COMPÈRE Constant, Alphonse, Adéodat dit COMPÈRE-MOREL

Par Justinien Raymond

Né le 4 octobre 1872 à Breteuil-sur-Noye (Oise), mort le 3 août 1941 à Sernhac (Gard) ; horticulteur-pépiniériste ; militant socialiste spécialiste des problèmes du monde paysan ; député du Gard.

Compère-Morel
Compère-Morel

Adéodat Compère naquit, 17, rue Crève-Coeur, à Breteuil, d’un père jardinier-pépiniériste, propriétaire d’un petit lopin de terre, travailleur salarié à l’occasion, et d’une mère sans profession. Dès l’âge de treize ans, il quitta l’école primaire pour aider au travail paternel. Il était horticulteur lorsque, le 9 septembre 1893, il épousa à Breteuil Jeanne Marguerite Morel, fille d’une couturière et d’un cordonnier, elle-même couturière et dont il prit le nom en même temps qu’il lui donnait le sien.

Acquis aux idées socialistes, Adéodat Compère-Morel, à l’exemple de son père qui fut conseiller municipal de Breteuil, se donna dès l’âge de dix-huit ans à la propagande et organisa quelques groupes dans le département. Le 29 décembre 1891, ils se lièrent dans une Fédération dite d’unité socialiste révolutionnaire qui, le 6 août 1893, en son congrès de Beauvais, adhéra au Parti ouvrier français (POF). Compère-Morel en fut le secrétaire pendant quatorze ans, assura la parution de son organe fédéral et lança lui-même le Travailleur de l’Oise. Il suivit le POF au Parti socialiste de France en 1902, à la SFIO en 1905, et fut à plusieurs reprises leur porte-drapeau aux élections législatives. Candidat dans l’arr. de Clermont en 1898, 1902 et 1906, il s’éleva de 2 656 à 3 505 voix.

Il cueillit ses premiers succès électoraux dans sa commune natale. Conseiller municipal en 1902, il fut élu maire en 1904 et le demeura jusqu’au 3 février 1915, donnant un exemple, alors rare, d’administration socialiste dans une petite bourgade. Breteuil comptait 2 839 habitants et 817 électeurs inscrits. Il créa des cantines scolaires ouvertes à une centaine d’enfants, obligea les bouchers à établir des catégories distinctes parmi les morceaux proposés aux consommateurs, substitua une taxe vicinale aux « prestations individuelles, un reste de la corvée seigneuriale, écrivit-il (...), d’autant plus injustes qu’elles frappent également le riche et le pauvre » (l’Humanité, 4 mai 1912) ; il augmenta l’allocation servie aux vieillards et les subventions destinées aux œuvres scolaires et post-scolaires en faveur de la jeunesse, alloua aux familles ouvrières une aide à la naissance, en proportion du nombre d’enfants. Quelques années plus tard, Compère-Morel tira la leçon de cette expérience. Il en soulignait la portée immédiate, mais en marquait les limites quant aux objectifs fondamentaux du socialisme. « Nous n’avons pas, écrivait-il, rapproché d’une minute, d’une seconde même l’heure de la libération prolétarienne, et nous ne prétendons nullement (...) avoir fait du socialisme. Mais (...) en améliorant quelque peu la situation matérielle des salariés, en leur permettant de moins souffrir et de jouir d’un peu plus de bien-être, en donnant à leurs enfants une nourriture substantielle et solide en même temps que nous leur permettions de suivre les cours des écoles avec plus d’assiduité et plus de profit, nous développions leur puissance de combativité... » (l’Humanité, 4 mai 1912). Au congrès de Saint-Quentin (avril 1911), Compère-Morel avait déjà rejeté l’idée d’un socialisme communaliste (compte rendu du congrès, p. 297). Il ne voulait voir dans les régies directes prônées par Ed. Milhaud qu’un bon moyen de gestion et non une amorce de socialisme.

