SELLON Émile, Adolphe

Par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon

Né le 9 juin 1893 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 16 octobre 1978 à Marseille ; peseur juré sur le port ; un des fondateurs du Parti communiste dans les Bouches-du-Rhône, membre des Brigades internationales, résistant, premier adjoint du maire communiste de La Ciotat de 1945 à 1947.

Émile Sellon appartenait à une famille de petits fabricants de cordages aux idées avancées qui employait une cinquantaine d’ouvriers. Son grand-père avait été l’ami de Garibaldi et avait participé à la Révolution de février 1848 ainsi qu’à la Commune de 1871 à Marseille. Il fut enterré civilement. Sa famille était dreyfusarde.
Après ses études au lycée Thiers, Émile Sellon exerça la profession de peseur juré de commerce sur le port de Marseille. Il le resta jusqu’en 1937. Il glissait, avant 1914, des tracts révolutionnaires dans les sacs de marchandises en partance pour les pays lointains et était abonné à des journaux antimilitaristes.
Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, il participa à l’expédition des Dardanelles, fut cité et décoré de la Croix de guerre. Il aurait contribué à la création de La Vague et fut, dans les tranchées, après la Révolution d’octobre, l’un des propagandistes des idées léninistes.
Aimant raconter selon ceux qui l’ont connu, Émile Sellon donna divers témoignages sur tel ou tel épisode d’une vie militante exceptionnelle, les enjolivant peut-être, mais laissant dans l’ombre beaucoup, sinon l’essentiel. Sous une certaine rondeur méridionale, se trouvait un militant convaincu et déterminé dont la foi ne fut jamais ébranlée.
En 1918-1919, il fut l’un des premiers à adhérer au Comité pour la IIIe Internationale. N’étant pas membre de la SFIO, il aurait assisté au congrès de Tours en tant qu’observateur. Il fut, en 1920, l’un des fondateurs du Parti communiste à Marseille, participant aux campagnes contre la guerre du Rif et en faveur de Sacco et Vanzetti. Il aida toujours son parti et son journal régional, Rouge-Midi, lequel, grâce à son aide financière, put paraître dans des moments difficiles. Résidant à Marseille, 4 place de l’Observance, il faisait partie en 1925 de la cellule numéro 1 du 3e rayon de Marseille. Il fut délégué des Bouches-du-Rhône au congrès de Villeurbanne en janvier 1936. Révolté par les événements d’Espagne, voulant s’engager aux côtés des républicains, il prit ses droits à pension bien que n’ayant pas atteint l’âge de la retraite pour pouvoir entrer dans les Brigades internationales. Il raconta être « monté » à Paris voir Maurice Tréand, chargé de leur recrutement, avec une recommandation de Billoux. Celui-ci l’aiguilla vers le Marseillais Auguste Dumay et la compagnie France-Navigation qui transportait des armes pour le camp républicain. Mais il aurait participé à Marseille à l’organisation de convois de ravitaillement, et se serait occupé de l’intendance des brigadistes, puis de la création d’un centre de permissionnaires, avant de participer comme souscripteur et membre à France Navigation. Bien que n’ayant jamais navigué, il devint subrécargue, chargé de veiller à la bonne marche des opérations. Son rôle complémentaire, sinon premier, était celui de commissaire politique. À l’en croire, sa première mission à bord du Jason aurait été un fiasco puisqu’il fut trompé par le commandant et qu’il perdit la cargaison. Il fut cependant considéré comme suffisamment fiable pour être maintenu. Il aurait franchi quatorze fois le Cap Nord pour se rendre à Mourmansk (URSS) d’où provenaient les armes. Un de ses compagnons l’a décrit « comme un personnage étonnant : perfectionniste à l’excès, infatigable, autoritaire, prévoyant, organisateur, bref quelqu’un dont la présence rassure », doublé d’un « militant intransigeant » (Les Brigades de la mer, p. 138). Après la défaite républicaine, il s’engagea activement dans l’évacuation de réfugiés et, pour cela, dans la transformation du cargo Winnipeg. Il insista pour pouvoir accompagner jusqu’à Valparaiso (Chili) deux mille réfugiés des camps d’Argelès et Gurs, dont quatre cents femmes et trois-cent-soixante-quinze enfants. Ce voyage, commencé le 2 août 1939, fut long et éprouvant, perturbé par les manœuvres sournoises d’un capitaine et d’un intendant anticommunistes, désireux de le faire capoter. Sellon était heureusement épaulé par le gendre et la fille de Marcel Cachin, Paul Herzog, chirurgien, et Marcelle Cachin, ainsi que par une partie de l’équipage qui refusa de suivre le capitaine et fut pour cela accusé de mutinerie. Il en fit un récit publié par le Cercle La Renaissance de La Ciotat sous le titre Allons au-devant de la vie ! L’aventure du Winnipeg par ceux qui l’ont vécue. En dépit de l’accueil reçu à Valparaiso, il fallut là-bas affronter aussi l’hostilité du consul de France. Il est vrai que le pacte germano-soviétique venait d’être signé. Sellon et les « mutins » furent arrêtés à leur retour en France, à Bordeaux (Gironde) et emprisonnés au fort de Hâ. Leur procès devant le tribunal maritime eut lieu en mai 1940 et aboutit à un acquittement général. Leur avocat, Me Moro-Giafferi, fut, quelques mois après, celui d’Auguste Dumay et des autres dirigeants de France Navigation devant le tribunal maritime de Toulon. Était-ce avant cette période ou pendant ? Mais, d’après la police, Sellon recevait parfois plusieurs semaines des chefs du Parti communiste (Gitton, Thorez, Dutilleul, etc.) dans sa campagne de La Conférence que sa mère avait achetée en 1921 au quartier du Puech à La Ciotat. En novembre 1940, la police locale qui le surveillait ne signalait pas de liaisons visibles entre lui et les militants de la localité, même si le bruit courait que se tenaient dans sa propriété des réunions clandestines (enquête du 12 novembre 1940). Sellon était pour le moins un homme avisé et prudent car il participa, sans se faire repérer, à la réorganisation clandestine du PC. Il aurait été en contact avec Gaston Monmousseau, planqué dans la région et probablement chargé de la première reconstitution de