AYME Henri, Louis, Joseph

Par Francis Roux, François Chevaldonné, Hélène Maignan

Né le 25 mars 1888 à Carpentras (Vaucluse), mort le 4 mars 1970 à Arles (Bouches-du-Rhône) ; docteur et chirurgien dentiste ; un des fondateurs et des principaux responsables du Parti communiste du Vaucluse entre les deux guerres. Orateur de talent et propagandiste, secrétaire fédéral, candidat aux municipales, aux cantonales, aux législatives, en 1928 et 1936, secrétaire du Comité départemental antifasciste après avoir participé à la formation du Comité Amsterdam-Pleyel ; interné administratif en 1940 puis déporté en Afrique du Nord fut, au lendemain de la guerre, conseiller municipal de Cavaillon et permanent de la Fédération communiste du Vaucluse.

Henri Ayme
Henri Ayme

Fils de Laurent Ayme et de Marguerite Farnaud, Henri Ayme est né à Carpentras, dans une famille de paysans moyens. Son père était analphabète, une tante était religieuse. Il fit ses études primaires et secondaires dans des écoles confessionnelles, puis des études de médecine à la Faculté de Montpellier, payées par un oncle maternel négociant aisé. Il obtint les grades de docteur en 1910 et de chirurgien-dentiste en 1912. Il épousa, en janvier 1913, à Carpentras, une condisciple d’origine russe, Raïssa (« Renée ») Slobodsky, née le 25 mars 1884, à Alexandrie, d’un père négociant. Il en eut deux enfants, un garçon, Laurent, Boris, né en novembre 1913, et une fille, Olga, née en février 1916. Atteint par la tuberculose, il passa une partie de la guerre en sanatorium à Grasse, et cette période fut également néfaste pour les affaires du couple : parallèlement à leur cabinet de dentistes, ils placèrent leur argent dans une affaire de conserves de légumes qui tourna mal vers la fin du conflit, faute de clientèle. Mais Henry Ayme (le prénom est souvent écrit avec un y...) se faisait déjà remarquer par son prosélytisme religieux et politique... Catholique pratiquant, de tendance silloniste, il avait fait baptiser avec ostentation, peu avant son mariage, sa future épouse qui était de confession israélite, avec le parrainage d’un professeur royaliste. Il était président du patronage Saint-Joseph de Carpentras où sa piété l’avait fait surnommer « l’Austère ». Il vendait la presse catholique aux portes des églises, à la sortie des messes dominicales... Royaliste militant il participa, avec des camarades, à la cérémonie d’inauguration de la Croix d’Oppède.
Mais son évolution politique s’amorçait : en 1918, ayant perdu la foi, il demanda son admission à la Loge maçonnique de Carpentras ; elle lui fut refusée pour « suspicion de cléricalisme ». Il se lança alors dans le socialisme révolutionnaire. Par conviction ? sans doute pas sous l’influence de sa femme, de famille russe émigrée . Selon un rapport de police, il « demeure suspect pour certains communistes convaincus, malgré tout le zèle qu’il peut déployer. Néanmoins, pour l’instant, sert passionnément ce parti dans l’espoir de satisfaire ses ambitions politiques... » (janvier 1922).
Henri Ayme, en effet, fut l’un des fondateurs du Parti communiste vauclusien, auquel il adhéra dès sa fondation. Il devait lui rester fidèle, sauf une brève éclipse en 1930-1932...
Brillant orateur, à la parole prenante et convaincante, ce dentiste « arrachait tout, même les larmes », ou le fou-rire. Dialecticien habile et clair, il pouvait se mettre à la portée de tous les auditoires, jouant de différents registres, capable de transformer les accusations de richesse, incompatible avec ses opinions, en témoignage de désintéressement. Il savait, lors d’une réunion contradictoire, ridiculiser son adversaire : « Si M. Guichard a compris, alors vous avez tous compris ! ». À un autre notable adverse, réputé homosexuel, qui lui reprochait d’attaquer la République, il rétorquait immédiatement : « Nous attaquons la République peut-être, mais nous c’est de face ! ». Il était capable aussi bien de prêcher la bonne parole aux paysans qu’il soignait que de descendre dans la rue et de conduire une manifestation.