Il attendait également de la coopération un allégement du sort des travailleurs. En 1890, il avait créé à Breteuil la coopérative de consommation « La Prolétarienne », mais il ne reconnaissait au mouvement coopératif aucune vertu de transformation sociale. Au congrès socialiste de Paris (juillet 1910), il lui refusait toute valeur spécifiquement socialiste, attendu qu’il peut intéresser toutes les classes et tous les partis. Guesdiste de stricte obédience, Compère-Morel l’était aussi dans le soin qu’il mettait à se distinguer des républicains anticléricaux sur le problème religieux. Cette attitude lui valut l’accusation de rechercher les suffrages des modérés et, au lendemain de son succès du printemps 1909 dans le Gard, ses adversaires lui donnaient la duchesse d’Uzès comme grande électrice, tel ce parlementaire laïque qui l’apostropha du nom de « duc d’Uzès », le 13 mai 1909. Il répliqua : « Je suis l’élu des paysans de l’arrondissement d’Uzès (...) On a toujours eu l’habitude de donner des curés à manger aux paysans. Moi, je leur ai parlé de leurs intérêts économiques » (l’Humanité, 14 mai 1909). Quelques mois plus tard, il polémiqua avec Gustave Rouanet à propos du refus opposé par la Xe section socialiste de Paris à la demande d’adhésion d’un prêtre. À Rouanet qui admettait l’entrée d’un laïque croyant au Parti socialiste, mais non celle d’un prêtre, Compère-Morel rétorqua : « Il y a des révoltés dans le clergé. À ces révoltés, nous devons ouvrir nos rangs, sans nous soucier de leurs costumes (...) De quel droit refuserions-nous les appuis qui peuvent nous venir du clergé comme ils sont allés au Tiers en 1789 ?... » Et il conclut : « Je n’ai jamais eu et n’aurai jamais la phobie de la robe... » (l’Humanité, 30 septembre 1909).

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Le Parti socialiste, désireux d’élargir son audience dans les milieux paysans, porta son attention sur Compère-Morel. Le conseil national du 1er novembre 1907 le nomma délégué suppléant à la propagande. Il n’avait rien d’un tribun populaire. Il disait sans emphase, d’une voix un peu sèche, un discours aux phrases courtes, sans ampleur, mais d’une logique serrée. Ce n’est donc pas l’homme éloquent que choisissait le Parti socialiste, mais le paysan capable de parler aux paysans... Pour les mêmes raisons d’efficacité, la Fédération du Gard en son congrès de Villeneuve-lès-Avignon le présenta à l’élection législative partielle d’avril 1909 dans la circonscription d’Uzès vacante par la mort du député radical Poisson. Le 4 avril, par 7 890 voix contre 7 750, Compère-Morel devança son adversaire radical. Il fut élu au second tour de scrutin le 18 avril, malgré l’appel à l’abstention de la presse radicale, par 9 740 voix sur 24 590 inscrits et 10 538 suffrages exprimés. Il abandonna la délégation à la propagande et, le 31 juillet 1910, fut élu conseiller général de Villeneuve. Il fut réélu député au premier tour, en 1910, par 9 895 voix sur 24 424 inscrits, en 1914 par 8 462 sur 21 415. Réélu au scrutin de liste en 1919 et en 1924, il retrouva son siège d’Uzès au deuxième tour en 1928 et en 1932 par 7 588 et 8 104 voix.

Compère-Morel siégea constamment à la commission de l’Agriculture de la Chambre des députés et en était le vice-président quand il quitta le Parlement en 1936. Mais il ne se confina pas aux problèmes de son ressort et fut mêlé étroitement à tous les aspects de l’action parlementaire socialiste. Il lutta contre la loi rétablissant le service militaire de trois ans après avoir fait adopter au congrès de Brest (fin mars 1913) la motion qui en condamnait le projet. Il combattit activement avant 1914 pour la RP. En de multiples interventions (25 juillet et 25 décembre 1909 ; 4 décembre 1911 ; 15 novembre 1912 ; 4 et 11 juillet 1913), conformément à son attitude sur les questions religieuses, Compère-Morel défendit ce qu’il promettait encore en 1914, « la liberté de l’enseignement et des pères de famille » (Profession de foi).

