ÉVRARD Paul, Melchior, dit Agathocle

Par Justinien Raymond, Marcel Henriot

Né le 10 décembre 1882 à Saint-Dizier (Haute-Marne), mort le 7 avril 1975 à Chaumont (Haute-Marne) ; rédacteur aux PTT à Chaumont (Haute-Marne) ; socialiste et syndicaliste.

Après avoir passé toute sa jeunesse à Bar-sur-Aube, Paul Évrard, fils d’un employé, revint en Haute-Marne au début de 1910 comme rédacteur à la direction des PTT à Chaumont. Vers la fin de l’année, il donna son adhésion à la section socialiste de Chaumont et devint bientôt l’un des principaux militants de cette petite Fédération qui comptait huit sections à la veille de la guerre de 1914.

Avec Auguste Parrat, il envisagea de lancer un hebdomadaire socialiste départemental. Il n’y réussit pas et dut se contenter d’écrire dans l’organe fédéral de l’Aube, La Défense des Travailleurs de Champagne qui mit une page au service des socialistes de la Haute-Marne. En 1913, il fut nommé secrétaire de la Fédération socialiste de la Haute-Marne qui, forte alors de 600 cotisants, lança L’Égalité socialiste, le 12 janvier. Imprimé chez Aubriot à Chaumont, cet hebdomadaire tira jusqu’à 4 500 exemplaires. Paul Évrard en fut l’un des rédacteurs les plus assidus. Dans chaque numéro, sous le pseudonyme d’Agathocle, il publiait un long article de propagande ou de polémique, d’intérêt local ou national.

En juillet 1914, délégué de la Fédération de la Haute-Marne au congrès national de la SFIO à Paris, salle du Palais des Fêtes, rue Saint-Martin, il défendit les thèses de l’économiste anglais Keynes et son organisation de « Democratic control », ce qui lui valut les félicitations de Marcel Sembat.

Parallèlement, P. Évrard mena une activité syndicale telle qu’en 1911, il fut porté au secrétariat de la Fédération postale.

Paul Évrard, n’ayant pas été mobilisé, reprit très tôt ses activités socialistes et syndicalistes. Dès le 18 novembre 1914, il était aux côtés de Michel Alexandre* pour fonder un « Comité général d’action et de vigilance » dont il devint immédiatement le secrétaire, Michel Alexandre* en étant le président et où il donna, tant à la commission de la vie chère qu’à celle d’hygiène et d’assistance des avis éclairés.

Spécialisé dans ces questions sociales, il entra plus tard, le 23 août 1919, à la « commission des prix normaux » créée pour essayer d’enrayer la hausse de la vie : c’est en tant que syndicaliste qu’il en fit partie, avec Morel, pour représenter les syndicats qui avaient droit à deux représentants, alors que les commerçants avaient droit à quatre, les consommateurs à quatre et les coopératives à deux. L’entreprise ayant échoué, Évrard démissionna peu après avec ses camarades des syndicats et des coopératives.

Évrard venait en effet, depuis peu, de reprendre son activité syndicale. Une Fédération postale s’étant réorganisée en Haute-Marne groupant les syndicats des agents, sous-agents et ouvriers des lignes téléphoniques et télégraphiques, Évrard en avait été désigné comme secrétaire, le 3 juillet 1919.

Il n’avait jamais cessé non plus de militer au sein de la Fédération socialiste de la Haute-Marne, épaulé par le professeur Michel Alexandre* et la directrice de l’École normale de filles, Mademoiselle Bourgoise.

Ardent pacifiste, il avait dirigé des discussions passionnées que la prolongation des hostilités avait fait naître chez les socialistes haut-marnais et il avait appuyé l’initiative des syndicalistes qui, sous la direction de Merrheim de la Fédération des Métaux, avaient envoyé des délégués en Suisse, à Zimmerwald et à Kienthal, discuter avec les représentants de la social-démocratie (août-septembre 1915). Pour cette prise de position, Évrard reçut une lettre de félicitations de Romain Rolland*.

Quand le professeur Alexandre eut quitté Chaumont en 1916, Évrard prit personnellement la tête du Parti socialiste haut-marnais et se manifesta comme journaliste dès que L’Égalité socialiste put reparaître en 1919. Non seulement il devint un des administrateurs du journal, mais il y écrivit, chaque semaine, un article qu’il continua à signer de son pseudonyme d’avant-guerre (Agathocle).

Le 31 août 1919 notamment, fidèle à la mission qu’il avait reçue comme délégué au Conseil national, de voter contre la ratification du traité de paix ou tout au moins de s’abstenir, il rédigea un long article pour expliquer la position des socialistes haut-marnais, mais l’article fut entièrement censuré.

Journaliste, Évrard fut aussi conférencier : le 5 juillet 1919, à la Maison du Peuple à Saint-Dizier, il traita « de l’instruction et de l’éducation du peuple ».

