Par Jacques Girault
Né le 20 décembre 1903 à Toulon (Var), mort le 5 décembre 1972 à La Farlède (Var) ; avocat ; maire socialiste SFIO de Toulon (1953-1959) ; conseiller général (1951-1972) et maire (1966-1972) d’Aups ; sénateur socialiste du Var (1959-1972).
Édouard Le Bellegou appartenait à une famille catholique d’origine bretonne, comprenant beaucoup de marins. Son père, né à Morlaix (Finistère), servit dans la Marine nationale jusqu’à sa retraite puis tint, avec son épouse, un commerce à Toulon. Le Bellegou, après des études au lycée de cette ville, obtint le baccalauréat “philosophie” en 1920, et une licence à la faculté de droit d’Aix en 1924. Marié en juillet 1923 à Toulon, il s’inscrivit au barreau, le 6 décembre 1924. Le couple eut deux filles.
Le Bellegou plaida très tôt en faveur des militants syndicalistes de l’Arsenal. À la suite d’un procès, le 28 août 1930, >Le Cri de l’Arsenal se félicitait qu’il se soit rangé “nettement du côté des manifestants” en défendant “le droit de manifester dans la rue”. En décembre 1934, le Secours rouge international le chargea de défendre les vingt-deux marins du Pluton devant le Conseil de guerre.
Militant de la Ligue des droits de l’Homme, élu comme conseiller juridique en 1935, Le Bellegou appartenait, dès 1924, à l’entourage de Victor Brémond, député « rouge ». Il devint l’un des principaux dirigeants de son cercle et l’orateur le plus écouté dans le quartier Besagne. Au nom du cercle V. Brémond d’action républicaine et socialiste, il participa activement aux nombreuses réunions lors de la campagne des élections municipales de 1935. Candidat sur la liste d’action républicaine et socialiste qui regroupait les partisans de Brémond et les membres du Parti socialiste de France, il arriva en deuxième position, le 5 mai 1935. Pour le deuxième tour, Brémond dirigea une liste se réclamant du Front populaire qui comprenait toutes les forces de gauche, à l’exception des communistes
Pour l’élection législative de 1936, dans la circonscription de Brignoles, le député sortant socialiste passé au PSDF, Hubert Carmagnolle envisageait de ne pas se représenter et pressentit Le Bellegou comme candidat. Mais apprenant que le candidat du Parti socialiste SFIO serait Albert Lamarque, il se ravisa et fut candidat. Le Bellegou anima toute sa campagne électorale à ses côtés.
Membre fondateur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes à Toulon, Le Bellegou en devint le président en mars 1935 et, à ce titre, présida le meeting des organisations du Front populaire, le 14 juillet 1935 ou la réunion à la veille du deuxième tour des élections législatives de 1936, pour soutenir le candidat communiste devenu candidat du Front populaire. Par la suite, il abandonna la présidence du CVIA.
Le Bellegou, comme V. Brémond, se rapprocha du Parti socialiste SFIO. En Le Bellegou, comme V. Brémond, se rapprocha du Parti socialiste SFIO. Le secrétaire de la fédération Jacques Toesca le rencontrait souvent et dans ses mémoires à clef, Un militant de province, le présentait sous le nom de Maître Quernec au « cœur généreux » (p. 202). En 1936, il plaida gratuitement pour l’hebdomadaire fédéral Le Populaire du Var. Le Parti socialiste SFIO désirait des adhésions individuelles. Le Bellegou, Brémond, Jean Agnèse et Paul Maurel s’y refusèrent et adhérèrent collectivement en septembre 1937. Le Bellegou devint membre du bureau de la section toulonnaise, l’année suivante. Au congrès de la Fédération socialiste SFIO, dans son intervention, le 22 mai 1938, il se prononça pour une défense des quarante heures. Orateur de nombreux meetings socialistes, tout en condamnant fermement l’action des états totalitaires qui menait à la guerre, il justifia la non-intervention en Espagne et les accords de Munich. Au congrès fédéral du 21 mai 1939, il présenta une motion de synthèse entre les deux positions nationales de Léon Blum et de Paul Faure qui recueillit 64 voix.
