AYÇOBERRY Pierre, Antoine, Louis

Par Madeleine Singer

Né le 29 avril 1925 à Montrouge (Seine, Hauts-de-Seine), mort le 24 octobre 2012 à Strasbourg (BasRrhin) ; agrégé d’histoire ; membre du comité national du Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN) de 1957 à 1970 ; historien de l’Allemagne et du nazisme.

Pierre Ayçoberry
Pierre Ayçoberry
[Cliché fourni par Madeleine Singer]

Pierre Ayçoberry est l’aîné des deux enfants de Pierre, Marie, André Ayçoberry, ingénieur. Il fit ses études au lycée de Saint-Cloud et fréquenta la khâgne de Louis-le-Grand de 1942 à 1944. Après avoir passé le concours d’entrée à l’ENS qui, prévu en juin 1944, avait été reporté au début de 1945, il s’engagea, le service militaire n’étant pas obligatoire en cette fin de guerre, pour les classes 44 et 45. En janvier 1946, il rejoignit l’École, obtint en 1947 le diplôme de l’Institut d’études politiques, puis en 1949 l’agrégation d’histoire. À titre d’agrégé répétiteur, il demeura encore trois ans à l’École, puis en qualité de chercheur du CNRS, il passa deux ans à Cologne (RFA) afin d’étudier l’histoire sociale de la ville. Nommé en 1954 au lycée de Metz (Moselle), il devint en 1957 assistant à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Après avoir été promu maître-assistant, il fut muté en 1968 à l’Université de Paris X (Nanterre Hauts-de-Seine). Il soutint en 1977 sa thèse, Histoire sociale de la ville de Cologne 1815-1875, et fut nommé en 1979 professeur à l’Université des sciences humaines de Strasbourg où il prit sa retraite en 1993. Il avait épousé en 1960 Françoise Gipoulon, certifiée d’histoire ; ils eurent deux enfants, l’un ébéniste, l’autre formateur dans des organismes d’intégration de jeunes.

Pendant ses études au lycée de Saint-Cloud, il avait fait la connaissance d’un professeur, Guy Raynaud de Lage*. En 1950, celui-ci le présenta à Paul Vignaux*. Pierre Ayçoberry commença alors à travailler dans le groupe Reconstruction, publia dans les Cahiers de nombreuses études entre 1952 et 1960. Lorsqu’en octobre 1953, ces Cahiers, d’abord ronéotypés, furent imprimés, ils indiquèrent les noms des quatre membres du comité de direction : Pierre Ayçoberry, Paul Vignaux*, ainsi que deux militants ouvriers. Pierre Ayçoberry y figura jusqu’à ce qu’en 1964, la parution des Cahiers devenant épisodique, le comité de direction ne fut plus mentionné. Les articles de Pierre Ayçoberry concernaient la vie politique et économique de l’Allemagne, le stalinisme vu par les soviétologues anglo-saxons, la vie politique française : les partis, le scrutin d’arrondissement, l’expérience de Mendès France, etc.

À l’ENS, Pierre Ayçoberry, d’abord non-syndiqué, avait adhéré au SNES lorsqu’il était devenu agrégé répétiteur. En rejoignant le lycée de Metz, il passa au SGEN, attiré par la personnalité de Paul Vignaux et la qualité des leaders ouvriers côtoyés à Reconstruction. Il milita aussitôt, accompagnant Paul Caspard* dans ses tournées de propagande à travers la Moselle. Rappelé huit mois en Algérie, il en revint en mars 1957 et put apporter son point de vue de militaire au congrès du SGEN d’avril : il estimait que la résolution sur l’Algérie, proposée par le bureau national et contestée par les délégués d’Alger et d’Oran, n’attaquait pas l’armée mais la défendait au contraire. Cette motion condamnait « des méthodes incompatibles avec l’honneur français, tel du moins que les enseignants publics ont la charge d’en donner la notion à la jeunesse ».

Présent également au congrès confédéral de juin 1957, Pierre Ayçoberry y joua un rôle important. En effet comme le rapport moral de Georges Levard* était muet sur les prises de positions de la CFTC au cours des deux années écoulées, les minoritaires avaient déposé une motion sur l’Algérie qui évoquait notamment la nécessité d’une décolonisation. Pierre Ayçoberry intervint alors auprès de ces derniers comme auprès de la délégation d’Algérie pour éviter un affrontement qui aurait pu aboutir à un texte en retrait sur les textes antérieurs de la Confédération. Il obtint des uns et des autres que la motion du congrès confirmât simplement — et ce sera à l’unanimité — les prises de positions antérieures, tant celles du conseil confédéral que celles du comité national d’octobre 1956 : ce dernier avait réclamé « des contacts valables sur le plan politique » afin de permettre un retour rapide à la paix.

Élu au comité national en avril 1957, Pierre Ayçoberry allait y participer activement pendant de longues années, tout en accomplissant diverses missions. En octobre 1957, avec Antoine Brunet, secrétaire du SGEN-Enseignement technique, il présenta le syndicat aux élèves de l’ENSET : cette réunion montrait que le SGEN était vraiment « général », puisque devant des collègues du technique parlait un professeur du secondaire qui entrait dans le supérieur. Pierre Ayçoberry et A. Brunet répondirent à de nombreuses questions concernant l’attitude laïque du SGEN, ses liaisons avec le monde du travail, etc. En mars 1958, Pierre Ayçoberry se trouvait dans la délégation SGEN reçue par le ministre de l’Éducation nationale afin d’entretenir celui-ci des problèmes revendicatifs des ENS. En janvier 1959, il rédigea l’éditorial du bulletin Jeunes où il dénonçait le « mythe de la jeunesse » créé par un gouvernement qui ne prévoyait pas grand-chose en faveur des jeunes ; il invitait le syndicalisme à éclairer le problème des jeunes par des enquêtes scolaires, des études de salaire afin de proposer des réformes réalistes. Aussi en avril suivant, il fut chargé de représenter le SGEN au congrès de l’UNEF à Grenoble.

