COHEN Alexandre [COHEN, Jozef Alexander]. Diminutif : Sandro. Pseudonymes : Démophile, Demophilos, Demophilus, Kaya, Souvarine

Par Jean-Paul Morel

Né le 27 septembre 1864 à Leeuwarden (Pays-Bas), fils de Aron Heiman Cohen, boutiquier, et de Sara Jacobs ; mort le 1er novembre 1961 à Toulon (France) ; naturalisé français le 11 novembre 1907.Journaliste, traducteur ; anarchiste, passé monarchiste.

Alexandre Cohen cohabité à partir du 15 août 1893 avec Elisabeth Germaine (dite Kaya) Bat(t)ut (Murat/Cantal, 28 sept. 1871 - Toulon, 1959), couturière de mode, qu’il épousera le 23 mars 1918. Leur union est restée sans enfants.

Autodidacte, n’ayant manifestement réussi ni dans les ébauches d’études, ni dans « divers métiers », il se trouve, sur la pression de son père, enrôlé à l’âge de 18 ans dans la « Koninklijk Nederlandsch-Indisch Leger » [Armée royale néerlando-indienne]. Il y passera cinq années, dont trois en prison pour indiscipline.

Au retour de l’ » aventure », il débute sa carrière de journaliste dans le Groninger Weekblad, où il s’emploie à dénoncer la politique coloniale des Pays-Bas, puis entre au Recht voor Allen de Domela Nieuwenhuis, à La Haye, d’abord comme correcteur et rapidement comme collaborateur. En novembre 1887, ayant lancé un « À bas le gorille ! » au passage du roi Willem III en carosse (reprenant le qualificatif dont l’avait déjà gratifié Sicco Roorda dans un libelle intitulé « Scènes de la vie du roi Gorille »), il est condamné à six mois de prison pour « offense à sa Majesté », puis prend à nouveau six mois pour un article paru en mars 1888, dénonçant la classe régnante. Domela Nieuwenhuis lui facilite alors l’échappée vers la Belgique. Il trouve à Gand, au journal socialiste Vooruit, un travail temporaire, mais se voit refusé le droit de résidence et doit alors, en mai 1888, gagner la France.

« Sa conduite ici [précisons, à Paris], énonce un rapport de police, ne donna lieu tout d’abord à aucune remarque défavorable, et il put obtenir l’admission à domicile ». Alexandre Cohen tente de gagner sa vie, restant le correspondant de la revue de Nieuwenhuis - dont il s’emploie par ailleurs à traduire les œuvres en français -, et apportant sa contribution aux diverses revues anarchistes françaises, dénonçant notamment, comme il l’avait déjà fait aux Pays-Bas, la politique coloniale de la France. Mais « en 1892, poursuit le même rapport de police, il commença à se faire remarquer par son activité dans les milieux anarchistes », et fit « le 6 juin 1893, à la Maison du Peuple, un discours subversif qui se terminait ainsi : "À bas la Patrie ! Vive l’anarchie !" ». Si bien qu’au lendemain de l’attentat Vaillant à la Chambre des députés, il est parmi les premières personnes arrêtées, et, malgré les protestations - notamment de Zola (dont il avait commencé à traduire les œuvres en hollandais), d’Octave Mirbeau, de Félix Fénéon et d’Alfred Vallette -, il est expulsé vers l’Angleterre le 12 décembre 1893.

C’est donc curieusement qu’inclus dans le procès des Trente, considéré comme le complice de Félix Fénéon, il se voit condamné par contumace à 20 de travaux forcés. Le rapport de police poursuit ainsi : « Après avoir demandé en vain un sauf-conduit pour venir à Paris, il vint un an plus tard se constituer prisonnier et fut acquitté par la Cour d’Assises. Toutefois, l’arrêté d’expulsion pris contre lui n’ayant pas été rapporté, il fut reconduit en Angleterre ».

S’ensuivent six ans de nouvel exil et de nouvelle misère : trois ans à Londres, de décembre 1893 à mai 1896, - où il coopère au Torch of Anarchy -, puis trois ans aux Pays-Bas, de 1896 à 1899, où il est revenu purger sa peine - alors que Wilhelm III est mort depuis six ans, mais ayant refusé de demander sa grâce à la régente comme il aurait pu l’obtenir.

S’ensuivent six ans de nouvel exil et de nouvelle misère : trois ans à Londres, de décembre 1893 à mai 1896, - où il coopère au Torch of Anarchy, et sera délégué par Domela Nieuwenhuis au(x ?) Congrès de l’Internationale socialiste -, puis trois ans aux Pays-Bas, de 1896 à 1899, où il est revenu purger sa peine - alors que Wilhelm III est mort depuis six ans, mais ayant refusé de demander sa grâce à la régente comme il aurait pu l’obtenir.

En 1899, il revient plus ou moins illégalement en France ; l’arrêté d’expulsion qui le frappait ne sera rapporté que le 18 octobre 1901, sur une nouvelle intervention de Zola. Et malgré un rapport encore défavorable en 1903, il obtiendra sa naturalisation en novembre 1907.

Version de la police : « depuis ces événements, l’attitude de Cohen s’est grandement modifiée ». Selon son biographe Roland Spoor, « ses expériences londoniennes, et surtout sa détention dans les géôles d’Amsterdam lui ont donné l’occasion de réfléchir à sa position politique. Tout en continuant dans un premier temps à défendre les anarchistes quand ceux-ci sont attaqués, il fait ses adieux à l’anarchisme ». Alexandre Cohen va lentement glisser du socialisme, doublé d’un anticommunisme viscéral, au monarchisme.

