CREVEL René

Par Nicole Racine

Né le 10 août 1900 à Paris (Xe arr.), mort le 18 juin 1935 à Paris (XIIIe arr.) ; poète, écrivain, membre du groupe surréaliste ; militant communiste ; membre de l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires (AEAR).

René Crevel

René Crevel qui se donna la mort à la veille de l’ouverture du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture de juin 1935 avait tenté de concilier l’idéal surréaliste auquel il restait attaché et les exigences de la lutte politique et sociale qui l’avaient conduit au Parti communiste.

Il naquit à Paris, rue de l’Échiquier, dans le dixième arrondissement, près de la Porte Saint-Denis, où son père Eugène, Paul Crevel était « imprimeur de musique » spécialisé dans la chansonnette. Il reçut une éducation catholique et bourgeoise dont il dénoncera plus tard l’étroitesse et la tristesse. Son père se suicida en 1914 ; sa mère envers laquelle il allait développer une haine profonde lui fit contempler le spectacle de son père mort afin qu’il puisse en tirer la morale. L’obsession du suicide se retrouvera en maints endroits de son œuvre, notamment dans La Mort difficile (1926).

Élève du lycée Janson de Sailly où il eut pour ami Marc Allégret, Crevel obtint en 1917 le prix spécial de Composition française. Il entreprit des études littéraires à la Sorbonne, des études de droit, puis commença une thèse sur Diderot. En 1921, durant son service militaire, il fit la connaissance de Marcel Arland, Jacques Baron, Max Morise, Georges Limbour et Roger Vitrac, avec lesquels il fonda, en novembre, la revue mensuelle Aventure. Les jeunes gens entrèrent en contact avec le groupe de la revue Littérature (André Breton, Louis Aragon, Philippe Soupault). En avril 1922, Crevel fit paraître avec Marcel Arland la revue Dés qui n’eut qu’un numéro. A la fin 1922, il initia Breton et ses amis aux expériences de « sommeils hypnotiques » qui jouèrent un grand rôle dans le surréalisme naissant. En 1923, Crevel s’éloigna de Breton, se rapprocha de Tristan Tzara et des dadaïstes avec lesquels Breton avait rompu. Le 6 juillet 1923, il participa à la représentation de la pièce de Tzara, Le Coeur à gaz qui fut troublée par les surréalistes.

Son service militaire terminé, Crevel entra en août 1923 comme secrétaire de rédaction aux Nouvelles littéraires où il resta jusqu’en juillet 1925. Il collabora à différentes revues, le Disque vert, les Feuilles libres, la Revue européenne, Montparnasse. Il participa aux tentatives d’Ivan Goll et de Paul Dermée pour susciter un mouvement surréaliste rival de celui qu’animait Breton. Il se rapprocha de nouveau du groupe surréaliste, à l’occasion de l’enquête sur le suicide lancée par la Révolution surréaliste (n°2, 15 janvier 1925) à laquelle il répondit. Crevel participa alors à l’activité du groupe surréaliste, collaborant à la Révolution surréaliste, signant les tracts surréalistes comme la « Déclaration » du 27 janvier 1925, la « Lettre ouverte à M. Paul Claudel » (1er juillet 1925). En août 1925, il fut un des signataires du manifeste « la Révolution d’abord et toujours » par laquelle les surréalistes se ralliaient à la révolution économique et sociale. Détours, son premier livre, parut en août 1925 à la NRF, avec un portrait par Eugène Mac Cown, avec lequel il avait une liaison. D’autres ouvrages suivirent, La Mort difficile (1926), Babylone (1927), Êtes-vous fous ? (1929). Atteint de tuberculose pulmonaire, Crevel dut faire, à partir de 1926, de fréquents séjours en sanatorium, subir opérations et traitements. En 1926, il se lia d’amitié avec Klaus Mann, avec Mopsa Sternheim, fille de l’écrivain expressionniste Carl Sternheim, ainsi qu’avec Gertrude Stein.

