FRIED Eugen, ou FRIED Evzen, dit Clément, dit « Le Grand »

Par Stéphane Courtois, Michel Dreyfus

Né à Trnava en Slovaquie occidentale le 13 mars 1900. Militant du Parti communiste tchécoslovaque de 1921 à 1929, il devient à partir de 1930 un cadre important du Komintern, chargé en particulier de superviser jusqu’en 1941 le Parti communiste français. Assassiné à Bruxelles, le 17 août 1943.

Juif issu de la petite minorité hongroise qui fut annexée par le Traité de Versailles à la Tchécoslovaquie, Eugen Fried commence des études supérieures de chimie à Budapest. Mais, dès 1919, pendant la brève République hongroise des Soviets, il s’engage dans le mouvement révolutionnaire, assurant la liaison entre révolutionnaires hongrois et slovaques ; arrêté par les autorités tchèques, il rencontre en prison un socialiste tchèque qui, après sa libération, l’emploie dans un organe socialiste de langue hongroise, Kassai Munkas (Le Travailleur de Kosice) dont il deviendra rédacteur en chef en 1924. Dès la fondation du Parti communiste de Tchécoslovaquie (PCT) en septembre 1921, il siège à son comité central comme représentant des communistes de nationalité hongroise. En 1923, le IIe congrès du PCT l’élit officiellement au CC, puis l’année suivante, il fait partie de la délégation du PCT au Ve congrès de l’IC où il prononce un discours insistant sur la nécessité d’intensifier la bolchévisation de son parti. Il aurait alors été affecté au département d’Agit-prop du Bureau d’organisation de l’IC sous l’autorité de Béla Kun ; à ce titre, il assiste à deux conférences d’organisation de l’IC en mars 1925 et février 1926.

Rentré en Tchécoslovaquie, il aurait été arrêté et condamné à trois ans de prison. Il est probable qu’il ne purgea qu’une partie de cette peine : il semble en effet qu’il ait été envoyé en 1926 à Reichenberg (Liberec) avec Pavel Reimann pour lutter contre l’influence d’Aloïs Neurath qui s’était manifesté en juillet 1926 comme l’un des représentants de l’Opposition de gauche ; le 8 octobre 1926, Neurath est relevé de ses fonctions au CC pour « trotskysme » ; Fried devient peu après le responsable du Vorwaerts, l’organe communiste de Reichenberg.

En mai et juin 1927, Fried participe à la IVe conférence de l’IC sur le travail parmi les femmes. À partir de 1928, on le retrouve dans le groupe constitué par l’IC pour « bolchéviser » le PCT, en compagnie de Klement Gottwald, Rudolf Slansky, Bruno Koehler, Cenek Hruska, Jan Sverma, Pavel Reimann et Vaclav Kopecky. En juillet, cette équipe s’empare de la direction du parti ; fin septembre, Fried entre au BP comme secrétaire à l’organisation. « œil de Moscou » à Prague, il prépare avec Gottwald et Reimann le Ve congrès du PCT qui en inaugure la stalinisation ; Fried devient alors officiellement membre du BP et préside deux de ses commissions de travail (sur quatre !). Mais peu après, il défend des positions gauchistes ; responsable en 1929 d’une grève dont l’échec est imputé par le PCT au « social-fascisme », Fried va plus loin encore : il estime que le PCT n’est pas assez révolutionnaire et qu’il doit être purgé de ses éléments réformistes ; mais en décembre 1929 le Bureau de l’IC pour l’Europe centrale condamne sa position ; Fried est contraint de faire son autocritique, lors d’une session du CC les 5 et 6 janvier 1930.

L’IC l’appelle à Moscou où, d’après des sources hongroises, il aurait travaillé dans la section de propagande et d’agitation de l’IC comme collaborateur direct de Béla Kun ; il aurait en particulier participé à la préparation et dirigé le IIe congrès du Parti communiste hongrois tenu près de Moscou en février 1930.

Alors commence la « période française » de son itinéraire de cadre de l’IC. Il est envoyé en France à l’automne 1930, en compagnie de la dirigeante roumaine Ana Pauker, afin de dresser un bilan de l’action du PCF. Dès janvier 1931, Benier (Johanny Berlioz), dans un article des Cahiers du Bolchevisme, confirme la présence en France d’instructeurs de l’IC. Après plusieurs mois passés en France, Fried participe au XIe plénum de l’IC (avril 1931) puis devient le représentant de l’IC auprès des PC allemand, belge et français.