En 1902, il entre au Figaro comme second rédacteur étranger du quotidien, et signe des « Lettres des Pays-Bas » pour le Mercure de France. Par Henry de Jouvenel, il obtient une mission officielle du gouvernement français pour une enquête comparative, qu’il réalisera en 1904-1905, sur les services médicaux et d’éducation en Indochine et aux Indes néerlandaises, qui lui donnera une nouvelle fois l’occasion de dénoncer les prisons. À son retour, il devient pour plusieurs années (1905-1922) le correspondant parisien du quotidien indépendant hollandais De Telegraaf.

Retiré à Marly-le-Roi en 1924, il fait une première réunion de ses articles, qui paraîtra en 1929 sous le titre sans masque de Uitingen van een reactionnair (1896-1926) [Déclarations d’un réactionnaire] et écrit la première partie de ses souvenirs, qui paraîtront en 1931 sous le titre In Opstand [En révolte]. En 1932, il adhère à l’Action française, et décide d’aller chercher la chaleur du Midi, à Toulon, où, avec sa compagne, il finira ses jours. En 1936, il publie le deuxième volume de ses mémoires sous le titre non dissimulé de Van anarchist tot monarchist [D’anarchiste à monarchiste], qui lui vaudront, s’il ne l’était déjà, d’être définitivement brouillé avec Félix Fénéon. Sous l’Occupation, ses choix politiques le préservent du sort fait aux autres juifs de France. Le gouvernement de Vichy le contraint néanmoins à vendre sa maison, en échange de quoi il recevra une rente viagère et le droit d’y vivre à vie. Vie qui continuera d’être miséreuse, malgré une aide, en 1956, du ministère de l’Éducation, des Arts et des Sciences hollandais.

Il meurt donc à Toulon, le 1er novembre 1961, alors que vient de reparaître le deuxième volume de ses mémoires. Ses articles de journaliste (mais uniquement ceux parus en Hollande) - Uiterst links. Journalistiek werk 1887-1896 [À l’extrême gauche. L’activité journalistique] et Uiterst rechts. Journalistiek werk 1906-1920 [À l’extrême droite. L’activité journalistique] - paraîtront regroupés à titre posthume, en 1980 et 1981, comme l’ensemble de sa correspondance, réunie par Roland Spoor en 1997.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article106214, notice COHEN Alexandre [COHEN, Jozef Alexander]. Diminutif : Sandro. Pseudonymes : Démophile, Demophilos, Demophilus, Kaya, Souvarine par Jean-Paul Morel, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 29 octobre 2012.

Par Jean-Paul Morel

Collaborations aux revues françaises : L’Attaque, La Contemporaine : Revue illustrée, l’Endehors, Entretiens Politiques et Littéraires, Le Figaro, Le Matin, Mercure de France, Le Père Peinard, La Révolte, La Revue anarchiste, La Revue Blanche, La Revue Bleue, La Revue d’Évolution, La Société Nouvelle, Le Temps.
Revues hollandaises, belges et anglaises : De Amsterdammer, Ons Eigen Tijdschrift, Eindhovensch Dagblad, De Groene Amsterdammer, Groninger Weekblad, Den Gulden Winckel, Haagse Post, Mandril, Morgenrood, De Nieuwe Eeuw, De Nieuwe Gids, Nieuws van den Dag voor Nederlandsch-Indië, De Paradox (La Haye), Het Parool, Recht voor Allen (La Haye), Soerabajasch-Handelsblad, De Telegraaf, The Torch of Anarchy (Londres), Vooruit (Gand), Vrij Nederland.
Ouvrages : € In Opstand [souvenirs I], Amsterdam, Blitz, 1931 (rééd. Ansterdam, Van Oorschot, 1976) ; Van anarchist tot monarchist [D’anarchiste à monarchiste, 2 tomes [souvenirs II], Amsterdam, 1936, 432 p. (rééd. Amsterdam, Van Oorschot, 1961)
€ Recueils de ses articles hollandais : Uitingen van een reactionnair (1896-1926) [Déclarations d’un réactionnaire], Baarn, Hollandia, 1929 ; Uiterst links. Journalistiek werk 1887-1896 [À l’extrême gauche. L’activité journalistique], ed. Ronald Spoor, Amsterdam, De Engelbewaarder, 1980 ; Uiterst rechts. Journalistiek werk 1906-1920 [À l’extrême droite. L’activité journalistique], ed. Max Nord, Amsterdam, 1981.
€ Alexander Cohen. Brieven 1888-1961 [correspondance], ed. par Ronald Spoor, Amsterdam, Prometheus, 1997, 1008 p.
Traductions :
€ (en hollandais) œuvres de Zola (dont Au bonheur des dames).
€ (en français) œuvres de Domela Nieuwenhuis, de Multatuli (Études millionesques, Mercure de France, Dialogue japonais, Pages choisies, Mercure de France, 1901 - préf. d’ Anatole France) ; Les âmes solitaires de Gerhardt Hauptmann (en collab. avec Félix Fénéon) [pièce donnée aux Bouffes du Nord par Lugné Poe/Théâtre de l’Oeuvre, le 13 décembre 1893, interdite ensuite par la censure].

Sources : Archives : Archives de la préfecture de Police, Paris - dossier Alexandre Cohen ; Collection J. A. Cohen, International Instituut voor Sociale Geschiedenis (I.I.S.G.), Amsterdam ; Nederlands Letterkundig Museum et Documentatiecentrum, La Haye.
Le site de l’I.I.G.S. donne, avec photo, de nombreuses références d’articles, mais exclusivement hollandaises, dont nous retiendrons essentiellement la fiche rédigée par Ronald Spoor pour le Biografish woordenboek van het socialisme en de arbeidersbeweging in Nederland, Amsterdam, 1960, t. 5, p. 39-43.
En français, le dépouillement reste à faire. Voir au moins : Félix Fénéon, La Revue libertaire, 1er janvier 1894.

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