JUIN André

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 25 août 1899 à Paris (Seine) ; ouvrier métallurgiste puis chauffeur de taxi ; communiste puis oppositionnel ; syndicaliste ; pacifiste.

Fils et petit-fils d’ouvriers sur métaux, André Juin adhéra en 1913 aux Jeunesses socialistes du XVIIIe arr. de Paris. Il s’associa dès 1915 à l’action pacifiste des Zimmerwaldiens. Marqué par la perte de ses deux frères et les ravages de la guerre à laquelle il participa à partir de mai 1918, il devint un pacifiste déterminé.

Démobilisé au début de l’année 1921, André Juin se fit embaucher, en mars, à l’usine métallurgique Fouga de Béziers (Hérault) et en fut licencié pour action syndicale le 10 mars 1922. Il était le secrétaire du syndicat unitaire de la voiture et du matériel roulant de Béziers. Il siégea à la commission exécutive de la Fédération unitaire des Métaux de 1923 à 1925. Selon les renseignements recueillis sur place, il fut responsable des questions économiques et syndicales au sein du bureau fédéral communiste de l’Hérault de novembre 1922 à janvier 1923. Cependant, dans son témoignage écrit, Juin situe son adhésion au Parti communiste en 1924 : la motivation étant son intérêt pour « la nouvelle forme d’organisation du PC transférant le combat social à l’usine par la création de la cellule d’entreprise ».

Revenu dans la région parisienne, il créa une des premières cellules d’entreprise aux usines d’automobiles Delahaye où il était tourneur. Licencié à plusieurs reprises (il travaillait en 1925 à l’atelier Jupiter), secrétaire du 6e rayon communiste, il publia, dans les Cahiers du Bolchevisme du 1er septembre 1925, une déclaration démentant ses liens avec la « fraction de droite » du Parti : « Je n’ai jamais été solidaire, n’ayant eu aucun rapport sur aucune question avec aucun d’entre eux. Je n’ai jamais eu en main la Révolution prolétarienne mais il me suffit de savoir qu’elle ridiculise notre Parti et se réjouit de ses difficultés pour la condamner formellement ». Selon son témoignage, « remarqué par le délégué de l’Internationale », il fit partie, sous le nom de Dubois, du groupe de communistes français envoyé pour deux ans à l’École léniniste internationale qui ouvrit ses portes à Moscou en avril 1926. Laissons le raconter lui-même ce séjour déterminant pour son évolution politique : « Curieux, soucieux de s’instruire, il ne se contente pas de l’enseignement prodigué et se fait remarquer par son esprit de libre examen. Alors que les rivalités divisent les instances dirigeantes du parti russe et préludent aux exclusions, il est frappé, au cours d’un stage de travail d’un mois dans un grand centre textile, de l’indifférence des ouvriers. À l’analyse il constate que l’enseignement de l’école diffère de ses convictions de pacifiste. Notamment par le détournement du pacifisme prolétarien subordonné à l’État russe. L’ensemble de ses objections aboutissent à son renvoi en France après quatorze mois de séjour en Russie. »

Serge Wolikow et Jean Vigreux situent son renvoi au printemps 1928 et évoquent un affrontement avec la direction de l’école concernant le sort réservé à sa femme qu’il avait ait venir et les conditions d’hébergement qui leur était proposées : « Vous savez que Juin est entré en conflit avec l’école léniniste internationale au sujet du logement nécessaire pour sa femme. Nous avons une réunion commune entre le groupe français, la direction de l’école et la délégation française présente ici. On ne peut pas dire que tout soit parfait du côté de l’école mais il est néanmoins établi qu’à diverses reprises, l’école avait offert un logement possible pour la femme de Juin et que celle-ci, ne le trouvant pas assez à sa convenance a refusé ». Un autre rapport ajouté : « La commission de contrôle a décidé que les accusations injustifiées portées par Dubois contre la direction de l’école rendaient sa présence de ce camarade impossible comme élève de l’École. Le camarade Dubois ayant refusé de se trétracter, il va de soi qu’il devra quitter l’école et être acheminé en France. Toutefois, étant donné les sympathies dont le camarade Dubois jouit auprès d’un certain nombre d’ouvriers de la région parisienne, il y aurait un inconvénient sérieux à ce que Dubois rentre immédiatement en France avant une mise au point sérieuse de la part du parti français, ayant pour but d’empêcher toute exploitation oppositionnelle possible du cas du camarade Dubois. » (Serge Wolikow et Jean Vigreux, « L’école léniniste, une pépinière de cadres communistes », in Les écoles des partis ouvriers au Xxe siècle, Cahiers d’histoire, n° 79, 2000)


Il revint en France convaincu de l’échec de la IIIe Internationale ; il siégea au comité de rédaction de la revue oppositionnelle Contre le courant du n° 1 (20 novembre 1927) au n° 11 (9 mai 1928), mais il concluait à l’impossibilité de sauver le PC français.

Devenu chauffeur de taxi, toujours syndiqué à la CGTU, André Juin participa en 1930 au Comité des 22 pour l’Unité syndicale et collabora à son journal Le Cri du Peuple. Lors de la conférence des minoritaires de la CGTU réunie le 30 novembre 1930, il affirma que la CGTU était « vidée », sa « presse sans lecteurs » et que la confédération était « subordonnée à une secte ». Puis, à la conférence du 14 décembre, il déposa avec le typographe Marcel Martin une motion proposant la rentrée en bloc dans la vieille CGT, motion qui ne recueillit que quatre mandats. Son intervention fut publiée en brochure.

Secrétaire adjoint du syndicat CGT des dessinateurs d’art d’industrie, André Juin était surtout, en 1935-1936, rédacteur au Peuple, le journal de la CGT. À ce titre, il fit en juillet 1937 un reportage sur l’Espagne républicaine et, témoin des divisions du Frente popular, en vint à douter de la victoire républicaine. Il plaida « pour un arrêt des combats devenus sans espoir et une paix de compromis négociée » (témoignage). L’année suivante, il créa le Centre syndical d’action contre la guerre (CSACG) avec des syndicalistes de l’Enseignement, des Postes, du Livre et défendit pendant deux ans une « position conciliatrice » face au danger de guerre. Le 30 août 1939, les responsables du CSACG furent arrêtés et traduits le 30 novembre devant un tribunal militaire qui les condamna à des peines de prison, peines non purgées lors de l’arrivée des Allemands.

On ignore ses positions pendant la période 1940-1944. La conclusion de son témoignage transmis pour la rédaction de cette notice mérite d’être citée : « La paix revenue, resté attaché au syndicalisme de collectivisme, il se sépare du syndicalisme de standing individuel. Dès 1960, il dénonce la différenciation des salaires, la disparité des retraites, l’accession forcée à la propriété, l’aristocratie du diplôme, l’automanie, facteurs d’un embourgeoisement de régression sociale. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114592, notice JUIN André par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 26 février 2012.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

SOURCES : RGASPI, 495 270 1852. — Principalement le témoignage autobiographique communiqué à Jean Maitron. — Arch. Com. Béziers. — Le Fouet, 1922. — Cahiers du Bolchevisme, 1er septembre 1925, 9 octobre 1926, 31 mai 1927. — Contre le courant, 1927-1928. — Le Cri du Peuple, novembre-décembre 1930. — La Révolution prolétarienne, 10 avril 1938. — Agnese Silvestrie, « Le Centre syndical d’action contre la guerre (1938-1939) », Cahiers d’histoire, n° 78, 2000. — Notes de Jean Sagnes.

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