GUILLAUMIN Émile

Né le 10 novembre 1873 à Neverdière, commune d’Ygrande (Allier), mort le 27 septembre 1951 à Ygrande ; écrivain-paysan (romancier) ; militant syndicaliste ; conseiller municipal d’Ygrande de 1909 à 1919.

Émile Guillaumin naquit à Neverdière, ferme isolée louée par ses grands-parents maternels à leur arrivée de Côte d’Or en 1853. Son père y est « entré gendre » lors de son mariage en 1872 et l’exploitation resta patriarcale jusqu’en 1892 lorsque ses parents achetèrent une petite propriété aux portes d’Ygrande.

Le jeune Émile fréquenta l’école du village jusqu’à sa première communion. Il travaillait bien, très bien même, et l’instituteur, comme le curé, souhaitaient « pousser » l’enfant. Cela signifiait l’internat à Moulins. Même avec une bourse, la charge serait lourde. Émile Guillaumin, timide et gauche, gêné par un léger défaut de prononciation qui devint pour lui un « complexe », presque une obsession, eut peur de l’inconnu et préféra rester chez ses parents. Il apprit alors son métier de cultivateur, d’abord gardien de moutons, puis de cochons, enfin laboureur (voir les premiers chapitres de La Vie d’un simple : la part autobiographique y est large). Ainsi s’achevait, après cinq ans d’école primaire, son seul contact avec « l’université »...

Délaissant les jeux et les sorties bruyantes de ses camarades, Guillaumin lisait avidement Le Courrier de l’Allier, journal local que recevait son père, puis à treize ans, des livres trouvés au grenier de la ferme, enfin des ouvrages qu’il achetait avec ses économies. Ce serait par Pêcheur d’Islande qu’il aurait eu la révélation de la beauté littéraire, et l’un de ses premiers essais (1891) s’ouvre sur un hommage à Pierre Loti. En 1893 parut son premier poème, en 1895 sa première prose, l’un et l’autre dans La Quinzaine bourbonnaise. Il partit alors pour le service militaire. Caporal, puis sergent, Guillaumin employa à s’instruire les longs loisirs de la caserne : la bibliothèque des sous-officiers était assez riche, quoique inégale, et il y lisait tout ce qu’il y trouvait. En même temps, il commençait à écrire régulièrement.

Dès son retour à Ygrande, il publia des contes dans trois journaux bourbonnais, des scènes rurales dont les meilleures seront incorporées à La Vie d’un simple, et des ouvrages qui vont attirer l’attention sur leur auteur (Dialogues bourbonnais en 1899, Tableaux champêtres en 1901, couronnés par l’Académie française, un recueil de poèmes Ma cueillette en 1903). Il avait presque achevé Près du sol — qui paraîtra en 1906 — quand la lecture de Jacquou le croquant lui donna l’idée d’écrire les Mémoires d’un métayer, le Père Bertin, à la fois son voisin, son grand-père et lui-même. Ce sera La Vie d’un simple, paru en 1904, qui enthousiasma Octave Mirbeau et faillit obtenir le prix Goncourt. Les traductions se succédèrent, dans plusieurs langues étrangères ; on se renseigna, on vint voir ce « phénomène » ; un paysan comme les autres, qui labourait tout le jour, et qui, le soir, traçait un sillon d’un autre ordre.

Émile Guillaumin se maria en 1905, au plein de son succès, et grâce à l’argent de ses livres, acheta à Ygrande un petit terrain sur lequel se construisit, avec son aide, la maisonnette où il passa le reste de sa vie. Deux vaches, quelques porcs, de la volaille, trois hectares de terre : la maison d’un Simple.

C’est en 1905 également qu’Émile Guillaumin se joignit au mouvement syndical des métayers du Bourbonnais qu’un jeune paysan, Michel Bernard, venait de lancer à Bourbon-l’Archambault. Les deux hommes se lièrent de sympathie et dirigèrent ensemble l’organisation jusqu’en 1912, date à laquelle elle périclita. De tendance réformiste et modérée, Guillaumin était hostile aux thèses syndicalistes révolutionnaires alors en vigueur à la CGT. Il se heurta plusieurs fois aux jeunes libertaires qui faisaient partie de son mouvement, et les mit en minorité au VIIIe congrès de sa Fédération, en octobre 1908, en faisant voter, par 18 voix contre 5, une motion condamnant « l’action purement révolutionnaire », et déclarant que « la seule action ayant chance d’aboutir [...] est une action éducatrice, consistant à faire des achats en commun, à développer l’esprit de solidarité dans toutes ses formes au point de vue économique, à dénoncer inlassablement les injustices, à amener les esprits à l’idée de réformes urgentes » (Le Travailleur rural, novembre 1908). Malgré ces divergences, les dirigeants cégétistes regardèrent toujours avec sympathie ce mouvement paysan, le premier à s’être placé, en France, sur des positions de classe, aux côtés des ouvriers agricoles. L’autorité personnelle de Guillaumin était d’ailleurs très grande, encore accrue par son prestige littéraire, et c’est lui qui rédigea presque seul l’organe trimestriel de sa Fédération, Le Travailleur rural, de 1905 à 1911. De Bourbon-l’Archambault, le mouvement s’était étendu à plusieurs cantons de l’Allier, et les syndicats s’étaient groupés en une « Fédération des Travailleurs de la terre du Bourbonnais », qui regroupait ouvriers agricoles (domestiques ou journaliers) et petits exploitants (propriétaires, fermiers ou métayers). Guillaumin rédigea également de nombreux manifestes de la Fédération, notamment le fameux : Qui produit le blé, c’est-à-dire le pain pour tous ?... que René Bazin a attribué à tort, dans Le Blé qui lève, à des ouvriers des villes. Il s’en prit, dans de nombreux articles, avec une rare vigueur, aux fermiers généraux, et d’une façon plus générale, à toutes les forces sociales ou idéologiques qui pesaient sur le travailleur de la terre de sa région. En même temps qu’il consacrait une grande part de sa vie à ce mouvement, il continuait à écrire, toujours en vue d’« instruire la classe paysanne », et publiait successivement Près du sol (1906), Albert Manceau adjudant (1906), Rose et sa Parisienne (1907) repris en feuilleton dans le Peuple en 1928, La Peine aux chaumières (1909), Baptiste et sa femme (1911). Lorsqu’il se retira, déçu, de l’activité syndicale, il en dressa un bilan lucide et amer, dans Le Syndicat de Baugignoux (1912) — son meilleur livre sans doute après La Vie d’un simple — qui évoque les problèmes sociaux et ruraux du début du siècle et retrace le conflit réformisme-syndicalisme révolutionnaire dans la Fédération des Travailleurs en terre bourbonnaise.