En juillet, le dirigeant de fait de l’IC, l’Ukrainien Dimitri Manouilski, débarque incognito à Paris pour préparer le changement de direction du PCF lié à « l’affaire Barbé-Célor ». Il est probable que son travail a été préparé par Fried et A. Pauker qui, fin août, assistent au premier CC du PCF où l’on annonce les décisions prises par l’IC : la nomination d’une nouvelle direction constituée principalement de Maurice Thorez, Jacques Duclos*, Benoît Frachon*, Marcel Gitton*.

Fried prend alors la direction d’un « collège de direction » — A. Pauker, E. Geroë, G. Kagan, etc. — chargé de former et de superviser la direction du PCF ; il remplit quatre fonctions principales. Il assure la liaison politique avec Moscou. Il informe la direction du PCF des directives de l’IC. Il participe personnellement à la formation idéologique et politique des nouveaux dirigeants. Il dirige la restructuration et le choix des cadres du PCF ; sous son autorité se met en place une commission des cadres — dirigée successivement par J. Duclos, A. Vassart et M. Tréand — qui inaugure la pratique des « bios » que la direction fait remplir à chaque cadre important du parti, afin de prendre connaissance de ses capacités, de l’affecter en conséquence et de le contrôler étroitement ; en outre, Fried, en particulier à travers des entretiens personnels, préside au choix de tous les cadres appelés à certaines responsabilités (par exemple, Jean Chaintron*, Raymond Dallidet).

Eugen Fried participe au XIIe plénum de l’IC, qui se tient à Moscou du 27 août au 15 septembre 1932, au cours duquel Thorez est violemment critiqué par la direction de l’IC, ce qui conforte grandement la position de son principal rival, Jacques Doriot*, qui croit avoir gagné la partie. Mais Fried, resté quelques jours de plus à Moscou, a su convaincre Piatnitsky, responsable adjoint de l’IC, du danger qu’il y aurait à laisser à Doriot la responsabilité de toute la région parisienne du PCF comme il avait été décidé à ce plénum. Il obtient de l’IC que la direction parisienne du parti soit scindée en cinq régions, Doriot ne se voit plus confier que la direction de la seule région Paris-Nord.

C’est à ce moment que se crée véritablement le « tandem » Fried-Thorez ; l’envoyé de l’IC a fait son choix au sein de la direction française et protège résolument Maurice Thorez qui, de son côté, met littéralement ses pas dans ceux de Fried. Revenu en France, s’appuyant sur l’autorité de Fried qu’il présente comme « l’un des meilleurs délégués du Komintern que nous ayons jamais eu », Thorez sait gagner à lui Vassart et Gitton pour poursuivre son offensive contre Doriot. Désormais, conseillé presque quotidiennement par Fried, Thorez voit son autorité croître rapidement dans le parti ; d’ailleurs, le BP se tient souvent dans la clandestinité pour permettre à Fried — militant clandestin qui se fait appeler « le camarade Clément » — d’y assister.

La lutte pour la direction du parti entre Thorez et Doriot devient ouverte au CC de janvier 1934 ; profondément en désaccord avec la politique de dénonciation du « social-fascisme » menée par l’IC depuis des années, Doriot est partisan d’un rapprochement avec les socialistes et défend ouvertement cette position. Ferrat, qui éprouve des doutes assez analogues mais se méfie de Doriot, s’abstient de voter le rapport politique. Inquiet de l’éclat de Doriot, Thorez en discute immédiatement avec Fried et, afin d’affaiblir une opposition convergente contraint Ferrat à démissionner de son poste de rédacteur en chef de l’Humanité.

Fried suit avec attention les événements de février 1934. En accord avec Thorez, il fait lancer l’appel à la manifestation communiste du 9 février 1934. Il joue évidemment un rôle très important dans la nouvelle politique de rapprochement du PCF avec les socialistes, inaugurée lors de la conférence nationale du PCF le 23 juin 1934, au cours de laquelle fut votée l’exclusion de Doriot. Ainsi prenaient fin au plus grand bénéfice de Thorez la sourde hostilité puis le conflit ouvert entre les deux leaders potentiels du parti, au cours duquel Fried soutint Thorez avec constance.

