DUJARDIN Édouard

Par Nicole Racine

Né le 10 novembre 1861 à Saint-Gervais-la-Forêt (Loir-et-Cher), mort le 31 octobre 1949 à Paris XVIe ; écrivain ; fondateur des Cahiers idéalistes français en 1917, devenus les Cahiers idéalistes en 1921.

Né près de Blois, fils de François Alphonse Dujardin, capitaine au long cours, et de Théophile Bourguin, tous deux originaires de Normandie, Édouard Dujardin fit ses études à Rouen au lycée Corneille et les poursuivit au lycée Louis-le-Grand. Il échoua au concours d’entrée à l’École normale supérieure, prépara en 1879 une licence d’histoire à la Sorbonne, s’inscrivit au Conservatoire où il suivit la classe de composition musicale ; il y étudia aux côtés de Paul Dukas et de Claude Debussy.

Dès 1879, il s’initiait aux œuvres de Wagner en assistant aux concerts dirigés par Pasdeloup, Lamoureux et Colonne. Après avoir songé un moment à se faire prêtre, il se consacra à une double passion, celle de la musique et de la poésie. Il devint un familier de Mallarmé qui l’influença profondément. En 1882, il assistait à la première de Parsifal à Bayreuth. Il retournait à Bayreuth en 1883, puis à Munich et entreprenait plusieurs étés de suite le pèlerinage wagnérien. Il rencontrait et se liait avec Houston Stewart Chamberlain, admirateur de Wagner et de la culture allemande, futur théoricien de la supériorité raciale germanique. De leur commune admiration pour Wagner naissait l’idée de la fondation à Paris d’une revue consacrée à l’œuvre de Wagner. Le premier numéro de la Revue Wagnérienne parut en février 1885 ; Éd. Dujardin en fit une revue d’avant-garde du symbolisme naissant. En novembre 1886, il prit la direction de la Revue Indépendante à laquelle Mallarmé collabora. Le premier poème en prose de Dujardin, À la gloire d’Antonia parut en 1886 et son premier roman, Les lauriers sont coupés en 1887. En juillet 1888 la Revue Wagnérienne cessa de paraître. En décembre 1888, Éd. Dujardin quittait la direction de la Revue Indépendante ; il se tournait alors vers le théâtre, et composait un cycle dramatique en trois parties, La légende d’Antonia, un des premiers essais du symbolisme dans ce domaine.

À partir de la fin 1893, Éd. Dujardin entrait dans le monde des affaires. Il pouvait acheter une propriété près de Fontainebleau, à Val Changis, à quelques kilomètres de Valvins où s’était installé Mallarmé. Ce fut à Val Changis que Dujardin réunira jusqu’aux années 30, de nombreux écrivains et artistes. Il se tournait vers l’histoire des religions, entreprenait en 1900 l’étude de l’hébreu. Il se passionnait pour l’étude des origines du christianisme et des religions primitives. En 1904, il fondait en collaboration avec Rémy de Gourmont la Revue des Idées qu’il dirigeait vers 1907. Après différents travaux d’histoire des religions, une thèse soutenue à la Sorbonne, Les précurseurs de Daniel, publiée en 1907, il abandonnait les affaires. En 1910, il était envoyé en mission par le gouvernement en Égypte et en Palestine. En 1911, il était chargé à l’École pratique des Hautes études d’un cours sur les origines chrétiennes et les religions primitives. Il revenait au théâtre avec Marthe et Marie donné au théâtre Antoine en mai 1913.

Durant la Première Guerre mondiale, Éd. Dujardin fut pacifiste. Admirateur de R. Rolland, il lui envoya un mot de sympathie en décembre 1914, lui rendit visite le 19 avril 1917. Afin de faire entendre sa voix en toute liberté, Éd. Dujardin créa en février 1917 les Cahiers idéalistes français que R. Rolland considérait comme une des meilleures revues pacifistes du temps de guerre. La revue publia, outre les poèmes d’Éd. Dujardin (dont certains furent censurés), ceux de M. Martinet, R. Arcos, Ch. Vildrac, J. de Saint-Prix, des textes de R. Rolland, Han Ryner, M. Morhardt, Ch. Gide, J. Mesnil, Genold, Ermenonville, Lacaze-Duthiers. Dès juillet 1917, Les Cahiers idéalistes disaient vouloir lutter contre la haine et contre le mensonge.