Dès le premier congrès d’organisation du Parti communiste du Vaucluse, le 28 janvier 1921, à Avignon, où Ernest Denante* fit le compte rendu de la scission de Tours et où fut adopté le principe d’une Fédération vauclusienne, il était décidé que le journal l’Avenir, créé par le docteur Ayme, à Carpentras, serait l’hebdomadaire du Parti. Henri Ayme en fut le directeur, écrivant de violents articles polémiques contre le gouvernement, faisant, selon la police, « l’apologie du bolchevisme » ce qui motiva une première demande d’inscription au carnet B, en mars 1922.
À cette date, à la suite d’une crise dans la section d’Avignon et du déplacement du siège de la Fédération d’Avignon à Carpentras, le docteur Henri Ayme était devenu secrétaire fédéral, succédant à Raphaël Ramé*. Un peu discrédité par des attaques contre sa femme (ce ne seront pas les dernières) et la perte du procès en diffamation qu’il avait intenté au journal Le Ventoux, il n’en déployait pas moins une action politique fébrile : noyautant, avec Gaston Mouillade*, la coopérative « La Semeuse » de Carpentras ; organisant des conférences, suivant les réunions socialistes pour stigmatiser « la trahison » ; enfin organisant un groupe de Jeunesses communistes à Carpentras. Le 1er juillet 1923 s’y réunissait le premier congrès fédéral, en présence de Maurice Laporte* et de Henri Gourdeaux*. La préfecture ayant interdit le défilé avec drapeaux rouges, des bagarres éclatèrent, un manifestant fut renversé à la suite de l’intervention d’une brigade à cheval. Au milieu des militants qui criaient « assassins, assassins », Ayme s’empara d’un drapeau rouge et mit au défi le service d’ordre de le lui arracher. Cette action lui valut, cette fois, l’inscription au carnet B, 3e groupe « individus dangereux pour l’ordre intérieur » (20 novembre 1923).
Début 1924, Henri Ayme quitta Carpentras pour ouvrir un cabinet dentaire à Cavaillon. Il en ouvrit ensuite un autre à Orgon (Bouches-du-Rhône), qui fonctionnait le dimanche matin. Le journal l’Avenir avait dû cesser sa parution et la coopérative « La Semeuse » avait échappé à la direction communiste.
À Cavaillon, le groupe communiste avait un leader populaire, Auguste Bertrand*. Henri Ayme allait, avec lui, participer activement à la campagne électorale, faite surtout de contradictions aux orateurs du Cartel des gauches. Aux élections municipales de Cavaillon, en 1925, il arrivait en deuxième position de la liste BOP, après Bertrand, obtenant 796 voix sur 2 321 suffrages exprimés.
Encore secrétaire fédéral, il participait à la fête annuelle du Parti à Fontaine-de-Vaucluse et y prenait la parole. Le 25 octobre 1925, il était à la tête des militants communistes qui manifestaient à Orange derrière le défilé des socialistes, sortant de leur congrès fédéral. Ayme, qui avait demandé au comité central d’envoyer Jacques Doriot* ou Gabriel Péri* essaya de prendre la parole en montant sur une chaise. La police intervint. Le même jour, à Cavaillon, les Jeunesses communistes avaient organisé un congrès des Jeunes paysans vauclusiens qui ne rassembla qu’un faible auditoire. Là aussi on attaquait le Cartel et la guerre du Maroc et de Syrie, mais l’absence de Ayme et de Bertrand était remarquée par la police qui y voyait le signe du fiasco de la réunion. En fait la manifestation politique anticartelliste et antisocialiste d’Orange, où Paul Faure* avait pris la parole, avait sans doute paru plus expressive de la politique du Parti à Henri Ayme et aux autres dirigeants fédéraux...
On ne le vit pas, du moins à la tribune, aux fêtes de Fontaine-de-Vaucluse en 1926-1927, ni au meeting contre la guerre du 7 mai 1927 au Pontet, ni à la grande manifestation pour Sacco-Vanzetti du 25 août 1927 à Avignon. Peut-être boudait-il la réorganisation administrative du Parti qui avait entraîné le remplacement du secrétaire fédéral par un comité de rayon dont le chef était Raphaël Ramé ? Il restait quand même à la pointe du combat politique, continuant à porter la contradiction dans les réunions SFIO, attaquant les alliances du Cartel et les guerres coloniales, à l’Isle-sur-la-Sorgue le 26 février 1926, à Pertuis, le 26 mars.
