JOUVE Paul, Auguste, Gabriel

Par Jean-Claude Magrinelli

Né le 9 juillet 1881 à Bouvières (Drôme), mort en déportation à Sachsenhausen le 7 août 1943 ; ouvrier tailleur ; militant communiste et syndicaliste dans la Meuse et la Meurthe-et-Moselle, résistant membre du groupe Pattiniez, arrêté le 16 novembre 1942 par la XVe brigade de police mobile à Nancy.

Jouve Paul naquit à Bouvières, un tout petit village de la Drôme vivant principalement d’activités agricoles et pastorales. Son père était cultivateur. Lui devint ouvrier tailleur. Il fut mobilisé en 1914 et termina la guerre avec une santé fragilisée. Il adhéra au Parti communiste dès sa création en 1921. Il s’installa à Nancy, probablement dès la fin du conflit et travailla pour le compte d’un artisan tailleur. Il rencontra Florence Hache dite Geneviève, née le 16 août 1879 à Saint-Maurice-sous-les-Côtes dans la Meuse, lingère de son état, avec qui il vécut maritalement au n° 13, rue du Mont-Désert puis au n° 63 de la rue Charles III à Nancy. Paul et Geneviève recueillirent et décidèrent d’adopter jeune garçon nommé Abadie André âgé de 17 ans (AD de Meurthe-et-Moselle : 2101 W 9, dossier d’affaire Pattiniez Emile établi par le SRPJ à Nancy, PV d’audition de Paul Jouve du 18 novembre 1942).

