EYSSÉRIS Gustave

Par Maurice Moissonnier

Maçon à Lyon ; secrétaire du syndicat des maçons et aides de la CGTU, l’un des principaux animateurs du Cartel autonome lyonnais du Bâtiment ; personnalité puissante mais très contestée qui dut quitter la scène syndicale en 1935.

Si l’on en croit Delaigue* qui donne ces renseignements dans un article de l’Effort, hebdomadaire du Cartel lyonnais du Bâtiment (8 juin 1935), Eysséris travailla d’abord à Lyon « au pont des abattoirs » et fut contraint, en 1923 de prendre sa carte au syndicat unitaire. Ce n’est pas impossible eu égard aux pratiques qui avaient alors cours dans le Bâtiment : les collecteurs visitaient les chantiers et exigeaient que les travailleurs prennent leur carte syndicale. Cette adhésion fut en tout cas suivie d’une fulgurante prise de responsabilités : trois mois après, il faisait partie d’une commission du syndicat, la commission de propagande, créée en août 1923 à la veille du congrès de l’Union départementale unitaire du Rhône où il représenta d’ailleurs les maçons et, six mois après, il siégeait à la commission du contrat. Il n’avait pas encore deux ans d’adhésion lorsqu’en 1924 il devint secrétaire du syndicat des maçons et aides, ce qui était anti-statutaire. Il remplit cette fonction jusqu’en décembre 1925. En raison de son hostilité à l’influence des communistes dans la CGTU, il contribua à la création du Cartel autonome qui rassembla, selon les années considérées, entre quinze et vingt syndicats professionnels en rapport avec le bâtiment (Voir C. Galland*). De ce Cartel, disent les témoins qui ont vécu cette époque, il fut réellement « l’éminence grise » et il s’employa à en faire une organisation solidement structurée dont le rayonnement régional était indéniable. Un élément de la puissance du Cartel résidait dans le rôle tenu dans le mouvement ouvrier lyonnais par l’Imprimerie intersyndicale, une société anonyme au capital de 20 000 F réparti en deux cents actions dont le syndicat des maçons et aides détenait 194 tandis que les six autres appartenaient à Eysséris et ses amis. Cette imprimerie installée 46 rue de l’Université à Lyon disposait d’une sorte de monopole de fait pour tout ce qui s’imprimait dans les syndicats et les autres organisations du mouvement ouvrier local. Les fondateurs, comme le porte l’acte du 10 août 1927, en étaient Gustave Eysséris et son ami François Boissy*. Grâce à cette imprimerie, le Cartel avait développé le tirage de l’hebdomadaire créé le 1er janvier 1927, l’Effort, où Eysséris se réservait en général la chronique de politique intérieure. Le succès d’une lutte conduite à bien en 1930 avait contribué à renforcer grandement le prestige d’Eysséris. Sur ses conseils, le Cartel avait avancé la revendication d’une augmentation de 1,25 F de l’heure, somme que les formations unitaires, confédérée et SR jugeaient irréaliste. En dépit d’un lock-out, les syndicats autonomes avaient obtenu de façon inespérée un franc pour les cimentiers et soixante-quinze centimes pour les autres corporations ; après six mois de lutte, les Chambres patronales avaient dû renoncer à leur intransigeance initiale. En 1934, la direction du Cartel adopta à l’égard du courant unitaire qui se développait dans la classe ouvrière une attitude de plus en plus réticente. Des tensions graves apparurent entre Eysséris et ses amis d’une part et d’autre part Hildebert Chaintreuil* qui venait d’être élu au secrétariat du Cartel, ce dernier s’affirmait au contraire favorable à la réunification syndicale et refusa la « mise en sommeil » de l’organisation voulue par les anciens dirigeants en raison de difficultés financières qu’ils attribuaient à la crise. Le désaccord s’amplifiant, les réunions devenaient houleuses et l’attention d’une minorité hostile à Eysséris se porta sur les problèmes de la gestion financière. L’ancienne direction qui voyait fondre les effectifs de ses partisans engagea alors avec la direction confédérale locale des pourparlers en vue d’organiser une scission du Cartel mais les opposants étaient devenus majoritaires ; ils occupèrent les locaux réservés à l’organisation à la Bourse du Travail de Lyon et, non sans quelques horions, en chassèrent Eysséris et ses amis. Les documents découverts dans les locaux révélèrent un certain nombre d’indélicatesses que soupçonnaient déjà Chaintreuil et ses partisans. Ils publièrent dans l’Effort (13 avril 1935-1er juin 1935) des lettres et des documents comptables qui prouvaient l’indignité de leurs adversaires : un contrat d’achat de l’hôtel de Provence — un établissement ouvert à la prostitution — constitua une pièce maîtresse de l’accusation. À la fin de mai 1935, Gustave Eysséris fut d’ailleurs arrêté et inculpé d’abus de confiance, faux et usage de faux. Il disparut alors de la vie syndicale tandis que les articles démystificateurs se multipliaient dans l’Effort : « Chef orgueilleux et fourbe, écrivait le 8 juin 1935 Delaigue* , ancien secrétaire du syndicat des maçons, par des cabales montées jésuitiquement, il casse les reins à de bons camarades qui ont fait leurs preuves et cela par son bagout, approuvé sinon par toute la corporation (du moins) par un certain nombre de béni-oui-oui dont il faisait sa garde de corps. » L’aventure laissa des traces. Une partie de ses amis qui s’étaient inscrits à la CGT confédérale furent contraints de quitter ce syndicat au moment de la réunification de 1936. Ils animèrent alors un « syndicat professionnel » influencé par les formations d’extrême droite et, en particulier lors de la grande grève du bâtiment lyonnais en 1938, leur attitude de briseurs de grève provoqua sur un chantier du quartier de Gerland de très vifs incidents.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article112395, notice EYSSÉRIS Gustave par Maurice Moissonnier, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 24 novembre 2010.

Par Maurice Moissonnier

SOURCES : Arch. Nat. F7/13095. — Arch. Dép. du Rhône, 10 M, grèves 1930-1938. — Arch. du syndicat du bâtiment, Bourse du Travail de Lyon. — L’Effort, organe d’action sociale et de défense syndicaliste. — Arch. privées communiquées par Hildebert Chaintreuil*.

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