Il réapparut à Fontaine-de-Vaucluse, le 1er avril 1928, parlant après Fontenay et avant Gourdeaux, délégué du comité central. Il fut, cette année-là, le candidat du Parti aux élections législatives pour la circonscription d’Apt. Il devait prendre la parole à l’Assemblée régionale populaire d’Orange le 3 mars 1928, présidée par Denante. Au cours de la campagne électorale la propagande fut souvent conduite par Auguste Bertrand, qui revenait d’un voyage en URSS, et dans les grandes réunions publiques départementales Ayme n’apparaissait plus aussi souvent au premier plan. Il était pourtant réclamé, parfois, par les militants, qui appréciaient son talent d’orateur et d’agitateur. Ainsi Robespierre Marchand* d’Orange demandait au comité de rayon de l’envoyer « faire la contradiction à Daladier... » Il recueillit, au premier tour, 1 549 suffrages, un millier de moins que le socialiste Bon, pour 8 625 votants et, au second tour, 1 125 suffrages pour 9 151 votants, le socialiste en obtenant 2 685, le radical-socialiste Roumagoux étant largement élu. Le Parti allait connaître quelques années de crise, ressentie à tous les échelons, dans le Vaucluse comme ailleurs.
En 1929, la tactique classe contre classe fut aussi appliquée dans les élections municipales. Ayme, candidat de la liste BOP à Cavaillon, arriva en troisième position sur sa liste, recueillant au premier tour comme au second, 484 voix sur 2 676 suffrages exprimés et 124 pour 2 814, Bertrand, en tête, en obtenant 592 et 195. Le 1er août 1929 il fut encore à la tribune à l’occasion de la Journée de lutte internationale contre la guerre, bien peu suivie à Avignon.
Désillusion, désaccord idéologique ? Le docteur Ayme se sépara du Parti entre 1930 et 1933. Le rapport pour la conférence régionale de Marseille (janvier 1930) affirmait que cet « intellectuel prétendu extrême gauchiste », ne comprenait pas la politique du Parti à la campagne (Arch. Nat. F7/13123).
À la fête du Parti, le 13 avril 1930, Ramé flétrissait les militants qui abandonnaient le Parti et ajoutait : « On se demande ce que doit penser le docteur Ayme qui aurait, paraît-il, l’intention de quitter le Parti ». Au cours d’une réunion, le 16 juillet 1930, en présence de Bourneton envoyé du comité central, par 7 voix contre 5, Ayme fut exclu « en raison de l’attitude qu’il avait eue à Cavaillon, le 7 juillet 1930 (?) et qui n’avait eu pour résultat que de ridiculiser le Parti ». Pour le Radical du Vaucluse du 19 juillet, il a été exclu parce que jugé trop bourgeois. Il est vrai qu’à cette date il exploitait quatre cabinets dentaires, à Cavaillon, Isle-sur-la-Sorgue, Apt, dans le Vaucluse, et Lambesc dans les Bouches-du-Rhône. À Cavaillon, le cabinet était tenu par son épouse.
