CLÉVY Émile, Charles

Par Justinien Raymond, René Lemarquis

Né à Ruvigny (Aube), le 19 septembre 1867 ; mort à Troyes (Aube), le 14 avril 1940 ; ouvrier bonnetier ; militant et maire socialiste.

Venu jeune à Troyes travailler dans la bonneterie, Émile Clévy se donna tout de suite à l’action ouvrière. Adhérent du syndicat de sa profession, il y joua un rôle si actif qu’il le représenta parfois aux congrès de la Fédération nationale du Textile. Il fut aussi délégué à deux reprises à des congrès nationaux corporatifs, au XVe — 9e de la CGT — Amiens, octobre 1906, et au XVIe, Marseille, octobre 1908.

Il avait vingt et un ans quand, avec une centaine de militants troyens, il participa à l’organisation, dans le chef-lieu de l’Aube, de l’important congrès ouvrier et socialiste de décembre 1888. Une Fédération socialiste reliée au POF naquit, rassemblant à peu près tous les militants organisés. Il en fut un temps le secrétaire général. Il collabora à son organe La Défense des Travailleurs lancé en 1891 et en devint le gérant. Il la représenta dans les congrès nationaux avant comme après l’unité de 1905 : à Roubaix (1901), à Toulouse (1908), à Nîmes (février 1910), à Paris (juillet 1910), à Saint-Quentin (1911), à Lyon (1912), à Brest (1913). En janvier 1914, au congrès d’Amiens, il siégea à la commission des résolutions chargée de mettre au point le programme et la tactique du Parti socialiste en vue des élections législatives.

Il paraissait à tous les congrès départementaux. Dans la plupart des réunions publiques de propagande, dans les rassemblements du 1er Mai ou dans les manifestations de protestation ou de pression, il portait une parole éloquente. Le 18 mars 1900, à la Halle de la bonneterie de Troyes, il commémorera la Commune, née, affirma-t-il, de la trahison des généraux en présence de l’ennemi. Le 1er Mai 1907, il parla à la Bourse du Travail devant les militants rassemblés par le syndicat des rebrousseurs. Il déplora la division qui alors se faisait jour dans la section socialiste de Troyes et accusa le maire, Mony, d’en être l’instigateur, d’avoir à ces fins imité Clemenceau, fondé la Bourse du Travail pour y manœuvrer les syndicats qui, jusque-là, s’abritaient à la Maison du Peuple. Devant les travailleurs réunis au Cirque municipal le 1er Mai 1910, Clévy fit l’historique de cette journée de lutte et revendiqua les « huit heures ». Le 26 mars 1911, il porta la contradiction à la marquise de Mac-Mahon dans une réunion monarchiste à Troyes. Il y exposa les théories socialistes et, avec les ouvriers qui l’accompagnaient, chanta l’« Internationale ». Le 1er Mai suivant, au Cirque municipal, dans une réunion organisée par le Parti socialiste il développa son programme et prêcha l’union de tous les travailleurs. Le 6 septembre, dans la même salle, au nom du Parti socialiste dont il exposa les théories révolutionnaires, il protesta contre la cherté de la vie. Le 25 novembre, il invita ses auditeurs d’une réunion publique socialiste à se grouper dans les syndicats et les coopératives. Le 9 décembre, à la Bourse du Travail, au cours d’une réunion publique à l’occasion de la grève des bonnetiers des établissements Manchauffée, il attaqua violemment le directeur de ces établissements, M. Petit, son esprit rétrograde et son hostilité envers les ouvriers syndiqués. Il s’éleva contre les réactions brutales de la police qu’il rendit responsable d’un coup monté avec le patronat contre son camarade Combes condamné à tort, selon lui, pour coups à agent. Sous les auspices du Parti socialiste, il fut encore l’orateur des meetings du 1er Mai en 1912 et en 1913. Au cours du premier rassemblement, il préconisa la journée de huit heures et la semaine anglaise, montra la nécessité de l’action syndicale pour arracher à l’unique ennemi de l’ouvrier, le patronat, les améliorations indispensables aux travailleurs. L’année suivante, il s’éleva contre la loi de trois ans, fit le procès de la presse chauvine, situa en France et non au-delà des frontières l’ennemi de la classe ouvrière, le capital. Puis il entraîna une centaine de manifestants derrière les bannières syndicales aux chants de l’« Internationale » et de « l’Hymne au 17e ». Le 7 mai 1914, au cours d’une réunion électorale à Troyes, rappelant les désistements passés des socialistes pour les radicaux, il appela ceux-ci à assurer le succès des candidats socialistes, Léandre et Philbois. Sa notoriété comme militant ouvrier était telle que, de 1902 à 1908, Clévy fut membre de la commission permanente du Conseil supérieur du Travail.