Après la publication du Second manifeste du surréalisme en décembre 1929, René Crevel resta solidaire d’André Breton contre lequel certains des « exclus » avaient lancé le pamphlet « Un Cadavre ». Il collabora à la nouvelle revue Le Surréalisme au service de la Révolution (SASDLR) et signa les tracts contre l’Exposition coloniale (mai et juillet 1931) ainsi que le tract « La mobilisation contre la guerre n’est pas la paix » critiquant les mots d’ordre du Congrès international contre la guerre (juin 1933). Il fut un des rédacteurs de la brochure Paillasse ! (1932) consacrant la rupture du groupe surréaliste avec Aragon. Il publia Salvador Dali ou l’anti-obscurantisme (1931), Le Clavecin de Diderot (1932), Les Pieds dans le plat (1933).

Admis avec les autres surréalistes à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), Crevel participa avec Éluard à la manifestation du 21 mars 1933 contre l’avènement de Hitler. Il se solidarisa avec Breton lorsque celui-ci, refusant de désavouer l’article de F. Alquié paru dans le n°5 du SASDLR (juillet 1933), fut exclu de l’AEAR puis du PC (voir son « Brouillon de lettre à un dirigeant du Parti communiste », publié dans Les Pieds dans le Plat, édit. 1974). Cependant Crevel rentra en grâce et collabora fin 1933 à l’Almanach ouvrier et paysan qui parut en 1934. Après les événements du 6 février 1934, il signa, avec les autres membres du groupe surréaliste, l’« Appel à la lutte » du 10 février 1934 puis l’« Enquête sur l’unité d’action » du 18 avril. Il signa la protestation du groupe surréaliste contre l’expulsion de France de Léon Trotski (« La Planète sans visa », 24 avril 1934). Il se donna à l’action antifasciste, militant à l’AEAR, au Comité pour la libération de Thaelmann et des antifascistes allemands emprisonnés. Il collabora au journal Pour Thaelmann (n° 4, avril 1935) avec un article sur la situation politique en Espagne. Il se dépensa pour l’aide aux réfugiés allemands.

À partir de la fin 1934, Crevel qui n’approuvait pas l’évolution du groupe surréaliste vers l’opposition, s’éloigna de Breton. Proche de Tzara et de Char, il appuya une tentative de programme commun qui définirait une ligne différente de celle du groupe surréaliste. Il cessa en 1935 de participer aux activités du groupe surréaliste, tout en restant proche, par la sensibilité, de Breton et d’Éluard et en rêvant à un rapprochement entre surréalistes et communistes. Il collabora à des revues proches du PC, Monde (où il tint à partir du 23 mai une rubrique « La foire aux vanités ») et Commune, milita de plus en plus activement à l’AEAR, sans pour autant approuver les théories du réalisme socialiste. Le 1er mai 1935, dans un discours devant des métallurgistes de Boulogne, il plaida pour l’engagement des intellectuels au sein du mouvement ouvrier (« Discours aux ouvriers de Boulogne », Commune, avril 1935).

Chargé avec Aragon et Cassou de l’enquête sur la peinture contemporaine lancée par l’AEAR, il recueillit le témoignage de nombreux peintres (voir « Où va la peinture ? », Commune, numéros 21 et 22, mai et juin 1935). Commune publia son témoignage sur la situation artistique dans l’Allemagne nazie (« L’art à l’ombre de la maison brune », mai 1935). Le 9 mai 1935, Crevel fit une conférence à la Maison de la Culture rue Navarin où se tenait une exposition des photomontages antinazis de John Heartfield (« Discours aux peintres », Commune, juin 1935). Le 7 juin il présenta à la Maison de la Culture un film inédit soviétique ; le 11 juin, il prit la parole sur le thème « La photographie qui accuse » à une réunion organisée par la section photographique de l’AEAR.

Membre du comité organisateur du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui devait se réunir à Paris du 21 au 25 juin 1935, il se trouva au cœur des tractations sur la participation des surréalistes (ceux-ci avaient annoncé leur volonté d’aborder, notamment, le cas de l’écrivain Victor Serge fut finalement acceptée, celui-ci s’était vu retirer la parole, à la suite d’un incident fortuit (la gifle à Ilya Ehrenbourg, membre de la délégation soviétique, qui avait décrié l’activité surréaliste). Crevel s’était dépensé sans compter pour que le droit d’expression fut reconnu à Breton. Épuisé par des démarches vaines auprès des organisateurs du Congrès placés devant la menace d’un retrait de la délégation soviétique, après l’échec d’une ultime réunion de conciliation le soir du 17 juin à la Closerie des Lilas où Ehrenbourg était resté intransigeant, Crevel qui, le même jour avait pris connaissance des mauvais résultats de ses analyses de santé, se donna la mort dans la nuit.

