Par Jacques Girault
Né le 1er janvier 1921 à Clécy (Calvados), mort le 20 août 2017 à Caen (Calvados) ; instituteur ; résistant ; militant syndicaliste et pédagogique du SNI et de la FEN dans le Calvados ; militant progressiste puis communiste, conseiller municipal de Cheux.
Fils d’un ouvrier mécanicien, ancien mineur aux mines de fer, devenu peintre, ouvrier puis artisan, sympathisant radical socialiste, « farouchement anticlérical, détaché, ainsi que ma mère, de toute pratique religieuse, mais respectueux des églises et des convictions de chacun », Guy Julienne, élève des écoles primaires supérieures de Caen puis de l’EPS annexée au collège de Fiers (Orne), entra à l’Ecole normale d’instituteurs de Caen (1938-1941). Il se maria en novembre 1941 à Campeaux (Calvados) avec Anne-Marie Lebailly, dite « Mimi », institutrice. Le couple eut trois enfants.
Guy Julienne et son épouse furent nommés instituteurs à Cheux en 1941, commune qui fut dévastée lors du débarquement. Encouragé par l’inspection de la culture populaire, il participa à la réorganisation de la vie locale, notamment lors de la création d’un foyer rural. Il s’inspira des apports pédagogiques de Decroly et de Célestin Freinet pour organiser son enseignement. Devenu maître d’application itinérant et conseiller pédagogique en 1960, il occupa cette fonction jusqu’à sa retraite en 1976, son épouse ayant obtenu la direction de l’école Victor Hugo à Mondeville de 1962 à 1977. Au début des années 1960, avec un groupe d’institutrices d’écoles maternelles, il suivit pendant deux ans le cours de psycho-pédagogie de Gaston Mialaret*, professeur à la faculté des lettres de Caen, président du Groupe français d’éducation nouvelle à partir de 1962.
Maître itinérant d’école annexe, prolongeant l’enseignement reçu, il élabora une méthode d’apprentissage de la lecture globale analytique et synthétique qu’il réalisa, après plusieurs années de recherches, avec d’autres enseignants, et la collaboration active de Colette Chauvel, institutrice de cours préparatoire en milieu ouvrier, paru sous le titre Gridi lapin des bois à la librairie Istra en 1965.
Résistant, en 1945, secrétaire des comités local et cantonal de Libération, délégué aux séances plénières du comité départemental, Guy Julienne eut pour mission d’aider la reconstitution des sous-sections syndicales de Bayeux et de Tilly-sur-Seulles. Élu secrétaire de cette dernière sous-section, il devint conseiller syndical en 1947. Il fut chargé, avec René Rohaut, de la commission des Ruraux puis devint secrétaire de la commission des jeunes et de la culture. Il demandait à plusieurs reprises l’abrogation des zones de salaires qui désavantageaient les maîtres exerçant dans les campagnes, position qui ne correspondaient pas aux orientations de la direction du SNI. Dans le bulletin départemental du SNI en 1948, il approuva le projet de formation d’un groupe d’éducation nouvelle pour développer les méthodes actives en rapport avec les initiatives de Freinet. Lors des journées des Jeunes du Syndicat national des instituteurs à Limoges, les 5-6 avril 1950, il intervint après le rapport de Marguerite Augustin. Il estimait que le questionnaire mis en circulation accordait trop de place à la culture populaire et délaissait les questions sociales.
Avec d’autres responsables, notamment Eugène Scelles et Jean Poulain*, marqués à gauche mais indépendants de toute formation politique, très unitaires, Julienne lutta contre les tendances organisées, qui lui semblaient « un obstacle à la démocratie syndicale ». Ils avaient condamné la scission syndicale et le retrait du SNI de la CGT (au conseil syndical, sur les onze membres, quatre refusèrent le retrait du SNI de la CGT) et militaient aussi à la FEN-CGT.
Adhérent à « Peuple et Culture » depuis 1946, élu membre de son comité directeur de 1950 jusqu’en 1961, Guy Julienne participait, en liaison avec « Travail et Culture » et « Peuple et Culture » à l’organisation de voyages et des stages de vacances, notamment à Paris, avec visites dirigées et commentées, suivies de discussions (studios de cinéma, quartiers, monuments, rencontres avec des responsables syndicaux, théâtres etc…). Il organisait aussi à la Maison de l’enseignement à Caen des conférences dans le cadre de Peuple et Culture.