Convoqué à Moscou au début de juillet 1934, Fried entre en France à l’été pour engager à fond le PCF dans sa nouvelle politique d’alliance ; à en croire Marcel Cachin*, c’est Fried qui aurait « inventé » la fameuse formule du « Front populaire du pain, de la paix et de la liberté » utilisée pour la première fois par Maurice Thorez le 10 octobre 1934 ; c’est Fried encore qui n’aurait pas découragé Thorez de proposer, ce même jour, aux radicaux une alliance, pourtant formellement désapprouvée par Togliatti au nom de l’IC. Mais, rapidement, le pari de l’unité de la gauche étant gagné, le PCF devient lors du VIIe congrès de l’IC à Moscou (juillet-août 1935) le phare de la nouvelle stratégie antifasciste de l’IC. Le poids de Fried au sein de l’IC ne pouvait qu’en être accru.

Fried suit de très près les problèmes de la révolution et de la guerre civile en Espagne ; il a entre autres sous ses ordres l’émigré italien Giulio Cerreti, membre du CC du PCF sous le pseudonyme de Pierre Allard, qui était le responsable de la Main d’œuvre Immigrée (MOI) et devint en 1937 le chef de la Compagnie maritime France-Navigation, flotte communiste dont les bateaux transportaient en Espagne le matériel militaire vendu par Staline aux Républicains espagnols. Enfin, selon des sources hongroises, Fried serait devenu en 1938 l’un des dirigeants du journal bi-hebdomadaire de l’IC, La Correspondance internationale. Fried, toujours militant clandestin, est alors au sommet de sa « carrière » militante.

Tous les témoins s’accordent à reconnaître sa prestance, son élégance naturelle entretenue par une garde-robe sortant de chez les bons faiseurs, sa distinction, son caractère ouvert et sympathique, servi par la connaissance de nombreuses langues parlées à la perfection — allemand, hongrois, russe, français — mais avec un léger bégaiement. Il impressionne les dirigeants du PCF — tous d’origine ouvrière — par sa passion de la lecture, des livres rares, par sa connaissance de la culture française et de l’histoire de France, en particulier de la Révolution française dont il est un fin connaisseur, ce qui explique son rôle déterminant dans la fondation du Musée de l’Histoire à Montreuil en 1939.

Fried n’est pas un « moine de la révolution » ; sensible aux charmes du sexe opposé, attentionné pour ses amis du moment, il circule dans de grosses voitures et fréquente les bons restaurants. Pourtant, sous ses dehors simples et fraternels, il reste un cadre communiste international, un révolutionnaire intransigeant, totalement fidèle à Staline, au point qu’A. Ferrat rapporte que dans les milieux du Komintern on le surnommait « le miroir », tant il reflétait toujours la ligne du moment.

Cette fidélité au Komintern était renforcée par des liens personnels, intimes, avec d’autres hauts responsables communistes ; c’est ainsi que naquit en 1932 une petite fille, Marie, fruit d’une liaison de Fried avec Ana Pauker ; plus tard, alors que Maurice Thorez se séparait de sa première femme, Aurore Membœuf, pour vivre avec Jeannette Vermeersch*, Fried ne tarda pas à cohabiter avec Aurore ; ils élevèrent ainsi de concert le fils aîné de Maurice Thorez et d’Aurore et la petite Marie. Fried était très attaché à ces deux enfants et leur accordait beaucoup d’attention. Les relations politiques entre Fried et Thorez étaient évidemment renforcées par ces relations quasi familiales.

Le mois d’août 1939 est chargé d’événements. Le 17 août, la police française commence à s’intéresser de très près à la compagnie France-Navigation où Cerreti parvient d’extrême justesse à récupérer des documents très compromettants ; au même moment, Palmiro Togliatti, numéro « trois » de l’IC, de passage clandestin à Paris, est arrêté. Le 23 août éclate la nouvelle du pacte germano-soviétique. Fried est tout aussi surpris que la direction du PCF par ce renversement de la politique de Staline. Il reçoit immédiatement l’ordre de créer à Bruxelles une base de repli et envoie Cerreti en jeter les premiers éléments. Lui-même s’emploie à vérifier la fidélité à Moscou des principaux responsables du PCF puis s’installe à Bruxelles au début de septembre.

