nazi que confirment aussi bien « l’ontologie politique » de sa pensée que l’absence d’éthique qu’elle revendique. Plus spécifiquement, Axelos fut à l’origine d’une synthèse heideggeriano-marxiste dont on trouverait des traces jusqu’à aujourd’hui dans le champ philosophique français et dans les zones qu’il influençait marginalement depuis les années 1960, comme l’Italie ou les États-Unis.
Cette synthèse originale, Kostas Axelos doit aussi de l’avoir élaborée à la position particulière qu’il occupait dans les milieux intellectuels français de 1945 à 1962. De 1950 à 1957, Axelos était chercheur au CNRS. Puis il rejoignit l’EPHE jusqu’en 1959 et enseigna à la Sorbonne. Il fréquenta les salons de Maurice de Gandillac qui fut aussi son directeur de thèse. Mais le tournant de sa pensée prit racine en dehors de l’institution universitaire, lorsqu’Axelos rejoignit en 1957 le groupe de jeunes intellectuels marxistes hétérodoxes (Edgar Morin* et Jean Duvignaud avec Colette Audry et Roland Barthes) qui avaient fondé l’année précédente, après la publication du rapport Krouchtchev, la revue Arguments. Située en marge du champ intellectuel français, la revue n’en fut pas moins un laboratoire d’idées philosophiques et politiques qui, comme La Critique Sociale de Souvarine de 1931 à 1934 ou Socialisme ou Barbarie après 1949, attira une fraction de la jeunesse étudiante et les intellectuels qui avaient pris leur distance avec le stalinisme et le Parti Communiste. Axelos fréquenta assidûment, outre les autres membres d’Arguments, ses collaborateurs occasionnels : François Châtelet*, François Fejtö, Pierre Fougeyrollas, Henri Lefebvre*, etc. Il fut rédacteur en chef de la revue de 1960 jusqu’à l’auto-dissolution du groupe et le dernier numéro, fin 1962. Il n’était pas rare de le voir intervenir également à cette période dans Les Lettres nouvelles ou dans Esprit. Exilé, détenteur d’une culture cosmopolite et multilingue, situé à la frontière de plusieurs milieux intellectuels (Réa Axelos, qu’il avait épousée en 1956, fut par exemple à la fois secrétaire de rédaction d’Arguments et artiste), Kostas Axelos fut pendant quelques années aussi bien un passeur qu’un penseur, un théoricien qui essayait d’être à la fois scolastique et critique.
À lui autant qu’aux autres rédacteurs d’Arguments et d’autres « petites revues » d’avant-garde, on doit d’avoir contribué à la déstalinisation du marxisme français, celui qui s’exprime philosophiquement par exemple jusqu’au milieu des années soixante dans les revues intellectuelles communistes. Cela passe par plusieurs types d’opérations allant de la critique de l’Union Soviétique à la mise à l’épreuve empirique du marxisme, de la confrontation de la théorie marxiste à de nouveaux problèmes à son ouverture à des courants de pensée inédits, etc. Dans le « marxisme oppositionnel » de l’entre-deux-guerres comme dans l’extrême-gauche de cette après-guerre, la critique du communisme historique ne va cependant pas non plus sans tensions que renforce le contexte de guerre froide : l’écart est souvent ténu entre la dénonciation de l’orthodoxie marxiste et l’abandon de Marx, le combat contre la trahison des espoirs révolutionnaires et le renoncement à ces mêmes espoirs...
Dès le milieu des années 1950, Kostas Axelos éprouva Marx à d’autres pensées qui lui ont succédé. Il inclut par exemple la pensée freudienne dans sa réflexion et tenta de poser « l’errance érotique » et la sexualité comme éléments essentiels d’émancipation au moment même où Wilhelm Reich était publié dans la revue. Une grande partie de ce qui rassemble les intellectuels d’Arguments tient d’ailleurs à un désir de rompre avec l’étroitesse des mœurs privées d’alors et d’ouvrir la critique sociale d’inspiration marxiste aux espaces et aux temps hors-travail. Les contributions d’Axelos dans la revue interrogeaient aussi les rapports entre marxisme et philosophie en justifiant la nécessité de continuer à penser en dépit de la fameuse « XIe thèse sur Feuerbach ». Il s’agit de réintégrer Marx dans le giron de la discipline philosophique, en retrait des risques qu’encourt toute pratique, notamment politique. La pensée marxiste est donc relue à la lumière de Nietzsche et de Heidegger, envisagés par Axelos comme de légitimes continuateurs critiques.