Dès 1933 cependant, il était réintégré, dans un parti affaibli par le départ, ou l’exclusion, des grands leaders de la période antérieure, Denante, Ramé, Bertrand. Aux élections de 1932 à Apt le candidat venu de Marseille, n’avait recueilli que 602 voix au premier tour et 256 au second pour plus de 9 000 suffrages exprimés. Certes Henri Ayme n’avait pas abandonné toute action politique : au cours de la campagne électorale de 1932, il était venu apporter la contradiction au candidat SFIO, Lussy, et, au cours d’une réunion à Pertuis, où Léon Blum avait parlé, il était intervenu en fin de séance concluant : « L’entente SFIO-radicaux socialistes est une entente de classe. La SFIO s’assimile aux radicaux, donc à la bourgeoisie... » Mais ce fut, semble-t-il, l’action antifasciste qui rapprocha Ayme de ses anciens camarades et il fut le délégué vauclusien du Parti au congrès de la salle Pleyel prolongeant le congrès d’Amsterdam au cours duquel s’était constitué le Comité mondial contre la guerre et le fascisme... De retour, le 26 juin 1933, dans un grand meeting « de protestation contre tous les fascismes » à Avignon, après l’orateur de la CGTU qui avait préconisé un front unique, après le discours d’un député du Reichstag, il fit un vigoureux discours... écouté « bouche bée par les ouvriers qui n’avaient pas assisté à pareille véhémence depuis le départ de Ramé ». Il allait conduire, sans trêve, cette action pendant deux ans, organisant dans tout le département des comités antifascistes, participant, souvent au premier rang, aux manifestations parfois violentes. Il devint secrétaire du comité départemental qui regroupait 71 comités locaux ou cantonaux. Après le 6 février 1934 il poussa à l’unité d’action, pas toujours suivi par les socialistes qu’effrayaient un peu ses violences verbales et qui hésitaient à entrer dans des comités dominés par les communistes. Lors de la grève générale du 12 février 1934, la réunion préparatoire d’Avignon, la veille, rassembla un millier de personnes. Suivie d’un défilé, où communistes et socialistes se côtoyaient ; elle se termina par un discours de Ayme, haranguant les manifestants devant la Préfecture, d’Arnal membre du comité de rayon et de Cluchier secrétaire fédéral SFIO. Le jour de la grève, Henri Ayme conduisit le défilé, essentiellement communiste, où l’on chantait l’Internationale et Bandiera Rossa et il parla, avec Dijon, place de l’Horloge aux centaines de militants. On le vit même intervenir dans les mouvements revendicatifs et syndicaux. Toujours en 1934 il fut candidat au conseil général, canton de Cavaillon, et lors d’une manifestation organisée contre la venue à Carpentras de Philippe Henriot (futur dirigeant de la Milice), à la tête de 600 manifestants il se heurta à la police à cheval, serrant contre lui un drapeau rouge.
Il avait cependant des soucis personnels avec sa femme, qu’on accusa, à tort semble-t-il, d’être kleptomane, ou encore, à tort toujours, d’exercer illégalement. Son action politique, toutefois, n’en était pas diminuée : le 14 juillet 1935, il fut délégué à Paris pour la manifestation de Front populaire. Le rayon de Vaucluse le désigna comme candidat aux législatives de 1936 dans la circonscription d’Apt. Sa campagne électorale fut souvent axée sur son action antifasciste : il ne semble pas l’avoir menée très activement, l’alliance de Front populaire le contraignant à se désister au second tour pour Lussy qui ne pouvait manquer de le devancer au premier tour. Il obtint cependant 2 713 voix sur 9 332 suffrages exprimés, soit un gain d’environ 10 % par rapport à 1928, Lussy, qui devait être élu au second tour, le précédant de 1 000 voix.
Le 14 juillet 1936 il assista au grand banquet de Front populaire avec Marx Dormoy* mais, le 24 août, dans un meeting à Bollène, en faveur de la République espagnole, organisé par le comité de Front populaire, il critiqua l’attitude de neutralité de Léon Blum*. Il fit, en septembre 1936, un voyage en Espagne, avec son fils membre des Jeunesses communistes. Le 1er octobre, à la Bourse du Travail d’Avignon, il en donna le compte rendu et stigmatisa la non-intervention.
En 1937, battu à nouveau aux élections municipales complémentaires de Cavaillon, le 11 avril, recueillant 459 voix pour 2 929 suffrages exprimés, il ne tarda pas à se désolidariser des radicaux de la municipalité. Dans une réunion publique, le 5 novembre, où l’instituteur socialiste Travail engageait les partis de gauche à rester unis contre le fascisme, les radicaux étaient absents et Henri Ayme s’en prit vigoureusement au maire et aux conseillers radicaux de Cavaillon.