Ses missions sont multiples. Il doit d’abord mettre à l’abri de la répression les principaux cadres du PCF ; Cerreti est chargé de fournir planques, moyens de transports et d’organiser le passage en Belgique, fin septembre et début octobre de M. Thorez, J. Duclos, A. Ramette et M. Tréand. Fried est obligé très vite de mettre sur pied à Bruxelles une activité légale destinée à couvrir ses activités clandestines ; sous le nom de Cercle d’Art, il crée une revue consacrée à la sculpture, dont le premier numéro paraît le 20 septembre 1939 ; il est aidé dans cette tâche par une militante française, Francine Fromond. Fried doit ensuite réorganiser à Bruxelles un centre technique de l’IC — postes émetteurs-récepteurs, courriers, planques, réseaux ; ce travail, effectué en grande partie par Cerreti, permet à Fried de se maintenir en contact avec Moscou et d’en transmettre les directives aux PC français, belge et hollandais.

Le 8 octobre, Fried organise à Bruges une réunion restreinte de la direction du PCF à laquelle assistent Thorez, Duclos, Ramette et Cerreti ainsi peut-être que Tréand et Émile Dutilleul ; il est probable que cette réunion fut consacrée à la nécessaire restructuration du PCF après son interdiction par le décret du 26 septembre et l’arrestation de ses députés au début d’octobre. Les problèmes d’orientation politique y furent sans doute abordés : alors que le PCF avait suivi une ligne antifasciste jusqu’au 23 août 1939 et une ligne patriotique et de défense nationale jusque vers le 20 septembre, il doit maintenant considérer que la guerre entre Hitler et les démocraties est une guerre « interimpérialistes » dont l’Angleterre et la France portent la principale responsabilité ; il doit donc appeler les communistes français à lutter contre le gouvernement « fasciste » de Daladier.

Enfin, Fried est chargé de faire reparaître en Belgique le bi-hebdomadaire de l’IC, la Correspondance internationale, interdite en France ; il crée à cet effet le bi-mensuel Le Monde, dont le premier numéro paraît le 15 septembre 1939 ; Le Monde est destiné à développer la nouvelle ligne de l’IC et à l’appliquer à la situation tant française que belge ; interdit par les autorités belges à la mi-novembre 1939, il est remplacé jusqu’en avril 1940 par des revues aux titres divers (Cisailles, Coup d’œil à travers la presse). On imagine que pendant ces quelques mois de l’automne et de l’hiver 1939-40, les activités de Fried étaient fort lourdes. Il n’en oublie pas pour autant de s’occuper de ses affaires personnelles : en novembre, Aurore et Maurice Thorez Junior le rejoignent à Bruxelles.

Le 9 mai 1940, Palmiro Togliatti, Garlandi, R. Guyot et A. Ramette, venant clandestinement de Belgique, s’embarquent à Amsterdam sur un bateau soviétique en partance pour l’URSS ; Fried n’est certainement pas étranger à cette évacuation en catastrophe. Le 10 mai, les Allemands attaquent, pénètrent en Belgique et en Hollande. Le 16 mai, Fried demande à Jacques Duclos*, alors « planqué » à Bruxelles, de se réfugier dans une ambassade « amie ». Le 17, Bruxelles est occupée. Le 26, Fried et Duclos décident de transférer la direction du PCF en France ; mais le 6 juin le front de la Somme est rompu par la ruée des panzers ; le 7 juin, Fried, Duclos et Tréand, venant de Bruxelles, arrivent en voiture à Arras ; devant l’impossibilité de passer les lignes, Fried et Duclos regagnent Bruxelles. J. Duclos parviendra à Paris le 12 juin tandis que Fried reste définitivement en Belgique.

Si Fried conserve un contact radio avec Moscou, il a plus de difficultés à renouer la liaison avec J. Duclos ; il y réussit grâce à l’avocat communiste belge, Jean Fonteyne, qui passe à Paris en voiture fin juin. Fried est sans aucun doute, avec Duclos et Tréand, au cœur des démarches engagées le 18 juin 1940 par le PCF auprès des autorités d’occupation allemandes pour obtenir la reparution légale de l’Humanité. De même qu’il fut sans doute mêlé de près à la rédaction du fameux « appel du 10 juillet » signé Thorez-Duclos, premier texte programme du PCF sous l’occupation.