Le 24 janvier 1911, il prôna l’établissement d’une retraite pour les vieillards, financée par une taxe supplémentaire sur les grosses successions. Le 19 mars 1912, il protesta contre la pénétration française au Maroc.

Le 2 novembre 1911, dans la discussion générale du budget du travail, il prononça un discours sur l’action syndicale ouvrière qui souleva l’émotion du groupe socialiste et du parti. Il repoussait les prétentions du syndicalisme révolutionnaire, ce qui lui valut à plusieurs reprises les attaques des syndicats d’ouvriers agricoles se réclamant de cette idéologie. C’est ainsi que Paul Ader, secrétaire de la Fédération des Agricoles du Midi, écrivait dans Le Travailleur de la Terre, en juin 1909 : « Ils se moquent bien, les Compère-Morel et autres pantins de la politique, du bien-être des ouvriers agricoles, et, sous le masque du socialisme, ils cachent leurs aspirations aux honneurs et aux pouvoirs ». Dans la ligne guesdiste, Compère-Morel subordonnait l’abolition du salariat et la transformation sociale à la prise du pouvoir politique, et, en conséquence, réservait au Parti socialiste, au mouvement politique de la classe ouvrière, le rôle primordial. Il accordait au syndicalisme, comme à l’action communale et à la coopération, un rôle pratique : rassembler les travailleurs pour la défense de leurs intérêts immédiats. Il attaquait avec vivacité les pratiques du sabotage qui le réduisent à n’être qu’une secte impuissante. Ce discours atteignait la CGT, jalouse de son indépendance proclamée cinq ans auparavant par la Charte d’Amiens. Des parlementaires et des Fédérations socialistes protestèrent. Compère-Morel dut s’expliquer au congrès de Lyon (février 1912). Jaurès, entre autres, lui reprocha de réduire le syndicalisme à une tâche corporative et de l’appauvrir en le vidant de tout idéalisme révolutionnaire. Compère-Morel insista sur la nécessité de gagner au syndicalisme l’immense majorité des salariés qui s’en tient à l’écart à cause des positions doctrinales et tactiques de militants et courants syndicaux.

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Il était tout aussi étroitement mêlé à la vie du Parti socialiste hors du Parlement. Sauf à celui de Chalon, (octobre 1905), il assista à tous ses congrès pour l’Oise jusqu’en 1909, pour le Gard ensuite et il y jouait un rôle actif. Entré à la CAP au congrès d’Amiens (janvier 1914), il y siégea son interruption jusqu’en 1933. Il fut à maintes reprises l’animateur de sa presse. Lorsque monta la menace de guerre, il apparut comme un des chefs de file du Parti socialiste. Au congrès de Paris (14-16 juillet 1914), deux tendances s’affrontèrent sur les moyens de parer à un conflit éventuel. Face à Jaurès, rapporteur de la motion majoritaire qui retenait « la grève générale ouvrière, simultanément et internationalement organisée », comme un moyen d’imposer le recours à l’arbitrage, Compère-Morel défendit la motion minoritaire. Elle rejetait la grève générale comme une arme dangereuse, « prétexte à des lois d’exception » contre les travailleurs, propre à « assurer la défaite du pays dont le prolétariat sera le mieux organisé et le plus fidèle aux décisions de l’Internationale, au bénéfice du pays le moins socialiste » (cf. Les Fédérations socialistes III, p. 304). Compère-Morel appartint, le 28 juillet 1914, à la délégation chargée par le groupe parlementaire socialiste de suivre les événements. Au soir du 31 juillet 1914, à la brasserie du Coq d’Or, il devait rencontrer Jaurès qui, pressé par le temps, alla au Croissant où il trouva la mort. À la nouvelle du drame, Compère-Morel accourut et il accompagna l’ambulance qui ramena dans sa dernière demeure de Passy, villa de la Tour, la dépouille du grand tribun. Aux côtés de Renaudel et de Sembat, il fut momentanément chargé de la direction de l’Humanité. Le samedi 1er août, à la réception d’Hermann Müller, envoyé du Parti social-démocrate d’Allemagne, par le groupe socialiste parlementaire, Compère-Morel le mit en garde contre toute illusion : si la France est attaquée, les socialistes voteront les crédits militaires. Le 2 août, salle Wagram, à la réunion privée de la Fédération de la Seine, il déclara que les socialistes défendraient le pays contre toute agression.