Le 14 juillet 1938 à Avignon, au cours de la manifestation organisée par l’Union départementale CGT « pour le maintien du Front populaire et l’aide à l’Espagne républicaine », Ayme n’était pas à la tête du cortège de militants, communistes pour la plupart, qui se heurtaient au service d’ordre du maire socialiste Gros. « Il se tenait à l’écart » notait le rapport de police. Était-il déçu de la rupture du Front populaire ? Le 4 décembre 1938 il assistait à une réunion de la section socialiste d’Avignon « pour protester contre les décrets lois ». En l’absence des députés socialistes du Vaucluse en tournée ou excusés (comme Gros), le président de séance annonça que le docteur Ayme tenait à associer son parti à la manifestation socialiste et lui donna la parole... Un rapport de police du 23 janvier 1939 sur l’état du Parti communiste dans le rayon de Pertuis notait : « Le rôle du docteur Ayme qui fut pendant longtemps animateur du Parti communiste est difficile à définir [...] puisqu’il ne semble plus investi de fonctions précises [...] son action de propagandiste et de militant est bien moins intense ». On ne manquait pas de recenser ses richesses : plusieurs cabinets dentaires, un immeuble, deux autos, une propriété à Verquières (Bouches-du-Rhône)
De fait, il se retira à Verquières dès le début de la guerre au domaine de Beauplan, dont il était propriétaire, mais il faisait chaque jour le trajet de Cavaillon où il avait cédé un cabinet dentaire à son fils récemment mobilisé. Inscrit au carnet B des Bouches-du-Rhône à partir du 23 octobre 1939, un rapport de mars 1940 témoignait « qu’il s’était beaucoup amendé et paraissait se passionner pour la géologie » et l’hydrologie...
En effet, cet esprit scientifique et curieux s’intéressait depuis longtemps à la véritable énigme que posaient la circulation et la résurgence des eaux du Plateau de Vaucluse et de St Christol. Dès 1919 il avait créé la Société des Amis de la Sorgue souterraine, dont Daladier fut un temps président d’honneur. Pendant les deux décennies suivantes il finança intégralement, dit-on, les recherches effectuées dans des orifices du Plateau (Aven de l’Aze), et dans les profondeurs de la cavité vauclusienne elle-même. (c’est d’ailleurs sous son patronage que les fêtes annuelles du PC départemental se tenaient traditionnellement à la Fontaine-de-Vaucluse : cadre frais et verdoyant particulièrement agréable). Il lança un projet qui, s’il ne s’était heurté au refus du maire de droite de l’époque, aurait permis de régulariser le débit des eaux et de fournir une activité régulière aux moulins en aval.
Cependant l’autorité militaire dénonça son attitude, ce qui provoqua vraisemblablement son internement administratif. Un arrêté l’envoyant au camp de Saint-Angeau (Cantal) fut signé le 6 juin 1940. En fait, c’est dans le camp de Chabanet (Ardèche) qu’il fut interné. Mais, dans le même temps, une procédure judiciaire était instruite contre lui par le tribunal militaire de la XVe région, ce qui lui valut d’être emprisonné au Bas-fort Saint-Nicolas à Marseille (Bouches-du-Rhône). Il fut condamné le 28 février 1941 à quinze mois de prison avec sursis et 2 800 francs d’amende pour « pour menées communistes ». C’est alors qu’il fut envoyé au camp de Saint-Paul d’Eyjaux (Haute-Vienne), le 23 mars 1941. Comme il souffrait d’un ulcère à l’œil, les conditions de détention lui furent particulièrement pénibles. Au camp, il soignait ses camarades et participait à l’organisation clandestine. La police n’était pas dupe. Le rapport commissaire de police mobile, daté du 12 juin 1941, signalait qu’Ayme dit Le Roumi, continuait à faire de la propagande, tout en faisant preuve de prudence, et qu’il était particulièrement écouté. Le policier rapportait divers propos qu’il aurait tenus, ainsi, le 8 juin, après avoir visité des travaux dans une baraque, il aurait déclaré en sortant qu’il préférait « être avec ces gens-là plutôt qu’avec ceux qui les ont fait enfermer parce qu’au règlement de comptes qu’est ce qu’ils vont prendre ! ». Considéré comme « très dangereux », il fut déporté en Algérie, au camp de Bossuet (aujourd’hui Dhaya).
Et – trait bien caractéristique du personnage – c’est justement cet internement, cet arrêt forcé des activités pendant plusieurs années, qui lui donna le temps et le désir d’écrire ; d’écrire de nombreux poèmes, mais surtout un roman fantastique, contrairement à ce que pourrait à première vue suggérer le titre de l’ouvrage : Vaucluse. Le héros, un biologiste spéléologue, égaré dans les galeries souterraines de ce Plateau en apparence bien familier, y découvre par accident un univers merveilleux, technologiquement très développé, très proche de l’univers de Jules Verne : l’absolue pureté des eaux souterraines, exploitée rationnellement, y permet, grâce à un système d’irrigation révolutionnaire, des cultures incroyablement riches, même sous terre, et même la préservation de l’organisme humain contre le vieillissement et la mort.
