KESTEMAN Henri, Albert

Par Marc Giovaninetti

Né le 1er juin 1910 à Paris (XVIIIe arr.), mort à Neuilly-sur-Seine le 24 avril 1979 ; militant communiste parisien et bordelais ; comptable, journaliste ; résistant, interrégional JC ; secrétaire des JC, membre du comité national de l’UJRF comme rédacteur en chef de l’Avant-Garde (1944-1946) ; membre du comité de section du 19e arrondissement de Paris, du bureau de section du 3e ; membre du comité fédéral de la Gironde (1948-1949).

Henri Kesteman
Henri Kesteman
lors d’un voyage en URSS en 1946

Henri Pussey naquit chez une sage-femme domiciliée dans le XVIIIe arrondissement, d’une mère cantinière âgée de vingt-quatre ans qui habitait rue de la Présentation dans le 11e, « et de père non dénommé ». En mars 1913, il était reconnu à Saint-Gilles-lès-Bruxelles (Belgique), par Paul Kesteman, qui lui donnait son nom et l’éleva comme son fils. La famille était déjà installée à Paris, mais les Kesteman étaient originaires de Dunkerque. Le père d’Henri, ébéniste comme son père et son grand-père, était facteur de pianos. Le grand-père en avait fondé le premier syndicat, à Paris, et l’héritage familial remontait peut-être à loin, puisque leur nom flamand signifie « fabriquant de caisses ». Dans un des trois questionnaires biographiques très détaillés qu’Henri Kesteman remplit pour la section des cadres entre 1945 et 1953, il précisait avoir vécu en « Angleterre de 1922 à 1926, [pour y] retrouver [son] père qui y travaillait envoyé par une maison de décoration parisienne ». Muni du certificat d’études primaires français, il suivit « quatre ans d’études secondaires dans une école anglaise à Londres ». Il indiquait aussi que ses deux parents étaient membres du PCF, et qu’il avait trois sœurs, dont deux militaient au Parti, et deux frères sans parti dont un, Edmond, était « un véritable voyou ».

En 1931, il s’était fixé pour un temps à Châlons-sur-Saône. C’est là qu’il aurait adhéré au Parti communiste, militant au Secours rouge, dont il fut délégué au congrès de la Bellevilloise à Paris en 1932. Sans emploi, il serait revenu à Paris en 1932, et aurait cette fois milité aux Jeunesses communistes. D’emblée, il devint secrétaire des JC de Paris-Nord, à l’époque où l’organisation de jeunesse était dirigée par « Jo » [Georges] Charrière et Marcel Lebas ; en 1933, il était secrétaire de la section des 1er, 2e et 9e arrondissements ; en 1935-1936, il assurait la même responsabilité dans le 19e, et bénéficiait d’un mois de formation à l’Ecole fédérale des JC à Montreuil ; en 1937 il était promu au comité régional de Paris-ville, puis en 1938 au secrétariat parisien.

Il avait en 1932 trouvé un emploi de pointeau dans l’usine Sulzer à Saint-Denis, et parallèlement à ses responsabilités aux JC, il était membre de la cellule communiste de son entreprise, le dirigeant de la section étant Arthur Dallidet. Mais la « région » était alors sous le contrôle du « gang Doriot », écrit-il, et lorsqu’à la veille du 1er mai 1933, il fut renvoyé de son entreprise, ils auraient refusé de l’inscrire au chômage. C’est ainsi qu’il fut « muté » à Paris, où il avait retrouvé du travail. En 1934, « extrêmement fatigué », son médecin et camarade des JC Jean Calmanovitch lui recommanda de vivre à la campagne. Il trouva un emploi de comptable auprès d’un entrepreneur espagnol de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), avec qui il faisait de nombreux déplacements qui l’empêchaient d’assurer des responsabilités militantes. Repéré néanmoins par les gendarmes, qui lui auraient flanqué « une danse », il fut remercié à l’été 1935 par son patron qui aurait subi « des pressions ». D’après lui, « cela fit un scandale énorme, on en parle encore à Rivesaltes ». Rentré à Paris, il trouvait du travail chez Viandox, dans le 19e, et il habitait à proximité dans le quartier Amérique.

Considéré comme un cadre d’avenir, il montait au comité de section du 19e arrondissement du PCF, et suivait l’Ecole centrale de six mois du Parti à Arcueil de novembre 1938 à mai 1939. Il y perdit son emploi, et fut alors provisoirement affecté à Ce Soir. Ce fut le début de sa carrière de journaliste.