Ils avaient pris pour règle de se tenir en dehors de l’actualité immédiate et autant que possible à l’écart des polémiques : « Ils sont rédigés par un groupe de lettrés, poètes, historiens ou philosophes, qui s’efforcent dans toute l’indépendance de leur pensée, de dégager des événements quelques idées générales et de faire entendre, au milieu de la tourmente, une voix d’humanité » (février 1918). Bien qu’Éd. Dujardin affirmait n’avoir jamais été pacifiste « dans le sens habituel du mot », il relevait ainsi ce qui faisait le fondement de l’accord entre les collaborateurs : « En tête de notre programme nous avons placé l’inébranlable résolution de protester, de réagir, de lutter de toute notre force et de tout notre cœur contre la haine. Nous n’admettons ni l’outrage entre compatriotes, ni l’outrage à l’ennemi.

Nous luttons contre le mensonge, autant que contre la haine, celui-ci, disions-nous, attisant celle-là.

En refusant enfin de nous mêler aux voix qui prêchent le déchaînement des passions féroces, en refusant de nous associer au mensonge qui empoisonne les âmes, nous nous efforçons de travailler, pour notre part, à l’avènement d’une paix juste et durable » (février 1918).

Éd. Dujardin précisait le sens du mot pacifisme, refusant de l’assimiler à l’antipatriotisme ou au défaitisme. En juillet 1919, après la signature de l’armistice, Éd. Dujardin s’éleva contre l’esprit de revanche du Traité de Versailles. Les Cahiers idéalistes lancèrent en 1922 une enquête à propos du débat R. Rolland — Henri Barbusse sur la violence (qui avait été publié dans Clarté et L’Art libre) ; en juin 1922, ils publièrent les réponses de treize écrivains français, suisses et italiens (Ch. Baudoin, P. Colin, H.-L. Follin, Ch. Gide, P. Larivière, Marcello-Fabri, Han Ryner, M. Millet, G. Renard, J. Rivière, Fr. Vielé-Griffin, Ch. Vildrac, L. Werth). Après la Première Guerre mondiale, Éd. Dujardin s’intéressa à la reprise des relations culturelles avec l’Allemagne. Au début 1920, il pensa lancer une Seconde Revue Wagnérienne, mais il dut y renoncer et publia une nouvelle série des Cahiers idéalistes qui se poursuivit jusqu’à la veille des années 30.

Son activité littéraire se poursuivait avec la continuation du cycle dramatique « Les Argonautes » (Les Époux d’Heur-le-Port représenté en 1919, Le Mystère du dieu mort et ressuscité représenté en 1923, Le retour des enfants prodigues, représenté en 1924). Il fondait la Société des Amis de Mallarmé en 1924. Valéry Larbaud tirait de l’oubli Les lauriers sont coupés en préfaçant l’édition définitive en 1925. Dujardin quittait en 1920 l’enseignement de l’histoire des religions, tout en poursuivant ses travaux dans ce domaine ; citons Le dieu Jésus (1927), Grandeur et décadence de la critique, sa rénovation (1931). Il avait épousé en 1924 Marie Chenou qui animait avec lui les rencontres de Val Changis. En 1930, il donnait une série de conférences en Allemagne sur le monologue intérieur (Le monologue intérieur, son apparition, ses origines, sa place dans l’œuvre de James Joyce et dans le roman contemporain, 1931). Son dernier drame, exprimant ses vues sur la révolution sous forme poétique, Le retour éternel, était représenté en 1932.

Éd. Dujardin exprima l’essentiel de sa pensée sur la révolution dans « Demain, ici, ainsi la Révolution », paru dans les Cahiers idéalistes en novembre 1927 et en février 1928, et dédié au dixième anniversaire de la Révolution russe (il avait publié un éloge du bolchevisme dans les Cahiers idéalistes de décembre 1925) ; il comparait la rénovation chrétienne à la rénovation bolchevique. Il se demandait si le communisme bolchevique serait un nouveau christianisme, si après avoir été une force destructive, il serait une force reconstructive. Tout en proclamant la grandeur de la Révolution russe, Éd. Dujardin refusait de s’engager dans un parti ou même comme compagnon de route. En 1932, il refusa de signer une déclaration pour le quinzième anniversaire de la Révolution demandée par Gabrielle Duchêne*, secrétaire générale du Cercle de la Russie neuve.