Le livre, écrit pour l’essentiel en prison et en camp, évite toute allusion politique, mais ce merveilleux scientifique rejoint directement les enthousiasmes pionniers de la littérature soviétique des années trente : les hommes, libérés de la mort, y sont devenus tous semblablement parfaits, grâce à l’accroissement infini de leur expérience et de leur réflexion, libérées des contraintes matérielles. Le roman se termine par un grandiose miracle moderne : au beau milieu de la traditionnelle voto (fête votive) où tous les paysans et les prêtres de la région de Carpentras sont réunis comme chaque année devant la petite fontaine attribuée à un miracle du santon local Saint Gens, les eaux du sous-sol produisent un bouillonnement énorme, annonciateur de fertilisation des champs, et de lendemains qui chantent.
À la Libération Henri Ayme devint conseiller municipal de Cavaillon et réintégra le Parti vauclusien. Il fut responsable du journal Le cri du Vaucluse, non sans fréquents conflits avec la direction départementale : celle-ci privilégiait systématiquement les échos des luttes sociales et des entreprises, tandis que, dans l’ambiance favorable de l’immédiat après-guerre, pour attirer un plus large public populaire il donnait une importante place au jardinage, à la cuisine et aux contes provençaux.
Sentant venir la fatigue de l’âge, peut-être déçu de ne pas être désigné comme candidat aux élections parlementaires de 1945-1946, il se retira progressivement de l’action politique, et quitta ses fonctions municipales en 1952, année de la mort de sa femme. Il consacra ses dernières années à mettre en meilleure forme ses travaux des périodes précédentes : scientifiques (Vallis clausa), littéraires (Calès ou l’humanité souterraine), et politiques (La Cause). Il se remaria en 1953 avec Marie Joséphine Magrelli, eut encore plusieurs enfants et vécut à Verquières. En 1964, il donna son adhésion au Comité d’honneur national pour la réhabilitation de André Marty.
Après sa mort, son nom fut donné en 1972, par une municipalité de gauche, à la plus moderne des nouvelles cités périphériques de Cavaillon. Devenue plus tard un « quartier difficile », celle-ci a abrité un groupe de rap, dont l’un des succès avait pour leit-motiv « Docteur Ayme – c’est – pas Cavaillon – c’est Docteur Ayme ». Peu de ces jeunes avaient une idée complète de ce que fut le personnage, mais son côté intrépide et provocateur n’aurait sans doute pas détesté cette forme de mémoire.

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Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10585, notice AYME Henri, Louis, Joseph par Francis Roux, François Chevaldonné, Hélène Maignan, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 30 décembre 2020.

Par Francis Roux, François Chevaldonné, Hélène Maignan

Henri Ayme
Henri Ayme

SOURCES : Arch. Nat. F7/13022, F7/13029, année 1934, F7/13 134. — Arch. Dép. Vaucluse, 1 M 723, 817, 824, 826, 830, 831, 840, 842 ; 3 M 280, 281, 283, 285, 533 ; 4 M 234, 237 ; 10 M 31 et 35. — Arch. dép. Bouches-du-Rhône 5 W 162 (dossier internement). — Arch.mun. Cavaillon, délib. conseil mun. – Le Radical du Vaucluse, 19 juillet 1930 coll. BM Calvet, Avignon. — Autrand, Statistique des élections..., op. cit. Le conseil général du Vaucluse, op. cit. — Le Débat communiste, 15 janvier 1964 et Unir-Débat, 10 avril 1970. — Témoignages (Olga Florac Ayme, R.Gros, F.Marin, F. Mitifiot). — État civil Carpentras et Arles – A. Maureau, R. Moulinas, A. Simon, Histoire de Vaucluse, t.1, Avignon, Barthélémy, 1993 – F. Marin, Café des Palmiers, Paris, Éd. Soc., 1993. — Documents iconographiques communiqués par ses filles, décembre 2015.— renseignements complémentaires Jean-Marie Guillon.

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