LACORE Suzanne [LACORE Marie, Suzanne, dite Suzon]

Par Michel Dreyfus, Justinien Raymond

Née le 30 mai 1875 au Glandier à Beyssac (Corrèze), morte le 6 novembre 1975 à Milhac-d’Auberoche (Dordogne) ; institutrice ; militante syndicaliste ; militante socialiste, Sous-secrétaire d’État à la protection de l’enfance dans le gouvernement de Front populaire en 1936.

Son père, maître charpentier, devenu entrepreneur de travaux publics, mourut en 1882. Avec sa mère, ils avaient six enfants. Cette dernière se remaria en 1886 avec un cultivateur propriétaire. Trois enfant s’ajoutèrent. Suzanne Lacore fut baptisée, fréquenta un pensionnat catholique au Bugue et obtint le brevet élémentaire en 1891. Elle entra à l’École normale d’institutrices de Périgueux dans la promotion 1891-1894.

Restée célibataire, Suzanne Lacore se donna avec dévouement à l’enseignement populaire et aux œuvres gravitant autour. Elle exerça successivement à Thenon (1894-1900) et à Fossemagne (1900-1903), en Dordogne. Arrivée à Ajat en 1903, elle y prit sa retraite en 1930, après y avoir créé et animé une cantine scolaire, une bibliothèque, un cours d’hygiène et de puériculture.

De nombreuses lectures l’incitèrent à se passionner pour la vie publique, pour les problèmes sociaux dont le milieu qui l’entourait lui découvrait l’urgence. La douleur universelle de l’anarchiste Sébastien Faure surtout attira son attention : elle n’en retint pas les conclusions, mais l’ouvrage l’intéressa vivement et l’émut. Elle se préoccupa de la vie politique lors des élections de 1906. Pour la première fois le socialisme se présentait uni. Des militants, amis de Paul Faure, notamment Gastagnet correspondant de La Dépêche de Toulouse l’entretinrent de leur idéal. Cette même année, elle adhéra au Parti socialiste SFIO : dans ce choix, Suzanne Lacore elle-même voyait, un demi-siècle plus tard « l’écho » de la lecture de S. Faure qui « l’amena par la réflexion à la conclusion socialiste ». Seule citoyenne adhérente à cette époque de la Fédération de la Dordogne, elle dressa l’opinion adverse contre l’institutrice publique qu’elle était. Secrétaire de la section socialiste, elle mena la propagande jusque dans les plus petits villages périgourdins. Elle écrivit aussi dans les journaux locaux, régionaux (Le Travailleur du Périgor, puis Le Travailleur du Centre, Le Populaire du Centre, signant ses articles « Suzon »), avant de collaborer bientôt aux publications nationales et publia des brochures, toujours sous l’anonymat transparent de Suzon. Parallèlement au combat socialiste, aux œuvres laïques, elle entra dans les Amicales d’instituteurs et d’institutrices et contribua à leur évolution vers le syndicalisme. Le manifeste de Chambéry (1912), invitant les membres de l’enseignement à se syndiquer et à rejoindre la classe ouvrière dans la CGT, recueillit sa signature.

Avant la Première Guerre mondiale, Suzanne Lacore adhéra au Groupe des femmes socialistes (GDFS) du Parti socialiste SFIO dès sa création en 1913 à l’initiative d’Adèle Kassky, d’Élisabeth Renaud, de Louise Saumoneau et, comme ces militantes affirma la nécessité de la prééminence du parti dans l’intervention chez les femmes. Pour Suzanne Lacore et ses amies, la lutte féministe passait d’abord par l’abolition du régime capitaliste. Refusant le féminisme indépendant d’Hélène Brion, elle écrivit en 1913 une série d’articles sur cette question dans L’Équité, le journal de Marianne Rauze où elle affirmait notamment : « Il est clair que nous n’avons pas nous, femmes socialistes, qui avons su voir dans le chaos social l’antagonisme profond des classes, à confondre nos efforts avec ceux des femmes éclairées et instruites de la bourgeoisie dont le but instinctif est de conserver ce que nous voulons détruire... Dans le parti où nous devons entrer nombreux ce ne sera pas pour batailler contre la toute puissance des barbes et des moustaches mais pour combattre le régime capitaliste ». Elle tempéra quelque peu ce point de vue en 1915 dans une préface à une brochure de Marianne Rauze, Féminisme économique : elle se refusait alors à décréter « péremptoirement la prépondérance souveraine du fait économique ». Ses positions représentent très largement celles du GDFS et furent à la base du travail mené par la SFIO chez les femmes durant l’entre-deux-guerres, jusqu’au début des années trente du moins ; elles expliquent peut-être le relatif échec que connut ce parti en ce domaine.