l’organisation pendant la guerre, ainsi qu’avec Josette Raybaud et Georges Marrane pour le Front national à La Ciotat. Il faisait parti du trio de direction du PC local reconstitué après la dissolution avec Henri Diffonty et Ange Colombi. Dans la ville, sa liaison aurait été assurée par Louis Lieutaud. Il participa aussi au groupe local, en partie composé de communistes, qui dépendait du réseau du SOE (Special Operations Executive) Jean-Marie Buckmaster avec le matricule de K 101. C’est le seul engagement qui figure dans son dossier de Résistance déposé au SHD. Plus étonnant, il fut chef de maquis dans les Basses-Alpes en 1943. Sans doute y fut-il appelé par Auguste Dumay qui était devenu le responsable maquis du département pour l’Armée secrète (AS) et les Mouvements unis de la Résistance (MUR). Par ailleurs, le chef régional maquis, dépendant du Service national Maquis (AS-MUR), était aussi un militant communiste, Henri Masi, qui avait eu la responsabilité de l’OS (Organisation spéciale) à Marseille. Cette présence en nombre de militants chevronnés dans les maquis bas-alpins de l’AS ne laisse pas d’intriguer. L’entrisme est évidemment l’hypothèse la plus probable, encore que non assurée, le nom de Dumay se trouvant sur la liste noire du PC des Bouches-du-Rhône. Quoi qu’il en soit, Sellon fut chargé de constituer et de diriger le camp Marceau installé fin avril 1943 aux Traverses (commune de Beaujeu), près du col du Labouret. Il y convoya, via Aix-en-Provence, plusieurs jeunes ciotadins. Surnommé affectueusement Papa, il faisait l’instruction des recrues, probablement aussi leur instruction politique, et aimait bien raconter ses aventures. Le maquis regroupait une trentaine de jeunes de la région. Redoutant une opération des GMR (Groupes mobiles de réserve), le maquis se déplaça fin juin 1943 pour rejoindre les environs de Savournon (Hautes-Alpes), au col de Faye. Cette longue marche à travers le département fut épuisante pour Sellon, qui était, de loin, le plus âgé et fut obligé de s’arrêter. Il resta pourtant encore quelque temps au maquis qui se regroupa avec d’autres éléments pour former ce qui allait devenir le maquis Morvan, d’après le pseudonyme de son chef militaire, Félix Germain, autre communiste marseillais. Sellon quitta le maquis en décembre 1943 après l’attaque du camp des Pomets. Son engagement ne s’arrêta pas là puisqu’il repartit en janvier 1944 pour se rendre en Afrique du Nord, via Gibraltar, après avoir passé clandestinement les Pyrénées et traversé l’Espagne sous l’identité de John Constant, citoyen canadien. Mandaté par le PC, il aurait été porteur de plans et de notes pour préparer le Débarquement, ce qui laisse dubitatif. Son arrivée à Alger suscita l’étonnement du contre-espionnage, ce dont témoigne le compte rendu de son debriefing, daté du 15 février 1944. Cette interview, « paraissant sérieuse », avait eu lieu le 13 janvier précédent. Sellon s’était présenté comme ancien peseur juré et agriculteur, membre de l’organisation de Résistance dirigée localement par le sculpteur d’art chrétien, de Saint-Marceaux, c’est-à-dire l’antenne ciotadine du réseau Jean-Marie Buckmaster (SOE). Il justifiait sa fuite en remontant à l’exécution d’un indicateur des Allemands à La Ciotat le 25 septembre 1943 que la police et les gendarmes avaient essayé en vain d’étouffer, car les Allemands, renseignés par un traitre avaient dressé une liste de trente otages. Il n’était pas sur cette liste, mais avait été averti qu’il était menacé d’arrestation. Il était donc allé à Perpignan (Pyrénées-Orientales), avait trouvé un guide au café du Castellet qu’il avait payé 20 000 francs. Il était parti de nuit en bus jusqu’à La Bastide et avait continué à pied par Corsary, Montferrer, Le Tech, Sarralongue, San Pablo, San Juan de las Aladesas et Ripoll. Il était arrivé à Barcelone et s’était présenté le 9 janvier 1944 au consulat britannique qui l’avait pris en charge. Le compte rendu concluait : « Bien qu’il soit assez extraordinaire que Sellon ait pu faire le voyage Marseille-Barcelone sans subir un seul contrôle, il fait bonne impression ». Bien entend, Sellon avait caché son engagement communiste et la mission dont il était chargé. L’exécution – réelle – du chef de la Milice de La Ciotat lui servit probablement de prétexte pour expliquer son départ. On ne sait ce qu’il fit à Alger. Il serait monté sur un chalutier pour regagner la France, après la Libération. Il fut décoré de la médaille de la Résistance le 31 mars 1947.
En avril 1945 et jusqu’en 1977, Émile Sellon fut élu conseiller municipal communiste de La Ciotat, où il s’était établi comme agriculteur dans sa propriété de La Providence. Il devint le premier adjoint de Jean Mailloulas, chargé des travaux publics et de l’adduction d’eau. En septembre de la même année, il fut battu lors des cantonales par Eugène Santini. Ce receveur buraliste socialiste le devança assez nettement avec 3 849 voix contre 2 879 (sur un total de 9 087 inscrits). Le 21 octobre 1945, Émile Sellon figura sur la liste présentée par le PCF dans la 1re circonscription des Bouches-du-Rhône à l’occasion de l’élection de l’Assemblée constituante. Il ne fut pas présenté lors des élections législatives du 2 juin 1946 mais participa au comité de soutien des candidats communistes. Le 22 octobre 1947, lors de la séance d’installation du nouveau conseil municipal, il ne fut pas reconduit dans ses fonctions de premier adjoint car il fut battu par une coalition organisée autour du socialiste Jean Graille.
Émile Sellon fit un voyage au Chili à la fin de 1970 au moment du gouvernement Allende et rencontra à Valparaiso des rescapés de l’aventure du Winnipeg. Il mourut le 16 octobre 1978 à Marseille où il fut inhumé le 19 après des obsèques civiles dans tombeau de famille auprès de sa mère et de son frère. Une avenue de La Ciotat porte son nom aujourd’hui.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article107720, notice SELLON Émile, Adolphe par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 10 novembre 2010, dernière modification le 17 avril 2021.