Le Bellegou poursuivit son action d’avocat des syndicalistes, en 1939, en défendant Albert Couret et d’autres ouvriers des Forges et chantiers de la Méditerranée. Au début de la guerre, il assura, souvent gratuitement, la défense de nombreux communistes traduits devant la justice civile ou militaire.
Le Bellegou, réformé, n’avait pas été mobilisé au début de la guerre, ce qu’on lui reprocha plus tard. En septembre 1940, il présida le comité pour la Révolution nationale. Il signa un appel dans l’hebdomadaire du Parti populaire français, paraissant en zone Sud, L’Émancipation nationale du 28 septembre 1940, avec cinq autres militants locaux qui « acceptent provisoirement d’assurer la responsabilité de ce Comité de Révolution Nationale », qui ne connut aucun développement, selon la police. Lors d’un congrès de la fédération socialiste SFIO, le 26 juin 1955, il indiqua n’avoir jamais adhéré à ce Comité et avoir aussitôt protesté contre la parution de cet appel, rappelant qu’au même moment dans La Révolution nationale, il était présenté comme « un belliciste anglophile ». En contact avec l’ancien ministre socialiste Albert Sérol, il se sentait proche des idées des anciens néo-socialistes regroupés par Marcel Déat dans le Rassemblement national populaire, créé en février 1941. Selon son propre jugement, Le Bellegou utilisait ses relations avec les milieux collaborateurs pour mieux exercer sa profession d’avocat tout en état en contact avec des avocats parisiens, membres ou anciens membres du Parti communiste. Dans la défense des résistants, il obtint de bons résultats à l’issue de ses plaidoiries et de ses démarches.
Cette attitude fut à l’origine de nombreux clivages, à la Libération, à l’intérieur des milieux dirigeants du socialisme varois où figuraient d’actifs résistants. Le Bellegou allait-il être réadmis au Parti socialiste SFIO ? Le bruit courut qu’il avait demandé son adhésion au Parti communiste français. Selon des dirigeants communistes, son adhésion aurait été refusée. Mais les socialistes le réintégrèrent et lui demandèrent de ne pas briguer, dans l’immédiat, de mandat électif.
En octobre 1947, les socialistes toulonnais, en position de faiblesse par rapport aux communistes qui détenaient la municipalité de Toulon, firent appel à V. Brémond qui imposa Le Bellegou comme candidat. La liste obtint dix élus, dont Brémond et Le Bellegou. Les conflits entre socialistes et communistes permirent la conquête de la mairie par Louis Puy, premier adjoint puis maire, socialiste SFIO depuis 1945, ancien conseiller municipal en avril 1945 sur la liste UPRA conduite par le communiste Jean Bartolini, et exclu de la SFIO après son adhésion au Rassemblement du peuple français en mai 1947. Très vite, faute de vote du budget, de nouvelles élections eurent lieu après l’affaire d’escroquerie Gourdin-Chenel, compromettant le maire, amenant la dissolution du conseil municipal. Franck Arnal, se sentant peu soutenu par les socialistes toulonnais, refusa de conduire la liste et Le Bellegou, en tête de la liste « d’action républicaine et socialiste. Pour une meilleure administration de Toulon » comprenant 5 membres du MRP et 32 socialistes, fut élu le 8 mai 1949 mais Puy retrouva le siège de maire, Le Bellegou obtenant 7 voix. Un état de crise permanente s’installa dans le conseil. Une nouvelle consultation, le 15 juin 1951, ne modifia pas les rapports de forces alors qu’il conduisait la liste d’union socialiste et de défense républicaine. Les élections municipales du 26 avril 1953 ne changèrent rien. Élu à la tête de la liste républicaine et socialiste, Le Bellegou devint maire avec 13 voix contre 24 blancs à la suite d’un accord conclu entre le groupe socialiste SFIO (sept élus) et le groupe ARS (six élus).
Le Bellegou partageait les analyses du Parti socialiste SFIO et se montra favorable en mai 1954 à la Communauté européenne de défense. Lors de la réunion du congrès de la Fédération socialiste SFIO, le 23 mai, « face aux visées impérialistes des Russes », il préconisa « l’union des pays occidentaux dont l’Allemagne est partie intégrante. » Il proposa que la CED tienne « le rôle de gendarme international ».
