DAUDÉ Achille, Antoine, dit DAUDÉ-BANCEL

Né le 15 décembre 1870 à Bancel, commune de Carnas (Gard), mort le 3 avril 1963 à Rouen (Seine-Maritime) ; pharmacien ; journaliste ; anarchiste, puis socialiste ; militant coopérateur.

Achille Daudé
Achille Daudé
Avec l’aimable autorisation de l’APHPO

Daudé-Bancel était le fils d’un artisan cordonnier à Bancel, artisan qui alla de bonne heure se fixer avec sa famille dans une petite commune de l’Hérault, Saint-Just, à quelques kilomètres de Lunel. Le père de Daudé étant franc-maçon militant, l’école de Saint-Just ne voulut pas accepter l’enfant qui dut faire ses études primaires à Saint-Nazaire-de-Gardies, commune voisine. À l’âge de dix ans, Daudé entra comme boursier au collège de Lunel. Il avait quinze ans lorsque son père mourut et il dut quitter le collège pour gagner sa vie. Le journalisme le tentait déjà : sa mère lui ayant demandé d’écrire sous un pseudonyme, il choisit celui de Bancel. Par ailleurs, il envisageait des études de pharmacie et il entra comme stagiaire chez un pharmacien tout en préparant un examen qui devait lui ouvrir, après trois ans de stage, l’entrée de la Faculté. Il commença ses études à la Faculté de Montpellier en 1890. Tout en suivant les cours, Daudé était employé à la pharmacie « républicaine » du Dr Pazet, président du conseil général, qui sera sénateur de l’Hérault. C’est dans le milieu des clients de la pharmacie qu’il put constater les misères sociales. Il adhéra alors au groupe libertaire montpelliérain « l’Homme libre », ce qui lui valut d’être soumis à la surveillance attentive de la police. Reçu pharmacien à vingt-trois ans, il ne put s’installer, n’ayant pas les vingt-cinq ans réglementaires. Il continua donc pendant quelques mois à être employé dans la pharmacie « républicaine ».

Charles Gide, alors professeur à la Faculté de Droit de Montpellier, ayant fait des conférences sur les doctrines sociales, et critiqué celles des libertaires, ceux-ci voulurent répondre ; ils désignèrent à cet effet Daudé et un syndicaliste anarchiste, en résidence forcée à Montpellier, Albin Villeval. Daudé alla trouver Gide qui accepta volontiers le projet d’un débat public et contradictoire.

La réunion fut organisée et eut lieu devant cinq cents personnes, « la plupart désireuses de voir ces "révolutionnaires" s’entr’égorger » (lettre de Daudé-Bancel à Jean Maitron, 4 avril 1961). La réunion se déroula dans le calme et fut suivie de cinq autres qui connurent un vif succès. Daudé avait été fort intéressé par les doctrines solidaristes et coopératistes exposées par Gide. Dans son enfance déjà, il avait été frappé par le récit concernant les Pionniers de Rochdale, en lisant le livre de Bruno (pseudonyme de Marc Guyau) : le Tour de France par deux enfants. Gide entreprit de compléter l’éducation coopérative de Daudé. « Quand il (Gide) partait de la Faculté de Droit où il donnait son cours, il faisait un crochet pour rentrer chez lui, et me remettait des tracts, des revues, des articles faisant l’apologie du coopératisme qui différait peu de l’anarchisme puisqu’il demandait l’adhésion volontaire et libre des consommateurs s’organisant sur le terrain de la distribution au détail, au gros, pour aboutir ensuite à la production » (lettre citée).

En attendant de pouvoir s’installer, Daudé remplaçait des collègues dans une localité ou une autre. Il en profitait pour entrer en relations avec les milieux avancés de la région et avec les directeurs de journaux régionaux. La vie qu’il menait ayant compromis sa santé, il acheta dès qu’il le put une pharmacie et s’installa à Prats-de-Mollo (Pyrénées-Orientales), où il devait rester trois ans. C’est alors que menant de front la propagande et la pharmacie, il devint le collaborateur régulier de la Dépêche de Toulouse. À cette époque, il fit la connaissance d’Augustin Hamon, de Fernand Pelloutier, du Dr Totomiantz, de Jean Grave, de Georges Deherme.

En 1897, il fit paraître un livre, Le Coopératisme devant les Écoles sociales, dans lequel il exposait son point de vue qui devait être discuté au congrès ouvrier révolutionnaire de 1900 (cf. Le Coopératisme et le Néo-coopératisme, brochure publiée par les ESRI de Paris). Il y prenait position contre la participation aux bénéfices, contre la coopération de crédit et de production, mais en faveur de la coopération de consommation. Dans une lettre à Jean Maitron, en date du 2 février 1951, Daudé-Bancel s’exprimait ainsi : « Contrairement à la plupart des fouriéristes, socialistes, communistes et anarchistes français, qui ont prétendu s’emparer de la production par la généralisation des coopératives autonomes de production, je me suis inspiré du programme exposé par Charles Gide au congrès coopératif de 1889 (...). Ce programme comporte d’abord la conquête des débouchés par l’organisation des coopératives de consommation et puis, au fur et à mesure que ces débouchés seront assurés, organisation de la production, soit par les magasins coopératifs de gros, soit avec le concours de coopératives industrielles et agricoles, de main-d’œuvre et de travail ».