Son influence grandissante le fit désigner comme candidat socialiste aux élections législatives de novembre 1919. Il mena, seul, une ardente campagne pour son parti. Brillant orateur, il conquit partout son assistance : en particulier à Chalindrey-gare, dépôt important où s’étant trouvé par hasard avec les deux autres candidats, il souleva l’enthousiasme des 300 cheminots présents en prônant la nationalisation des chemins de fer, au point de faire répliquer par le candidat réactionnaire Dessein : « Si vous trouvez qu’Évrard a raison, votez donc pour les socialistes. »

Évrard ne se faisait pas d’illusions, sachant bien que la Haute-Marne n’était pas socialiste. Les résultats furent cependant encourageants : Évrard recueillit 6 259 voix et ses deux colistiers, Émile Mathieu et Louis Monnot respectivement 6 102 et 6 072 voix. Les voix socialistes avaient plus que doublé depuis 1914 et les radicaux étaient battus dans plusieurs centres comme Saint-Dizier, Thonnance-lès-Joinville, Doulaincourt.

Peu après, Évrard figura en tête de la liste que le Parti socialiste chaumontais présenta aux élections municipales du 30 novembre 1919 et c’est lui qui, de loin, l’emporta avec 957 voix. Aussi consentira-t-il à figurer, au second tour, sur la liste de « concentration à gauche » où il fut entouré de cinq autres socialistes : Louis Mann, Lucien Morel, Marius Raymond, Louis Gross et Émile Billon*. Le 7 décembre, troisième élu des six socialistes avec 1 461 voix, son important rôle municipal va commencer.

Le grand mouvement de grève de 1920 largement suivi à Chaumont, particulièrement par les gantiers (plus de 1 000) va mettre Évrard en conflit avec la municipalité radicale. À la fin de la séance du conseil municipal de mai 1920, il prit la parole pour demander à la municipalité non seulement de venir en aide aux victimes innocentes de la grève, mais aussi d’arbitrer le conflit qui opposait ouvriers et patrons à la ganterie Tréfousse et où la rupture des pourparlers menaçait d’entraîner par représailles la fermeture de la fabrique. Le maire, Lévy-Alphandéry qui avait fait appel à la troupe pour garder l’usine, administrateur par surcroît de la ganterie, s’opposa vivement aux propositions d’Évrard, mais il fut battu. L’appui vigoureux fourni par les autres conseillers socialistes firent que les deux vœux présentés par Évrard furent mis aux voix et adoptés. Grâce à cette action tous les grévistes furent réintégrés et aucune sanction ne fut prise pour fait de grève.

Quelques jours plus tard, le 29 mai 1920, Évrard affirma encore avec plus de netteté sa position vis-à-vis des grèves : à la réunion de propagande organisée par le groupe socialiste de Saint-Dizier, devant une assistance d’environ 150 personnes, il qualifia de sublime le geste de tous les révoqués et victimes de la grève et déclara que « la classe ouvrière devait comprendre que les grévistes auront été les précurseurs de l’évolution qui fera germer le bien-être et la fraternité ».

Cependant, un sourd malaise commençait à peser sur la Fédération socialiste haut-marnaise où l’adhésion à la IIIe Internationale était discutée. Le 1er février 1920, Évrard avait été désigné comme membre du comité fédéral pour assister au congrès national de Strasbourg et il avait reçu mandat « de s’inspirer pour l’adhésion à la IIIe Internationale des éclaircissements fournis par les représentants des diverses tendances et de voter dans l’intérêt du Parti et de l’Internationale ouvrière ». Mais la décision du comité fédéral avait été rapportée et ce fut Auguste Parrat qui fut nommé pour remplacer Évrard.

Le long article qu’Évrard fit paraître, le 12 décembre 1920 dans L’Égalité socialiste intitulé : « Sur un vote », fait comprendre la raison de ce changement. Critiquant la résolution prise, à une importante majorité, au congrès de la Fédération socialiste de la Haute-Marne du 5 décembre d’adhérer à la IIIe Internationale, il déclarait :

« J’estime que, loin de donner notre adhésion à ces thèses étroitement impératives, fourmillantes d’erreurs, inapplicables au prolétariat instruit et raisonneur de l’Europe occidentale, nous devrions, au lendemain de la guerre, nous, socialistes, de France, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, d’Autriche, d’abord réaliser dans chaque nation et sur quelques larges principes l’union étroite des forces socialistes et syndicales, puis accorder notre confiance aux meilleurs d’entre nous qui, réunis en permanence avec les délégués étrangers dans quelque ville devenue la capitale du monde ouvrier, auraient le pouvoir d’organiser à nouveau, d’amplifier et de diriger le mouvement prolétarien. »

Aussi, se considérant en complet désaccord avec la majorité de la Fédération socialiste haut-marnaise qui lui avait, pourtant, encore témoigné sa confiance en le désignant comme délégué titulaire au congrès de Tours avec son camarade Postollec de Saint-Dizier, il se récusa au dernier moment et laissa Postollec représenter seul les socialistes haut-marnais. Au congrès fédéral du 23 janvier 1921, il demanda de conserver la direction politique du journal L’Égalité socialiste, organe de la Fédération socialiste haut-marnaise, « alors que, dit-il, d’après les décisions de l’Internationale communiste, la direction des journaux doit être confiée à des communistes éprouvés ». Après une discussion très vive avec Guerrapin et Franconin notamment, c’est par huit voix contre deux que le congrès enleva à Évrard la direction politique de L’Égalité socialiste qui devait être assurée provisoirement par le secrétaire fédéral Franconin.