En 1960, Kostas Axelos traduisit avec Jacqueline Bois et préfaça Histoire et conscience de classe (1923) de Georg Lukács, « livre maudit du marxisme », le volume inaugurant la collection « Arguments » qu’il dirigera ensuite aux Éditions de Minuit. Aux côtés de Joseph Gabel, de Lucien Goldmann* qui, depuis 1945, s’inspirait du marxiste hongrois ou des Aventures de la dialectique de Maurice Merleau-Ponty*, publié en 1955, et s’appuyant sur Lukács afin de critiquer l’existentialisme sartrien tout autant que le bolchevisme, l’ouvrage introduisait le public français au marxisme dit gauchiste. En 1964, Axelos préfaça aussi l’édition dans sa collection de Marxisme et philosophie (1923) de Karl Korsch. Trois ans plus tôt, il avait publié sa thèse soutenue en 1959, Marx penseur de la technique. Une part importante de ce travail porte sur les figures de la réalisation de l’histoire, de la « réconciliation », chez Marx et ce qu’elles impliquent pour le devenir de la pensée. En chacune de ces occasions, Axelos relie les écrits du « jeune » Marx d’avant 1 845 avec la philosophie de Heidegger. Là où Goldmann essaie d’établir un lien entre les écrits de 1923 de Lukács et le « premier Heidegger » d’Être et Temps (1926), Axelos rapproche le marxisme philosophique de la critique de la technique formulée par le « second Heidegger », après 1945, notamment dans sa Lettre sur l’humanisme. Il s’agit de critiquer à part égale le capitalisme et le socialisme pour avoir placé au cœur du rapport homme-nature le développement de la technique.
Marx est par conséquent exclusivement envisagé par Axelos comme un penseur de l’aliénation du et par le travail - pas de l’exploitation - et Heidegger comme un penseur de l’aliénation par la technique. De plus la pensée d’Heidegger est considérée comme un aboutissement de la pensée de Marx. Car d’un côté l’histoire de l’Être entreprise par Heidegger radicaliserait l’historicisme marxien. Elle permettrait par exemple de mieux comprendre les impasses qui touchent aux rapports entre théorie et pratique tels que le marxisme les a conçus, comparables en nature à ceux qu’instaure la technique : la fin justifie les moyens... Pour Axelos, il n’y a pas de différence entre « logos et logistique ». D’un autre côté, Heidegger éluciderait le fonds commun à partir duquel relire la pensée de Marx en tant qu’elle décrit les différents domaines d’activité où se déploie l’aliénation fondamentale de l’homme à lui-même, son « errance originaire ». À ce schéma s’ajoute une relecture d’Héraclite qui fournit le prétexte à Axelos de sa thèse complémentaire et d’une traduction nouvelle des Fragments. Dans Héraclite et la philosophie (1962), il réinterprète toute l’histoire de la philosophie depuis le penseur d’Éphèse auquel il s’identifiera dès lors : Héraclite serait resté fidèle à l’Être en inventant la dialectique, pointant ainsi l’existence d’un « accord discordant » possible entre le sujet et l’objet, l’homme et le monde. Dans cette quête d’une origine non aliénée de la pensée pure, Axelos se rapproche souvent d’une nostalgie d’un âge d’or pré-philosophique et flirte, dans son analyse du présent, avec un certain nihilisme, ce que lui reprochera par exemple François Fejtö.
Qu’Axelos ait poussé loin les conséquences philosophiques de l’abandon du marxisme orthodoxe, ne l’empêchait en rien, avec la revue Arguments, d’avoir aussi une réception dans les milieux avant-gardistes de la jeunesse européenne et parmi les intellectuels anti-communistes de gauche des années 1960. En 1957, il a par exemple rédigé, avec Dyonis Mascolo et Claude Lefort, un « Appel en faveur d’un cercle international des intellectuels révolutionnaires ». Les vives invectives à son encontre dans les colonnes d’Internationale Situationniste, fondée la même année par Guy Debord notamment, cachaient aussi une dette qui était celle d’une partie des mouvements étudiants qui précédèrent et accompagnèrent Mai 1968. Axelos a insufflé à la pensée de Marx une dimension métaphysique, idéaliste et trans-historique qui reste la marque d’un heideggerianisme de gauche, telle qu’on pourrait la trouver, plus ou moins manifeste, sous d’autres formes chez des philosophes comme Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne, Reiner Schürmann ou, plus récemment, chez Jean-Marie Vincent*, ou encore Jean-Luc Nancy. Il a proposé un usage inédit de Marx, ni humaniste (comme chez Maximilien Rubel), ni scientiste (comme chez Louis Althusser*) et qui, à bien des égards, n’est plus marxiste au sens où l’on tenait cet adjectif pendant la période. Son ouvrage sur Marx n’en sera pas moins réédité par Christian Bourgois en 1974 en édition de poche de deux volumes.