Élu au Conseil départemental de l’enseignement primaire en 1951, Julienne participa à la démission collective demandée par la SNI pour protester contre la politique répressive du gouvernement et sa politique antilaïque à la fin de 1953. Il fut réélu en janvier 1954 avec beaucoup plus de voix qu’en 1951.
Réélu avec trois autres minoritaires au conseil syndical en 1950, Guy Julienne fut remplacé à la tête de la commission des jeunes et devint le responsable de la commission des questions postscolaires et de l’Éducation nouvelle. Par la suite des divergences apparurent entre ces minoritaires ; à l’attentisme des anciens, il opposait une « participation nettement plus offensive » dans deux articles du bulletin départemental et en 1955 n’approuvait pas le rapport moral du secrétariat sortant. Avec certains militants majoritaires et les « Amis de L’École émancipée », la liste qu’il conduisait emporta la majorité des sièges lors du renouvellement du conseil syndical en 1959-1960. Sa profession de foi, résultat du travail des sous-sections, définissait une « conception nouvelle de la pratique démocratique dans le syndicalisme ». Dès mai 1960, Georges Fournial, dirigeant national de la tendance, se félicitait de cette orientation, « Votre exemple montre que les syndiqués, à partir d’une élaboration concrète à la base d’un programme acceptable par tous, peuvent très bien s’orienter vers un syndicalisme largement ouvert et unitaire. » Progressivement, des modifications intervinrent dans les structures et les pratiques de la section syndicale. Ces changements, dans le cadre de « l’expérience Calvados », eurent des répercussions dans la vie de la section départementale de la Fédération de l’Éducation nationale et, au lieu d’un responsable, issu du SNI, fut désigné l‘enseignant du secondaire Jean Petite. Il s’agissait, selon son témoignage, d’un « difficile combat de la pratique démocratique à tous les niveaux, dans le respect des courants de pensée, facteurs d’échanges de réflexion plus approfondie, […] générateurs de progrès » s’opposant aux « tendances cristallisées démobilisatrices à tous les niveaux ». Pour lui et ses camarades, « l’action de masse, si elle se veut constructive, ne se détermine pas à partir de slogans, si percutants soient-ils, mais est inséparable d’une prise de conscience de l’ensemble des problèmes qui la déterminent, prise de conscience que seule permet la pratique démocratique avec ses échanges ses interrogations, ses éléments de meilleure compréhension, de profondeur de l’engagement. »
Lors du congrès national du SNI à Strasbourg, après que Bernard Hélie eut présenté la motion du Calvados, Guy Julienne intervint, le 6 juillet 1960, dans la discussion du rapport de Robert Dernelle sur la vie à l’école. Il approuva le rapport qui rendait compte des difficultés du maintien de l’école laïque en milieu rural, mais il indiquait que les clivages de tendances empêchaient une véritable démocratie syndicale. Il intervint lors du congrès national du SNI, le 4 juillet 1961 pour critiquer le rapport moral et l’action de la direction majoritaire sur les luttes laïques, pour le reclassement et l’Algérie. Par la suite, il contribua régulièrement aux échanges et à la confrontation des idées dans le cadre du SNI. Candidat au bureau national du SNI, après avoir refusé d’être en troisième position éligible pour mieux se consacrer, avec ses camarades, au développement sa section et à « l’expérience de fonctionnement démocratique à tous les niveaux », il figurait en huitième position, sur la liste « Le prestige du SNI dépend d’une orientation correcte et ferme et de la vraie démocratie syndicale ». Obtenant 609 voix sur 2 204 votants, il ne fut pas élu par les membres du conseil national, le 22 décembre 1961.
