FERROUL Joseph, Antoine, Jean, Frédéric, Ernest, dit Léon STERN

Par Justinien Raymond

Né le 13 décembre 1853 au Mas-Cabardès (Aude) ; mort le 29 décembre 1921 à Narbonne (Aude) ; docteur en médecine ; maire de Narbonne ; député socialiste de l’Aude.

Ernest Ferroul naquit dans un village de la Montagne Noire où son père était épicier, assez achalandé pour permettre à son fils de poursuivre ses études, au lycée d’abord, puis à la Faculté de médecine de Montpellier. En 1880, il y obtint son doctorat et s’établit à Narbonne.

Bien que favorisé par ses origines et par le sort, il se rallia très jeune aux doctrines socialistes : « Je suis né dans la bourgeoisie, déclara-t-il le 12 mai 1891, mais à dix-huit ans, je l’ai reniée, cette bourgeoisie, et je suis allé au peuple » (Arch. Nat. F7/12 527). Il entra d’emblée dans l’action et joua un rôle très efficace dans la diffusion de la pensée et dans l’organisation du Parti socialiste dans l’Aude et dans les départements voisins. Au début de l’année 1879, Ferroul, encore étudiant, était un des rédacteurs attitrés du bulletin politique de la Commune libre de Montpellier, « organe des travailleurs ». Il y mena un combat assez vif pour être condamné, en mai 1879, par le tribunal correctionnel de Montpellier, à deux mois de prison confirmés en cour d’appel. Il fut écroué le 20 août.

Le jeudi 15 mai, il affirma dans un de ses articles que « la période d’enfantement était terminée pour le parti socialiste... » Il avait aidé cet enfantement. Il avait participé au congrès ouvrier de Marseille en 1879. Après 1880, ses études terminées, doté de l’indépendance qu’apporte une profession libérale, auréolé du renom de « médecin des pauvres » qu’il acquit dans l’exercice de son métier, il se donna à l’organisation du parti, fondant des groupes d’études sociales, à Narbonne, à Lézignan notamment, avec le prestige que lui valaient sa formation scientifique et son talent oratoire. Il s’imposa vite, localement d’abord, sur le plan national ensuite et, un des premiers, assura au socialisme le bénéfice de quelques succès électoraux. Récemment installé à Narbonne, il pénétra en 1881 au conseil municipal, dix ans avant d’en devenir le maire. Ferroul adhérait à la Franc-Maçonnerie depuis son entrée à la loge « l’Égalité » de Carcassonne (novembre 1880). Il devint, le 27 avril 1881, maître de la Loge la « Libre Pensée » de Narbonne. Les élections législatives de 1885, au scrutin de liste, lui permirent de s’adresser à l’ensemble du département qui ne l’élut pas, mais lui donna, avec près de 20 000 voix, la preuve de l’audience qu’il avait largement contribué à y ouvrir au socialisme. Trois ans après, il l’emporta à une élection partielle. Un député de l’Aude, M. Papinaud, nommé gouverneur de Nossi-Bé, avait renoncé à son mandat. E. Ferroul se présenta comme « radical-socialiste », étiquette non équivoque à cette date : elle signifiait clairement que le candidat républicain d’avant-garde, radical, était en même temps, socialiste. Le 8 avril 1888, il vint en tête avec 24 987 voix sur 98 312 inscrits, devant Courral, maire de Narbonne, opportuniste, et le général Boulanger, qui en totalisaient respectivement 18 828 et 8 498. Courral se retira et, deux semaines plus tard, Ferroul battit Boulanger par 24 645 suffrages contre 4 468. Il s’inscrivit au groupe socialiste et, au cours du débat de validation le concernant, il protesta contre les attaches « boulangistes » que des adversaires lui avaient prêtées.