Lors du comité national de décembre 1958, c’est lui qui donna lecture d’une lettre d’Henri Marrou* qui, empêché, lui avait remis son mandat : cette lettre appuyait la politique du SGEN depuis le 13 mai et spécialement lors du référendum de septembre 1958. Évoquant au comité national de décembre 1961 les manifestations « pour la paix en Algérie et contre l’OAS » qui avaient eu lieu à Clermont-Ferrand, Pierre Ayçoberry avait assez de contacts avec les militants de l’UNEF de son Université pour signaler au comité national que les étudiants comprenaient de moins en moins que la CFTC « n’acceptât pas la politique du front syndical sans exclusive » que le SGEN réclamait depuis plus d’un an. En 1964 on retrouva sa signature au bas d’un compte rendu d’un document élaboré par le comité national au sujet de la licence ès lettres : on y évoquait notamment le contenu de la propédeutique et le rôle du cours magistral. Il avait d’ailleurs au groupe de travail du 11 novembre 1963 apporté la réponse collective de Clermont-Ferrand au sujet de l’enquête SGEN sur la réforme des Propédeutiques-lettres.

Pierre Ayçoberry militait en outre au plan local. À Clermont-Ferrand il était membre du bureau académique SGEN ainsi que du bureau de l’Union départementale CFTC-CFDT où il avait la fonction de secrétaire administratif. Aussi en mai 1968, il y eut des assemblées communes très réussies entre une base étudiante assez nombreuse et l’Union départementale CFDT représentée par des militants ouvriers. Du coup le SGEN, dit-il, bénéficia auprès de ces étudiants d’une sorte d’auréole et se fit mieux écouter, même dans des débats ne concernant que l’Université. Quand Pierre Ayçoberry arriva à Nanterre à la rentrée de 1968 avec deux autres militants SGEN, Hélène Huot et Patrick Fridenson, tous trois furent en désaccord avec le bureau de la section. Celle-ci se divisa de plus en plus sur l’attitude à observer en cas de troubles : les uns pensaient comme Pierre Ayçoberry qu’il fallait « faire le gros dos, rester présent dans les halls pour éviter la casse, et attendre, voire favoriser, une rupture entre maos et trotskistes », les autres « appuyaient les doyens successifs dans leurs essais de rétablissement de l’ordre, avec appariteurs, etc. ».

Lors du congrès de Tours en 1970, la section se partagea entre partisans et adversaires de la ligne nationale : Paul Vignaux et Charles Piétri considéraient que le SGEN devait combattre pour un service public libre de tout endoctrinement, résister par conséquent aussi bien aux pressions du système économique qu’aux gauchistes qui cherchaient à politiser l’enseignement. Les minoritaires pensaient que cela ne suffisait pas si l’on ne s’efforçait pas en même temps de rénover les méthodes d’une Université foncièrement conservatrice. Pendant le congrès, Pierre Ayçoberry se fit le porte-parole de ces derniers dans les réunions du Supérieur. Il resta donc adhérent SGEN lorsqu’en 1972 les minoritaires prirent le pouvoir : à ce titre il fut élu titulaire avec Jacques Natanson* le 17 mars 1976 au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). Une fois à la retraite, il participa aux activités du club Jacques Peirotes qui était à Strasbourg un club de réflexion politique de gauche en marge du Parti socialiste. Outre sa thèse, chez Aubier, il a notamment publié en 1979 La Question nazie (au Seuil), première tentative de synthèse en français sur les interprétations à la fois contemporaines et ultérieures du phénomène nazi. Il contribuait, ce faisant, à replacer les débats sur le totalitarisme dans une perspective historique et historiographique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10580, notice AYÇOBERRY Pierre, Antoine, Louis par Madeleine Singer, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 20 septembre 2021.

Par Madeleine Singer

Pierre Ayçoberry
Pierre Ayçoberry
[Cliché fourni par Madeleine Singer]

ŒUVRE : L’Unité allemande, 1800-1871, PUF, 1968, collection « Que sais-je ? » (3e édition mise à jour, 1982). — La Question nazie. Essai sur les interprétations du national-socialisme 1922-1975, Seuil, 1979, collection « Points Histoire ». — Thèse publiée, Cologne entre Napoléon et Bismarck. La croissance d’une ville rhénane, Aubier-Montaigne, 1981, « Collection historique ». — En collaboration avec Marc Ferro, Une Histoire du Rhin, Ramsay, 1981. — La Société allemande sous le IIIe Reich, 1933-1945, Seuil, 1998, Collection « L’Univers historique » (réédition, Seuil, 1998, collection « Points Histoire »).

SOURCES : M. Singer, Histoire du SGEN 1937-1970, PUL, 1987 — Syndicalisme universitaire (1957-1972) — Cahiers Reconstruction (1952-1964) — Lettres de Pierre Ayçoberry à M. Singer, 5 janvier 1979, 28 février 1981, 10 avril 1983, 27 mars 1995, 24 février 1997, 8 mars 1997 — Lettre de P. Fridenson à M. Singer, 11 février 1981. — Patrick Fridenson, "Historien français, spécialiste l’Allemagne e du nazisme", Le Monde, 28 novembre 2012.

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