La question sera remise à l’ordre du jour du congrès fédéral suivant, le 22 juin 1921. Devant les réponses très nette d’Évrard qui affirma à nouveau qu’il était des points sur lesquels il ne pouvait s’entendre avec le Parti communiste, la majorité du congrès maintint sa décision première.

Évrard ne se découragea pas pour autant et tout de suite il projeta de reconstituer le groupe socialiste : le 7 août 1921, il écrivit à Paul Faure* pour lui dire qu’il essayait de reconstituer une Fédération socialiste en Haute-Marne. Celui-ci lui répondit en lui souhaitant « cordiale bienvenue dans la vieille maison » avec l’espoir qu’il les aidera à réparer les brèches faites par cette entreprise de démolition qui porte le nom de « Parti communiste ».

Mais ce ne sera guère qu’en 1924 que la section socialiste de Chaumont reprendra vie. Évrard, qui était alors secrétaire de la section, profita du transfert des cendres de Jaurès au Panthéon pour organiser, le 22 novembre, une réunion à la mémoire du grand tribun. Présidée par Louis Mann, elle aura comme conférencier Léon Émery*.

En 1926, le secrétaire Évrard put se vanter de la « rentrée du Parti socialiste haut-marnais dans l’arène politique ». C’est du moins ce qu’il affirma, en ouvrant la grande séance du 6 mars où le sénateur de l’Isère, Brenier, prit la parole.

Malgré cette action dominante dans la régénération du groupe socialiste chaumontais, Évrard ne représenta pas son parti comme candidat aux élections législatives de 1928. C’est Lucien Michaut qui fut désigné. Les fonctions municipales semblaient désormais lui suffire. Candidat aux élections municipales de mai 1925 sur la liste républicaine du conseil sortant, il fut le premier des sept socialistes inscrits avec 1 794 voix sur 2 663 votants, le premier élu radical en ayant obtenu 2 008. Il fut également le premier élu socialiste de la liste républicaine du conseil sortant aux élections municipales de mai 1929 et mai 1935 : aux premières il recueillit 1 792 voix sur 3 023 votants, aux secondes 1 790 sur 3 021 votants ; résultats qui le placèrent respectivement au 12e et 18e rang des élus municipaux.

Durant ces trois mandats, il se fit toujours remarquer par des interventions de la plus grande importance : telle, par exemple, celle du 31 août 1925 par laquelle il attira l’attention du conseil municipal sur les difficultés qu’éprouvaient pour se loger les ouvriers et employés chaumontais ; il demanda, à ce sujet, à la municipalité de hâter la réalisation du projet de construction d’un certain nombre de maisons ouvrières, établi depuis longtemps par l’Office des HBM (Habitations Bon Marché). Pour décongestionner la ville, il préconisa le rassemblement dans un vaste immeuble des services de l’État.

Il s’inquiéta, de bonne heure, de l’organisation d’un enseignement secondaire à Chaumont pour les jeunes filles et c’est lui qui, comme conseiller municipal, parvint au prix de grandes difficultés à ouvrir des cours secondaires de jeunes filles inaugurés le 10 octobre 1927. Il verra, trois ans plus tard, ses efforts couronnés de succès, le gouvernement autorisant, en 1930, l’admission des jeunes filles au lycée de garçons. Le maire lui rendra hommage, au cours d’une séance du conseil municipal, pour une telle réussite. Paul Évrard* demeura conseiller municipal jusqu’au 14 juin 1940 (occupation allemande).

Paul Évrard s’était marié le 23 octobre 1906 à Bar-sur-Aube (Aube).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article112368, notice ÉVRARD Paul, Melchior, dit Agathocle par Justinien Raymond, Marcel Henriot, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 24 novembre 2010.

Par Justinien Raymond, Marcel Henriot

SOURCES : Arch. Mun. K-37. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, II, op. cit., p. 391-392 — Le Petit-Haut-Marnais, 11 novembre 1914, 12 février 1921, 26 novembre 1924, 2 septembre 1925, 1er, 8, 23 mars 1926, 11 octobre 1927. — L’Égalité socialiste, 1913-1914, juillet 1919, 24 août, 30 novembre, 7, 14 décembre 1919, 15 février, 23 mai, 6 juin, 12 décembre 1920, 30 janvier, 5 juin 1921. — Renseignements fournis par Paul Évrard* en 1960. — Lettre du maire de Chaumont, 13 janvier 1976. — État civil de Saint-Dizier, 23 janvier 1984.

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