Dans ces années 1960, le rôle d’éditeur de Kostas Axelos fut sans aucun doute encore plus important que son rôle de théoricien. Il publia les travaux de Léon Trotsky et surtout d’Herbert Marcuse - Éros et civilisation et L’Homme unidimensionel - mais aussi de Pierre Broué* sur le parti bolchevique, d’Émile Témime* sur la guerre d’Espagne, de Deleuze sur Sacher-Masoch et Spinoza, etc. De plus, outre les liens qu’entretint Arguments, dès son origine, avec l’Italie, la Belgique, l’Allemagne et la Pologne (à travers Kolakowski), elle influença également la formation à Zagreb du groupe et de la revue Praxis, active de 1965 à 1968. Fondée par des philosophes intéressés par Marx et Heidegger, publiée en français, anglais, allemand et serbo-croate, la revue organisa chaque année des séminaires d’été où Kostas Axelos était invité. Il y rencontra d’autres philosophes marxistes hétérodoxes d’Europe centrale et orientale comme Ernst Bloch, Agnès Heller ou Karel Kosik, etc.
L’influence de sa pensée dans la construction d’un marxisme occidental européen, critique du bolchevisme comme du stalinisme, n’empêcha pas Axelos de quitter peu à peu Marx avec le marxisme et d’abandonner plus largement toute ambition de critique sociale, notamment du capitalisme. Lorsqu’Arguments se dissolut, Kostas Axelos affirma que la crise du marxisme était peut-être la crise de toute pratique et que la suppression de la domination était un mythe. De 1962 à 1973, il continua à enseigner la philosophie à la Sorbonne et à Censier. S’il fut appelé à intervenir publiquement, à l’invitation de l’UEC, dans un débat contre Jean-Paul Sartre à la Mutualité en 1964 et à participer aux débats syndicaux des enseignants à la Sorbonne autour de 1968, la dépolitisation d’Axelos n’en fut pas moins quasi-complète, en pensée comme en acte. Quelques événements personnels tragiques survenus pendant la période - séparations amoureuses et suicides, notamment de Lucien Sebag*, son élève, en 1965 - accentuèrent son pessimisme quant au cours de l’histoire qui n’allait pas sans une tentation spiritualiste, comme en témoigna sa brève participation à la revue Planète. S’il défendit une « relative autogestion » en 1966, s’il rassembla ses articles des deux dernières décennies en 1969, Kostas Axelos est resté en retrait des événements de Mai qui l’amusaient mais qu’il ne prenait pas au sérieux. Il dit trouver chez les étudiants encore trop de respect de l’ordre. « Être libre est l’exigence, déclare-t-il à Zagreb en 1968. Pour quoi faire est la question non encore posée »
Son travail se situe de plus en plus explicitement dans le sillage exclusif d’Heidegger et prétend viser à son « dépassement », après une rupture épistolaire avec le penseur allemand en 1963. « Ce qu’est Axelos par rapport à Heidegger, écrira Deleuze, c’est une sorte de Zen par rapport à Bouddha ». En déclinant les philosophèmes de « l’errance » (en lieu et place de ceux d’aliénation et de vérité), de la « pensée planétaire » et surtout du « jeu », auxquels il donne une dimension métaphysique quasi-cosmique, Axelos restait néanmoins en phase avec un certain radicalisme philosophique des années 1960-1970. Son heideggerianisme ne resta pas sans échos dans la pensée de la déconstruction de Jacques Derrida, à travers le thème de la « différence », ni sans intérêt pour un Gilles Deleuze dont Axelos dénonça pourtant publiquement la forme de vie conformiste en 1972, à la publication pourtant sulfureuse de L’Anti-Oedipe. Axelos trouvait en effet la génération des philosophes de l’après-68 trop souvent démagogique, reproduisant le « mensonge de la société bourgeoise » pour « plaire aux masses étudiantes ». À travers les thèmes de la fin de l’histoire, une critique de la notion de « totalité » dont il revendiqua l’ouverture et la non-unité, il a fourni quelques-unes des figures d’un « post-marxisme » philosophique qui fut le plus souvent un abandon de Marx, notamment après 1968. Il occupa ainsi une place charnière dans la conversion de l’avant-garde du champ philosophique français de positions marxistes ou marxiennes à des positions dites « postmodernes ».
