DEMARTIAL Georges

Par Nicole Racine

Né le 28 mai 1861 à Boulogne-sur-Seine, mort à Mézy, près de Meulan (Seine-et-Oise) le 14 octobre 1945 ; fonctionnaire au ministère des Colonies ; pendant la Première Guerre mondiale, pacifiste ; fondateur de la Société d’études documentaires et critiques sur la guerre.

Issu d’une vieille famille de bourgeoisie commerciale, Georges Demartial, fils de Antoine-Louis-Auguste Demartial, négociant en bois et charbon et de Marie-Alexandrine-Célina Chambin, fit ses études au lycée de Versailles, puis au collège Stanislas. Licencié en droit en 1882, il passa le concours du sous-secrétariat d’État aux Colonies où il fut reçu premier. Il fit une grande partie de sa carrière de fonctionnaire au ministère des Colonies où il entra en 1882. Il y fut jugé dès le départ comme un esprit original. Le 4 janvier 1894, il était blâmé par le sous-secrétaire d’État pour avoir écrit directement au ministre. En juin 1894, il était nommé sous-chef. On lui confiait peu après le secrétariat de la Commission des domaines des colonies, puis de la Commission des concours et de celle des budgets locaux. C’est à cette époque qu’il se maria, le 25 août 1895, avec une jeune fille de la grande bourgeoisie Lucy Fuchs, qui partagea ses idées pacifistes. En 1900, après la catastrophe de la Montagne Pelée à la Martinique, il fut envoyé comme secrétaire de la commission d’enquête. En 1902, il était nommé chef de bureau ; en 1904, il était placé hors-cadre pour exercer les fonctions de Commissaire du gouvernement près la Banque de l’Indochine, fonctions qu’il exercera jusqu’en 1918. On lui demanda alors — il avait cinquante-six ans — de prendre sa retraite par anticipation et on le nomma Commissaire du gouvernement près la Compagnie française des chemins de fer de l’Indochine et du Yunnan, fonctions qu’il occupera jusqu’en 1926.

À partir de 1905, G. Demartial se fit connaître par de nombreuses publications sur les problèmes administratifs, le statut des fonctionnaires, la réforme administrative, Le Personnel des ministères (1906), Le Statut des Fonctionnaires (1907), La Réforme administrative (1911). Il s’attacha à définir un « Statut des fonctionnaires » (il fut presque l’inventeur de l’expression) et défendit ses idées dans de nombreux articles, notamment en 1907 dans la Revue de droit public, dans La Grande Revue, puis dans un livre, Le Statut des Fonctionnaires. Les projets défendus par Demartial furent à la base d’une proposition de loi (F. Buisson, Dubief, J. Reinach) le 30 janvier 1908 et pris comme point de départ d’une commission parlementaire.

G. Demartial joua un rôle dans la constitution en février 1908 du Comité d’études des Associations professionnelles des employés de l’État qui devait examiner la proposition de loi Buisson ; il présida ce Comité qui représentait de nombreux groupements de fonctionnaires. Le Comité d’études se heurta rapidement avec les représentants du Comité de défense du droit syndical beaucoup plus proche des thèses de la CGT. Demartial était hostile aux thèses syndicalistes et au droit de grève des fonctionnaires. Il ne joua pas de rôle dans la création de la nouvelle Fédération des Fonctionnaires.