Dans une première lecture en mars 1954, le budget fut repoussé. Après le succès des célébrations du 14 juillet et des manifestations commémorant la libération et la Résistance, où socialistes et communistes participèrent, les adjoints ARS résilièrent leurs fonctions. Le 13 septembre, le budget était voté par les élus socialistes et communistes en raison des améliorations sociales apportées. Par la suite, le PCF soutint l’action municipale désormais dirigée par les seuls socialistes. D’autre part, Le Bellegou prit des positions favorables au désarmement par des accords internationaux. Un accord sur l’administration communale fut signé par les socialistes et les communistes le 12 février 1955. Jean Charlot, secrétaire de la fédération, le 20 février 1955, constatait qu’il ne s’agissait pas d’un accord de politique générale mais qu’il ne portait que sur des questions de gestion municipale. Alors que la direction nationale du Parti socialiste SFIO marquait son opposition, le comité fédéral, jugeant qu’aucune majorité nette se dégageait dans la section toulonnaise et le groupe socialiste au conseil, demanda, comme l’avait déjà fait Charlot, la dissolution du conseil, tout en renouvelant sa confiance à Le Bellegou et aux socialistes toulonnais. En accord avec la section socialiste toulonnaise, il demanda officiellement au préfet la dissolution qui fut prononcée le 24 mars 1955.
Comme aux précédentes élections municipales, Le Bellegou conduisit la liste républicaine et socialiste, qui eut huit élus, le 24 mai 1955. Le protocole d’accord avec les élus communistes reconduit, il retrouva son poste. La tension pourtant ne se relâcha pas et de nombreux dirigeants de la fédération, dont tous les parlementaires sauf Charlot, manifestèrent leur opposition à ce rapprochement avec les communistes. Le comité directeur de la SFIO, le 22 juin 1955, considéra cet accord, « contraire aux décisions du parti », comme « une équivoque préjudiciable au rayonnement du Socialisme ». Le congrès fédéral, le 26 juin, sans désavouer l’accord, souhaita, par 104 mandats contre 84, qu’il « se limite strictement aux questions administratives » et qu’il « ne se transforme pas en unité d’action politique ». Le comité directeur, en juillet 1955, décida d’envoyer une commission d’enquête pour examiner la question toulonnaise et plus largement les orientations de la fédération socialiste. Le CD et la majorité de la Fédération socialiste condamnèrent l’expérience toulonnaise mais la commission fédérale des conflits jugea qu’il s’agissait d’une « attitude collective de la section de Toulon ».
Après les événements de Hongrie, la tension s’accentua et Le Bellegou retira, le 13 novembre 1956, leurs délégations aux communistes, gérant la ville en s’appuyant sur les seuls élus socialistes. Les communistes conservaient néanmoins leurs postes d’adjoints. Ils en démissionnèrent, le 1er novembre 1958, pour protester contre la décision du maire de voter positivement au référendum.
Lors des élections municipales du 8 mars 1959, Le Bellegou conduisit la liste d’union républicaine et socialiste d’action municipale. Il fut élu avec huit colistiers mais battu le 21 mars 1959 au poste de maire. L’accord avec le PCF (onze élus) n’ayant pu se faire, Maurice Arrecks devint maire, soutenu par quinze édiles. Le Bellegou dirigea à nouveau la liste du « Front démocratique pour la défense des libertés locales et des intérêts toulonnais » le 14 mars 1965 et se retira, à la suite du premier tour, sans donner de consignes de vote. Il ne se représenta pas en mars 1971 sur la liste d’union des partis de gauche à direction communiste dont il approuva le principe.
Parallèlement, Le Bellegou siégea au conseil général, représentant le canton d’Aups. Élu le 7 octobre 1951 après le décès du titulaire, désigné par les socialistes locaux, il devait être sans cesse réélu jusqu’à son décès. Membre des commissions des finances dont il assura le secrétariat, de l’hydraulique, du tourisme, des transports à partir de 1953, il présida le conseil d’administration de l’office public des HLM de 1959 à 1964 et le comité technique départemental des transports à la fin des années 1950. En décembre 1958, il fut élu vice-président du conseil général.