Le Jeu du Monde, publié en 1969 après dix années de travail, reste à cet égard l’œuvre-maîtresse d’Axelos, écrite sous une forme fragmentaire à la façon d’Héraclite ou de Pascal. La perspective est ici explicitement « post-révolutionnaire » tout en se déclarant « à gauche ». Il s’agit de laisser continuer le jeu du « monde-immonde », un jeu sans sujet historique. Depuis, la pensée d’Axelos n’a fait qu’approfondir une certaine écriture poétique sans changer d’orientation philosophique, se rapprochant souvent de certaines des réflexions de Blanchot en quête d’un athéisme radical. Tout en prétendant constituer un espace à la fois en dehors et au milieu du monde, l’œuvre est devenue de plus en plus éloignée de toute empirie comme de toute référence historique, se réfugiant souvent dans l’usage d’oxymores en guise d’exposition dialectique ou dans des questionnements par récurrence. Une des originalités remarquables des écrits d’Axelos est de n’avoir jamais cherché à faire dialoguer sa pensée avec les sciences humaines, à l’encontre de ce qui fut le cas pour la plupart des théoriciens critiques de son époque. Toutes ces inclinations vont avec un retrait de plus en plus marqué du monde social. Elles renvoient aussi à une marginalité vis-à-vis du champ intellectuel, à une sublimation philosophique de la révolte et de la critique qui conduisit à des positions de retrait et de surplomb par rapport au mouvement historique qui fut pourtant à la base de sa socialisation intellectuelle.
Ainsi la trajectoire de Kostas Axelos fut-elle prémonitoire et emblématique d’une dépolitisation et d’un désengagement souvent soudains qui ont parcouru les marxismes bolchevique autant qu’occidental pendant la seconde moitié du XXe siècle.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10576, notice AXELOS Kostas [ou de LEYDE Jean] par Laurent Jeanpierre, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 20 octobre 2019.

Par Laurent Jeanpierre

ŒUVRE : Essais philosophiques, Athènes, Papazisis, 1952, 127 p. — Marx, penseur de la technique, de l’aliénation de l’homme à la conquête du monde, Minuit, 1961, 327 p. — Héraclite et la philosophie : la première saisie de l’être en devenir de la totalité, Minuit, 1962, 275 p. — Vers la pensée planétaire, Minuit, 1964 — Einführung in ein künftiges Denken, Tübingen, M. Niemeyer, 1966, 104 p. — Le jeu du monde, Minuit, 1969, 451 p. — Arguments d’une recherche, Minuit, 1969, 213 p. — Pour une éthique problématique, Minuit, 1972, 120 p. — Entretiens réels, imaginaires et avec soi-même, illustrations de Folon, Montpellier, Fata Morgana, 1973, 110 p. — Horizons du monde, Paris, Minuit, 1974, 136 p. — Contribution à la logique, Minuit, 1977, 150 p. — Problèmes de l’enjeu, Minuit, 1979, 189 p. — Systématique ouverte, Minuit, 1984, 124 p. — Métamorphoses : clôture-ouverture, Minuit, 1991, 182 p. — Pourquoi penser ? Pour quoi faire ?, Athènes, Nepheli, 1993. — Lettres à un jeune penseur, Minuit, 1996, 83 p. — Notices « autobiographiques », Minuit, 1997, 45 p. — Ce questionnement. Approche-éloignement, Minuit, 2001, 124 p.

SOURCES : Louis Soubise, Le marxisme après Marx (1956-1965), Quatre marxistes dissidents français, Paris, Aubier-Montaigne, 1967. — Gilles Deleuze, « Faille et feux locaux », Critique, 275, avril 1970, p. 344-351. — Pierre Fougeyrollas, Henri Lefebvre, Le jeu de Kostas Axelos, Montpellier, Fata Morgana, 1973. — Giuseppe Liusa, Kostas Axelos e il tema del disvelamento, Naples, 1975 — Mark Poster, Existential Marxism in Postwar France, Princeton, Princeton University Press, 1975. — Éric Haviland, Kostas Axelos. Une vie pensée, une pensée vécue, préface de Jean-Michel Palmier, L’Harmattan, 1995. — Dominique Janicaud, Heidegger en France, Paris, Fayard, 2001. — Entretiens avec l’auteur, 25 janvier et 8 février 2002. — Le Monde, 7-8 février 2010, rubrique nécrologique par Nicolas Truong.

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