L’action de Ferroul se déroula désormais à l’échelle nationale, non plus seulement dans les congrès, dans les réunions et manifestations publiques comme cela avait été le cas jusqu’ici, mais aussi au Parlement. Partout, il apportait une éloquence nourrie de chaleur méridionale et d’ardente conviction dont les rapports de police soulignent la résonance. Il s’imposa dès son entrée à la Chambre des députés. Le 13 novembre 1888, il prôna la suppression de l’ambassade de France au Vatican et défendit, contre le ministre Goblet, une motion en ce sens, votée par 207 députés, repoussée par 307. Il vota contre l’ajournement de toute révision constitutionnelle. Fidèle à ses principes de liberté, il s’opposa aux poursuites contre trois parlementaires membres de la Ligue des Patriotes et contre Boulanger lui-même. À la fin de la législature, il s’abstint sur la proposition de retour au scrutin d’arr., entérinée le 11 février 1889. Quelques mois plus tard, il fut réélu, au second tour, dans la première circonscription de Narbonne.

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Ferroul n’avait pas attendu d’être député pour porter au loin son action socialiste. Les départements du Midi firent souvent appel à son concours pour leurs réunions de propagande. Il parut à de nombreux congrès du Parti ouvrier. À Saint-Étienne où il représentait, en 1882, quelques groupes de l’Aude dont ceux de Narbonne, il resta avec la majorité possibiliste dans la Fédération des Travailleurs socialistes de France. Mais, le 16 décembre, il rencontra Jules Guesde venu à Narbonne en compagnie de Paule Mink. Frappé, semble-t-il, par la dialectique du chef du POF, il se lia à lui au point de devenir son collaborateur à la première Égalité. Peu après, les groupes socialistes de l’Aude reprirent leur autonomie et, Ferroul en tête, rejoignirent quelques années plus tard le POF Ferroul participa à sa vie, à ses congrès, notamment à Troyes en 1888, à Lille (1890), Lyon (1891), Marseille (1892), et à Paris (1893). En 1889, après avoir appartenu à sa commission d’organisation, il assista au congrès international de Paris, tenu à l’occasion de l’Exposition universelle. Il s’associa avec éclat à la manifestation du 1er mai décidée à ce congrès le 20 juillet. Il fut un des deux députés, l’autre étant Eugène Baudin, à siéger à la commission permanente d’organisation instituée le 23 mars 1890 et qui comprenait, en outre, trois conseillers municipaux de Paris, dont Ed. Vaillant, et quatre délégués de Chambres syndicales, dont J. Guesde. Il signa, avec ses six collègues députés socialistes, le Manifeste qu’elle élabora. Le 1er mai 1890, dans une capitale soumise à l’état de siège, Ferroul figura aux côtés de ses collègues, Baudin, Thivrier, le « député à la blouse », du conseiller municipal Vaillant et de J. Guesde, parmi les douze délégués appelés à porter symboliquement, à la présidence de la Chambre, un cahier de doléances des travailleurs. La journée de huit heures y figurait en bonne place, avec un salaire minimum garanti, une limitation supplémentaire de la durée du travail pour les femmes et les enfants, la suppression du travail de nuit et un jour de repos hebdomadaire. À quatorze heures, la masse des manifestants ayant été refoulée par des charges de cavalerie, les mandataires remirent la pétition populaire au secrétaire général de la Chambre, mais, sur l’insistance de Ferroul, obtinrent d’être reçus par Floquet, président de l’Assemblée. Quelques mois plus tard, le 14 novembre 1890, aux côtés de J. Guesde, il représenta le POF au congrès de la social-démocratie allemande à Halle. Au lendemain du 1er mai 1891 qu’il vécut, dans l’ordre, à Narbonne, mais au cours duquel, en maints endroits, le sang coula, Ferroul alla flétrir la fusillade de Fourmies, à Sains-du-Nord (Nord), le 17 mai, en compagnie des députés « ouvriers » Baudin et Thivrier avec lesquels, « intellectuel » du petit groupe socialiste parlementaire, il formait une équipe symbolique. C’est avec eux encore, et avec Antide Boyer, qu’il se porta, en 1893, au secours des grévistes de Carmaux. Le 22 mai 1893, il parla à Toulouse avec J. Guesde et J. Jaurès. Il appartenait alors au Conseil national du POF. En 1899, retenu en cour d’assises de l’Aude, il ne put assister à Paris au congrès général des organisations socialistes auquel il adressa ses « vœux pour entente », car, disait-il, l’« avenir du Parti socialiste en dépend » (C. rendu du congrès, p. 33). Il entra dans la SFIO en 1905 et représenta la fédération de l’Aude aux congrès nationaux de Toulouse (1908), Saint-Étienne (1909) et Nîmes (février 1910).

