DUCHÊNE Alice [BURODEAU Marguerite, Alice épouse PHILIPPE]

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Née le 27 juillet 1898 à Lagny (Seine-et-Marne), mort le 16 janvier 1993 à Belley (Ain) ; employée ; militante communiste de Paris ; responsable du SOI (Secours ouvrier international) et de l’ANSE (Association pour le soutien de l’enfance).

Née dans une famille de situation modeste (quatre enfants), fille d’Eugène Burodeau, maçon et de Marié née Steinmetz, sans profession, Alice Burodeau suivit les cours de l’école primaire du village de Montévrain (Seine-et-Marne) et fut reçue au Certificat d’études primaires. Employée à treize ans dans un atelier de confection à la ville voisine, elle connut les conditions de travail de l’époque : 10 heures et demi quotidiennes et 3,50 F par semaine. Vint la guerre de 1914-1918. L’atelier fut fermé et la jeune fille entra en service à Vernon, dans l’Eure, où elle resta huit mois. Attirée par Paris, elle y retrouva une de ses sœurs et elles travaillèrent comme domestiques en maisons bourgeoises, le plus souvent au pair, demeurant quotidiennement disponibles treize ou quatorze heures. C’est ainsi qu’Alice entra au service d’une famille israélite composée de trois adultes et de trois enfants ; elle y travailla sept ans jusqu’en juillet 1924.

En cette année 1924, Alice Duchêne était déjà très « politisée ». Son nouveau nom pourrait venir d’un mariage avec un Duchêne mais il n’y en a aucune trace sur son acte de naissance ; seul figure son mariage du 15 février 1941 avec Pierre Philippe dit Damien*.

Ayant recueilli par les journaux des échos de la Révolution russe de 1917, elle avait voulu en connaître plus et avait fréquenté les réunions publiques comme celles qui se tenaient rue de Bretagne dans le IIIe arr. et où s’affrontaient des militants qui laisseront un nom dans l’histoire ouvrière ; Souvarine, Rosmer, Schapiro... Elle avait fréquenté aussi la Librairie du Travail, quai de Valmy, Xe arr., lieu de la diffusion de la littérature de résistance à la guerre et où se rencontraient Alfred Rosmer et son ami Pierre Monatte*, Manouilski dont le rôle sera grand au sein de la IIIe Internationale et du PC soviétique et où elle se ravitaillait en brochures, complétant ses lectures par celle, quotidienne, de l’Humanité. Bref, elle cherchait son « chemin » qu’elle trouva bientôt en adhérant au Parti communiste, dans un café rue de Lancry où se tenait une permanence. Deux parrains lui étaient nécessaires qu’elle trouva en la personne d’un ouvrier terrassier Verbaeghe et d’un Normalien, Georges Cogniot*, et elle reçut une carte bleue pour un noviciat de six mois. Rattachée à une cellule du Xe arr., elle y vécut chaque mois des réunions animées dont les thèmes principaux étaient la NEP russe, le Front unique en France, réunions auxquelles participaient notamment Jacques Duclos* qui, chaque mois, procédait à une analyse de la situation internationale. Militante active, Alice Duchêne devint secrétaire de la section et, en 1925, fut présentée comme candidate aux élections municipales du quartier Saint-Lambert dans le XVe arr. L’Humanité la présentait comme une « ancienne secrétaire de la 10e section communiste de la région parisienne » et « animatrice de l’Union des Femmes de France ». Elle obtint 1 575 voix (sur 14 000 inscrits) contre le Marquis de Breteuil qui, mis en ballottage, déposa plainte pour préjudice moral, les femmes étant inéligibles. L’affaire fit du bruit à l’époque et les employeurs de la candidate la congédièrent. Alice Duchêne travailla alors comme employée de bureau à Vincennes puis dans le XIXe arr. Sur le plan politique, elle fut rattachée à une cellule de rue du XIe arr., devint membre du comité du 2e rayon et, spécialisée dans l’Agit-Prop (Agitation-Propagande) du Parti, elle assura des prises de parole à la porte d’ateliers et d’usines contre la guerre du Rif, changeant souvent d’emploi en raison de la répression. Elle entra finalement comme facturière-comptable aux usines Ford de Gennevilliers et, politiquement, fut rattachée au sous-rayon qui comprenait Gennevilliers, (usines Carbonne-Lorraine, Chenard et Walker, usine à Gaz, Delachaux) Villeneuve-la-Garenne, l’Île Saint-Denis.

En 1929, le Parti communiste voulut présenter Alice Duchêne aux élections du 5 mai dans le IIe arr., mais la préfecture refusa d’enregistrer sa candidature et elle fut remplacée par Alexandre Ballu*.