La guerre déclenchée, Compère-Morel soutint constamment la politique de défense nationale, tout en étant très réticent sur la participation ministérielle. Il appartint à la commission des Dix qui décida dans la nuit du 26 au 27 août l’entrée des socialistes au gouvernement d’Union nationale. Dès mai 1915, il votait contre l’acceptation du sous-secrétariat d’État offert à Albert Thomas et, le 27 octobre 1915, il demandait, en vain, que cessât toute collaboration gouvernementale. Il souhaitait limiter au plan technique la participation à la défense nationale. Il accepta lui-même les fonctions de commissaire à l’Agriculture que lui confia le décret du 24 décembre 1917. Il était spécialement chargé de la culture des céréales et de la vigne. Il abandonna ce poste le 5 mai 1919.

Il fut un des animateurs de la politique propre de défense nationale du Parti socialiste. Il appartint au Comité d’action créé par ce dernier et par les organisations syndicales le 6 septembre 1914 pour aider à la défense du pays et auquel s’adjoignit en mai 1916 la Fédération nationale des Coopératives de consommation. En 1915, au nom de ce Comité, Compère-Morel déposa un rapport sur le ravitaillement en lait. Le 14 février 1915, il fut au nombre des dix délégués de la SFIO à Londres pour la Conférence des partis socialistes des pays alliés. Au congrès de Bordeaux (6-9 octobre 1917), il défendit une motion repoussant « toute paix blanche », « toute paix de compromis » pour « une paix réparatrice du droit outragé » (cf. Les Fédérations socialistes III, p. 426). Il prit résolument position contre la minorité pacifiste qui s’affirmait dans le Parti socialiste. Il fut le leader des quarante élus qui protestèrent publiquement contre l’adhésion donnée par le conseil national du 27 mai 1917 à la conférence convoquée à Stockholm par les socialistes russes et scandinaves et qui ne se réunit pas. Contre les courants nouveaux qui remettaient en cause la politique de guerre du Parti socialiste, il lança le quotidien La France libre qui, dans son premier numéro du 2 juillet 1918, rappelait « la solidarité étroite qui existe entre les intérêts du prolétariat et les intérêts nationaux ». Il fut délégué au congrès de Strasbourg, février 1920 puis, au congrès de Tours, il défendit une motion de la Fédération du Gard pour le maintien de l’unité du Parti socialiste (25 décembre 1920). La scission consommée, il demeura avec la minorité dans une SFIO reconstituée.

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Il fut un des artisans de cette reconstruction à deux titres essentiellement. Il la dota d’un quotidien, Le Populaire. Après la scission de Tours, Le Populaire, organe de la minorité du temps de guerre devenu un journal parisien du soir sous la direction de Jean Longuet, fut transformé en quotidien du matin, organe du Parti socialiste. Compère-Morel entra à son conseil d’administration et de direction. Le journal végéta, d’avril 1921 à mai 1924. Le 16 mai 1924, Compère-Morel proposa d’en faire un lien bimensuel entre les membres du parti pendant qu’on préparerait le lancement d’un nouveau quotidien. Le 1er novembre 1926, le conseil national décida de le faire paraître en janvier 1927, sous la direction de Léon Blum. La CAP nomma Compère-Morel administrateur délégué de ce nouveau Populaire, puis, en 1930, directeur-administrateur. Il engagea un véritable dialogue avec les lecteurs du Populaire, suscitait leur générosité, faisait connaître leurs initiatives. L’objectif de ces années fut l’achat d’une Maison du Parti et du Populaire qu’il réalisa, 9, rue Victor-Massé, à Paris. C’est à sa demande que Jean Lorris lança les disques « La Voix des Nôtres » qui rapportèrent 48 000 F au Parti socialiste. Il ne recula pas devant des moyens qui furent discutés, comme le lancement en 1931 d’une formule d’apéritif appelé « Le Popu » et dont la vente devait servir le journal. Cette tentative fut sans lendemain. Appelé « Roi des camelots » au congrès socialiste de Bordeaux (juin 1930). Compère-Morel rappela que pendant vingt-cinq ans, jusqu’à son entrée au Parlement, il avait vendu des brochures pour pouvoir vivre tout en supportant des frais de propagande pour le parti. « Roi des camelots de la sociale, s’exclama-t-il, j’en suis heureux et j’en suis fier ! » (compte rendu, p. 242).

