Par Antoine Olivesi
Né le 10 décembre 1858 à Beauvais (Oise), mort le 5 mai 1940 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; contrôleur des douanes ; militant et conférencier socialiste et libre penseur à Marseille jusqu’en 1939.
Jean Duchemin travailla d’abord dans l’administration des Douanes, où selon le témoignage de Jean Canavelli en 1934 il fut déplacé deux fois en raison de ses opinions. Une notice confidentielle du 9 mai 1913 mentionne que Febvay était, à cette date, contrôleur des Douanes en retraite anticipée parce qu’il avait été soigné, alors qu’il était encore en fonctions, pour aliénation mentale. D’après le Petit Provençal, en 1934, Duchemin, après 33 ans de service sédentaire dans les Douanes, avait été secrétaire du syndicat des capitaines au cabotage pendant cinq ans puis du syndicat des capitaines au long cours pendant quatorze ans.
Duchemin, qui militait dans les rangs socialistes depuis 1891, avait adhéré à la SFIO dès 1905. Il participa à de nombreux meetings en faveur des revendications des fonctionnaires ou lors des campagnes électorales de Bernard Cadenat*, dans la 2e circonscription. En 1912, il présidait à Marseille la Fédération antireligieuse des Bouches-du-Rhône.
Entre les deux guerres, il manifesta une grande activité dans les milieux de la Libre Pensée à Marseille où il prononça de nombreuses conférences. Il était membre du groupe Voltaire, président d’honneur, en 1936, du groupe Étienne Dolet, franc-maçon dans la loge Stella maris, affiliée à la Grande loge de France. Il était aussi « le conférencier attiré des AIL, seul membre permanent du bureau de la Fédération avec voix délibérative » (Le Petit Provençal 1er mars 1932). Anticlérical et antireligieux mais tolérant, pacifiste, il prêchait une morale laïque, universaliste et humaniste. « Faire le bien parce qu’il est le bien sans en espérer une récompense céleste », déclara-t-il — entre autres citations (Le Petit Provençal, du 31 mai 1933). Le même journal le présenta, l’année suivante, comme « l’apôtre de la laïcité et de la paix ». En 1934, les groupes Voltaire et Anatole de la Forge célébrèrent son jubilé. À cette date, Duchemin, officier d’Académie depuis 1900, et de l’Instruction publique depuis 1908, chevalier de la Légion d’honneur depuis 1922 et du Mérite maritime depuis 1933 était aussi titulaire de la médaille de la Mutualité et de la grande Médaille de la Ligue de l’Enseignement. Il était en outre délégué cantonal et président d’honneur de la Fédération des œuvres péri- et postscolaires des Bouches-du-Rhône. En mars 1937, à Arles, Duchemin évoquait ses cinquante ans de lutte pour la laïcité et contre le parti clérical toujours menaçant.
Sur le plan politique, il militait à la SFIO dans la 5e section (quartier de la Belle-de-Mai) et n’avait aucune ambition. Il soutint Ambrosini dans ses campagnes électorales. Ce dernier le poussa à être candidat au conseil d’arrondissement, en octobre 1934, dans le 5e canton. Sa candidature — c’était la première fois qu’il sollicitait un mandat — fut proclamée par acclamations dans la 5e section dès le mois d’avril et il fit une bonne campagne, bien qu’Ambrosini, malade, n’ait pu l’accompagner constamment dans ses réunions publiques. Mais le vétéran Duchemin, qui avait recueilli au premier tour 4 045 suffrages sur 20 857 inscrits, fut devancé de 78 voix par le jeune candidat communiste Jean Christofol. Il se désista loyalement en sa faveur et fit campagne pour lui au second tour, contre le fascisme et la guerre. Dans ses remerciements, Cristofol, élu, rendit hommage à Duchemin et rappela que ce dernier militait depuis quarante ans.
D’une façon générale, socialistes, communistes et tous les militants de la gauche ont constamment rendu hommage « au bon papa Duchemin » qui faisait l’objet d’un véritable culte : érection d’un buste, poèmes en son honneur, attribution de son nom au nouveau local des AIL du Canet, tout cela en 1938 et, en 1939, présidence d’honneur de diverses cérémonies célébrant le 150e anniversaire de la Révolution française.
En 1957, lors des obsèques de Cristofol, François Billoux* évoqua la mémoire de Duchemin et « la vénération » dont il était l’objet. Ce fut pour cette raison qu’il avait été choisi, d’un commun accord, comme président du comité du Front populaire de Marseille en 1935-1936. Il participa jusqu’en 1939 à de nombreuses manifestations unitaires, notamment lors des obsèques du docker Marcel Basset (Marseille)* en février 1937. La même année, il fut président d’honneur du comité électoral du candidat socialiste Astier dans le 5e canton, au mois d’octobre, pour les élections au conseil général.
Devenu aveugle à la suite d’une opération oculaire, en avril 1938, Duchemin n’en continua pas moins à militer jusqu’à la déclaration de guerre.
En février 1939, Jean Duchemin fut élu président d’honneur du groupe des AIL des Boers. Il fut également l’un des principaux animateurs, sur le plan local, de la Ligue des droits de l’Homme. Il protesta contre les licenciements en août 1939.
Vénérable d’une loge maçonnique, il était chevalier de la Légion d’honneur lors de son décès survenu le 5 mai 1940.
Par Antoine Olivesi
SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, IV M/18, M 6/10810 (rapport du 25 mars 1912), M 6/10874, (rapport du 21 février 1937) XIV M 25/49, notice citée du 9 mai 1913. — Arch. communales de Marseille, listes électorales de 1923. — Le Petit Provençal, octobre 1931, 1er mars 1932, 31 mai 1933, 8 et 22 avril, 2, 3, 8 et 9 octobre 1934, 5 octobre 1937, 1er février 1939, 6 mai 1940. — Rouge-Midi, 26 mai, 22 septembre, 17 novembre 1934 ; 25 mars 1938 (photo) ; 3 mai 1938 ; 15 août 1939. — Provence Socialiste, 5 mars 1937, 3 juin 1938, 16 juin 1939. — Massalia, 18 mai 1938 (poème et F. Négro sur Duchemin), 25 mai et 2 novembre 1938 (articles de ce dernier). — Indicateur Marseillais, 1936. — La Marseillaise, 22 au 27 novembre 1957. — F. Billoux, Naissance et essor du Front populaire... op. cit. p. 142. — B. Bouisson, L’anticléricalisme à Marseille... op. cit.