Guy Julienne devint, en 1960-1961, le secrétaire de la section départementale du SNI et le resta jusqu’en 1972. Il quitta le conseil syndical en 1976. Après avoir organisé une importante souscription en faveur des mineurs, il participa à la réflexion, notamment avec Raymond Fournier et Jean Michel, puis à l’effort financier pour que soit publié, en janvier 1963, comme supplément au bulletin de la section syndicale, le texte du projet de réforme Langevin-Wallon, initiative pionnière en France. Ces orientations reçurent les encouragements de Gaston Mialaret. Lors du congrès national du SNI, lors du débat d’orientation, il présenta, le 15 juillet 1962, la motion élaborée par sa section qui avait recueilli l’adhésion des sections à majorité « cégétistes » et qui obtint 688 mandats sur 2 292 mandats. Le 22 décembre 1963, après avoir été pressenti par [Alfred Sorel)>172974], dirigeant national de la tendance « Unité et Action », pour être élu, il accepta de n’être candidat au bureau national sur la liste « Pour un SNI toujours plus uni, toujours plus fort » qu’en position de non-éligible. La liste ayant huit élus, il arriva en 10eme position. A la suite de deux démissions des élus de la liste, il entra au bureau national, mais démissionna aussitôt pour se consacrer à sa section départementale. Lors de la discussion du rapport moral au congrès du SNI à Lille, le 5 juillet 1964, il proposa une « indispensable revalorisation des enseignements préscolaire et élémentaire » avec passage par l’enseignement supérieur pour la formation des maîtres. L’année suivante, le 12 juillet, il regretta l’absence d’une motion d’orientation commune aux tendances et proposa des actions communes aux syndicats de la FEN pour l’amélioration des conditions de travail des enseignants. Il présenta les grandes lignes de la motion d’orientation déposée par la section du Calvados qui recueillit 780 mandats sur 2 686. Il fut candidat suppléant, le 6 avril 1965, à la commission administrative paritaire centrale. Pour l’élection du bureau national du SNI en décembre 1965, il figurait en neuvième position sur la liste "Pour un SNI toujours plus uni, toujours plus fort" conduite par Alfred Sorel.
Dans les perspectives de transformation des tendances en courants de pensée, la section du Calvados luttait, avec Guy Julienne, pour que la motion d’orientation présentée par « Unité et Action » soit définie par les sections départementales elles mêmes. Cette démarche fut traduite dans les faits au congrès de Paris où les délégués du Calvados eurent, à la suite d’une réunion avec la délégation des Bouches-du-Rhône étendue dans un deuxième temps à l’ensemble des délégations départementales à majorité U A , obtenu une présentation commune de la motion d’orientation par ordre alphabétique des 13 sections départementales concernées.
Par la suite, Guy Julienne fut membre du bureau national du SNI de 1967 à 1973 pour le courant « Unité et Action », élu en 1967 en neuvième position sur la liste « Pour l’unité, l’action, l’efficacité du SNI ». Actif dans la commission pédagogique et dans la commission des affaires extramétropolitaines, il participa à plusieurs congrès internationaux (Paris, Oslo, Helsinki, Londres). Pour lui, recherche et progrès pédagogique constituaient une partie fondamentale du militantisme enseignant. Il démissionna de sa responsabilité de secrétaire départemental du SNI à la fin des années 1960 mais conserva la responsabilité d’« Unité et Action » dans le Calvados jusqu’à sa retraite. Après 1976, il participait aux réunions des sous-sections de Mondeville puis de Douvres.
Guy Julienne fut au cœur de la préparation et de l’exécution de manifestations contre la guerre d’Algérie et du mouvement de Mai 1968.
Guy Julienne adhéra à l’Union Progressiste à sa fondation en 1950, puis fut militant de base du Parti communiste français de 1968 à 1976.
Élu conseiller municipal de Cheux avec deux autres candidats de gauche, Julienne fut candidat, en position non éligible, aux élections municipales de Mondeville sur une liste à majorité communiste. Il fut aussi candidat en dernière position sur une liste d’Union de la Gauche, lors de son arrivée à Douvres.
Il adhéra au Mouvement de la Paix depuis sa fondation, demeura membre de « Peuple et Culture » jusqu’à sa dissolution en 1968, adhéra aux « Amis de la Commune de Paris », à l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance pendant une vingtaine d’années, à l’association des « lecteurs de l’Humanité ».
En 1993, Guy Julienne et son épouse, qui le soutint constamment dans son parcours militant, rejoignirent le SNUipp-FSU. Toujours syndiqués au début du XXIe siècle, ils participaient à toutes les luttes sociales du Calvados.
Par Jacques Girault
SOURCES : l’Ecole libératrice. — Renseignements fournis par l’intéressé.