À cause de cette mort tragique, il fut admis que le discours de Breton pouvait être lu au Congrès (il le fut par Éluard, le 24 juin au soir, à une fin de séance). Un hommage fut rendu à Crevel le 22 juin ; le discours qu’il avait préparé pour le congrès, intitulé « Individu et société » n’ayant pas été retrouvé, on lut son discours aux ouvriers de Boulogne (« Individu et société » parut dans le numéro de juillet de Commune). « En lui — écrivit André Breton dans ses Entretiens — nous perdions un de nos meilleurs amis de la première heure, ou presque, l’un de ceux dont les émotions et les réactions avaient été vraiment constitutives de notre état d’esprit commun, l’auteur d’ouvrages tels que L’Esprit contre la raison, Le Clavecin de Diderot, sans quoi il eût manqué une des ses plus belles volutes au surréalisme. Il est bien certain que le geste de désespoir de Crevel n’a pu être ainsi que "surdéterminé" et qu’il admettait d’autres causes latentes depuis longtemps ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article107446, notice CREVEL René par Nicole Racine, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 18 juin 2022.

Par Nicole Racine

René Crevel

ŒUVRE CHOISIE : Mon corps et moi, Kra, 1925, 200 p. — Réédition, id., préface de Jean Frémon, J.-J. Pauvert, 1974, 249 p. En appendice, choix de textes de R. Crevel, choisis et présentés par Michel Carassou et J.-Cl. Zylberstein. — La Mort difficile, Kra, 1926, 203 p. — Réédition, id., préface de Salvador Dali, J.-J. Pauvert, 1974, 253 p. En appendice, lettres de R. Crevel à Marcel Jouhandeau. — Babylone, Kra, 1927, 199 p. — L’Esprit contre la raison, Cavaillon, Les Cahiers du Sud, 1927, 59 p. — Réédition, id., suivi de « Dali ou l’Anti-obscurantisme », « Solitude variée », « Pour la simple honnêteté » et « Au carrefour de l’amour, la poésie, la science et la révolution », Préface de M. Jouhandeau. Textes réunis par Jean Schwartz, Tchou, 1969, XII-153 p. — Êtes-vous fous ? Gallimard, 1929, 217 p. — Dali ou l’Anti-obscurantisme, Éditions surréalistes, Corti, 1931, 32 p. — Le Clavecin de Diderot, Éditions surréalistes, 1932, 169 p. — Réédition, présentation de Claude Courtot, J.-J. Pauvert, 1966, 191 p. — Les Pieds dans le plat, Éditions du Sagittaire, 1933, 361 p. Réédition, préface de Ezra Pound, J.-J. Pauvert, 1974, 316 p. En appendice, « Brouillon de lettre à un dirigeant communiste », « Tandis que la pointolle se vulcanise la baudruche » et sept lettres de R. Crevel à Tr. Tzara. — Lettres de désir et de souffrance, Préface de Julien Green, Paris, Fayard, 1996.

SOURCES : Maurice Nadeau, Histoire du Surréalisme, Le Seuil, 1945, 363 p. — Documents surréalistes, id., 1948, 399 p. — André Breton, Entretiens, Gallimard, 1952, 319 p. — Claude Courtot, René Crevel, Seghers, 1969, 189 p. Poètes d’aujourd’hui, 182. — Klaus Mann, Le tournant : histoire d’une vie, Solin, Malakoff, 1984. — Gilbert Badia, Les bannis de Hitler. Accueil et luttes des exilés allemands en France (1933-1939), Études et Documentation internationales, Presses Universitaires de Vincennes, Paris, 1984. « René Crevel », Europe, n° 679-680, novembre-décembre 1985 (avec des lettres de Crevel à Klaus Mann, le texte « Individu et société », l’hommage de Jean Cassou paru dans le Monde en juin 1935 ainsi qu’une chronologie rédigée par Michel Carassou). — Michel Carassou, René Crevel, Paris, Fayard, 1989. — François Buot, Crevel, Paris, Grasset, 1991. — Données du site Généanet. — Notes de Renaud Poulain-Argiolas.

ICONOGRAPHIE : Cl. Courtot, René Crevel, op. cit.

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