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À l’heure où le Parti communiste lui disputait les masses ouvrières, Compère-Morel permit au Parti socialiste de se tourner plus résolument vers les travailleurs des champs, en orientant vers eux sa pensée et ses revendications. Il renouait plus étroitement que jamais avec une de ses constantes préoccupations. Il venait de s’intégrer au mouvement socialiste quand, en 1892, à son congrès de Marseille, le POF fixa sa doctrine agraire et proposa aux paysans une plateforme de revendications immédiates. Compère-Morel s’engagea sur ce terrain d’action, dans un milieu dont il était issu et dont il connaissait les besoins et les aspirations. S’il ne s’y confina pas, il ne l’abandonna plus, soit comme militant, soit comme élu. Il se fit le théoricien de la doctrine agraire du socialisme et en fut, par la parole, par le journal, la brochure et le livre, le vulgarisateur pendant un demi-siècle.

Au congrès de Limoges (1er-4 novembre 1906) il fut nommé en tête de la commission agraire chargée d’enquêter sur les conditions de vie des travailleurs ruraux, sur l’évolution des types de propriété et sur les différents modes d’exploitation. Il présida cette commission et anima son travail. Il rapporta en son nom au congrès de Nancy (1907) et les conclusions de son rapport furent adoptées au congrès de Toulouse (1908). Au congrès de Saint-Étienne (1909) il prononça sur ces problèmes un discours édité à cent mille exemplaires par le Parti socialiste et fit nommer une commission qu’il présida, chargée de dresser un cahier de revendications paysannes immédiates. Il en porta l’essentiel à la tribune de la Chambre des députés, le 6 décembre 1909, quelques semaines après sa première élection. Il attribua la situation précaire des petits propriétaires exploitants à la concentration capitaliste et évoqua les conditions de vie des salariés agricoles, pires, disait-il, que celles des travailleurs de l’industrie. Il proposa, dans l’immédiat, l’allégement des baux et des impôts fonciers du petit exploitant et la création de mutuelles agricoles. Il définit les objectifs révolutionnaires du socialisme : rendre le petit exploitant propriétaire de la terre qu’il cultive, établir l’exploitation collective des autres terres. En février 1912, au congrès de Lyon, il anima les séances consacrées à ces problèmes. En 1920, au congrès de Tours, il dénonça la force de réaction constituée par « les petits fermiers, métayers et les ouvriers agricoles qui, dans d’énormes proportions, sont encadrés par les forces patronales » (compte rendu, p. 226). En 1930, il élabora la motion votée sur la propriété au congrès de Bordeaux et il dressa avec Georges Monnet le programme agricole adopté en janvier 1931 par le conseil national du Parti socialiste réuni à Paris.