Il fut mobilisé le 28 août 1939, avec le grade de brigadier-chef dans l’artillerie, et pendant l’année de « Drôle de guerre », il désigne Lucien Dorland comme ayant été son responsable politique. Démobilisé le 5 août 1940, il fut responsable jusqu’en février 1941 du quartier Villette pour la JC et le PC, ce qui laisse à penser qu’il ne fut pas troublé par le pacte germano-soviétique. Il fut arrêté le 11 février 1941, alors qu’il rentrait chez lui boulevard d’Algérie dans le 19e : « J’étais alors légal, travaillais comme comptable dans une entreprise de menuiserie charpente rue de Romainville, écrivait-il en 1949. Je revenais d’un rendez-vous avec un camarade. Les flics m’attendaient. On avait trouvé sur un camarade arrêté un rapport me concernant où mon nom était écrit en clair. Ce rapport qui me trainait dans la boue, avait été rédigé par un dénommé Allard (mort). » Kesteman fut condamné le 21 mai 1941 à un an de prison, interné à la Santé de février à mai 1941, à Fresnes de mai à novembre 1941, puis « au dépôt (grande salle des internés administratifs) » de novembre 1941 à avril 1942. De là, il fut transféré au camp de Voves, où il resta trois semaines, puis à celui de Compiègne. Il fut alors « désigné pour l’évasion collective des dix-neuf, le 22 juin 1942, avec Georges Cogniot, André Tollet, Jules Crapier, Louis Thorez, etc. ». Les détenus avaient creusé un tunnel pour s’évader, huit d’entre eux furent repris, et trois fusillés, dont le frère de Maurice Thorez.

Henri Kesteman avait à ce moment-là deux affaires à son passif. La première était l’accusation de détournements de fonds qu’il aurait opéré au détriment de l’Espagne républicaine, une accusation portée à l’issue de son stage de six mois par deux militants, « Simon et Ernest », dans un rapport tombé entre les mains de la police en 1939, et qui lui valut d’être « remis à la base ». Pas pour longtemps, à la faveur de la guerre, on l’a vu, mais cette accusation peut être en rapport avec la « boue » qu’il impute à « Allard », d’autant que c’était là le pseudonyme officiel de Giulio Cerreti, le patron de France-Navigation, cette compagnie qui couvrait le soutien plus ou moins clandestin à l’Espagne (lequel n’était pas mort, cependant, en 1949, date du questionnaire rempli par Kesteman).

La deuxième affaire touchait à sa femme, épousée à Paris en octobre 1937. Voici ce qu’il en disait : « Je crus longtemps que j’avais été donné par la femme avec qui j’étais alors marié, Manon Bassis [Mannei, pour l’état civil], que j’avais mis en demeure de quitter mon domicile huit jours avant mon arrestation. (Ma femme avait eu une attitude que le parti jugeait suspecte pendant la drôle de guerre et était devenue la maîtresse de Léonce Granjon qui avait été membre du secrétariat de la Fédération de la JC). ». Et l’employé de la section des cadres de confirmer : « Kesteman Manon, fille Babitz (sic) : suspecte, origine russe et accusée de relations avec des gens suspects. Henriette Feuillet, détenue à la Roquette, aurait fait savoir qu’ [elle] appartenait à la police. [Elle] était en rapport avec Granjon ; accusée d’avoir détourné une somme de 600 F aux syndicats. » Signalons sur ce point que Léonce Granjon, tenu à l’écart pendant toute la période de guerre, fut lavé de tout soupçon après la Libération, mais ne retrouva jamais de fonction au Parti.
Cependant, Kesteman inspirait une confiance suffisante pour être affecté à d’importantes responsabilités après son évasion, passée une période de sécurité de six mois. Redevenu responsable national des JC, il fut nommé instructeur interrégional dans le Nord - Pas-de-Calais de novembre 1942 à juillet 1943, puis, jusqu’à l’insurrection, rédacteur en chef de l’Avant-Garde clandestine. Il se désignait alors comme « membre à Paris du triangle national de la Fédération des JC », et se prévalait pour cette période de clandestinité de Jean Chaumeil, Robert Mension et Auguste Lecœur comme supérieurs hiérarchiques. Il eut comme pseudonymes Galland à Paris en 1942, Lacroix dans le Nord, Dubois et Millet après son retour à Paris.