Suzanne Lacore resta dans la « vieille maison » socialiste à la fin de 1920 à la différence de la majorité de la fédération de la Dordogne. Elle participa à la fois à la reconstruction du Parti socialiste SFIO, notamment par ses nombreux articles dans la presse. Elle s’investit dans l’action pédagogique, moyen, selon elle, de reconstruire une nation forte. Elle pratiquait dans son enseignement les méthodes actives.

Son action avec les femmes socialistes se poursuivit, surtout après sa retraite en 1930. Le GDFS se reconstitua difficilement en 1922-1923, toujours sous la férule autoritaire de Louise Saumoneau. En 1931, le GDFS n’aurait compté que 220 adhérentes (la moitié dans la Seine, l’autre en province), alors qu’au même moment le Parti socialiste SFIO avait environ 130 000 adhérents ! Cette question fut discutée au congrès de Tours de la SFIO en 1931. Suzanne Lacore y intervint longuement. Tout en défendant l’action menée depuis 1913, elle affirmait la nécessité d’une organisation nouvelle dont le principe fut voté par le congrès à l’unanimité moins une voix. Elle publia en 1932 une brochure sous le titre Femmes socialistes. Ainsi fut constitué le Comité national des femmes socialistes (CNDFS) pour lequel elle multiplia les réunions de propagande développant un de ses thèmes favoris sur les femmes dans l’agriculture. Suzanne Lacore fut alors remarquée par Léon Blum. En 1932, elle fut élue à la direction de la nouvelle organisation par 841 voix derrière Suzanne Buisson (896), Marthe Louis-Lévy (845) et devant Louise Saumoneau (809) et Alice Jouenne (799). Il y aurait eu alors quelque 2 800 femmes socialistes à cette date. Cependant le CNFDS ne fut selon Charles Sowerwine (Les femmes et le socialisme) qu’un « auxiliaire féminin du parti sans vie politique à lui ». Ses effectifs passèrent à 3 400 militants en 1934, puis à un peu moins de 4 000 jusqu’en 1937 ce qui restait néanmoins fort peu par rapport aux effectifs généraux du parti. Suzanne Lacore lui consacra beaucoup de temps. En 1935, au congrès de Lille, elle reprit l’essentiel d’un rapport « La femme dans l’agriculture » présenté au CNDFS : elle soulignait la rudesse du labeur des femmes et des enfants dans les campagnes et le « manque de joie » qui y régnait le plus souvent. D’autre part, depuis le début des années 1930, elle multipliait ses interventions sur tous les thèmes développés par le Parti socialiste SFIO, notamment dans la presse où elle ne signait plus ses textes « Suzon » mais « Suzanne Lacore ».

Le 4 juin 1936, Léon Blum confia à Suzanne Lacore le sous-secrétariat à la protection de l’Enfance dans le gouvernement du Front populaire. Ayant pris Alice Jouenne comme chef de cabinet, Suzanne Lacore s’attacha à humaniser l’Assistance publique, à unifier les œuvres de l’enfance et à coordonner les bonnes volontés. Elle créa les trois commissions de l’Enfance déficiente, de l’Enfance malheureuse et des Loisirs et collabora étroitement avec le ministre de la Santé, Henri Sellier. Deux autres femmes furent membres du gouvernement : Irène Joliot-Curie à la Recherche et Cécile Brunschwicg à l’Éducation nationale. Cette dernière put notamment créer 1 500 cantines d’école, un certificat d’aptitude à l’enseignement des enfants arriérés, et amorcer une refonte des maisons de correction. En dépit de leur bref passage aux responsabilités gouvernementales la participation de ces trois femmes au gouvernement fut une grande nouveauté à une époque où les femmes n’avaient pas encore le droit de vote. Quand la chute du cabinet le 21 juin 1937 mit fin à cette œuvre, Suzanne Lacore regagna sa province périgourdine tout en assurant la vice-présidence du Conseil supérieur de la protection de l’enfance créé le 17 octobre 1937.