Par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon

Œuvre : Allons au-devant de la vie ! L’aventure du Winnipeg par ceux qui l’ont vécue, La Ciotat, Cercle La Renaissance-Culture et loisirs, 1970, 59 p.
SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M 2/III/1 ; M 6/10833, 10809 (anciennes cotes) et et 76 W 68. — SHD Vincennes GR 28 P 6 188, GR 16 P 544250, GR 28 P 2 404 (nc). — Rouge-Midi, 22 décembre 1936 (photo), 10 janvier 1937, 14 mars 1939, 14-15 octobre 1945 (photo) et 20 octobre. – La Marseillaise, 17 et 20 octobre 1978. — Amicale du maquis Morvan, Maquis et bataillons Morvan, Marseille, 1987, p. 30. — Étienne Brun, Amis, entends-tu ? La vie sous les étoiles d’un des derniers maquisards ciotadens, sd, dactylog. — Jean Garcin, De l’armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence 17 juin 1940-20 août 1944, Digne, 1983, p. 104-106. — La Ciotat… notre ville, 50ème anniversaire de sa Libération, recueil de souvenirs de Carmagnolle Joseph, journal La Marseillaise, 1994. — Lucien Molino, Ma vie et mes combats, préface de Robert Mencherini, édité à compte d’auteur à Miramas, 2000, page 23. — Notes de Jean-Claude Lahaxe.— Etat civil.

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