Ferroul connut une vie politique locale troublée. Élu maire de Narbonne, le 26 avril 1891, il fut réélu après le triomphe de sa liste au renouvellement du 1er mai 1892. En conflit avec le préfet, il fut suspendu le 22 novembre, suspension que le ministre de l’Intérieur, Loubet, porta à un an. Le 9 février 1894, le conseil municipal lui redonna son écharpe qu’il conserva, après le succès du 3 mai 1896, jusqu’à l’arrêt du Conseil d’État du 4 juin 1897 annulant ces élections. Le 14 juin, un arrêt préfectoral le suspendit pour injures envers le gouvernement ; le 24, il fut révoqué. Le 11 juillet 1897, les socialistes échouèrent aux élections municipales. Le 6 mai 1900, la liste socialiste réélue à une forte majorité, Ferroul redevint maire et le demeura jusqu’à sa mort. Jusqu’à sa mort aussi, il siégea au conseil général de l’Aude où le canton de Mas-Cabardès l’avait envoyé quelques années avant la guerre et où il représenta, à partir de 1919, le premier canton de Narbonne. Il fut quelques temps vice-président de l’assemblée départementale. Mais, en 1893, année même de l’avènement en force du socialisme parlementaire, Ferroul, avec 4 092 suffrages, perdit pour 200 voix son siège de député au profit de son concurrent libéral. En 1898, il lui en manqua 60 pour atteindre au succès malgré une remontée, du 1er au 2e tour, de 5 202 à 6 174. Mais, après enquête parlementaire, l’élection de son vainqueur, Bartissol, fut invalidée et, le 26 février 1899, Ferroul rentra au Parlement, porté par 5 782 électeurs sur 10 571 votants. En 1902, il renonça à son mandat au profit de F. Aldy, avocat, ancien magistrat démissionnaire pour n’avoir pas à requérir contre Ferroul poursuivi pour articles jugés séditieux.

La structure sociale du département de l’Aude à la fin du XIXe siècle peut expliquer les éclipses dans la fortune électorale de Ferroul. Né dans le petit commerce, ordinaire première étape de promotion sociale, parvenu à une des professions libérales les plus renommées du temps, le Dr Ferroul appartenait aux « couches sociales nouvelles » promues au rôle dirigeant par le triomphe de la République. En se hissant parmi le personnel politique nouveau, l’homme ne faisait pas figure d’intrus. La République hardie, la République rouge qu’il préconisait dans sa fougue de candidat « radical-socialiste », non seulement pouvait sembler plus acceptable, symbolisée par sa personne, mais pouvait répondre aux aspirations de la démocratie rurale et artisane qui composait l’immense majorité du corps électoral de l’Aude. Par contre, cette société de petits propriétaires exploitants, de boutiquiers et d’artisans indépendants se révéla peu perméable à une organisation de classe, aux thèses guesdistes opposant prolétaires et possédants, thèses auxquelles Ferroul, peut-être au fond plus qu’il n’y paraît, finit par se rallier publiquement.