En 1902, Charles Gide, nommé professeur à la Faculté de Droit de Paris, fut pressenti pour devenir président de l’Union coopérative des sociétés françaises de consommation, Soria, le secrétaire général, venant de démissionner et Deherme, qui assurait l’intérim, ne pouvant y consacrer assez de temps. Il n’y avait pas de candidat car le salaire était insuffisant (soixante francs par mois). D’autre part, les coopérateurs socialistes avaient créé la Bourse des coopératives socialistes contre les partisans de la neutralité politique du mouvement coopératif qu’ils qualifiaient de « bourgeois ». Gide écrivit alors à Daudé qu’il n’accepterait la présidence de l’Union que si Daudé en devenait le secrétaire général. Daudé accepta l’offre de Gide et vendit sa pharmacie.

Au moment où Daudé prit le secrétariat, le 1er février 1903, l’Union ne disposait que de huit mille francs. Daudé s’efforça de trouver des appuis et des collaborateurs ; il fut particulièrement attiré par la personnalité d’Édouard Marty. Mais, pour toute œuvre importante de propagande, les ressources manquaient. Pendant quelque temps, Daudé put faire face aux dépenses grâce aux fonds qu’il avait retirés de la vente de sa pharmacie ; quand ces fonds furent épuisés, ce fut Marty qui lui en fournit de nouveaux.

D’autre part, Gide procura à Daudé pour sa propagande une équipe de jeunes gens recrutés parmi ses élèves, parmi lesquels Alfred Nast, Henri Hayem, Henri Barrault, Georges Alfassa. La coopérative de gros pouvait compter sur de bons éléments tels que Tutin, Bailly, Chabert, mais qui, accaparés par leur métier, ne pouvaient consacrer que peu de temps à la coopération.

Conformément aux vues de Gide, Daudé organisait des congrès régionaux. Les disciples de Gide faisaient des conférences, ce qui provoquait, surtout en province, de nouvelles adhésions. Daudé publiait des articles dans de nombreux journaux, il éditait un bulletin mensuel L’Union coopérative, ainsi qu’un Almanach annuel de la Coopération qui parut jusqu’à l’époque de l’Unité coopérative. Il organisa quatre congrès nationaux où furent discutées les grandes questions concernant la vie du mouvement et notamment les questions fiscales. Il avait acquis notoriété dans les milieux coopératifs, où certains le connaissaient sous le nom de Daudé, les autres sous son pseudonyme de Bancel ; il décida de se faire désigner désormais sous le nom de Daudé-Bancel.

Daudé-Bancel vota le Pacte d’Unité (congrès de Tours 29-31 décembre 1912) : l’Union des coopératives des sociétés françaises de consommation et la Bourse des coopératives socialistes fusionnaient ; deux secrétaires généraux furent désignés à la tête de la nouvelle fédération : Ernest Poisson et Achille Daudé-Bancel, celui-ci spécialement chargé de la propagande et du journal.

Daudé fut élu en 1918 au conseil supérieur de la coopération ; en 1920, au conseil d’administration du Magasin de Gros, et, en 1922, à celui de la nouvelle Banque des Coopératives.

Daudé-Bancel avait, dans les premières années du siècle, adhéré à l’Ordre international des Bons Templiers. Ayant cherché les causes de l’alcoolisme chez les Français, il crut pouvoir la découvrir dans la qualité du pain trop blanc consommé par la population, et il s’attaqua aux minotiers. Daudé pensa que ce fut à la pression d’un gros minotier sur un grand coopérateur très ambitieux et très influent qu’il dut d’être évincé du secrétariat du mouvement central ; il fut mis à la retraite avec une petite pension, insuffisante pour vivre, mais qui fut heureusement améliorée par la suite. Il fut nommé secrétaire général honoraire. Il avait alors 54 ans.

Daudé reprit alors son métier et fut nommé pharmacien de la Pharmacie mutualiste de Sotteville-lès-Rouen, transformée en Pharmacie mutualiste de la région rouennaise, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à s’intéresser au mouvement coopératif ; c’est à ce titre qu’il créa et rédigea pendant plusieurs années une grande feuille mensuelle La Correspondance coopérative.