Les années d’après la Libération marquèrent le sommet de la carrière militante d’Henri Kesteman. Dans le sillage de Raymond Guyot, Léo Figuères et René Thuillier, il apparaissait dès la première conférence des Jeunesses communistes en octobre 1944 au secrétariat de l’organisation, puis au comité national avec la transformation en Union de la Jeunesse républicaine de France en avril 1945, mais avec la même responsabilité, celle de rédacteur en chef de l’organe l’Avant-Garde, fonction qu’il garda jusqu’en juin 1946, peu avant le congrès national de l’UJRF. A ce titre, il signa de très nombreux éditoriaux de l’hebdomadaire, et apparaissait comme un des principaux dirigeants des jeunesses. A côté de la sienne se distinguaient souvent les signatures de Jacques Denis, André Merlot, et pendant un temps, celle de Gilbert Trigano.
Pendant ces années, favorisé par sa connaissance de l’anglais, il participa à plusieurs délégations à l’étranger : trois jours en 1945 comme représentant de la Fédération française au congrès des JC anglais ; six semaines en octobre-novembre 1945, parmi les délégués au congrès fondateur de la Fédération mondiale de la Jeunesse démocratique à Londres ; également en 1945, deux jours en Belgique comme délégué au Congrès de la JC belge « qui n’eut pas lieu » ; en Yougoslavie, en mai 1946, comme délégué de l’UJRF au congrès de la jeunesse yougoslave ; idem en Bulgarie en juin 1946 au congrès de la jeunesse bulgare ; en URSS en juillet-août 1946 (d’autres sources disent juin) à l’invitation de la Komsomolskaïa Pravda parmi une forte délégation qui comptait aussi plusieurs responsables d’organisation chrétiennes.

Par décision du secrétariat du PCF en date du 6 mai 1946, en accord avec ses 36 ans révolus, Kesteman était versé « aux adultes » comme rédacteur en chef adjoint du quotidien Ce Soir (lui-même se désignait comme « secrétaire général » du journal). Il était à ce moment membre du comité de section du Parti dans le 19e arrondissement. Une note de la commission de montée des cadres indiquait sévèrement deux ans plus tard : « il n’a pas réussi dans ses responsabilités successives au journal Ce Soir ». En dépit ou à cause de cette insuffisance, il fut muté en province, à Bordeaux, en avril 1948, pour prendre la direction du quotidien local La Gironde populaire, qui devenait les Nouvelles de Bordeaux. En 1949, il fut traduit en correctionnelle pour des articles en faveur des mineurs en grève, et relaxé. Installé dans la cité girondine, il fut également nommé membre du comité fédéral, et devenait un familier du leader communiste local Marc Dupuy.

