KUNSTLINGER Henri, Roger, dit Henric, dit Henri-Roger, dit Dumoulin

Par Louis Bonnel et Rodolphe Prager

Né le 12 avril 1917 à Paris (Ier arr.), mort en déportation, début octobre 1944, à Auschwitz-Birkenau ; licencié en lettres et en philosophie ; dirigeant des organisations trotskistes ; animateur des Auberges de Jeunesse.

Résidant dans le XIe arr. de Paris, Henri Kunstlinger fut élève du lycée Voltaire et poursuivit ses études en lettres et en philosophie à la Sorbonne. Il adhéra aux Étudiants socialistes en 1935 et à la Jeunesse socialiste révolutionnaire créée récemment, en 1936. Au IIIe congrès de cette organisation, en juillet 1937, il fut élu au Comité central et désigné au comité de rédaction du mensuel Révolution. Membre, également, du Parti ouvrier internationaliste, il participa au débat sur l’Union soviétique et se rangea au congrès de novembre 1937 au point de vue de Yvan Craipeau qui, contre l’opinion de Léon Trotsky, rejeta le mot d’ordre de la défense de l’URSS dont il nia le caractère d’État ouvrier. En 1938, il se prononça en faveur de l’adhésion collective au Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert, préconisée par Jean Rous et Yvan Craipeau et fut le porte-parole de cette tendance dans la JSR.

Passant outre aux décisions contraires prises par le IIIe congrès du POI des 14-15 janvier 1939, Kunstlinger suivit la minorité qui quitta le parti et rejoignit le PSOP, en accord avec Trotsky et les instances de la IVe Internationale. Il fut cosignataire de la déclaration d’adhésion à ce parti publiée dans Juin 36, organe du PSOP, le 3 février 1939. Son activité se développa essentiellement dans la Jeunesse socialiste ouvrière et paysanne. Dès le 19 mars, il fut élu à la commission exécutive de la Seine par le congrès fédéral et confirmé à ce poste par le congrès du 26 juin. Rapporteur sur l’orientation politique et sur le programme, au premier congrès national des 14-15 juillet, élu membre du Bureau national, il s’affirma dès lors comme le principal dirigeant de la JSOP aux côtés de Lucien Weitz et inspira l’orientation du mensuel La Jeune garde. Kunstlinger s’associa, par ailleurs, à la création de la revue La Voix de Lénine éditée par ses camarades trotskystes du POI qui avaient rallié le PSOP et y fit paraître en avril un article : « Recettes de paix » et un autre en juin : « Sans craindre la jeunesse ».

Le refus de la direction affaiblie du PSOP de s’engager dans l’action clandestine, à la déclaration de la guerre, conduisit la gauche du parti et la majorité de la JSOP de se structurer dans un cadre illégal, sous le nom de Comité de la IVe Internationale. Membre du triangle de direction de ce regroupement, Kunstlinger fut rapidement mobilisé et incorporé au train des équipages à Bordeaux-Mérignac où il suivit un cours d’élèves officiers. Il put alors entretenir le contact avec les trotskystes bordelais. Démobilisé après l’armistice, il se rendit à Marseille et y retrouva, en particulier, Georgette Gabaï avec laquelle il prit l’initiative, dès septembre 1940, d’œuvrer au regroupement des usagers des Auberges de jeunesse de la zone libre. Ils provoquèrent une assemblée générale des ajistes qui se tint à Chamalières (Puy-de-Dôme) le 25 décembre et élut un bureau provisoire siégeant à Marseille dont Kunstlinger, devenu Henri-Roger, fut le secrétaire général. Ce bureau géra la réorganisation des clubs des usagers et leur coordination, avec un plein succès, jusqu’au rassemblement « semi-légal » de Pâques (12-14 avril 1941) où Henri-Roger et Georgette Gabaï demandèrent leur remplacement en raison de leurs origines juives. Témoins et historiens s’accordent à considérer Henri-Roger comme « le maître à penser des ajistes de la zone libre ». Il mit l’accent sur le maintien de la démocratie dans le mouvement, sur le refus de la xénophobie, des mesures racistes, des atteintes à la mixité et du contrôle individuel des adhésions.

Comme d’autres « repliés » à Marseille, l’embauche à la coopérative de confiserie, « Le Croquefruit », dont le couple Gabaï compta parmi les fondateurs, lui permit de faire face à ses besoins. Des appréciations différentes sur le caractère de la résistance gaulliste le tinrent un temps légèrement en marge de la direction du POI de la zone sud, décimée en juin 1942, sans s’écarter du parti. Son rayonnement intellectuel et son prestige rejaillirent incontestablement sur sa famille politique, le mouvement des Auberges ayant constitué un vivier en même temps qu’une « couverture » pour l’organisation trotskyste clandestine. Moniteur à l’école de cadres de Mollans-sur-Ouvèze (Drôme), « Mollans, cerveau et cœur de l’ajisme... notre capitale sacrée, notre Mecque, notre Jérusalem... » (Henri-Roger, Routes n° 7, janvier 1943), Kunstlinger y donna toute sa mesure et contribua grandement à une certaine évolution sociale et politique de l’ajisme. On perçut, en particulier, cette avancée dans les articles signés Henri-Roger, parus dans Routes, bulletin mensuel des Camarades de la route (nom des ajistes de la zone sud), qui combinaient l’audace et la prudence au cœur du régime vichyssois et de l’occupation nazie.

L’engagement intensif dans les AJ de Kunstlinger va de pair avec son activité de militant trotskyste. À la fusion des groupes trotskystes au sein du Parti communiste internationaliste, en mars 1944, il devint membre suppléant du Comité central. À ce titre il fut chargé, en avril 1944, de s’assurer, avec Marguerite Bonnet, de la bonne exécution de cette fusion à Bordeaux, à Toulouse et à Cahors. À son retour à Paris, il reçut mandat de se rendre à Lyon pour assurer la direction de la zone sud, en prévision de la Libération prochaine. Il fut arrêté vers le 20 juillet dans un café de la place Bellecour où il devait rencontrer Marc Paillet, porteur d’une fausse carte d’identité au nom de Boulenger, établie dans la Drôme. Détenu au Fort de Monluc, ayant subi de violents interrogatoires qui l’avaient physiquement marqué, il fit partie du dernier convoi à destination des camps de la mort, qui quitta Lyon le 11 août 1944 et ne parvint à Auschwitz-Birkenau que le 22, en raison des bombardements alliés et des nombreuses destructions des voies ferrées. Tombé malade en septembre et transféré à l’infirmerie du camp, il mourut début octobre, probablement achevé dans la chambre à gaz, selon le témoignage d’un codétenu.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114811, notice KUNSTLINGER Henri, Roger, dit Henric, dit Henri-Roger, dit Dumoulin par Louis Bonnel et Rodolphe Prager, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 3 novembre 2022.

Par Louis Bonnel et Rodolphe Prager

SOURCES : Révolution, juillet 1938. — La Voie de Lénine, 1939. — La Vérité, 30 septembre 1944. — Routes, 1942-1944. — La Jeune Garde, 1939. — Témoignages de Gaston Kunstlinger, de Georgette Gabaï, de Joseph Bialot. — Histoire des Auberges de jeunesse en France des origines à la Libération (1922-1945) de Lucette Heller-Goldenberg, thèse de doctorat d’État, Nice, 1985. — Renseignements recueillis par J.-M. Brabant. — Annette Wieviorka, Tombeaux. Autobiographie de ma famille, Seuil, 2022, p. 237-238, 268-271.

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