En 1912 et en 1913, Clévy participa à de nombreux rassemblements contre le danger de guerre. Le 18 novembre 1912, à la Bourse du Travail de Troyes, il fit un tableau des horreurs inévitables des champs de bataille et engagea les ouvriers à s’opposer à tout conflit. La veille, à Bar-sur-Aube, il menaça la bourgeoisie, rendue responsable de la guerre éventuelle, du soulèvement du peuple en armes. Il reprit cette idée à Troyes le 17 décembre. Le 18 mars 1913, à Troyes, il fit le procès de la loi de trois ans, assurant que le crédit de 500 millions de francs affecté à la guerre « sert à protéger la bourgeoisie contre le prolétariat plutôt qu’il n’assure la défense nationale ».

Socialiste, syndicaliste, Clévy fut aussi un militant de la coopération. Il y occupa même d’importantes fonctions. Jusqu’en 1919, il fut directeur de « La Laborieuse » et ensuite il appartint au conseil d’administration des coopérateurs de Champagne adhérant à la FNCC.

Clévy fut à maintes reprises le candidat de la Fédération socialiste de l’Aube au cours de campagnes électorales menées longtemps sans espoir de succès. S’il fut conseiller municipal de Sainte-Savine de 1896 à 1900, conseiller municipal de Troyes de 1912 à 1931, et maire de la ville de 1919 à 1929, il échoua toujours aux élections cantonales et législatives. Dans le 2e canton de Troyes, il obtint 495 voix en 1901 et 1 025 en 1913 ; dans le 3e canton, il en totalisa 450 en 1904 et 856 en 1910. Candidat de principe à la députation, il atteignit 384 suffrages en 1902 dans l’arr. d’Arcis-sur-Aube et 467 dans celui de Bar-sur-Aube en 1910.

En 1919, Émile Clévy était responsable à la propagande du Parti socialiste SFIO de l’Aube. Il se prononça dès avril 1919 pour l’adhésion à la IIIe Internationale. Élu secrétaire fédéral du Parti il quitta cette fonction au congrès du 7 septembre 1919 et dirigea la liste des candidats socialistes aux élections municipales de décembre. Après le succès électoral, il fut élu maire (mais, selon La Dépêche de l’Aube du 21 août 1923, la section troyenne du PS aurait alors préféré Plard par 110 voix contre 102). L’élection ayant été invalidée, il connut le même succès aux municipales de juillet 1920.

Il fut délégué aux congrès nationaux de Strasbourg et de Tours et jusqu’en 1923 il fut membre du Parti communiste. Les congrès fédéraux du PC le portèrent à la commission administrative en janvier 1921, avril 1922, janvier 1923. En janvier 1921 il était candidat aux élections sénatoriales.

En 1920, il présida le comité d’action pour un quotidien ouvrier, fut membre du premier conseil d’administration de l’imprimerie « L’Émancipatrice » et établit les statuts du quotidien La Dépêche de l’Aube au CA duquel il participait.

Dans son numéro du 14 avril 1923, le journal l’Aube Nouvelle, organe de la SFIO reconstituée, annonçait l’exclusion du PC d’Émile Clévy et de Louis Croisé. Le 19 avril la section troyenne de la SFIO, en présence de Paul Faure, votait à l’unanimité leur admission au Parti. L’Aube Nouvelle du 21 avril publia une lettre d’Émile Clévy à Paul Faure : après avoir rappelé son départ avec des regrets profonds de la SFIO à la suite « du malheureux congrès national de Tours », il ajoutait : « J’avais pensé que la force des événements imposerait le retour à un parti unique, condition pour le prolétariat de tout progrès et de toute victoire... Le PC semble ne rien voir de ces choses... ». Le PC publia d’abord le 19 avril un communiqué fédéral demandant de ne prêter aucune attention aux commentaires de la presse bourgeoise et dissidente, puis, le 18 mai, un article parut dans La Dépêche sur Clévy et Croisé, « d’anciens camarades qui firent leur devoir dans le passé mais... qui sapaient à l’intérieur de notre Parti la confiance dans le communisme ». La commission exécutive du PC décida un congrès extraordinaire pour décider de l’exclusion mais l’annonce publique de l’adhésion à la SFIO dispensa le congrès d’envisager le problème au fond et l’exclusion fut votée à l’unanimité. Dans une lettre parue le 28 mai dans La Dépêche, Clévy riposta en annonçant que, dès le 13 mars 1923, la section troyenne avait décidé sa radiation « pour conduite anticommuniste comme maire de la ville de Troyes » (lettre signée d’Émile Roussier secrétaire du PC troyen). Dans cette même lettre, Clévy se définissait comme n’ayant « jamais été dans sa vie militante un extrémiste de droite ou de gauche... je suis et reste un marxiste malgré tout et malgré tous... un élu ouvrier qui a pour tâche de défendre la classe ouvrière ». La majorité des conseillers municipaux le suivit. Dès lors il sera attaqué de plus en plus violemment par ses anciens camarades, par exemple au sujet des régies municipales ou de renvois d’employés municipaux.