La doctrine agraire de Compère-Morel reposait sur la distinction entre la propriété paysanne mise en valeur par son détenteur, et celle qu’exploite un travail salarié. Le socialisme, disait-il, respecte la première et ne s’attaque qu’à la seconde. Il fut souvent accusé de falsifier les théories socialistes sur la propriété pour « piper » la confiance des paysans. Il s’en défendait et prétendait ne pas innover mais, bien au contraire, marcher sur les traces des grands ancêtres. Il fixait la source de sa pensée dans le Manifeste communisteMarx affirme que « Le caractère distinctif du communisme n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise » (Le Populaire, 26 mars 1931). Au cours d’une polémique avec le Temps et l’Ordre, après avoir affirmé que « la tâche du socialisme est tout à la fois de maintenir la propriété dans la main de celui qui la féconde de son labeur et de la rendre à qui la travaille pour le compte d’autrui », Compère-Morel s’en référa à Marx et à Guesde. Du premier, il rapporta une pensée de 1867 : « L’économie politique cherche en principe à entretenir une confusion des plus commodes entre deux genres de propriété privée bien distincts, la propriété privée fondée sur le travail personnel et la propriété privée fondée sur le travail d’autrui, oubliant à dessein que celle-ci non seulement forme l’antithèse de celle-là, mais qu’elle ne croît que sur sa tombe ». De son maître, J. Guesde, il cita une déclaration de 1909 où celui-ci affirmait que « la petite propriété paysanne cultivée par son propriétaire réunissant dans les mêmes mains le capital et le travail était une propriété essentiellement sacrée » et « qu’il n’y avait place à expropriation ou appropriation sociale que là où la propriété et le travail avaient été divisés et isolés » (Le Populaire, 4 avril 1932).

Niant que le socialisme voulut exproprier le petit exploitant, Compère-Morel retournait l’accusation contre le capitalisme qui « ne peut vivre, se maintenir ou se développer qu’en dépossédant les producteurs des instruments de travail qu’ils mettent en œuvre, des richesses qu’ils créent et en les maintenant asservis à sa puissance » (Ibid.). Il expliquait l’attitude de ses détracteurs par leur souci « de dresser [les paysans] contre les ouvriers des villes » et d’en faire le rempart de l’ordre social. « Le capitalisme n’agissant pas dans les campagnes de la même façon que dans les villes, expliquait-il, et son action nocive ne se faisant pas sentir aussi directement que dans l’industrie et le commerce, le campagnard ne discerne pas aussi facilement que le citadin les dangers que les détenteurs anonymes des moyens de production et d’échange « mammouths » lui font courir » (Le Populaire, 5 septembre 1930).

Pour déjouer ce calcul, il faisait confiance aux « paysans [qui] n’ignorent plus que loin d’être des ennemis de la propriété, les socialistes sont les seuls qui veulent et qui peuvent l’assurer à tous » : en laissant au petit exploitant son bien, en assurant aux prolétaires ruraux l’appropriation collective des grands domaines. « Oui, écrivait-il, nous exproprierons la grande propriété foncière. (...) dont les détenteurs retirent rentes et profits (...) Mais ce sera pour que les paysans dépossédés qui la fécondent de leur sueur bénéficient enfin, et pour toujours, du produit de leur travail » (Le Populaire, 9 octobre 1931). C’est à ces derniers qu’il en remettait la gestion : « Sur la terre socialisée, les exploitations agricoles pourront revêtir les formes les plus variées, familiales, coopératives syndicales, communales ou sociales » (Ibid.).

Au moment où elle allait s’achever, la vie politique de Compère-Morel s’infléchit brusquement et sa durée en fut sans doute abrégée. Fidèle à sa ligne passée, il avait combattu de 1924 à 1933, l’idée de la participation ministérielle des socialistes. Brusquement, il se rallia à la fraction qui la préconisait de façon de plus en plus pressante et qui souhaitait une étroite collaboration avec le parti radical, derrière Renaudel et Déat. Le 23 octobre, il compta parmi les vingt-huit députés socialistes qui rompirent l’unité de vote du groupe parlementaire en votant en faveur des projets financiers du cabinet Daladier. Le conseil national, (4-5 novembre 1933) le remplaça par Jean Lebas à l’administration du Populaire. Le 9 novembre, il s’inscrivit au groupe parlementaire dissident et quitta la SFIO pour le Parti socialiste de France appelé couramment parti néo-socialiste. Il lança le journal L’Appel dont la vie fut brève. Cette rupture marquait le terme de sa carrière parlementaire. En 1936, il ne sollicita pas le renouvellement de son mandat de député.