Après ces quelques semaines très agitées, Fried retombe dans la routine de la clandestinité à Bruxelles ; le PCF ayant établi ses propres moyens de communication avec Moscou où se trouve Thorez, Fried entre dans une semi-activité. Après avoir appris la dissolution du Komintern en mai 1943, il aurait déclaré avec humour : « Eh bien, je suis au chômage. » Pourtant, l’homme sent que le filet de la répression se resserre autour de lui ; au début de 1943, il fait savoir à J. Duclos qu’il souhaiterait être évacué vers la France ; le 9 juillet 1943, son ami et collaborateur, Jean Fonteyne, est arrêté alors qu’au même moment le PC belge clandestin est décapité. Fried, Aurore et les deux enfants sont de plus en plus isolés. Le 17 août, Fried est assassiné.

Le seul témoignage sur cette mort est celui d’Aurore. Immédiatement après l’assassinat, elle se réfugie chez des amis où étaient cachés les enfants et, éplorée, raconte les circonstances du drame ; tôt le matin du 17, Fried suivi de loin par Aurore, se rend au 29, rue Ten Bosch à Ixelles (un faubourg de Bruxelles), planque qui lui sert de « bureau » ; entré seul dans le vestibule de la maison, il se serait trouvé nez à nez avec des policiers allemands qui l’auraient abattu ; Aurore, voyant depuis la rue ce qui se passait, se serait enfuie. Selon une seconde version qui aurait été confiée vingt ans plus tard à Lise London, Fried et Aurore se trouvaient dans la maison lorsque, à la suite d’un coup de sonnette, Fried se serait présenté à la porte et aurait été abattu d’un coup de revolver.

Tous les éléments réunis jusqu’ici semblent conforter la première version. Les témoins de l’époque, habitants de la rue, se souviennent que des voitures de la Gestapo étaient depuis une journée ou deux en « planque » autour de la maison de la rue Ten Bosch, qu’il y a bien eu des coups de feu et qu’on a retiré au moins un cercueil de la maison le lendemain. D’autre part, on sait depuis quelques années que la Gestapo était, sans le savoir, sur la trace de Fried depuis quelques mois ; en effet, en juillet 1943 la Gestapo réussit à arrêter à Berlin le chef du PC allemand clandestin ; celui-ci donna ses contacts avec Moscou : un réseau de cinq radios hollandais dirigés par un as des services techniques de l’IC, Daan Goulooze. La Gestapo manque Goulooze mais réussit à arrêter quelques radios ; terriblement torturé, l’un d’eux parle : il se souvient avoir été envoyé à Bruxelles à l’été 1941 pour réparer l’émetteur d’un important responsable de l’IC ; la Gestapo envoie un commando spécial à Bruxelles qui, en quelques jours, remonte la filière des planques de Fried et tend une souricière rue Ten Bosch, tout en ignorant l’identité et les fonctions exactes de l’homme qu’elle recherche. Si tout ce qui précède est prouvé par des archives allemandes, on n’a malheureusement retrouvé jusqu’à ce jour aucun rapport sur l’assassinat de Fried. De même, le corps de Fried n’a jamais pu être localisé ou retrouvé ; peut-être a-t-il été envoyé à Berlin pour une tentative d’identification.

Le nom de Fried fut à nouveau évoqué lors du procès de Prague en 1952 ; Artur London se vit reprocher d’avoir inauguré ses « déviations » par des relations avec un certain Fried, prénommé Desider (et non Evgen) ; sans doute s’agit-il d’un autre militant, Desider Fried, juif hongrois né en 1895, membre du parti bolchévique depuis 1918, officier de l’Armée rouge, qui prit une part importante au début de la guerre d’Espagne et à la défense de Madrid où il tomba le 28 octobre 1936 ; reste à comprendre pourquoi les organisateurs du procès ont, volontairement ou non, mêlé ces deux destins tragiques.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114275, notice FRIED Eugen, ou FRIED Evzen, dit Clément, dit « Le Grand » par Stéphane Courtois, Michel Dreyfus, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 19 février 2019.