Pour ses camarades, Paul Jouve était un militant d’expérience et de confiance. Sur le plan syndical, il fut secrétaire du syndicat (confédéré) de Nancy jusqu’en 1923 puis il construisit le syndicat unitaire dont il devint le secrétaire dès sa création et le resta jusqu’à la réunification fin 1935. Il en fit le syndicat majoritaire à Nancy. Il conduisit les difficiles négociations salariales avec le patronat local qui durèrent de 1920 à 1924. Il représenta les ouvriers de l’aiguille au Conseil des Prudhommes dès 1920. Il fut relevé de son mandat en 1939, par arrêté préfectoralour appartenance au Parti communiste. Secrétaire de la cellule du quartier Mon-Désert, ses camarades le désignèrent candidat du parti aux élections municipales de 1929 à Nancy sur la liste du « Bloc ouvrier et paysan », aux élections municipales de 1935 et législatives de 1936 dans l’arrondissement de Commercy où il recueillit 3,8 % des électeurs inscrits. La police le désignait alors comme l’un des organisateurs des réunions et manifestations du parti à Nancy.
A la déclaration de guerre, « considéré comme suspect, il devait être éloigné de la zone des armées c’est-à-dire de Lorraine, mais n’a pu l’être en raison de son état de santé ». Le commissaire spécial de Nancy écrivit de lui dans son rapport du 13 février 1941 : « C’était un agitateur dangereux… Après la dissolution du parti communiste, Jouve a continué à faire une propagande occulte dans son quartier et notamment auprès des ouvriers du vêtement. Depuis le mois de juin 1940, il ne s’est pas fait remarquer mais il n’a pas désavoué le parti… » après la signature du pacte germano-soviétique.
Pourtant, sa notice individuelle de renseignements établie par la police présentait Paul comme « un vieux militant communiste dangereux pour sa propagande sournoise » (sic) et bien que n’ayant pas de responsabilités importantes à la section de Nancy, il figurait comme « secrétaire de cellule » sur la liste de 63 « militants communistes » de la ville de Nancy établie par le commissaire central Coissard le 1er septembre 1941.
Par application de son arrêté du 9 janvier 1941 permettant la mise en prison de communistes notoirement connus après une distribution de tracts, le préfet Jean Schmidt prit le 5 février 1941 un arrêté d’internement administratif à son encontre et à celui de Marcel Baumann, le secrétaire du syndicat CGT des usines de Pompey avant la guerre, pour 15 jours à la maison d’arrêt Charles III. Il ne fit pas ces 15 jours de prison en raison d’une sévère pneumonie qui le tint alité. Le préfet rapporta sa décision.
Paul Jouve fut arrêté le 16 novembre 1942. Un rapport du chef des services régionaux de police de sûreté de Nancy, le commissaire Charles Courrier, daté du 18 novembre 1942, en précisa les raisons. Avec 18 arrestations en trois jours opérées à partir du 15 novembre, l’opération d’envergure des policiers de la XVe brigade régionale de police judiciaire permit le démantèlement d’une grande partie de l’organisation de diffusion de la presse clandestine du parti dans la région, dirigée par Émile Pattiniez. Courrier précisa qu’il fut découvert lors de la perquisition effectuée chez le couple Jouve « un reçu de mandat de 50 francs expédié par le sieur Odabachian René, 95 rue du grand cerf à Poitiers. Cette somme était destinée aux familles des militants communistes emprisonnés… ». Il soupçonna également Paul et Geneviève d’avoir fait de leur appartement un refuge et un lieu de réapprovisionnement en habits pour les militants clandestins. Sa compagne fut arrêtée à l’occasion de la souricière organisée au domicile de Pattiniez. Paul et Geneviève ne subirent pourtant pas le même sort. Elle fut libérée mais lui passa aux mains de la SIPO und SD, comme tous les autres membres du groupe Pattiniez. Écroué d’abord dans le quartier allemand de la maison d’arrêt Charles III, il fut transféré quelques semaines après au stalag 122 de Compiègne.
Le 24 janvier 1943, il fit partie du convoi à destination du camp de concentration de Sachsenhausen. Avec lui, des camarades de son groupe : Émile Pattiniez, René Becker et Jean Voissement de Champigneulles, Charles Désirat clandestin arrêté à Épinal, Marcel Rogé de Saint-Dié, alias BIDART, réorganisateur du parti en Meuse. Il fut enregistré sous le numéro matricule 58 260. Paul Jouve décéda le 7 août 1943, en un lieu non déterminé.
Quant à Geneviève, « bien qu’assistant régulièrement aux manifestations et réunions organisées par le parti communiste (avant la guerre), elle ne semble pas s’être mêlée personnellement à la vie active du parti et à sa direction et depuis la dissolution de ce parti, notamment depuis l’arrivée de l’armée allemande, elle ne s’est plus fait remarquer par ses idées subversives ». Bien qu’une perquisition effectuée au domicile le 20 novembre 1942 n’ait rien donné, elle fut inculpée par le juge d’instruction de Nancy d’ « activité communiste en 1942 à Nancy ». Elle fut une nouvelle fois écrouée à la maison d’arrêt Charles III le 31 décembre 1942. Le 6 février 1943, son affaire fut examinée par la section spéciale près de la Cour d’Appel de Nancy. Elle déclara à ses juges : « Mon ami ne m’a jamais donné de tracts pour la distribution. On a trouvé trois livres chez moi ; les Allemands n’ont pas saisi ces trois livres. Je n’ai fait aucune activité ; je n’ai jamais distribué de tracts… ». Elle fut acquittée, faute de preuves et libérée le jour même, après l’audience.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article107845, notice JOUVE Paul, Auguste, Gabriel par Jean-Claude Magrinelli, version mise en ligne le 18 novembre 2010, dernière modification le 7 juillet 2020.

Par Jean-Claude Magrinelli

Florence Hache, compagne de Paul Jouve

SOURCES : Arch. Dép. Meurthe-et-Moselle : 10 M 60, WM 330, 1739 W 5 (dossiers 92 et 93), 10 M 122. — FMD, Livre mémorial de la déportation : convoi parti de Compiègne le 24 janvier 1943. — La Voix de l’Est, 1936-1939 et 4 août 1945.— La Fondation pour la mémoire de la déportation, Le livre mémorial…op.cit. — État civil. — NoticesDBMOF par Jean-Pierre Besse.

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