L’effondrement de 1940 le conduisit au ralliement à Pétain et il écrivit dans l’Effort du 27 janvier 1941 : « Puisque le Maréchal vous couvre, dans toute la plénitude de ses responsabilités, à collaborer avec l’Allemagne, dans l’œuvre de restauration et de résurrection européenne, « collaborons » sans réticence, sincèrement, ouvertement, cordialement, résolument ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article106533, notice COMPÈRE Constant, Alphonse, Adéodat dit COMPÈRE-MOREL par Justinien Raymond, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 9 novembre 2022.

Par Justinien Raymond

Adéodat Compère-Morel (1918)
Adéodat Compère-Morel (1918)
cc Agence Rol
Compère-Morel
Compère-Morel

ŒUVRE : Compère-Morel collabora à de nombreux organes de presse et, à plusieurs reprises, en fut l’animateur : La Société nouvelle, mensuel de la Fédération socialiste de l’Oise : il parut de juin 1895 à août 1896. — Le Travailleur de l’Oise, hebdomadaire fondé par Compère-Morel en 1900, dont il était le propriétaire et le directeur. En 1909, après son élection comme député du Gard, il remit à la Fédération de l’Oise cet organe qui vécut jusqu’en 1912. — Le Combat social, organe de la Fédération du Gard. Compère-Morel y collabora à partir de 1909. — Le Socialiste, organe officiel du POF, puis du Parti socialiste de France, enfin de la SFIO. — Le Socialisme, revue du socialisme scientifique. — Socialisme et Lutte de classes, revue marxiste bihebdomadaire de langue française, née en janvier 1914 de la fusion du Socialisme citée ci-dessus et de la revue belge, La Lutte des classes. Compère-Morel y collabora, mais surtout en fut l’administrateur. — L’Humanité, Compère-Morel y collabora dans les années qui précédèrent la Première Guerre mondiale (son premier article, de tête, dans le n° du 12 juillet 1908). — La Voix paysanne, hebdomadaire agricole publié par L’Humanité sous la direction de Compère-Morel. Le premier numéro parut le 1er février 1920. Au lendemain du congrès de scission de Tours, Compère-Morel en abandonna la direction par une déclaration publiée dans le n° 50 de la 1re année, du 8 janvier 1921. — La Revue socialiste (avant 1914) et L’Avenir, revue du Socialisme (après 1920). — Neue Zeit, collaboration occasionnelle à cette revue de la social-démocratie allemande. — Le Midi socialiste, Compère-Morel y collabora après son élection dans le Gard. — La France libre, organe socialiste dirigé contre la fraction pacifiste du Parti socialiste, fondé par Compère-Morel, Arthur Rozier et Adrien Veber. Le 1er numéro parut le 2 juillet 1918. — L’Appel, lancé par lui en 1933 au moment où il quitta Le Populaire. — Le Populaire, organe central du Parti socialiste SFIO Compère-Morel y écrivit sur les questions agraires et sur la vie du journal dont il avait la charge.
Compère-Morel est l’auteur de nombreuses brochures de propagande sur les questions agraires essentiellement (Cotes de la Bibl. Nat.) : Du Socialisme, Breteuil, 1894, In 8°, 7 p. (Lb 57/11317). — La vérité aux paysans par un campagnard, préface de Georges Renard, Paris, 1897, In 8° VI, 31 p. (Lb 57/11906). — Les Propos d’un rural, Préface de Paul Lafargue, Breteuil, 1902, In-12 IV-47 p. (8e S 11108 et 11133). 3e édit. Paris, 1905, In-16, 40 p. (Lf 57/14033). — Concentration capitaliste et organisation collectiviste. — Le Socialisme aux champs. — L’Exploitation agricole et le socialisme. — Le Socialisme et les paysans. — Les Paysans et le socialisme à la Chambre. — Le Vrai Socialisme. — La Question agraire en France (Ces sept dernières brochures étaient épuisées en 1922. Nous n’avons pu en retrouver de traces). — Les Trois Huit. — Les Travailleurs de la terre et le socialisme. — La Vérité aux Paysans (Nous n’avons pu retrouver trace de ces trois dernières brochures). — La Concentration capitaliste en France, édition du Parti socialiste SFIO. — Le Programme socialiste de réformes agraires, Ibid. — Le Socialisme et la terre, ibid. 2e édition, 1928. — La Politique agraire du Parti socialiste, ibid. — Socialisme et bolchevisme, ibid. — Pour les Travailleurs de la terre, ibid., 1922, 52 p. (édition d’un discours prononcé par Compère-Morel à la Chambre des députés dans la deuxième séance du 25 novembre 1921). — La Petite propriété paysanne et le socialisme, ibid., 63 p. 2e édition 1931 (recueil d’articles du Temps et du Populaire : une polémique sur le sujet évoqué par le titre de la brochure). — La Civilisation en péril (Cette brochure dont nous n’avons pas retrouvé d’exemplaire figure au catalogue de la Librairie populaire de 1931). — Ce que les communistes attendent d’une guerre européenne, s.d.
_ OUVRAGES DOCTRINAUX : Le Socialisme agraire, Paris, Librairie populaire, 12, rue Feydeau, 1921. — La Question agraire et le socialisme en France, ibid. (cet ouvrage contient les monographies rurales des 87 départements).
_ AUTRES OUVRAGES : Compère-Morel a été le directeur de publication de l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière, Paris, 1912 à 1921, douze volumes. Il en a écrit les préfaces. — Il est l’auteur du Grand Dictionnaire socialiste du Mouvement politique et économique national et international, Paris, 1924 ; 1058 p. — Jules Guesde, Paris, 1937.
_ DISQUE : Un disque de La Voix des Nôtres (édition du Parti socialiste) fait entendre la voix de Compère-Morel s’adressant aux paysans.