En 1925, Clévy dirigea, allié aux radicaux, la liste du Cartel des gauches qui fut élue au second tour. Mais Clévy n’avait personnellement obtenu que 5 134 voix soit le plus faible score de la liste. Il fut néanmoins réélu maire de Troyes.

S’il lui arriva de se retrouver quelque temps aux côtés du PC dans l’action commune, ainsi contre les Jeunesses patriotes de Taittinger en mai 1926, un conflit violent l’opposa à ses anciens amis à la suite d’un meeting socialiste convoqué à Troyes le 18 octobre 1926 où Blum et Longuet ne purent parler par suite de l’obstruction communiste. Alors Émile Clévy refusa systématiquement toute salle municipale ainsi que la Bourse du Travail aux réunions du PC, de l’ARAC, de La Lyre communiste... etc. Il s’empara même à la Bourse de documents du PC car toutes les archives antérieures à 1921 devaient, selon lui, revenir à la SFIO.

1927 fut une année difficile pour Clévy : attaqué durement par le PC qui l’accusait d’avoir obtenu des factures de complaisance de la Compagnie des Pompes funèbres et d’utiliser les fonds municipaux pour la propagande socialiste, soumis aux pressions de ses alliés radicaux, il offrit sa démission dans une lettre que publia le 11 mai la presse locale : « Ce mandat de maire, je le tiens de mon Parti, le PS. Je le lui remets. Je ne déserte pas la bataille et reste à la disposition de mon Parti ». Les manifestations contre les scandales redoublèrent ; une revue locale du communiste René Cassal intitulée « Les Gaietés funèbres » eut un grand succès. « Troyes est pratiquement en état de siège » écrivit La Dépêche du 15 juin 1927. Cependant Clévy resta maire par décision préfectorale du 2 juillet. Mais son influence baissait : aux élections municipales de 1929 sa liste n’obtint que 3 107 à 3 300 voix, lui-même étant le dernier. Entre les deux tours les radicaux l’abandonnèrent pour s’allier à la droite.

Il fut encore candidat malheureux au conseil général dans le deuxième canton de Troyes en octobre 1931 et aux législatives de 1932 où il n’obtint au premier tour que 1 649 voix contre 1 886 au communiste Navoizat et 3 285 au radical Gentin.

En février 1934, il participa aux manifestations antifascistes et retrouva Plard dans un comité d’action contre le fascisme qui organisa un meeting le 8 février.

Il était alors membre réélu aux divers congrès de la CE du Parti socialiste. Mais aux élections municipales de 1935, il ne fut pas candidat sur la liste de Plard bien que son parti y figurât. Dans un communiqué paru le 11 mai le PS lui reprocha d’agir « contrairement à l’intérêt du Parti, contrairement aux possibilités d’unité du prolétariat ».

Il fut encore candidat socialiste aux cantonales d’octobre 1937, où il obtint 1 481 voix mais fut battu au second tour par Armbruster, et aux sénatoriales d’octobre 1938.

É. Clévy mourut pendant la guerre le 14 avril 1940.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article106064, notice CLÉVY Émile, Charles par Justinien Raymond, René Lemarquis, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 19 avril 2020.

Par Justinien Raymond, René Lemarquis

ŒUVRE : É. Clévy a collaboré au Socialiste, premier et éphémère organe troyen du POF, à La Défense des Travailleurs qui prit la relève et dont il fut un moment le rédacteur en chef. En 1920, il collabora à La Dépêche de l’Aube.

SOURCES : Arch. Dép. Aube, liasses W. 616, 748, 749, 750, 751, 1290, 1294, 1295, 1321, 1344, 1345. — Arch. Mun. Troyes. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes I, op. cit, pp. 130 à 142, passim. — Comptes rendus des congrès nationaux du Parti socialiste. — Le Petit Troyen, 1919-1940. — La Défense des Travailleurs, 1919. — Le Travailleur, 1920. — La Dépêche de l’Aube, 1920-1935. — L’Aube nouvelle, avril 1923.

ICONOGRAPHIE : Les Fédérations socialistes, op. cit., p. 136.

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