FORTUNÉ Jean [FORTUNÉ Jean-Marie, dit Jean]

Par M. Brot

Né le 11 novembre 1905 à Nice (Alpes-Maritimes) de père inconnu. Secrétaire général du syndicat unitaire du Bâtiment de Nice 1929-1936. Militant communiste, secrétaire adjoint du sous-rayon de Nice en 1932, secrétaire de la cellule n° 4 (Voir M. Jacques) et délégué auprès du groupe des JC. Marié à Nice le 4 décembre 1930.

Jean-Marie Fortuné avait connu une enfance misérable : « mon premier vrai repas, c’est au régiment que je l’ai pris ». Antimilitariste exalté, il fit de la prison vers 1928 pour avoir crié « À bas la guerre » alors que défilaient des conscrits. Puis, tantôt ouvrier peintre, tantôt artisan, connaissant de longues périodes de chômage, il se dépensa sans compter pour militer.

En 1929, avec l’aide de Bruno Fontanesi, il remit sur pied le syndicat des travailleurs du Bâtiment de Nice, fondé en 1907, tombé depuis en léthargie et affilié à la CGTU. Il adhéra au Parti communiste à la même date. Jusqu’en 1936, il s’occupa plus de son syndicat, dont il était secrétaire général, que de son parti ; il sillonnait les chantiers de la région niçoise pour obliger les entrepreneurs à appliquer la législation sociale. Sa propagande connut un certain succès puisque, dès 1933, le syndicat unitaire du Bâtiment comptait 156 membres ; il y avait monté une section italienne et une section algérienne.

J. Fortuné animait aussi le comité des chômeurs de Nice, avec d’autres militants communistes comme Fontanesi et Bedos ; il fut interpellé plusieurs fois par la police du fait de cette activité. Il militait également au comité Amsterdam-Pleyel contre la guerre et le fascisme, et prit part au rassemblement national des 20 et 21 mai 1934 à Paris, où il côtoya Doriot.

Avant le pacte d’unité d’action de juillet 1934, il se montrait bien moins sectaire que ses camarades de parti envers les confédérés et les socialistes : ainsi le 24 avril 1934, demanda-t-il en vain au bureau du rayon communiste de Nice d’accepter la proposition d’accord que les confédérés locaux faisaient aux unitaires.

Il fut délégué au VIIIe et dernier congrès de la CGTU à Paris en septembre 1935 ; le 21 février 1936, on l’élut à la commission administrative de la Bourse du Travail de Nice ; en mars 1936, délégué au XXXe congrès de Toulouse de la CGT, il représentait trois syndicats niçois : celui des ouvriers du Bâtiment, celui des peintres et celui des marbriers.

Le 1er avril 1936, il fut condamné en justice pour « rébellion et outrages à agents ». Il siégeait alors au conseil des prud’hommes.

Le 29 avril 1936, entre les deux tours de scrutin des élections législatives, Fortuné posa sa candidature dans la 4e circonscription de Nice comme « communiste protestataire », quelques minutes avant la clôture des inscriptions. Mais il la retira aussitôt et fit savoir au préfet qu’il se désistait pour Henry Torrès, radical indépendant, seul candidat du Front populaire au second tour.

Il déclara alors avoir reçu 10 000 francs des agents électoraux de Jean Hennessy, l’adversaire de droite de Torrès qui devait l’emporter le 3 mai. En effet, deux autres « communistes protestataires », inconnus dans la région, s’étaient mis sur les rangs pour le second tour, vraisemblablement aux mêmes conditions. J. Fortuné raconta son aventure dans les meetings d’Henry Torrès, pendant les derniers jours de la campagne et la presse de gauche le félicita d’avoir ainsi confondu le candidat « réactionnaire ».

Le secrétaire régional du PC Virgile Barel*, dans un communiqué paru la veille du scrutin, citait « l’exemple du courageux camarade Jean Fortuné*, militant du Parti communiste, qui ne s’est pas laissé soudoyer et a pris son corrupteur à son propre piège » (Le Petit Niçois, 2 mai 1936). Le 3 mai, jour du second tour de scrutin, Fortuné ne recueillit que 6 voix.

Toutefois, le 14 mai 1936, le bureau régional du PC, « désapprouvant la manœuvre consistant à poser sa candidature dans la 4e circonscription de Nice, pour des buts imprécis et contraires à l’esprit du parti » (Le Cri des Travailleurs, 24 mai 1936), prononçait son exclusion.

Jean Fortuné*, accusé de corruption, écarté de ses fonctions syndicales, mis dans l’impossibilité de se défendre en tomba, littéralement malade et passa deux mois dans le service de neurologie d’un hôpital niçois.

Par la suite, Fortuné diffusa le bulletin d’André Ferrat* Que faire ? dans les organisations communistes de la région et fréquenta les milieux anarcho-syndicalistes. Enfin, de nouveau en chômage, il adhéra en 1938 à Paris au PPF de Jacques Doriot* et il fut envoyé à Troyes pour y réorganiser localement le parti ; il le quitta peu après.

Après avoir travaillé dans une usine de Charleville, il revint à Nice en 1939. Pendant la guerre, il fut interné par Vichy comme « prisonnier administratif » dans les camps de Saint-Sulpice-la-Pointe puis de l’île de Ré. Après 1945, il devint artisan puis parvint à s’établir entrepreneur en peinture.

En 1984, J. Fortuné se disait toujours communiste et, adhérent de la Libre Pensée, passait sa retraite à diffuser de la propagande antireligieuse à Nice.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article113725, notice FORTUNÉ Jean [FORTUNÉ Jean-Marie, dit Jean] par M. Brot, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 24 novembre 2010.

Par M. Brot

SOURCES : Arch. Nat. F7/13128, F7/13130, F7/13185, F7/13261. — Arch. Dép. Alpes-Maritimes, fonds du cabinet du préfet, rapports de police non encore classés, 1934, 1935, 1936, 1937. — Arch. Mun. de Nice, 6 F 3. — État civil de Nice, 28 mai 1984. — Le Petit Niçois, 1er et 2 mai 1936. — Le Cri des Travailleurs, 15 et 29 mars 1936 ; 5 et 24 avril 1936. — Arch. personnelle de J.-M. Fortuné et entretien avec lui, 12 novembre 1984 à Nice. — État civil de Nice, 28 mai 1984.

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