Le Bellegou fut candidat malheureux sur les listes socialistes aux élections législatives de juin 1951 (quatrième position), de janvier 1956 (troisième position), novembre 1958 (troisième circonscription, Toulon) et de novembre 1962 (deuxième circonscription, Toulon). Pour la liste socialiste lors de l’élection au Conseil de la République, le congrès fédéral, le 18 mai 1958, préféra Le Bellegou à Gabriel Escudier. Mais, ce dernier maintint sa candidature et fut exclu du Parti. Pourtant, le 8 juin 1958, de nombreux militants socialistes du Var intérieur et des proches de Franck Arnal votèrent pour Escudier (345 voix) par hostilité à la politique de Le Bellegou (341 voix) à Toulon. Il fut accusé dans un tract anonyme d’avoir, en 1936, combattu le candidat socialiste SFIO et ainsi permis l’élection au deuxième tour d’un communiste.
Le Bellegou l’emporta aux élections sénatoriales du l’emporta aux élections sénatoriales du 26 avril 1959 dès le premier tour, de nombreux grands électeurs gaullistes votant pour lui. Il retrouva son siège en septembre 1968. Au Sénat, il fit partie de la commission des affaires étrangères et de la défense et de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et de l’administration générales. Membre du Comité national de l’Eau, il assura la vice-présidence du comité du bassin Rhône-Alpes-Méditerranée-Corse. À partir de 1969, il s’exprimait en tant que porte-parole du groupe socialiste du Sénat, s’occupant particulièrement des rapatriés d’Algérie en tant que membre de la Commission sociale centrale des rapatriés, et intervenant sur la réforme judiciaire.
Le Bellegou participa régulièrement aux congrès fédéraux du Parti socialiste SFIO, y présentant les rapports d’activité parlementaire à partir de 1960 et y étant souvent désigné comme délégué aux congrès départementaux. Ainsi, lors du référendum du 28 octobre 1962, il prit nettement position et milita activement pour une réponse négative. Toutefois, tout en se sentant profondément socialiste, il affectait une attitude distante avec les strictes règles de la vie du parti.
Le 20 février 1966, renforçant son assise locale, Le Bellegou, à la suite d’une élection partielle, devint conseiller municipal puis maire d’Aups. Il fut reconduit dans ces fonctions après les élections municipales de 1971.
N’ayant jamais cessé de plaider, membre du comité directeur de l’association nationale des avocats à partir de 1948, bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Toulon de 1949 à 1953, réélu bâtonnier, le 3 juillet 1971, Le Bellegou présidait le comité de direction de la Faculté libre de droit du Var. Membre de l’Académie du Var, il y prononça une conférence où il exprima son opposition à la peine de mort. Initié pour peu de temps aux rites maçonniques en 1956 (Grand Orient de France), il signa en mai 1959 l’appel du comité départemental d’action laïque contre l’enseignement catholique au nom de l’Union départementale des délégués cantonaux.
Président d’honneur des clubs Léo Lagrange dans le Var, président de l’Union varoise des délégués départementaux de l’Éducation nationale (ex-délégués cantonaux depuis 1959, Le Bellegou prononça, le 4 décembre 1972, une conférence au cercle Jean Jaurès sur le centième anniversaire de la naissance de Léon Blum. Le lendemain, il mourut accidentellement. Ses obsèques furent célébrées à la cathédrale Saint-Louis à Toulon.
Auguste Amic, son suppléant, lui succéda comme sénateur.
Par Jacques Girault
SOURCES : Arch. Nat., F7 15531 dos. 18062 (Renseignements généraux), 15516, dos. 4987 (RG, L. Puy). — Arch. Dép. Var, 2 M 7.35.4, 4 M 46-47, 50, 59.2-3 et.4.1, 3 Z 2.23, 4.30-31, 6.16, 16.10, Cabinet 609. — Arch. J. Charlot (Centre d’Histoire sociale du XXe siècle). — Arch. OURS, fédération socialiste SFIO du Var. — Presse locale et nationale. — Renseignements fournis par l’intéressé et par sa fille Geneviève Le Bellegou-Béguin. — Notes de Jean-Marie Guillon. — Sources orales.