KAAN Pierre

Par Jean-Louis Panné

Né le 3 janvier 1903 à Paris, mort le 18 mai 1945 à Budejovice (Tchécoslovaquie) ; militant communiste, puis oppositionnel ; un des adjoints de Jean Moulin dans la Résistance.

Pierre Kaan était fils d’un petit éditeur juif originaire de Lorraine, militant socialiste. Sa mère, catholique, était issue d’une famille de petits artisans d’Île-de-France. Il fit ses études au lycée Montaigne, puis à Louis-le-Grand. Bachelier à seize ans, il prit sa carte au Parti socialiste SFIO. Tout en poursuivant ses études, il s’intéressa de plus en plus à la politique. Licencié en philosophie à dix-huit ans, il soutint son diplôme d’études supérieures sur Nietzsche en 1923. Entre-temps, il avait adhéré au Parti communiste après le congrès de Tours (décembre 1920) et était devenu un des proches collaborateurs de Boris Souvarine à l’Humanité.

En octobre 1925, Pierre Kaan signa la lettre au Comité exécutif de l’Internationale communiste, dite lettre des 250, qui critiquait la direction du Parti communiste. Dès 1926, il participa aux activités du Cercle communiste Marx et Lénine, nouvellement fondé par les oppositionnels autour de Boris Souvarine, son ami. Il fut d’ailleurs membre du comité de rédaction du Bulletin communiste. En 1930, il ne reprit pas sa carte au Parti communiste, mais devenu professeur de philosophie, milita à la CGT sans discontinuer jusqu’en 1939. En novembre 1930, il signa, avec d’autres membres du Cercle communiste, une lettre critique adressée au Comité des 22 à propos de l’unité syndicale. Il fit partie en mars 1931 des rares militants qui protestèrent contre la déportation du fondateur de l’Institut Marx-Engels, David Riazanov (appel signé par J. Bernier, J. Baron, J. Flottes, E. Liénert, M. Pommera, R. Michaud, C. Rosen, L. Sablé, B. Souvarine). À cette époque, Pierre Kaan commençait à collaborer régulièrement à la Critique sociale, revue fondée par Boris Souvarine.

Marié (en 1926), père de quatre filles, Pierre Kaan ne renonça jamais à la philosophie : dans les années trente, il déposa un sujet de thèse sur la philosophie de l’histoire. Il s’intéressa également aux questions de politique internationale : après un séjour en Catalogne dans la deuxième moitié de 1936, il rédigea un mémoire sur « les moyens de séparer l’Italie de l’Allemagne ». Anti-munichois, sa position s’inscrivait dans le cadre d’une réflexion plus large sur le totalitarisme ; il donna ainsi à la Revue de Métaphysique et de Morale un texte intitulé : « La logique de l’irrationnalisme » dont la publication fut empêchée par la mort de Xavier Léon. Enfin, il répondit à l’analyse de Boris Souvarine sur la situation de l’Europe : « Il ne faut pas plus ignorer le danger russe par crainte de l’Allemagne que s’illusionner sur les possibilités que nous réservait l’Allemagne, comme le fait Souvarine, obsédé par la grandeur indéniable du danger stalinien » (Les Nouveaux Cahiers, n° 56, avril 1940). Pierre Kaan était donc intellectuellement prêt à s’engager dans la Résistance.

À la déclaration de guerre, il avait tenté d’obtenir révision de sa réforme de 1929. Sans succès. Enseignant à Montluçon, il quitta la ville début juin 1940 pour essayer de gagner la Grande-Bretagne. De retour, il colla dans la nuit du 27 juin des papillons dénonçant l’armistice. Très vite, il organisa la résistance locale avec une efficacité remarquable et entra en relation avec les différents mouvements de résistance : Libération Zone Sud, Franc-Tireur. Il organisa et dirigea une très importante manifestation au moment de la formation d’un convoi de travailleurs réquisitionnés le 6 janvier 1943. Contraint de fuir la ville et d’entrer dans la clandestinité, Jean Moulin le chargea d’organiser l’échelon parisien de la délégation générale du gouvernement provisoire d’Alger. Devenu Dupin, Brulard ou Biran, il joua un rôle essentiel dans l’unification des mouvements de résistance. Arrêté le 29 décembre 1943, torturé, puis interné à Compiègne, il fut déporté à Buchenwald, enfin à Gleina (Tchécoslovaquie). Ses parents moururent en déportation.

Pierre Kaan fut libéré par des partisans tchèques, mais, malade du typhus, il mourut le 18 mai 1945 à l’hôpital de Budejovice. Les Mouvements Unis de la Résistance créèrent un prix en son nom destiné au meilleur élève de philosophie du lycée de Montluçon.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114733, notice KAAN Pierre par Jean-Louis Panné, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 17 décembre 2021.

Par Jean-Louis Panné

Tombe de Pierre Kaan à České Budějovice, cimetière de St. Otýlie, République tchèque.
coordonnées GPS (48 ° 59’57.1 "N 14 ° 29’01.1" E 48.999202, 14.483647)
Cliché Petr Březina
Tombe en 2021 après restauration.

OEUVRE : Le texte qui devait être publié par X. Léon en 1939, "La logique de l’irrationalisme" a été édité en 1987 à la suite de l’article de F. Boutot et de F. George qui est cité en Sources.
Par ailleurs, la revue Commentaire (1998, n°82) a publié un texte paru dans le numéro des Nouveaux Cahiers (avril 1940) : "Stalinisme ou hitlérisme dans une Europe organisée", précédé d’une introduction de François George : "Pierre Kaan, penseur du totalitarisme".

SOURCES : Léo Hamon, « Pierre et André Kaan », Le Monde, 14 janvier 1972. — Marie Tourrès, La Critique sociale (1931-1934), Mémoire de Maîtrise, Besançon, 1982. — F. Boutot et F. George, « Pierre Kaan ou la lucidité active », La Liberté de l’Esprit, n° 16 : Visages de la Résistance, pp. 169-175.

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