Par Stéphane Courtois, Michel Dreyfus

SOURCES : Albert Vassart*, Mémoires personnels (inédits), 4e partie, sans date. — Henri Barbé*, Mémoires personnels (inédits), sans date. — André Ferrat*, « Monsieur Fauvet saisi par la légende », Preuves, n° 168, février 1965, pp. 53-62. — Pavel Reimann, Ve Dvacatych Letech. Vzpominsky (dans les années vingt. Souvenirs), Praha, Nakladatelstvi politicke literatury, 1966. — Annie Kriegel, Les communistes français, Paris, Le Seuil, 1968. — Artur London, l’Aveu, Paris, Gallimard, 1968. — Jacques Duclos*, « À la mémoire de mon ami Clément », Cahiers de l’Institut Maurice Thorez, n° 13, 1er trimestre 1969, pp. 120-124. — Maurice Thorez junior, article in Le Monde, 11-12 mai 1969. — J. Gérard-Libois, José Gotovitch, L’an 40. La Belgique occupée, Bruxelles, CRISP, 1971, 518 p. — B. Lazitch, M. Drachkovitch, Biographical dictionary of the Komintern, Hoover Institution Press, 1973. — Giulio Ceretti, À l’ombre des deux T, Paris, Julliard, 1973. — Alain Guérin, Chronique de la Résistance, tome 1, tome 3, Paris, Livre Club Diderot, 1973. — Roland Gaucher, L’histoire secrète du PCF, Paris, Albin Michel, 1974. — Encyclopédie de l’histoire du mouvement ouvrier hongrois, 1976. — D. Grisoni, G. Hertzog, Les brigades de la mer, Paris, Grasset, 1979. — Stéphane Courtois, Le PCF dans la guerre, De Gaulle, la Résistance, Staline, Ramsay, 1980. — Philippe Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste, Paris, Fayard, 1980, tome 1, 1984, tome 4. — Zaenek L. Suda, Zealots and rebels. A history of the Communist party of Czechoslovakia, Stanford, Hoover Institution Press, 1980. — Jacques Rupnik, Histoire du Parti communiste tchécoslovaque. Des origines à la prise du pouvoir, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. — Dezso Jasz, A bok hozul egy.. — Iren Komjat, A Kommunista mozgalom vilaglapza. — Ger Harmsen, Rondom Daan Gouloze. Vit het lurn van Kommunisten Nijmegen, SUN, 1980, 264 p. — Séance de séminaire de Madame Annie Kriegel, consacrée à Eugen Fried, le 24 février 1981 avec la participation de Michel Birnbaum, Stéphane Courtois, Michel Dreyfus, José Gotovitch, Annie Kriegel et Denis Peschanski. — Claude Coussement, José Gotovitch, « Qui a tué E. Fried... ? », Cahiers marxistes, n° 110, janvier 1983, p. 38-40. — Francis Crémieux, Jacques Estager, Sur le parti 1939-1940, Paris, Messidor/Temps actuels, 1983, 394 p. — « Archives communistes, février 1934-juin 1934 » choisies et présentées par Danielle Tartakowsky, Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 18, 1984, p. 25-84. — Guillaume Bourgeois, Communistes et anticommunistes pendant la Drôle de guerre, Thèse de 3e cycle en Histoire contemporaine, Université de Paris X, 1983, 406 p. — Jean Montalbeti, Les inconnus de l’histoire, trois émissions consacrées à Eugène Fried, France Culture, décembre 1983. — Raymond Dallidet, 1934-1984, voyage d’un communiste, Paris, La Pensée universelle, 1984, 319 p. — « Un hongrois oublié, martyr de la résistance belge » en hongrois in Magyar Nemzet, 17-XI-1984. — Stéphane Courtois, Annie Kriegel, Eugen Fried, Seuil, 1987. — Entretiens avec Michel Birbaum, Jean Chaintron*, Raymond Dallidet, Pierre Delon*, André Ferrat*, Vilhem Kahan, J. Thorez-Vermeersh.
Bibliographie : Claude Pennetier et Bernard Pudal (sd), Le Sujet communiste. Identités militantes et laboratoires du "moi", Presse universitaires de Rennes, 2014. — Bernard Pudal, Claude Pennetier, Le Souffle d’octobre 1917. L’engagement des communistes français, Les éditions de l’Atelier, 2017 : le chapitre 15 lui est consacré.

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