FROT Eugène

Par Justinien Raymond

Né à Montargis (Loiret) le 2 octobre 1893 ; mort le 10 avril 1983 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) ; marié le 11 octobre 1978 à Neuilly-sur-Seine ; avocat ; au cours d’une carrière de député du Loiret (1924-1942) et de ministre (1933-1934), Eugène Frot appartint un temps au Parti socialiste SFIO.

Fils d’un épicier, d’origines paysannes, élève au lycée de Montargis puis étudiant en lettres et en droit, Eugène Frot fut répétiteur au lycée Henri-IV de Paris et, après sa libération du service militaire, au lycée de Fontainebleau. L’armée le mobilisa en août 1914. Grièvement blessé au Bois-le-Prêtre en 1915, il reçut la Croix de guerre et fut réformé. Frot cessa bientôt son activité de répétiteur pour collaborer au Populaire et à l’Humanité, tout en étudiant le droit, ce qui lui permit de s’inscrire comme avocat au barreau de Paris en 1921. Ses sympathies allaient au courant Reconstructeur animé par Jean Longuet*. Sans vivre constamment dans le Loiret, Frot apparaissait à vingt-cinq ans comme la principale personnalité socialiste de son département. Il prit aux élections législatives de novembre 1919, la tête d’une liste socialiste et obtint 8 645 voix sur 78 215 voix (11 %). Membre de la commission des résolutions du Comité pour la Reconstruction de l’Internationale puis de la Commission administrative du Comité de résistance socialiste, il représenta le Haut-Rhin au congrès de Tours (décembre 1920). L’intéressé n’a gardé aucun souvenir de cette délégation pourtant attestée par le compte rendu officiel.

Comme Jean Longuet*, Frot resta au Parti socialiste SFIO. Son nom apparaît comme membre suppléant de la Commission administrative permanente de décembre 1920 à 1925 et du milieu de l’année 1926 à 1928, puis du conseil d’administration du Populaire de 1930 à 1932.

Aux élections législatives de mai 1924, il représenta la SFIO sur la liste des cinq candidats du Cartel des Gauches dans le Loiret, liste qui emporta tous les sièges. Il obtint personnellement 46 916 voix sur 86 368 votants. Il s’imposa rapidement au Parlement par son activité portant surtout sur les problèmes juridiques. Dans son département, il maintenait des contacts étroits avec les comités radicaux. À la Chambre, il ne craignait pas, dans certains votes, de se séparer du groupe socialiste auquel il appartenait. Aux élections législatives d’avril 1928 marquant le retour au scrutin uninominal, E. Frot choisit l’arrondissement de Montargis, sûr qu’il y était de l’appui du Comité radical qui espérait en contrepartie, et n’obtint pas, le retrait des autres candidatures socialistes en faveur des radicaux. Frot reçut aussi l’appui du puissant hebdomadaire Le Gâtinais. Frot se rangeait résolument parmi les socialistes attachés à l’Union des gauches et souhaitait éventuellement la participation des socialistes au gouvernement, derrière Renaudel dont il était l’ami, derrière Paul-Boncour avec lequel il collaborait sur le plan professionnel et politique. Dans sa profession de foi, il demandait aux électeurs devant les « désillusions » de la législature écoulée, « de ne pas se laisser entraîner vers des formes d’action politique réactionnaires » et « de ne pas céder au mirage d’un communisme de dictature ». Frot fut réélu au 1er tour de scrutin par 10 718 voix contre 6 053 à Vilcocq, républicain de gauche. Il entra dans les deux grandes commissions des Affaires étrangères et des Travaux publics. Au cours de la législature, il se fit, en 1930, le défenseur du syndicaliste catalan Blanco détenu à la prison de Montpellier.

Aux élections législatives de 1932, il se représenta en insistant surtout sur le caractère d’Union des gauches de sa candidature, aussi le Parti radical-socialiste, comme à l’accoutumée, ne lui opposa pas de concurrent et le soutint activement. Frot fut réélu au premier tour de scrutin par 10 890 voix sur 19 355 inscrits devant Husson, avocat de droite (3 640), Lagarde, Parti agraire (2 880) et Mazoyer, communiste (1 770). Au lendemain de ces élections, au congrès fédéral du Loiret, le 22 mai 1932, il préconisa la participation ministérielle des socialistes. Il est inutile de jouer à cache-cache, dit-il en substance ; il faut poser les points essentiels de notre plate-forme électorale, causer avec les radicaux et arriver à un terrain d’entente sur des mesures réalisables dans les mois qui vont suivre, notamment au sujet des Conférences de Lausanne et de Genève. Eugène Frot insistait sur une politique de désarmement et aussi sur un plan d’outillage national. Mais la participation n’aboutit pas et, en octobre 1932, E. Frot quitta le Parti socialiste SFIO.