C’est alors que son compagnon, rentrant d’URSS, fut chargé du travail « anti » en Bretagne. Alice Duchêne l’accompagna, l’un et l’autre clandestins, et c’est elle qui assura la liaison avec la capitale et Pierre Celor*, responsable principal de ce travail. Rentrée à Paris, elle fut, à partir de 1933, employée administrative au Secours ouvrier international (SOI) comme responsable de la Région parisienne — Michel Onof* étant secrétaire national — en même temps qu’elle siégeait au conseil d’administration de l’Orphelinat ouvrier « L’Avenir Social ». Alice Duchêne déploya dans le soutien ouvrier une intense activité : aide aux grévistes de la chaussure de Fougères, du textile du Nord, accueil des enfants en région parisienne, organisation et soutien de la Marche de la faim des métallurgistes chômeurs de Valenciennes... L’activité du SOI dont le secrétariat international était à Berlin fut remise en question en 1932 et fit place à celle de l’ANSE (association pour le soutien de l’enfance). Avec Pierre Saint-Dizier et Michel Onof, Alice Duchêne s’y consacra et organisa avec des juristes comme Maître Georges Pitard*, des médecins psychologues comme Henri Wallon*, la lutte contre les prisons pour enfants, « les bagnes d’enfants » en même temps que des collectes pour les enfants espagnols victimes de la guerre civile menée par Franco et elle convoya lait, sucre, médicaments par camions vers Barcelone et Alicante... Elle donna un cours sur les œuvres sociales en France à l’Ecole centrale des femmes du PCF en 1938, avec Bernadette Cattanéo et le docteur Rouquès.

Puis ce fut la guerre, et l’ANSE, considérée comme une organisation para-communiste, fut dissoute et ses biens séquestrés au bénéfice du Secours national. Elle épousa le 15 février 1941 à Paris (IXe arr.) son compagnon, Pierre Philippe dit Damien*.

En 1942, Alice Duchêne fut engagée dans l’action résistante dans la Région parisienne, secteur Nord-Est : soutien aux familles des emprisonnés, lutte contre les restrictions et le STO puis mutée en Bretagne en novembre 1943. En liaison avec Dufriche, elle fut arrêtée peu après lui. Elle subit la prison militaire de Rennes puis fit partie d’un convoi de déportation fin juillet 1944 et, quinze jours plus tard, elle arrivait à Belfort, au Fort Hatry. Une partie du convoi fut alors acheminée sur Giromagny (Territoire de Belfort) et c’est dans cette ville, qu’elle réussit, avec trois autres femmes à s’évader et à passer la frontière.

De retour à Paris en octobre 1944, elle vit Jacques Duclos* qui lui demanda de reconstituer l’organisation. Dès 1945, aidée d’un camarade, elle mettait au point l’accueil de 2 000 enfants en vacances scolaires en utilisant la colonie de l’île de Ré et les établissements d’enseignement en province puis de 70 adolescents à Lannemezan (Hautes-Pyrénées) après accord de l’Union départementale des syndicats.

Siégeant au comité central de l’Entraide française, elle put récupérer et au-delà les biens confisqués à l’ANSE. Peu à peu, se réorganisèrent les comités locaux jusqu’à ce qu’en 1955 puissent se tenir les Assises nationales de l’Enfance. Alice Duchêne fut en outre à cette époque vice-présidente de la Mutuelle des Travailleurs de la Région parisienne et du comité Médecine du Travail à la clinique des Métallurgistes. C’est alors qu’un accident de santé l’éloigna durant six mois de toute activité. Après son rétablissement, elle fut employée avec quelques camarades dans une petite imprimerie artisanale héritée de la clandestinité et reprise par le Parti communiste, imprimerie située dans le XIXe arr., près des Buttes-Chaumont. L’imprimerie fut expropriée en 1965 pour cause d’utilité publique et le Parti fit alors construire une entreprise moderne rue J. Lolive à Bagnolet qui est devenue l’imprimerie du Comité central.

Alice Duchêne vivait en 1985 à Massignieu, petit village de l’Ain, très isolé, qu’elle connut avec son mari en 1957. Ils y achetèrent une vieille baraque qu’ils rendirent habitable dans la perspective d’une retraite qu’elle prit en 1965. Mais son mari mourut subitement en 1969 et Alice Duchêne se retrouva seule dans ce village perdu, sans école, sans commerçants et se dépeuplant comme nombre de campagnes françaises. Elle y vécut ses dernières années, toujours membre du Parti, avec le « secours de la lecture » et de la visite de quelques camarades.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article111015, notice DUCHÊNE Alice [BURODEAU Marguerite, Alice épouse PHILIPPE] par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 1er août 2020.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

SOURCES : Arch. PPo. 301. — Archives Jean Maitron. — RGASPI, 517 1 1887, rapport sur l’école centrale des femmes, 1938. — Le Temps, 3 et 10 mai 1925. — L’Humanité, avril-mai 1925, 28 avril 1929. — Souvenirs d’Alice Duchêne, lettres à Jean Maitron, septembre et novembre 1983. — État civil de Lagny, 11 juin 1985 et 11 janvier 1999.— RGASPI, pas de dossier dans les archives du Komintern, ni a Duchêne, ni à Bureaudeau, ni à Philippe. de femme.

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