Henri Kesteman, selon ses dires, s’était remarié avec une « ouvrière du textile », membre du Parti comme ses parents, et une fille était née en 1945. Toutefois, le couple se séparait en avril 1948, et cela peut avoir contribué à ses difficultés professionnelles. Cette deuxième union ne semble pas avoir été légitimée, car son acte d’état civil ne mentionne que le précédent mariage, qui fut légalement dissous à Bordeaux en décembre 1949. De nouvelles mésaventures devaient lui coûter cher. En effet, en décembre 1949, le secrétariat du Parti le démettait de ses fonctions, en forme de sanction : « dès que possible, relever Kesteman de ses tâches aux Nouvelles de Bordeaux ». La mesure ne fut appliquée que dix mois plus tard, en octobre 1950, « sur [ses] demandes insistantes et répétées », et il en expliquait lui-même les raisons dans un rapport rédigé en 1953 : en 1949, « étant célibataire », il nouait une très éphémère relation avec une employée du journal, laquelle s’avérait bientôt « avoir des liaisons avec la police, fut exclue du Parti et chassée du journal ». « Mais, précisait Kesteman, je commis la faute grave de ne pas avertir le Parti, j’acceptais même de faire partie d’une commission d’enquête sur les agissements des policiers dans le Parti [une autre sombre histoire d’un rédacteur du journal, qui tout en étant légitimement en relation avec la police pour couvrir les faits divers, la renseignait en retour sur les activités du Parti (précision de MG)]. Pour cette attitude qui dénotait de ma part un manque de sens des responsabilités, d’esprit de Parti, de franchise et de confiance à l’égard du Parti, je ne fus pas réélu membre du Comité fédéral de la Gironde, et le Comité central décida que je serai relevé de mes fonctions. » En s’enfonçant dans l’autocritique, il déclarait « avoir donné sans réserve [son] accord aux sanctions prises contre [lui] ». Et il ajoutait, en se référant à l’affaire Marty-Tillon qui venait d’agiter le PCF, « le devoir du parti c’est de sanctionner toute violation des principes, tout comportement incompatible avec la qualité de membre du Parti, s’il ne veut pas devenir un parti comme les autres, s’il veut faire échec à la pénétration de la bourgeoisie, s’il veut rester le Parti de la classe ouvrière, de la révolution prolétarienne. » Il fut remplacé au journal par Henri Bordage, et « remercié pour le travail accompli » au cours d’une « assemblée générale du personnel du journal ».
En avril 1950, Henri Kesteman se mariait avec Inès Klein, une secrétaire parisienne provisoirement installée à Bordeaux, ancienne responsable aux Vaillants de l’UJRF. Cette fois, la relation devait rester stable ; le couple eut quatre filles, y compris la première née d’Henri, élevée par eux. Cependant, rentré à Paris, demeurant rue Louis-Ganne dans le 20e, Henri Kesteman dut reprendre un emploi de comptable, qu’il trouvait à l’entreprise « La Nautique sportive, 80 rue des Archives, Paris 3e » par l’entremise de la CGT. Dans ce même rapport de 1953, il reconnaissait que « tout en étant d’accord avec les sanctions prises, il [lui] fut extrêmement douloureux d’abandonner le métier de journaliste qu’ [il] aimait passionnément et que le Parti [lui] avait fait apprendre, celui de comptable ne [l’intéressant] que très modérément. ». Il se prévalait alors de francs succès par son implication dans le comité de locataires de sa résidence contre la société RIVP, et posait sa candidature au comité de section du 3e arrondissement. En janvier 1954, il siégeait au bureau de la section, et était « mis à la disposition de Guy Ducoloné pour le poste éventuel d’administrateur des Auberges de la Jeunesse (en accord avec Gosnat) » par la Section de montée des cadres. La proposition ne devait cependant pas se concrétiser, et assez désenchanté, puis malade, Henri Kesteman n’obtenait pas d’autre emploi dans les organisations satellites du Parti communiste.

A l’heure de la retraite, qu’Henri Kesteman obtint avec anticipation car il était cardiaque, lui et son épouse s’installaient à Nice, d’où elle était originaire. Ils possédaient également une maison en Bourgogne, la région de sa mère à lui, où ses parents s’étaient retirés. Mais Henri et Inès Kesteman revinrent à Paris en 1975 ; il y mourut d’un cancer en avril 1979. Inès Kesteman, très engagée dans les associations de soutien à la Palestine, vit maintenant à Nice.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114766, notice KESTEMAN Henri, Albert par Marc Giovaninetti, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 6 avril 2020.

Par Marc Giovaninetti

Henri Kesteman
Henri Kesteman
lors d’un voyage en URSS en 1946
Fiche de police 1942.

SOURCES : Archives du PCF, dossier personnel d’Henri Kesteman ; fonds Raymond Guyot, 283 J 3, 4, 67. — Archives de la Préfecture de police, B A 1937 (Jeunesses communistes 1925-1945) ; G7 53.112 (dossier personnel de Raymond Guyot). — L’Avant-Garde, du n°9, 27 octobre 1944, au n° 94, 12 juin 1946. — Filles de France, 1945-1946. — Notre Jeunesse, revue de l’UJRF, en vue du premier congrès national, 1946. — Georges Cogniot, Parti pris, tome 1, D’une guerre mondiale à l’autre, Éd. sociales, 1976. — André Tollet, Le Souterrain, Ed. sociales, 1986. — Entretiens avec Léo Figuères, Jacques Denis, octobre 2002, avril 2004. — Entretiens avec Inès Klein-Kesteman, Odette Moke-Kerbaul, mai-juin 2011. — État civil de Paris 18e.
RGASPI, un dossier au nom de Henri Kesterman (la différence d’orthographe peut s’expliquer par le translittération du Cyrillique) dans les fonds du Komintern : 495 270 1320. — Roger Bourderon, La négociation. Été 1940 : crise au PCF, Syllepse, 2001.

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