Après la guerre, que Guillaumin fit tout entière aux tranchées, se posa pour lui un problème vital : sa petite exploitation ne pouvait plus nourrir sa famille, que faire ? Reprendre un domaine à près de cinquante ans, ou augmenter les ressources nées de sa plume ? Il adopta cette dernière solution et se fit journaliste, spécialiste écouté des questions rurales. Pendant trente ans, il collabora ainsi à d’importants journaux provinciaux ou parisiens, notamment au Peuple et à l’Information. Chemin faisant, alors que la littérature semblait avoir oublié celui qui avait dédaigné la capitale, il resta fidèle à lui-même et à sa classe, et publia encore : Notes paysannes et villageoises (1925), À tous vents sur la glèbe (1931), Comment j’ai vaincu la misère (1932), Panorama de l’évolution paysanne (1936) — d’abord article « Les Paysans » dans l’Histoire de la IIIe République de la Librairie de France. En 1937 et en 1942, il rendit hommage à deux compatriotes cérillois, le naturaliste François Péron, l’écrivain Charles-Louis Philippe, par deux biographies riches d’amitié dans leur dépouillement. En 1942, le jury du Prix Sully-Olivier de Serres fit de lui son premier lauréat pour l’ensemble de son œuvre.

Président de la Société de secours mutuels de son village, animateur de plusieurs groupements locaux, Guillaumin suivit avec sympathie la naissance d’un mouvement de petits exploitants agricoles, la Confédération nationale paysanne, fondée en 1933 dans l’orbite de la SFIO, et lui adressa ses encouragements. Nommé maire par le gouvernement de Vichy, il essaya d’abord de défendre ses compatriotes, puis se retira quand on voulut lui faire couvrir une politique qu’il désapprouvait.

Toujours, il resta un paysan, l’homme à la bêche, à tel point que les étrangers ne reconnaissaient pas toujours l’écrivain sous la blouse du travailleur. Après la Libération, Guillaumin groupa des pensées tirées de ses œuvres sous le titre : Sur l’appui du manche (1949). Il s’éteignit avant d’avoir pu donner le « bon à tirer » de sa dernière œuvre Paysans par eux-mêmes (1953). Émile Guillaumin mourut à Ygrande où il a toujours vécu et où il est enterré.

Le 20 octobre 1973, le colloque du Centenaire de sa naissance se tint à Moulins, suivi, un mois plus tard, le 10 novembre, de la séance publique de la Société d’émulation du Bourbonnais. Les actes du colloque et de cette séance, accompagnés de la correspondance Émile Guillaumin — Lucien Gachon*, furent recueillis, publiés et diffusés en 1975 sous le titre Le Centenaire d’Émile Guillaumin par la Librairie Klincksieck, Paris 168 pages. Un hommage fut rendu le jour du colloque à Suzanne Souchon-Guillaumin, fille de l’écrivain, disparue un mois plus tôt, en septembre 1973.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114489, notice GUILLAUMIN Émile , version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 8 janvier 2017.

ŒUVRE : Citée dans le corps de la biographie. — Bibliographie publiée en tête de la brochure Le Centenaire d’Émile Guillaumin. — Voir aussi : Agnès Roche, Émile Guillaumin. Un paysan en littérature, CNRS édition, 2006.

SOURCES : Arch. Dép. Allier, fonds Guillaumin, 47 J. — Le Travailleur rural. — Michel Bernard, Le Syndicalisme paysan dans l’Allier, Montluçon, 1910. — Le Travailleur de la terre. — État civil d’Ygrande. — Roger Mathé, Émile Guillaumin, homme de la tterre et homme de lettres, Nizet, 1966. — Comité du centenaire d’Émile Guillaumin, Le centenaire d’Émile Guillaumin, Klincksiek, 1975. — Niklaus-Dubucq Mirielle, Émile Guillaumin apôtre social, thèse de 3e cycle, Faculté des lettres modernes de l’université des sciences humaines de Strasbourg, 1982. —Agnès Roche, Émile Guillaumin. Un paysan en littérature, CNRS édition, 2006 (sources complètes).

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