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., passim et Les Fédérations socialistes I, op. cit., pp. 338 à 254 (passim), 472 à 476 (passim), Les Fédérations socialistes III, op. cit., pp. 282 à 593 (passim). — Rapports statutaires pour les congrès du Parti socialistes SFIO :
a) XXIVe congrès national, Lyon, 17, 20 avril 1927, Pp. 12-13.
b) XXVe congrès national, Toulouse, 26-30 mai 1928, pp. 67-84, passim.
c) XXVIIe congrès national, Bordeaux : 8-11 juin 1930, pp. 95-99.
d) XXVIIIe congrès national, Tours, 24-27 mai 1931, pp. 87-91.
e) XXIXe congrès national, Paris, 29 mai, 1er juin 1932, p. 121-124.
f) XXXIe congrès national, Toulouse, 20-23 mai 1934, pp. 146-154.
Comptes rendus sténographiques des congrès nationaux du Parti socialiste SFIO et notamment :
a) XVIIIe congrès national, Tours, 25-30 décembre 1920, pp. 46, 225, 226.
b) XXIVe congrès national, pp. 188 à 192.
c) XXVIIe congrès national, pp. 238, 325, 340, 367, 368.
Denise Rossignol. Le Mouvement socialiste en France de 1906 à 1914. DES, Paris, 110 p. (pp. 24, 48, 53). — L’Humanité, 5 et 19 avril 1909, 5 janvier 1911.
J.-P. Besse, Thèse IIIe cycle, Le Mouvement ouvrier dans l’Oise, 1890-1914, Paris I, 1982. — Paul Boulland, Julien Lucchini, « À la santé du Popu, le ‟grand apéritif rouge” socialiste », RetroNews, octobre 2022.

ICONOGRAPHIE : La France socialiste, op. cit., p. 348. — Les Fédérations socialistes I, op. cit., p. 474.

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