Après la disparition des Cahiers idéalistes, Dujardin voulut lancer une nouvelle revue, Les Enquêtes révolutionnaires, mais il échoua. Il retrouva une tribune grâce à Maurice Wullens*, le directeur de la revue Les Humbles qui lui offrit en 1934 la direction d’un supplément où il aurait toute liberté (Éd. Dujardin était un ami des Humbles auxquels il avait collaboré, en novembre 1919 notamment). Ce furent Les Superbes (dont le titre était emprunté au Jules Romains* des Hommes de bonne volonté). En avril-mai-juin 1934 paraissait le premier cahier des Superbes publié par Dujardin et que Wullens présentait aux lecteurs des Humbles : « Au-dessus de la mêlée — non de la mêlée sociale, tout court. Mais de la mêlée des partis, des sectes, des chapelles, des petits groupes, sous-groupes et poussières de groupes. » Éd. Dujardin, de son côté, disait vouloir traiter « des sujets d’actualité », mais « en dehors de toute préoccupation d’actualité », de la Révolution, du fascisme, des différents mythes. Dans les différents numéros des Superbes, Éd. Dujardin développa ses idées sur la notion de révolution. En octobre 1934, René Maublanc* publiait un article dans Les Superbes qui approuvait les jugements de Dujardin sur le christianisme primitif, mais critiquait ses conceptions politiques et sociales, notamment sa compréhension de l’histoire du seul point de vue du mythe.

En novembre 1934, Éd. Dujardin affirmait son entière confiance à l’URSS. En janvier 1935, il publiait dans Les Superbes les réponses à une enquête « La Révolution sans casser ou en cassant les œufs ? » (Daniel-Rops, L. Durtain, R. Lalou, M. Martinet, M. Parijanine, R. Rolland, J. Romains auxquels s’adjoindra F. Challaye dans le numéro suivant). Cependant après le septième numéro, Éd. Dujardin préféra se séparer des Humbles et cesser la publication des Superbes. Il n’admettait pas la virulence des attaques portées par Les Humbles contre l’Union soviétique et contre les écrivains ralliés au communisme comme R. Rolland et A. Gide. La signature par Wullens du manifeste de La Révolution prolétarienne le 25 mai 1935, après le pacte franco-soviétique et la déclaration de Staline, entraîna la rupture. Éd. Dujardin s’en expliqua dans Les Humbles de novembre 1935.

À la veille du cinquantenaire de la naissance officielle du Symbolisme, Éd. Dujardin obtenait le Prix Lasserre des lettres pour l’ensemble de son œuvre. Albert Messein rééditait ses premiers poèmes symbolistes dans un volume préfacé par J. Cassou, sous le titre Trois poèmes en prose mêlés de vers. Dujardin commémorait le cinquantenaire du symbolisme en publiant Mallarmé par un des siens (suivi du « Destin du Symbolisme », « Les premiers poètes du vers libre », et « La revue wagnérienne »). En 1939 il publiait La première génération chrétienne, son destin révolutionnaire, aboutissement de ses recherches en histoire des religions. Cette même année, il fondait l’Académie Mallarmé et en était élu président.

Admirateur de l’Allemagne, influencé par les théories racistes de HS Chamberlain, il fut conduit lors de la Deuxième Guerre mondiale, à sympathiser avec l’Allemagne hitlérienne. Durant l’occupation allemande, il fit paraître en 1943 deux livres, Rencontres avec Houston Stewart Chamberlain (dans lesquelles il exposait avec admiration les théories racistes et antisémites de Chamberlain) et De l’ancêtre mythique au chef moderne. À l’été 1943, à quatre-vingts ans passés, Dujardin faisait partie du voyage organisé à Bayreuth par l’Institut allemand. Il mourait à Paris, rue Singer, le 31 octobre 1949.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article111222, notice DUJARDIN Édouard par Nicole Racine, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 30 août 2016.

Par Nicole Racine

ŒUVRE CHOISIE : « Demain, ici, ainsi la Révolution », Les Cahiers idéalistes, novembre 1927 et février 1928 (publié en volume chez Messein, 1928, 72 p.) — Rencontres avec Houston Stewart Chamberlain, Souvenirs et correspondance, B. Grasset, 1943, 200 p. — De l’Ancêtre mythique au Chef moderne, essai sur la formation et le développement des sociétés et de l’exercice du commandement, Mercure de France, 1943.

SOURCES : Paul Morisse, Édouard Dujardin, Éditions de la Revue littéraire des Primaires, « Les Humbles », 1919, 16 p. — Talvart et Place J., Bibliographie des auteurs modernes de langue française, « Aux Horizons de France », t. 4, 1933. — Pour la biographie littéraire de Dujardin, consulter Édouard Dujardin, Les lauriers sont coupés suivi du Monologue intérieur. Introduction par Carmen Licari, Rome, Bulzoni, 1977, 311 p.

ICONOGRAPHIE : P. Morisse, Édouard Dujardin*, op. cit. — Éd. Dujardin, Les lauriers sont coupés... Introduction par Carmen Licari, op. cit.

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