La Seconde Guerre mondiale, l’occupation des troupes allemandes qui lui valurent des perquisitions à Ajat de la Milice et de la Gestapo ne mirent pas fin à son activité. Habitant toujours Ajat, elle continua à militer de longues années après la Libération, notamment en collaborant à la presse socialiste ou par la rédaction d’une revue éphémère imprimé chez Pierre Fanlac à Périgueux, Espoir et lutte. Cahiers d’éducation socialiste féminine (avril-septembre 1951). Membre de la commission exécutive de la fédération socialiste SFIO de Dordogne, elle écrivit plusieurs préfaces, ainsi à l’ouvrage du docteur Agnès Masson, L’Assistance psychiatrique nouvelle (1948) et continuait à collaborer, évoquant les grands militants socialistes, à la presse socialiste, notamment Vétéran socialiste. En 1958, elle devint présidente d’honneur des anciens du parti.

À partir de 1960, selon les Renseignements généraux, elle vivait avec sa sœur Madame Lagalle, à Milhac d’Auberoche où elle habitait depuis 1958.

Le 30 mai 1975 à l’occasion de son centenaire, elle fut élevée à la dignité d’officier de la Légion d’honneur. Dans plusieurs communes de France, son nom fut donné à des artères, des écoles maternelles et primaires, des collèges.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article115030, notice LACORE Suzanne [LACORE Marie, Suzanne, dite Suzon] par Michel Dreyfus, Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 22 octobre 2022.

Par Michel Dreyfus, Justinien Raymond

ŒUVRE : Socialisme et féminisme, Paris, 1914, avec une préface de Compère-Morel, 32 p. — Le rôle de l’institutrice, 1919, avec une préface de Georges Renard. — Féminisme et internationalisme, 1919. — La paix et l’école. — Les grands fléaux sociaux. — Les partis politiques. — Femmes socialistes. Préface de Bracke-Desrousseaux, Paris, Librairie du Parti socialiste, 1932, 52 p. — La femme dans l’agriculture, Paris, Cahiers des Amis de Jacquou Le Croquant, 1938, 46 p. (texte repris en 1944). — L’émancipation de la femme, Paris/Limoges, 1946 (numéro 1 des Cahiers de la Démocratie), 72 p. — Jules Guesde, Paris/Limoges, 1946, (numéro 2 des Cahiers de la Démocratie), 170 p.
Préfaces à : Marianne Rauze, Féminisme économique, Éd. de l’Equité, 1915. — Eugène Le Roy, Nicette et Milou ou l’enfance abandonnée, Paris, Cahiers des Amis de Jacquou Le Croquant, 1938. — Jules Guesde, Paris, Éd. du Centenaire.
Collaboration aux journaux et revues suivantes : Le Travailleur du Périgord (1907) qui deviendra plus tard Le Travailleur du centre. — Bulletin féministe du Sud-Ouest. — Le Populaire du Centre. — Socialisme et lutte de classes (de Guesde en 1914). — L’Équité (articles signés Suzon en 1913-1914). — Le Rayon, publication d’éducation socialiste qu’elle fonda en 1920 et qui dura un an. — Le Combat social, organe de la Fédération socialiste de la Seine. — Le Populaire de Paris, (1927-1931). — La Femme socialiste. — Populaire-Dimanche. — Le Populaire du Périgord. — La Voix socialiste (dans le Périgord) 1934-1939, 1944-1947. — La Moisson. — Almanach populaire édité par le Parti socialiste SFIO, Paris, 1938.

SOURCES : Arch. Nat., F7/ 15746, n° 9037. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, I, op. cit., pp. 231-241, passim. — Les Hommes du jour, n° du 23 avril 1937. —Les Femmes ministres du Front populaire : « Suzanne Lacore » par Pierre Auzon (pp. 2-4). — Denise Moran : « Un grand cœur au service de l’enfance », Almanach populaire, Paris, 1937, pp. 111-113 (reproduction d’un article de La Lumière). — Berthe Fouchère : « Suzanne Lacore », La Femme socialiste, n° 1, 1951, pp. 6-8. — Hélène Heinzely, Le mouvement socialiste devant les problèmes du féminisme : 1879-1914, DES, Paris. — Charles Sowerwine, Les femmes et le socialisme..., op. cit. — France Soir, 7 novembre 1975. Le Monde, 8 novembre 1975. — Bernard Dougnac, Suzanne Lacore. Biographie 1875-1975, Périgueux-Institut aquitain d’études sociales, Fanlac, 1996. — Correspondance de J. Raymond avec Suzanne Lacore en mars et avril 1957. — Notes de Jacques Girault.

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