En même temps, il se consacrait à plusieurs œuvres économiques, culturelles ou sociales. C’est ainsi qu’il s’occupa de la propagande en faveur des jus de fruits et participa à la création de l’Institut normand du fruit. Il a mené campagne contre le pain apprauvri et en faveur du pain riche. Il s’est aussi occupé activement de sociétés en faveur de l’incinération et pour le don du corps après la mort aux Facultés de médecine ; lui-même avait fait don de son corps.

Daudé-Bancel restait en contact avec les milieux libertaires. Il collaborait aux journaux syndicalistes, notamment syndicalistes révolutionnaires, et il fut en rapports avec Pelloutier, Yvetot, Georges Sorel. Il collabora également à l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure (articles Jus, Magasin, Production, Réforme ou Réformation, ce dernier en collaboration avec Sam Meyer).

Daudé Bancel s’était toujours intéressé aux questions fiscales. En 1925, Sam Meyer lui proposa de succéder à Albert Cauwell qui venait de mourir, comme rédacteur en chef de la revue La Terre. Charles Gide intervint aussi. Daudé-Bancel accepta et se rallia bientôt à la théorie de Henry George, qui préconisait l’impôt sur la valeur du sol. Il devint un ardent défenseur du « georgisme » et, jusqu’à la fin de sa vie, fit paraître chaque trimestre Terre et Liberté, qui avait pris la suite de La Terre, après la décision de ses animateurs d’insérer les thèses libre-échangistes dans ses colonnes. Daudé-Bancel était par ailleurs secrétaire de la Ligue pour la réforme fiscale, foncière et le libre échange.

D’une infatigable activité, il faisait en outre partie d’autres associations telles que la Ligue de l’Enseignement, le syndicat des journalistes socialistes.

Daudé-Bancel fut, jusqu’à sa mort, sans ambition personnelle. P.-V. Berthier rapporte cette anecdote dans l’article nécrologique qu’il consacra à Daudé-Bancel (Défense de l’Homme, avril 1963) : « Avec une telle carrière, comment se fait-il que vous ne soyez pas décoré ? », lui demanda un jour un personnage influent qui lui offrit d’intervenir pour que fût réparée cette injustice. À quoi Daudé-Bancel répliqua : « Décoré ? Me prenez-vous pour un monument public ? »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article108253, notice DAUDÉ Achille, Antoine, dit DAUDÉ-BANCEL , version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 27 décembre 2013.
Achille Daudé
Achille Daudé
Avec l’aimable autorisation de l’APHPO

ŒUVRE : Daudé-Bancel écrivit beaucoup. On trouvera ci-dessous les titres de ses principaux ouvrages et le nom de quelques-uns des périodiques — ils sont légion — auxquels il a collaboré.
_ Le Coopératisme devant les Écoles sociales, 1897. — Le Coopératisme, 1901. — La Famille, 1907. — Pain riche ou pain appauvri, 1916. — La Coopération pendant et après la guerre, 1916. — Le Mouvement ouvrier français et la guerre, 1916, 39 p. — La Reconstruction des cités détruites, 1917. — Protection ou libre échange, 1917. — Antialcoolisme reconstructif, 1921. — Le Problème céréalo-minotier, 1925. — La Réforme agraire en Russie, 1926. — La Lutte contre la cherté de la vie par les organisations privées (en collaboration avec Ch. Gide), 1926. — L’Utilisation alimentaire des fruits, 1927. — La Réforme foncière (en collaboration avec Sam Meyer), 1933. — Une coopérative de consommation « La Famille », société coopérative de consommation, d’épargne et de prévoyance sociale, Reims et Paris, s. d.
_ Collaboration (Les dates ne sont données qu’à titre indicatif : année de fondation du journal ou de parution d’un article) :
_ Avant 1914 : La Coopération des Idées (1895), La Plume, L’Ouvrier des deux mondes (1897), L’Éducation libertaire (1900), La Revue socialiste (1913-1914), et encore Le Journal des Économistes, Pages libres, etc.
_ Après 1914 : Le Coopérateur suisse (1923), L’Idée libre, Le Semeur (1927-1936), La Revue anarchiste (décembre 1929), Plus loin, revue animée par le Dr Pierrot (mars 1925-juillet 1939).
_ Après 1944 : L’Idée libre ; CQFD (1944-1949) ; La Grande Réforme (1946) ; Contre-Courant ; Le Monde libertaire (1954) ; Défense de l’Homme, etc.

SOURCES : Correspondance avec A. Daudé-Bancel. — Jean Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste, op. cit. — Jean Gaumont, Histoire de la coopération, op. cit. — Le Coopérateur de France, avril-mai-juin 1963. — Jean Gaumont, Le 50e anniversaire de la FNCC, Paris, 1963, 96 p. — E. Praca, La Semaine du Roussillon, n° 544 du 5 au 11 octobre 2006.

ICONOGRAPHIE : Brizon et Poisson, La Coopération, op. cit., p. 295.

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