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Son retrait du Parlement ne signifia pas un abandon de la vie publique. Il restait maire de Narbonne et conseiller général. Il contribua à la naissance du syndicalisme agricole dans son département et assista au 2e congrès de la fédération des Agricoles du Midi, à Narbonne, du 13 au 16 août 1904. Surtout, au cours de la crise viticole de 1906-1907, il joua un rôle déterminant. Ce fut, en grande partie, sous son inspiration que le mouvement de protestation s’ébranla à Argeliers : Marcellin Albert, porte-parole représentatif des vignerons révoltés, agissait sous l’influence directe de Ferroul. L’agitation, profonde et générale, reconstituait un front de lutte mêlant diverses catégories de petites gens et redonnait à Ferroul le vaste champ de manœuvre et la masse de combattants qu’une stricte politique de classe fondée sur l’action déterminante du prolétariat réduisait à l’extrême dans un département à peine touché par le développement industriel capitaliste. En effet, petits et moyens propriétaires écrasés d’hypothèques, guettés par le fisc, ouvriers agricoles en chômage, commerçants menacés de faillite par la paralysie économique se pressaient, unis, aux mêmes rassemblements où Ferroul, qui parcourut la région, savait si bien exprimer leurs craintes, leurs colères et leurs espoirs. Le 10 juin 1907, il déclencha la grève municipale en donnant sa démission de maire de Narbonne et fut suivi par 129 communes de l’Aude, 124 de l’Hérault, 75 des Pyrénées-Orientales et 3 du Gard. Le 18 juin, sur son ordre (il n’était pas remplacé), la mairie de sa ville arbora le drapeau noir. Le jour même, il fut arrêté et, avec tout le comité d’Argeliers, incarcéré à Montpellier jusqu’au 2 août 1907, tandis que huit régiments de cavalerie occupaient le chef-lieu de l’Aude où éclataient de sanglantes émeutes, se soldant par six morts et de nombreux blessés ainsi que de spectaculaires manifestations : mutinerie du 17e régiment d’infanterie. Le calme revenu, la Confédération générale des Vignerons du Midi, réunie pour la première fois à Narbonne, fit de Ferroul son premier président. Par cet hommage, elle témoignait, comme l’autorité venait de le faire par la répression, de la part immense qu’il avait prise à ce mouvement populaire.

Pendant la Grande Guerre, E. Ferroul et les socialistes narbonnais adoptèrent une attitude particulièrement favorable à la défense nationale et à l’union sacrée. Le ton des articles que publia leur journal, la République sociale, s’inspira presque constamment d’un patriotisme lyrique et de la haine de la « barbarie allemande », dont ces « sudistes » ombrageux redoutaient les dangers plus que tout autre. En 1917, Ferroul déplora cependant le retour au pouvoir de Clemenceau en souvenir de l’énergie qu’avait déployée le Tigre à réprimer les mouvements viticoles de 1907.

Très hostiles au bolchevisme, Ferroul et ses amis se rangèrent tout naturellement dans la minorité du congrès de Tours.

Ferroul, qui avait été maire de Narbonne de 1891 à 1897, fut constamment réélu à la mairie, de 1900 à la fin de sa vie. Il conduisit, aux élections du 30 novembre 1919, une « liste du Parti socialiste et des intérêts communaux », dans laquelle les « communistes » lui reprochèrent d’avoir admis des personnes d’opinion trop modérée.

Héros de la période d’agitation, Ferroul fut, le calme revenu, l’âme de l’organisation professionnelle des vignerons et s’attacha à en faire aboutir les revendications. En 1921, le président de la République, venu à Montpellier, manifesta le désir d’être informé de la situation vinicole par le docteur Ferroul, par celui qui, dans cette même ville, quatorze ans plus tôt, était conduit sous escorte à la maison d’arrêt. Belle revanche pour l’homme public qui s’identifiait avec la région septimanienne. Il l’aimait et la servit avec passion, il en parlait la langue d’oc, il en défendit les traditions en félibre fervent ; aussi y assura-t-il, en l’auréolant du prestige de son nom, une durable implantation du socialisme.

Le 14 décembre 1919, il fut élu au second tour conseiller général de Narbonne. Il présida jusqu’à sa mort la Confédération générale des vignerons.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article113192, notice FERROUL Joseph, Antoine, Jean, Frédéric, Ernest, dit Léon STERN par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 19 septembre 2022.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Ferroul collabora aux journaux suivants : La Commune libre « organe des travailleurs », paraissant le jeudi et le dimanche à Montpellier. — L’Égalité, 1re série (1877-1878). — L’Émancipation sociale, en 1880, sous le pseudonyme de Léon Stern. — La République sociale de Narbonne, dont il fut le fondateur et le directeur.

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/867, dossier S 79/10 599. — F7/12 527. — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes II, op. cit., pp. 29 à 37, passim. — Pierre Raynaud, Biographie des représentants de l’Aude de 1789 à 1900, s.l.n.d. — Amédée Dunois, Le Premier Mai. Esquisse historique, Paris, 1934. — Renseignements recueillis à la mairie de Narbonne et auprès de M. le Bibliothécaire de la ville de Narbonne.

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