Lorsque la guerre éclata, G. Demartial, Commissaire du gouvernement près la Banque d’Indochine, fut envoyé à Bordeaux. Il fut, d’après F. Challaye, « dégoûté du spectacle » auquel il assista. Il s’installa, dès son retour, près de Paris, à Mézy, non loin de Meulan. La lecture du Livre Jaune français lui inspira des doutes sur les responsabilités de guerre. Il se pencha surtout sur les dates de mobilisation générale et conclut que la Russie tsariste, ayant mobilisé en premier — avant l’Autriche, alliée de l’Allemagne — était la principale responsable de la guerre. Il réussit à convaincre le secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme, Mathias Morhardt ainsi que l’économiste Charles Gide. En janvier 1916, Demartial, M. Morhardt, Ch. Gide, ainsi qu’un jeune philosophe, Michel Alexandre*, fondèrent la Société d’études documentaires et critiques sur la guerre. La Société avait pour but « d’examiner les origines et les conséquences d’ordre diplomatique, économique et moral de la guerre ». L’activité de ce groupement qui était en relation avec l’Union of Democratic Control de Grande-Bretagne, était suivie par la police. Mais, selon son propre témoignage (La Patrie humaine, 28 avril 1939) les animateurs de cette Société ne furent pas inquiétés : « Rendons cette justice au gouvernement que nous ne fûmes jamais sérieusement inquiétés (...) Comme notre action restait inconnue du grand public, on nous laissa tranquille ». Demartial prit fréquemment la parole dans les premiers temps de la Société ; des dissensions sur les responsabilités du conflit (avril 1916) l’opposèrent à Victor Basch*. R. Rolland écrivait, à la date du 13 octobre 1916 de son journal de guerre, à propos de Demartial : « Il a très bien vu le rôle insidieux et provocateur de la Russie, aux origines immédiates de la guerre ».

La question des responsabilités de guerre devint la passion à laquelle Demartial consacra son temps. Dès la suppression de la censure, il multiplia les préfaces, les articles, les interventions. En 1919-1920, il écrivit notamment dans l’Humanité (« Le Droit prime la Force », 27 juin 1919 ; « M. Viviani et les origines de la guerre », 26 avril 1920), dans le journal Clarté d’H. Barbusse. Les responsabilités de la guerre, le patriotisme et la vérité parurent en brochure aux éditions Clarté en 1920. G. Demartial s’élevait avec force contre la thèse de la responsabilité allemande, thèse infirmée, selon lui, par la publication des documents diplomatiques allemands, des archives tsaristes. Il collaborait en 1920 à des revues comme Foreign Affairs. En juin 1920, il faisait un rapport à la Fédération de la Seine de la Ligue des droits de l’Homme, où il demandait la révision de l’article 231 du Traité de Versailles sur l’exclusive responsabilité de l’Allemagne. Il multipliait les préfaces aux ouvrages étrangers sur les origines de la guerre, notamment à la traduction française du livre de E.-D. Morel, La genèse diplomatique de la guerre. En 1922, il publiait La guerre de 1914. Comment on mobilisa les consciences, ouvrage polémique, passionné, où il attaquait avec violence les intellectuels qui s’étaient mobilisés dans la Guerre du Droit et où il dénonçait « le rôle du mensonge dans la guerre moderne ». En 1926, il participait à la création de la revue pacifiste de Victor Margueritte, Évolution, à laquelle il donna de nombreux articles durant les huit années de son existence.

En mars 1926, Demartial publiait dans la revue américaine Current History un article sur l’état de la question des responsabilités de la guerre en France. L’article provoqua une protestation de l’Association des décorés de la Légion d’honneur qui porta plainte auprès du grand Chancelier, le général Dubail. Celui-ci décida de soumettre à une Commission d’enquête la question de savoir si Demartial, officier de la Légion d’honneur, n’avait pas « commis un acte de nature à porter atteinte à son honneur » en écrivant un article qui « déconsidère la France aux yeux de l’étranger ». Au cours de l’enquête, le professeur Charles Gide, M. Corday, M. Alexandre (apportant la protestation de 76 élèves de l’École Normale Supérieure) témoignèrent en sa faveur. Le 11 mai 1928, Demartial fut « suspendu pendant cinq ans de l’exercice des droits et prérogatives attachés à la qualité d’officier de la Légion d’honneur ». La revue Europe donna le dossier complet de « l’affaire Demartial » dans un numéro spécial du 15 juin 1928, qui fit l’objet d’un tirage à part. G. Demartial ne réussit jamais à faire discuter ses thèses sur les origines de la guerre par la Ligue des droits de l’Homme, ou par les historiens comme Aulard, C. Bloch, P. Renouvin. « Depuis dix ans, écrivait-il dans la revue Évolution de mai 1928, je poursuis le but d’amener un représentant de la thèse officielle des responsabilités de la guerre à une discussion contradictoire ».