Cette rupture lui ouvrit une carrière ministérielle brève et qui se termina sur le mode tragique par le hasard des circonstances. Du 18 décembre 1932 au 28 janvier 1933, il fut sous-secrétaire d’État à la Présidence du Conseil dans le cabinet Paul-Boncour ; du 31 janvier au 24 octobre 1933, ministre de la Marine marchande dans le cabinet Daladier ; du 26 octobre au 23 novembre 1933, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale dans le cabinet Sarraut ; il revint à la Marine marchande du 26 novembre 1933 au 9 janvier 1934, puis à nouveau au Travail et à la Prévoyance sociale du 9 au 27 janvier 1934. Depuis la scission néo-socialiste de 1933, E. Frot avait rejoint le groupe de l’Union socialiste et républicaine. Devenu ministre de l’Intérieur du cabinet Daladier le 30 janvier 1934, il endossait donc la responsabilité de l’ordre public lorsque, dans la nuit du 6 au 7 février 1934, le gouvernement qui demandait sa confiance à la Chambre des députés devait, dans la rue, autour du Palais-Bourbon et de l’Élysée faire face à une émeute violente en tête de laquelle marchaient les militants des Ligues d’obédience fasciste ou d’esprit autoritaire. L’échauffourée se solda par dix-sept morts, plus de 2 000 blessés et fit tomber le gouvernement. Il ressort de la déposition de Frot devant la commission qui enquêta sur ces événements qu’il n’a ni donné l’ordre de tirer, ni celui de ne pas tirer. L’opposition virulente au régime qui, sur le moment, l’avait ménagé, se déchaîna après l’événement : à défaut de sa carrière politique, sa carrière ministérielle fut brisée.

Il sut garder la faveur de ses concitoyens. En 1935, il soutint l’instituteur communiste Paul Marlin* victime d’une abominable accusation de la part des adversaires de la République et de l’École publique. Il fréquenta les grandes manifestations publiques, locales et nationales, du Front populaire, flirta avec les organisations proches du Parti communiste. Peu auparavant, en 1934, il avait, comme membre du Comité central de la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen, soutenu Herriot en conflit avec la section de Lyon qui l’avait exclu pour avoir révoqué des employés des abattoirs de la ville. Le 14 juillet 1935, au Vélodrome Buffalo à Paris, il avait discouru, au nom de l’intergroupe des Partis socialistes, à la manifestation du Front populaire. Aussi, aux élections législatives de 1936, dénonçant le fascisme et se réclamant du Front populaire, Eugène Frot fut-il aisément réélu au 1er tour de scrutin par 10 434 voix sur 23 326 inscrits contre 3 798 au communiste Mazoyer, 3 448 à Doreau, Parti agraire, 1 407 à Godmé, républicain indépendant et 362 à Cazalé, SFIO.

Le 10 juillet 1940, devant l’Assemblée nationale de Vichy, Frot vota pour l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain et ensuite, il siégea au Conseil national de l’État français. La Libération venue, il se donna aux affaires et reprit sa profession d’avocat mais ne revint pas à la vie politique.

La presse ne s’intéressa à lui qu’à l’occasion d’un procès qu’il gagna contre Jacques Duclos*. Dans ses Mémoires, celui-ci écrivait qu’Eugène Frot avait donné l’ordre de tirer sur les manifestants le 6 février 1934. Le 15 octobre 1970, le tribunal s’appuya sur les travaux de la commission d’enquête parlementaire pour constater qu’il n’avait pas donné l’ordre de tirer.

Eugène Frot mourut le 10 avril 1983 à quatre-vingt-dix ans et fut enterré à Château-Landon (Seine-et-Marne). Son épouse, née Marguerite Lagon, décéda le même jour.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114358, notice FROT Eugène par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 15 avril 2020.

Par Justinien Raymond

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Arch. Dép. Loiret, 2 M 105, rapport 13, novembre 1919. — Jean Jolly, Dictionnaire des parlementaires, t. V, p. 1748-1750. — L’Aube sociale, organe socialiste et syndicaliste du Loiret, 15 novembre 1919. — Le Travailleur, du Loiret, 16 octobre et 20 novembre 1926 ; 19 novembre 1927 ; 7 janvier 1933 ; 27 mars 1937. — Le Combat, bimensuel des Fédérations socialistes de l’Yonne et du Loiret, 25 mai 1937. — La Vie socialiste, 14 mai 1932. — Les Cahiers d’information du militant, n° 16, mai 1936. — Le Monde, 26 septembre 1969. — G. Lefranc, Histoire du Front populaire, op. cit., p. 12, 21, 80, 83. — Jean Goueffon, « Le Radicalisme entre la Crise et le Front populaire : la première élection de Jean Zay (1932) » in Revue d’Histoire moderne et contemporaine, t. XXII, octobre-décembre 1975, p. 619-654. — Une grave erreur judiciaire : L’affaire Paul Marlin, Imp. Midol, Montargis, s.d. 22 p. — État civil de Montargis, 29 mai 1984. — Le Monde, 15 avril 1983.

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