G. Demartial continua inlassablement à écrire sur ces problèmes, à attaquer la politique de Poincaré.

En 1930, il dénonçait le mythe de « la guerre de légitime défense ». Devant la perspective d’une nouvelle guerre, il stigmatisait la répétition des erreurs de 1914. Il multipliait les articles dans les feuilles pacifistes, Évolution, Les Libres Propos, La Patrie Humaine, Le Barrage, il écrivait dans Mantes républicain et dans le Bulletin de la section de Meulan de la Ligue des droits de l’Homme. Comme beaucoup de pacifistes de gauche il réclamait inlassablement la révision du Traité de Versailles qu’il rendait responsable de l’avènement de Hitler. Georges Demartial appartint au mouvement à la Ligue internationale des combattants de la Paix (LICP). À partir du milieu des années 30 il fut fort proche des positions pacifistes intégrales défendues par son ami Félicien Chalaye. À la veille de la guerre, il publiait La légende des démocraties pacifiques (1939). Pierre Berland réunissait, cette même année, sous le titre La Haine de la Vérité (emprunté à Séverine), un choix d’articles, d’interventions et de préfaces depuis 1920. Demartial publia son dernier ouvrage en 1941, 1939, La guerre de l’imposture.

Il mourut à Mézy, près de Meulan, le 14 octobre 1945.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article109373, notice DEMARTIAL Georges par Nicole Racine, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 24 novembre 2010.

Par Nicole Racine

ŒUVRES CHOISIES : Sur la Première Guerre mondiale et ses suites : Les responsabilités de la guerre, le patriotisme et la vérité, Éditions Clarté, 1920. — La Guerre de 1914. L’Évangile du Quai d’Orsay, Paris, Delpeuch, 1921, 191 p. — La Guerre de 1914. Comment on mobilisa les consciences, Paris, Rieder et Cie, 1922, 327 p. ; deuxième édition 1927. — Trois historiens qualifiés. Lettre de René Gérin* aux directeurs de journaux et revues, Paris, Impr. rue Louis-le-Grand, s.d., 16 p. [1929]. — Le mythe des guerres de légitime défense, Paris, Marcel Rivière, 1931, 163 p. — La Haine de la Vérité, Rieder, 1939, 291 p. — La légende des démocraties pacifiques, Rieder, 1939, 124 p. — 1939, La guerre de l’imposture, Paris, J. Flory, 1941, 95 p. Citons également la bibliographie complète des écrits de G. Demartial (comprenant les articles) établie par Pierre Berland in Challaye F. et Berland P., Georges Demartial, sa vie, son œuvre, Paris, A. Lahure, 1950, 55 p., portrait.

SOURCES : Arch. Nat. F7/12969, F7/13086, F7/13087. — Arch. PPo., classement provisoire 295. — G. Demartial, Documents et dossiers pour la liberté. L’affaire Demartial, Paris, 1928, 47 p., (cote B. N. : 8° Ln 27 67711). — R. Rolland, Journal des années de guerre..., Albin Michel, 1952, 1913 p. — Citons enfin les deux riches études existantes sur G. Demartial, l’attachante biographie écrite par Félicien Challaye* parue en 1950, (op. cit.), et l’important article de Guy Thuillier, « Un fonctionnaire syndicaliste et pacifiste : Georges Demartial (1861-1945) », Revue administrative, n° 172, juillet-août 1976. — Renseignements fournis par Michel Dreyfus.

ICONOGRAPHIE : F. Challaye et P. Berland, Georges Demartial, sa vie, son œuvre, op. cit.

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